"Glocca Morra + The Joint Chiefs of Math + Greys + Gulfer" Montréal

Rencardée à la dernière minute par nos confrères de Pelecanus, je n’allais pas manquer l’un des rares house show de l’année, initiative inspirée de David, le bassiste de Gulfer. Au détour d’une rue populaire, la maison cachée dans une contre-allée est le lieu de répétition dudit combo montréalais. Depuis le salon, il faut emprunter un escalier en colimaçon aux marches vicieuses pour accéder à un sous-sol pour le moins sommaire : murs de béton bruts, éclairage blafard, poutres nues, piliers de soutien, enchevêtrement de fils et de tuyaux, un cauchemar de photographe. Armée d’un modeste compact, j’ai tenté de documenter la soirée, mais malheureusement aucun cliché n’est exploitable.

Devant un public restreint, principalement composé de membres des autres groupes à l’affiche, Greys met à l’épreuve l’insonorisation des lieux avec du punk noise caractéristique des années 1990. Originaire de Toronto, Greys se targue de jouer du « loud rock » dans la veine de Nirvana, Drive Like Jehu, Fugazi ou encore The Jesus Lizard. Indéniablement bruyant; au point que la voix du chanteur, desservie par une enceinte pas assez puissante, est couverte par les guitares impétueuses et la basse belliqueuse. Il a beau se démener et brailler à plein poumons, on ne perçoit qu’une vibration étouffée au milieu du tumulte. Pour apprécier pleinement leurs compositions, direction Bandcamp où sont disponibles en libre téléchargement les EP Easy Listening (2012) et Ultra Sort (2011) tandis qu’un premier album est en gestation. Amoureux de la route et du contact avec le public, les musiciens aguerris comptent déjà plusieurs tournées nord-américaines à leur actif –en seulement deux années d’existence– et cela se ressent dans leur performance.

Formé en 2008 à Philadelphie, The Joint Chiefs of Math a sorti cet été l’album WIRES (2012) dans la foulée de l’EP You Are Here (2012). Pas de parlotte, le combo aligne ses compositions instrumentales avec une frénésie qui se communiquée à l’audience; l’énergie déployée par les danseurs galvanise en retour le duo. Difficile d’imaginer que seulement deux musiciens arrivent à créer un tel maelstrom de sonorités post-punk, math rock et noisecore. Ils ont baptisé leur style hybride de « spazz rock », une dénomination pertinente puisqu’à chaque fois qu’une rythmique semble s’installer, elle est aussitôt pulvérisée par des riffs de guitare névrotiques. Le dialogue heurté avec la batterie épileptique n’est pas dénué d’une agressivité sous-jacente, les accords étirés presque dissonants de la guitare renforcent la tension électrique. L’atmosphère sombre du live se retrouve sur leur LP où les morceaux sont agrémentés d’arrangements à la trompette, au clavier et au synthétiseur.

Une année faste pour Glocca Morra qui a pondu l’album just married (2012) et plus récemment l’EP an obscure moon lighting an obscure world (2012). Du nom d’un village fictionnel d’Irlande, le trio est récemment devenu un quatuor avec l’addition d’un membre de Snowing; une alchimie réussie à en croire la complicité affichée sur scène. D’emblée accrocheuses, les mélodies indie pop rock teintées d’emo évoquent inévitablement celles de feu Algernon Cadwallader. A l’instar de leurs concitoyens de Pennsylvanie, Glocca Morra se distingue par un chant énergétique parfois discordant où l’émotion est palpable. Les riffs s’entrechoquent, l’ensemble est entraînant, le bonheur contagieux. La simplicité et l’immédiateté des morceaux provoquent l’adhésion en même temps qu’ils représentent une limite. Prolixe, le groupe semble plus soucieux de passer un bon moment que d’impressionner et manque un peu d’application. Qu’importe, le public relativement jeune agglutiné auprès des musiciens est conquis. Le set trop court laisse un goût d’inachevé contrebalancé par la sincérité de l’approche.

Originellement programmé pour ouvrir les hostilités, Gulfer sert finalement d’heureuse conclusion à ce concert au line-up très cohérent. Les morceaux interprétés proviennent d’un split EP (2012) réalisé en collaboration avec les post-rockers français Fago.Sepia, ainsi que d’un nouvel EP dont l’enregistrement est d’ores et déjà bouclé. La majorité du public reste passé minuit pour soutenir le groupe local, les plus enthousiastes chahutant avec l’ampleur permise par la configuration des lieux. Cela fait pile un an que le combo de Montréal a vu le jour et il figure indubitablement parmi les formations les plus prometteuses de la scène locale. Le charismatique chanteur à la voix légèrement écorchée fait preuve d’une maîtrise impressionnante à la guitare avec, notamment, l’utilisation tapping. Gulfer a choisi l’appellation « math pop » avec l’ambition d’allier la complexité technique du math à la festivité de la pop, une fusion concluante!

À l’aube d’une longue période d’hibernation, ce concert qui, fait rare pour un house show, ne s’est pas terminé par une descente de flics, s’est traduit par d’excellentes découvertes. Merci David de dépenser autant d’énergie pour organiser des concerts hors des sentiers battus, en espérant qu’une telle attitude fasse des émules!

Lyra (Décembre 2012)

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