Bohren & Der Club of Gore, Witxes, Insiden Point Ephémère

Tandis que je me dirige vers le Point Ephémère, je remarque que la météo se prête à merveille à une imagerie fantasmée de la soirée qui s'annonce. De lourds nuages gris menacent les bords de seine où jeunes et moins jeunes profitent d'une chaleur bienvenue pour ce jeudi 3 avril. Ils ne se doutent pas toutefois que dans le bâtiment qui leur fait face va se dérouler un événement rare : Les membres de Bohren und Der Club of Gore seront sur scène, en vrai, à quelques mètres. 
Mais avant l'apparition des allemands, ce sont des lyonnais qui vont s'évertuer à piquer notre curiosité. Witxes d'abord et son électro/ambient, puis Insiden et sa noise décapante. Un line-up tout en diversité qui promet, en somme.

C'est vers 20h20 que Witxes fait son entrée sur scène. Signé chez Denovali Records, son dernier album A Fabric of Beliefs sorti en 2013 témoigne déjà d'un amour aigu pour le brouillage de pistes.
Il se présente seul sur scène face à une salle désespérément clairsemée (qui d'ailleurs ne se remplira réellement que pour Bohren und der Club of Gore). 
Le travail de Maxime Vavasseur repose énormément sur la superposition de couches et de nappes de sons pour créer un dégradé sonore hanté. Hantée, la musique de Witxes l'est sans aucun doute. Pour arriver à ses fins, Maxime utilise de multiples procédés : le bruitage avec sa voix au micro tandis qu'il mixe, l'utilisation d'une guitare pour en sortir des sons déstructurés ou encore quelques éléments de Field Recording. Ce ne sont pour autant pas des effets figuratifs puisqu'en plus d'apporter une diversité scénique, les sons produits se bousculent dans une cohésion étonnante. 
Les genres traversés par le lyonnais sont multiples. Alors qu'il évolue principalement dans le domaine de l’ambient à la Tim Hecker, des éléments de Drone voire parfois de Noise viennent parsemer ses dérives. A noter parfois des escapades technoides avec des beats en fin de set qui viennent chatouiller la techno minimale. L'ami Trent Reznor (Nine Inch Nails) n'est pas loin non plus lorsque Witxes délivre quelques notes au piano particulièrement efficaces et mystérieuses dans la lignée de l'album Ghosts (tiens tiens) du maître.   
Des fantômes donc, mais les fantômes des influences encore trop présentes à mon goût. Les ténors de l'ambient tels que Tim Hecker précédemment cité mais aussi Loscil ou Fennesz viennent trop souvent à l'esprit pour créer une véritable surprise. Un set très plaisant néenmoins et je regarderai dorénavant d’un vif intérêt le futur de Witxes.    

L'entrée sur scène d'Insiden se fait vers 21h20. Le groupe lui aussi d'origine lyonnaise pratique une noise libertaire. 
Tandis que la salle se remplit doucement, le quatuor lyonnais s'installe alors que prennent place les formes projetées sur l'écran qui surplombe les musiciens. Ces formes noires et blanches évolutives en fonction des sons vont suivre les pérégrinations bruitistes d'Insiden pendant le concert.
Côté musique, il est évident que le quatuor ne fait pas les choses à moitié. N'ayant à aucun moment l'intention de brosser les spectateurs dans le sens du poil, c'est au contraire les ongles en avant sur le tableau noir qu'ils déstructurent, malaxent et décomposent les sons. À la manière de l'allemand Alva Noto ou des japonais Ryoji Ikeda et MerzbowInsiden se joue de la mélodie en prenant soin de l'éviter.  
Les musiciens se servent pourtant bien d'instruments "traditionnels" mais malmènent leur utilisation pour créer une atmosphère tendue où crispation côtoie fascination. 
La musique proposée par le quatuor lyonnais n'est évident pas faite pour tout le monde, c'est donc sans surprise qu'une petite partie de la salle venue voir le Jazz de Bohren und Der Club of Gore préfère patienter à l’extérieur.  
Malgré un problème technique pour l'un d'entre eux (difficile de déterminer lequel dans un concert de noise, vous me pardonnerez j'en suis sûr) le concert se poursuit dans ce magma sonore où se côtoient la noise, la musique industrielle et quelques moments ambient. Le drone est également présent tandis que des bruits suraigus tels des cris de baleines viennent interférer le bourdonnement. 
Le concert se termine avec dans le calme avec des nappes ambient subtiles et clairsemées comme pour souligner la correction qui a précédée. 
Insiden ne peut laisser indifférent tant le genre pratiqué par le groupe est singulier, tout comme leur prestation. On aime, ou pas. 
 
