Master Musicians of Bukkake, Julie Christmas et Mamiffer Mains d'Oeuvres

La capitale est ensoleillée, il flotte dans la ville des parfums, dans nos esprits l'idée d'un morceau d'Orient prêt à nous parvenir dans la soirée. Belle mise en jambes. Le soir venu, j'arrive aux Mains d'Oeuvres pour la fin de la première partie, Mamiffer, side-project d'Aaron Turner déjà adorateur d'une déesse égyptienne. Ce sera le seul point commun avec la tête d'affiche, et ce ne sont pas les ambiances violon/piano et les quelques accords lourds dans des morceaux clairsemés qui me feront mentir. Cela dit, difficile de juger ce qui n'est autre que le dernier quart d'heure d'un set qui n'aura, à écouter le public, pas fait l'unanimité. Vient ensuite le tour de Julie Christmas (Battle Of Mice, Made Out Of Babies) que je n'ai pas l'occasion d'entendre et de voir de près car la faim et la soif auront raison de moi ; j'aurais cependant amèrement regretté une attitude ascétique tant la rythmique pataude et les riffs lourdauds ne donnaient pas envie, la voix en mode poussif n'aidant pas non plus. Encore une mauvaise surprise quand on connaît les capacités de la demoiselle et des groupes qui l'accompagnent sur ses efforts studio.

Après donc des épisodes peu convaincants, le concert continue avec la tête d'affiche tant attendue (ne serait-ce que de la part de votre serviteur) dont la mise en place est moins axée sur les balances qu'elle ne l'est sur l'installation de voiles, tentures indiennes et autres artefacts qui semblent avoir été chinés dans des magasins qui sentent le patchouli. Les lumières s'éteignent et arrivent enfin les Masters Musicians Of Bukkake, six joyeux drilles traumatisés par les musiques orientales à l'instar des divers groupes dont les membres sont issus (surtout Secret Chiefs 3, Grails et Earth dans une moindre mesure), et tenant à rendre hommage à ces musiques, en témoigne le nom probablement dérivé des Master Musicians Of Jajouka, ensemble de musique traditionnelle marocaine qu'ils semblent imiter jusque dans l'allure lorsqu'ils montent sur scène tous coiffés de chèches couleur bleu nuit. Le set s'étalant sur une heure sera composé de quatre pièces, quatre transes.
Transe première : une longue corne tibétaine résonne de son timbre à la fois  majestueux et inquiétant, laissant de grands espaces de (quasi-)silence que les autres membres vont ponctuer d'assauts brefs et précis, pendant qu'une jeune femme lit un texte de manière inaudible. Elle ne comblera pas le public de sa présence, mais qu'à cela ne tienne puisque le chanteur, ici dans un rôle plus proche du maître de cérémonie/de rituel, va (et cela tout au long du concert) partir dans des motifs de chants/paroles/cris compris de lui seul, avec force mouvements dramatiques, ajoutant un côté décalé mais se prenant paradoxalement assez au sérieux. Le long développement d'introduction laisse bientôt place à un riff de guitare dessinant des arabesques, nous rappelant les liens avec leurs ancêtres Sun City Girls (sur le label desquels ils sont signés) ou plus encore avec leurs grands frères Secret Chiefs 3. Mais là où ces derniers jouent la carte de la virtuosité, des thèmes abordés très empreints de spiritualité aux références littéraires complexes, le tout en plongeant dans des répertoires vastes et variés, les Master Musicians quant à eux jouent plutôt le jeu du groupe décomplexé et faisant la musique comme elle leur plaît, donnant l'impression d'être tout droit sortis d'un Sublime Frequencies, plus proches sans doute de la musique pop moderne telle qu'elle est jouée « là- bas » oserais-je dire. Finalement, le morceau se termine, 35 minutes au compteur.
Transe deuxième : la pièce s'ouvre sur une guitare wah-wah sautillante rappelant les blues ensoleillés joués par les touareg (le visuel ne trompe pas de surcroît), alors que le chanteur/maître de cérémonie/etc invite le public à taper dans les mains, et si le premier morceau nous apprend que le groupe sait composer des ambiances, celui-ci nous confirme qu'il sait aussi envoyer du son, faire bouger et danser les gens, dessiner des sourires sur les visages. A grand renfort de fumée aussi, soit dit en passant.
Transe troisième : la musique commence par une basse synthé bientôt rejointe par un son de charleston qui rappellent ensemble typiquement les montées que l'on retrouve dans la goa (tiens, ce n'est donc pas la première fois que l'influence musicale s'effectue dans le sens de la course du soleil, comme quoi), illusion rapidement effacée par les autres instruments qui rejoignent la fête comme ces nappes de sons électroniques timidement parcourues par une gasbâ, ou ce violon qui décrit des clusters nerveux de notes en pizzicato. Ce troisième morceau restera sous le signe des sons de claviers, avec comme un arrière-goût 80's, un peu ce qu'aurait pu (dû?) être le Translucence de Poly Styrene à l'époque.
Transe quatrième : ce sera la fin, on le sait, on le sent, la tension semble autre sur ce morceau, l'atmosphère appelle à la réflexion d'une certaine manière, des bâtonnets d'encens sont distribués au premier rang. La trame sonore est plus pesante, le chanteur scande ses paroles dans des incarnations de muezzin, le violoniste triture les cordes de son instrument pour en tirer des grincements, mais la guitare réussit trouver une brèche dans cette ambiance volcanique provoquée par le magma sonore et la fumée d'encens, et prend son envol. Mais c'est alors que la musique prend des allures de krautrock avec son motorik beat dansant et  ses claviers qu'on croirait sortis d'electro-prog d'il y a plus de trente ans. Et ce rythme soutenu continuera pendant tout le développement du morceau, avec des guitares qui se multiplient, se saturent de plus en plus, le son et les percussions s'intensifiant d'avantage... avant de retomber en même temps qu'un signe de main du chanteur. Les lumières se rallument, les membres du groupe s'éloignent clochettes et bols tibétains à la main, comme dans un dernier souffle.

« Imiter », « jouer le jeu », « sembler », « faire croire », « illusion »... le vocabulaire qui est venu naturellement tout au long de cette chronique de concert résume finalement relativement bien le rôle des maîtres musiciens : tromper son monde, cacher, mystifier, garder une aura d'inconnu, comme pour nous rappeler que si la musique est cette belle orientale mystérieuse au regard sombre et à la peau cuivrée, Master Musicians en sont le voile évanescent. Que l'on aimerait bien soulever.

Yoda Superstar (Avril 2011)

Merci à Adrien de Kongfuzi.

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