Enablers, Kill The Thrill le 7 mai 2010

A Marseille il y a des avenues qui montent, qui descendent et surtout qui n'en finissent pas. C'est également le cas à San Francisco. Les Enablers sont un peu comme chez eux au Montevideo, lieu qui avec son acoustique limpide et son atmosphère singulière, est la scène idéale pour accueillir le propos des californiens. Leur dernier disque, Tundra (2008), est une franche réussite qui amène encore un peu plus loin leur style unique à la croisée du post rock feutré, de la noise cinglante et des spoken works. Cela fait un bout de temps que cette date est notée en gras et soulignée 3 fois sur mon calendrier. Enablers en concert c'est la grande classe. C'est de l'implication du premier au dernier mot déclamé par un poète agité et tourmenté. C'est un duo de guitares qui aguiche pour mieux saper. C'est un batteur d'une précision de chaque instant, qui sait caresser ses fûts comme tout faire voler en éclat.

C'est 2 jours à peine avant le jour J que Kill The Thrill s'ajoute à l'affiche. Une sacrée bonne nouvelle, qui confirme l'irrésistible envie du trio noise indus marseillais de relancer les machines. Leur terrible show nantais au Metalorgie Fest aurait-il contribué à les remettre sur les rails ? Quoi qu'il en soit, ce fut un vrai gros plaisir de les voir enchaîner les inusables morceaux de bravoures que sont les compositions de Tellurique sur la scène du Montévidéo. Même après les avoir vu une bonne poignée de fois, la contenance et la richesse de leur musique massive et contemplative, procure à chacun de leur concert un ressenti variable. Devant un public croissant et attentif, Kill The Thrill distille avec une force et une passion intactes, leurs déferlantes à la fois pesantes et aériennes. C'est bien là le coeur du propos de Kill The Thrill, parvenir à creuser très profond avec entre autre cette basse littéralement carnassière, tout en gardant la tête haute, au dessus des nuages. Le chant de Nicolas Dick (dont le projet ambient solo mérite toute votre attention) est un modèle de souffle éthéré et sombre, qui par son grain, rajoute (et encore davantage en live) une composante quasi organique à leur propos. Kill The Thrill achève sa prestation par "Permanent Imbalance" et "Mistaken Solutions", sans aucun doute mes morceaux préférés du groupe, sur lesquels Nicolas met de côté sa guitare pour pleinement consacrer son énergie à un chant ténébreux et pénétrant. A propos de chant, aura t-on un jour l'occasion d'avoir "Soave" sur la playlist, excellent morceau de Tellurique sur lequel c'est Marylin qui pose sa voix, hargneuse et perturbante ?

Le temps de boire quelques bières en terrasse, puis de faire lever, pas à coups de pied au cul mais presque, ceux qui avaient prévu de passer le set d'Enablers les fesses sur un coussin aux premiers rangs (la bonne blague), il est temps de se jeter corps et âme dans l'univers du quatuor de San Francisco.
Kerouac. Burroughs. La beat generation. Les textes dérangés et dérangeants de Pete Simonelli, qu'ils soient pour Enablers ou bien à destination de lectures one-shot y sont indubitablement reliés. Avec son habituelle chemise rouge et son regard perspicace, l'écrivain exulte dès les premières mesures, électriques et ultra-puissantes, qui font immédiatement prendre conscience du niveau technique des gaziers. Comme directement branché par un jack aux riffs tortueux et aux mélodies nébuleuses de Kevin Thompson et Joe Goldring, Pete se tord en deux, se contorsionne, s'accroupit violemment pour bondir au plafond, joue du micro comme d'un fleuret, et n'hésite pas un seul instant à se faufiler dans le public, jusqu'à étreindre la première personne qui a le malheur de croiser son regard. Un mot pour un geste. Pete Simonelli vit ce qu'il déclame, crachant du venin dans les moments les plus intenses, qui sur scène prennent une ampleur démentielle à l'énergie punk. Le ton suave, la voix grave, il parvient également à communiquer un apaisement presque rassurant, mais avec en filigrane un aspect désabusé toujours perceptible, comme sur le sublime "Ouput Negative Space". Un morceau aux mélodies limpides et éclairées qui raccorde directement Enablers au spleen originel de Slint et à la finesse de June Of 44 (chez qui Doug Scharin a d'ailleurs officié).
Il y a très peu de temps mort chez Enablers, tout s'enchaîne très vite et rien ne vient à se répéter. Ca ne tâtonne pas un seul instant et les morceaux vont droit au but pour brutalement se taire dans un fracas tonitruant ou une phrase acérée, une fois que tout a été dit. Le long rappel terminera de détremper les chemises des californiens et achèvera de nous convaincre que non, décidément, aucun groupe ne capture l'attention comme Enablers. Que ce soit sur disque, confortablement installé, ou sur scène, on a chaque fois la sensation d'avoir assisté à quelque chose d'unique et donc, d'inoubliable.

Senti (Mai 2010)

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