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Shaârghot, Carbon Killer, We Are Magonia le 25/11/23 Rennes (L'Etage)
La musique a bien des facettes. Même quand elle s’inscrit dans un registre, elle ne s’y enferme pas. Au contraire. Elle se réinvente. Des musiciens peuvent évoluer au sein d’un même univers et le démultiplier à l’infini. C’est sans doute la scène qui offre la meilleure des visibilités à ce panel de pratiques. Les concerts permettent de mettre en valeur un éventail de créations : ce sont ces confrontations de points de vues qui sont intéressantes et le Metal n’échappe pas à ce foisonnement. Pour cette soirée du 25 novembre 2023 à Rennes, Garmonbozia a fait la part belle à des artistes imprégnés par ce genre musical mais aussi par le cyberpunk et le post-apocalyptique.
L’art se mélange... et s’étoffe. Pour ce live, il prend les voies de la littérature, du cinéma, des jeux vidéos... et surtout d’une bande-son bien vivante. Les machines occupent aussi une place de choix dans ce paysage futuriste. Une technologie quasi mécanique guidée par des êtres humains sans visage. Ici, les ombres côtoient l’imaginaire avec une pointe de cynisme... Deux têtes chercheuses sur une planète dévastée. We Are Magonia entre en scène ! Dissimulés sous de larges casques équipés de cornes et de lumières, les musiciens semblent être en quête de survivants sur une terre délabrée. Ennemis ou amis ? À l’heure du débat sur l’intelligence artificielle, tout est possible. L’art n’explique pas tout. Il suggère, poussant le spectateur à réfléchir et parfois même à se faire sa propre opinion. Le son résonne fort dans la salle ! L’ambiance est clairement électro-rock avec une une pointe d’horror et de Black Metal. Un mélange d’influences concocté à coups de samples et de machines, mais qui ne s’arrête pas là. D’un morceau à l’autre, les sonorités passent du sombre - et même du quasi mystique - à une ambiance plus EBM (electronic body music). Dans un monde post-apo, les gens se retrouveraient-ils pour faire la fête ?
Oui, d’entrée de jeu, le style peut étonner dans le cadre d’une soirée dédiée au Metal mais tout prend sens en cours de set. Le duo apporte clairement une touche de club sous les décombres. Le décor est planté et il ouvre la voie aux autres groupes. Carbon Killer propose un seul en scène. Sous le casque et la combinaison blanche, l’artiste donne des allures de cyberpunk à la salle. Jeux de lumière, poste de commandes, touche futuriste... Il évolue au milieu d’écrans géants qui déclament des messages publicitaires un brin ironiques. Il y a du Blade Runner dans cet approche ! On plonge dans une société qui mêle le vrai au faux. Le musicien sous le masque serait-il seulement humain ? Il ne cesse de faire planer le doute, passant de la guitare aux machines. L’interprétation de sa musique est complexe. On peut y voir le symbole de deux mondes qui s’affrontent : l’ancien et le nouveau qui s’expriment entre riffs classiques et langage cybernétique. Une diatribe qui pourrait très bien se jouer à l’abri des regards, dans une rame de métro désaffectée. Il n’y a pas de grand discours dans l’approche de cet artiste mais les symboles sont là. Carbon Killer laisse sa musique s’exprimer : les notes et les images agissent comme des pamphlets ouverts. L’imaginaire est en éveil. L’esprit critique aussi.
C’est Shaârghot qui conclut la soirée ! Le groupe est doté d’un impressionnant sens du détail... Un visuel, une interprétation au millimètre et une musique qui rendent leurs prestations imparables. Oui, il serait tentant d’évoquer Rammstein quand on entend leur son mais pourquoi leur coller une étiquette ? Leur formation mérite une véritable analyse. Il y a d’abord tout ce travail en amont. Leur concert, ils le commencent bien avant leur entrée en scène. Un personnage, sorti tout droit d’une cour des miracles souterraine, déambule dans la salle pendant les deux premiers live. Il salit le visage de ceux qui acceptent de rejoindre les ombres. En une moins d’une heure, le public fait partie intégrante du spectacle. Il y a un air post-apocalyptique qui plane dans la fosse et ça ne fait que commencer... Au moment de monter sur scène, les membres du groupe tiennent déjà leur rôle. Ils prennent place dans un décor rutilant et poussiéreux. Des bidons, des machines, des micros sculptés... Les boulons et les matériaux qui composent l’ensemble sont faits d’un acier d’une autre époque. Mad Max n’est pas loin ! On devinerait presque la silhouette d’Immortan Joe surgir derrière eux. Les artistes sous le costume suggèrent un véritable scénario au public. Qui sont-ils ? Dans l’imaginaire qu’ils ont créé, on peut déceler d’improbables tranches de vies. Certains sont peut-être mi-homme, mi-machine... D’autres ont traîné trop longtemps sous terre pour se souvenir des rayons du soleil. Des ombres… Des créatures qui ont investi d’anciens tunnels et qui ne peuvent plus remonter à la surface. La musique les rassemblent ! Dans une salle qui jouxte les catacombes, ils distillent un son entre Metal, Punk et Indus. À eux seuls, les morceaux confèrent une véritable identité au groupe mais il y a tant de force dans leur interprétation, qu’elle reste indissociable de leurs compositions.
Pour le comprendre, il suffit d’évoquer cet homme gargouille qui se perche à volonté ou à ce chanteur qui fait un formidable monsieur loyal du monde obscur. Vous l’aurez compris, Shaârghot c’est du grand spectacle ! Teintés de science-fiction, les trois groupes ont tous participé à créer un imaginaire collectif. Ce serait une erreur d’isoler les sets et de les juger individuellement. Les approches étaient si différentes, qu’il est aisé de comprendre que le spectateur ait pu être dérouté en début de soirée. C’est en se laissant porter que tout prend sens. Et c’est bien. Oui, c’est bien de se perdre un peu et d’être happé par une ambiance. C’est rare aussi. Une programmation risquée qui aurait mérité plus d’entrées ! Il faut dire que la séparation récente de Punish Yourself - arrêt du groupe suite aux témoignages de violences sexuelles à l’encontre du chanteur - a tout bousculé. Il devait jouer ce soir-là et la déprogrammation est tombée quelques semaines avant. Avec une telle actualité et des formations moins connues, les gens se sont sans doute moins déplacés. C’est dommage. We Are Magonia, Carbon Killer et Shaârghot méritaient d’être vus. Ensemble, ils ont réussi à créer un concert hors norme. Le temps d’un live, ils sont parvenus à bousculer notre perception du réel.
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