La salle s’est bien remplie alors que vient le tour des tant attendus Bohren und Der Club of Gore. La salle est plongée dans une obscurité troublante complétée par des fumigènes, tandis que surgissent les trois musiciens qui se positionnent à chaque extrémité de la scène au sein de douches lumineuses aux couleurs changeantes. L’entrée sur scène se fait sous des applaudissements chaleureux, l’audience sait qu’elle s’apprête à vivre un évènement rare et précieux.
 Le trio (contrebasse, xylophone/sax et piano) débute le concert par le premier morceaux du dernier album en date : Piano Nights. Instantanément, le côté immersif de la musique de Bohren und Der Club of Gore enveloppe la salle de sa chaleur et de son rythme étouffant. 
L’opacité devient perturbante. La notion de « Club » prend de plus en plus d’ampleur. Celle de « gore » aussi. Le logo du groupe, éclairé, est positionné au centre de la scène de sorte à ce qu’il puisse être vu de tous. L’impression de se retrouver au fond d’une cave insalubre s’accentue, tandis que la chaleur oppressante de la salle laisse entrevoir le malaise.
Bohren pousse à la méditation. A la manière de Sunn O))), l’extrême lenteur du rythme alourdit les paupières, incite à la rétrospection en tête à tête avec nos songes. Les yeux se ferment définitivement, une goutte de sueur dégringole, me voilà en tête à tête avec mes songes. 
Chaque note de saxophone transperce la salle de sa grâce et de sa volupté. A la fois doux et pernicieux, l’instrument prend une place prépondérante dans la séance d’hypnose. 
Mais Bohren und Der Club of Gore c’est aussi le silence. Il s’invite naturellement, se glissant astucieusement entre les nombreux espaces rythmiques. J’irais même jusqu’à dire qu’ici le silence est aussi important que la musique. Le silence devient même naturellement musique par les respirations qu’il provoque, permettant au groupe de créer un véritable impact sur l’audience par la puissance qu’il dégage.
Quel dommage dès lors que la musique du bar d’à côté soit venue perturber notre autarcie. Nul ne pouvait échapper à la techno festive émanant de la pièce d’à côté, se frayant notamment un chemin lorsque le silence devait imposer sa domination. Frustrant. 
Autre regret, mineur cette fois : la durée des coupures entre les morceaux, à mon avis trop longues et qui avaient tendance un tant soit peu à me faire sortir de ma bulle d’égocentrisme. 

Après un rappel les trois musiciens se rassemblent au milieu de la scène pour saluer un public conquis malgré tout. L’impression de vivre un moment rare a prévalu ce soir, et c’est bien ce qu’il faut retenir. Globalement une belle soirée au Point Ephémère, particulièrement intéressante par l’hétérogénéité des concerts proposés.  


Grand merci à Djou et à Adrien de Kongfuzi 

Humtaba (Avril 2014)

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Commentaires

SkaldMaxLe Vendredi 02 mai 2014 à 23H17

J'ai eu la même impression pour Witxes, carrément dronesque/noise en live, contrairement aux albums, nettement plus calmes et ambiants.