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Soulcrusher 2023 Nimègue, Pays-Bas
Il est fort probable que vous n’ayez jamais entendu parler du Soulcrusher. Organisé depuis 2016 à Nimègue (Nijmegen) aux Pays-Bas (à quelques kilomètres de la frontière allemande) il fait pourtant partie de ces festivals européens qui, d’année en année et forts d’une solide programmation, commencent à se construire une certaine réputation. La preuve en est avec le passage, depuis l’année dernière, à un format sur deux jours. Histoire de vous dresser un tableau complet, le Soulcrusher se tient dans la salle du Doornroosjes, idéalement située juste à côté de la gare et qui offre deux salles (la Red Room ou scène principale et la Purple Room), à l’image du O13 dans lequel se tient en partie le Roadburn. La comparaison s’arrête là, tant l’absence de construction d’une « ambiance festivale » est criante : pas de bracelet, pas d’affiche et pas de merchandising ! Après tout, pourquoi pas, si cela permet de reverser un maximum d’argent aux artistes.
Vendredi 13 octobre :
Sans vouloir manquer de respect à Silverburn et The Devil's Trade, la première performance de la journée qui attire l’attention est celle de Witching. Emmené par le chant de Jacqui Powell, le quintet propose un Metal mélangeant Black, Heavy et Sludge. Un joyeux melting pot tout en joie et en allégresse en somme. Les parties en chant clair rappellent par moment Chrch, par moment Ragana. Deux références très différentes qui illustrent l’éclectisme des styles dans lequel les américains viennent piocher. Très convaincant, le groupe donne envie de se pencher sur son nouvel album, Incendium, qui sort le 27 octobre.
 Witching - Paul Verhagen Photography
On enchaine avec Afsky qui, indéniablement délivre un set propre et carré mais un peu ennuyeux. Mon avis est forcément biaisé par le fait que je ne suis pas un grand fan des danois dont je trouve les compositions trop linéaires et sans réelle identité.
 Afsky - Paul Verhagen Photography
Après un passage devant Belzebong et son Stoner / Doom instrumental qui sent bon la weed (on apprécie les inscriptions "Smoke or Die" sur leurs instruments), on retourne dans la salle principale pour se prendre une bonne claque avec Panzerfaust. Massif, le son des canadiens est d’une incroyable richesse. L’agression sonore, notamment sur les morceaux les plus anciens comme Stalingrad, Massengrab est totale tandis que les titres issus de leur dernier disque, The Suns Of Perdition - Chapter III: The Astral Drain se montrent plus lents et font preuve de davantage de diversité. La présence scénique du chanteur au growl Death Metal (par opposition au guitariste Brock Van Dijk, au timbre moins âpre), le bien nommé Goliath, est assez magnétisante. Encagoulé et vêtu de ce qui semble être une camisole de force, il officie la plupart du temps perché sur une estrade derrière la batterie, mais n’hésite pas à déambuler sur la scène, toisant le public de ce qu’on devine être son regard. La scène Metal canadienne actuelle est décidemment très attractive !
 Panzerfaust - Ruth-Less Photography
C’est hélas avec une prestation décevante de Pupil Slicer que l’on poursuit. Tout avait pourtant bien commencé, les londonien.nes proposant un Mathcore déstructuré dans la veine de Knocked Loose, Vein.fm et consorts jusqu’à ce que le show déraille avec les parties en chant clair des nouveaux extraits de Blossom, sorti en juin dernier. Celles-ci sont massacrées par Katie, la chanteuse du groupe avec, c’est peut-être là le pire, du playback (du moins une bande son en plus de son chant). Si on ajoute à cela le fait que certaines nouvelles compositions, aux influences Néo, ne sont pas une franche réussite (Blossom…), on aboutit à un concert raté. On gardera donc plutôt en tête leur performance du dernier Roadburn.
 Pupil Slicer - Paul Verhagen Photography
Comment faire pour éviter la répétition de "la grosse claque" ? Parce que définitivement on s’en est encore pris une belle avec Misþyrming. Malgré de gros problèmes techniques avec l’ampli du chanteur Dagur Gíslason, leur performance est énorme. Les morceaux de Með Hamri, sorti en toute fin d’année dernière et auxquels la part belle est donnée, sonnent parfaitement. On sent un groupe en pleine maîtrise et délivrant un son beaucoup moins brouillon que par le passé sans pour autant avoir renoncé à la sauvagerie qui les caractérisent. Les islandais se faisant plutôt rares sur scène, on se sent privilégiés malgré un set relativement court, format festival oblige.
 Misþyrming - Paul Verhagen Photography
 Misþyrming - Ruth-Less Photography
C’est avec Ashenspire qu’on finit idéalement la soirée. Les jeunes (en les écoutant je ne m’étais pas imaginé des musiciens aussi jeunes) écossais sont visiblement ravis d’être sur scène et communiquent à la salle leur énergie et leur enthousiasme. De notre côté, on se réjouit à voir et à entendre Hostile Architecture (et quelques morceaux plus anciens) interprété à la perfection. Le saxophone s’intègre et s’entend clairement ce qui, dans les conditions du live, n’est pas donné pour acquis dans un paysage sonore saturé. Cela fait vraiment plaisir de voir ce type d’album parfaitement interprété en concert car on est plus souvent déçus par l’incapacité de nombreuses formations à reproduire un tant soit peu ce qui a été enregistré en studio.
 Ashenspire - Paul Verhagen Photography
 Ashenspire - Ruth-Less Photography
Samedi 14 octobre :
On commence en douceur cette seconde journée avec Witte Wieven qui a remplacé au pied levé les désormais feu Dawn Ray'd. A mi-chemin entre Post Metal et Black Metal, les néerlandais alternent entre l’enthousiasmant et le soporifique. Il faut dire que la vidéo des cimes d’arbres qui passe en fond n’aide pas franchement à rester éveillé.
 Witte Vieven - Paul Verhagen Photography
Changement total d’ambiance quelques heures plus tard lorsque débarque Plebeian Grandstand pour leur première scène aux Pays-Bas et surtout, leur premier concert en cinq ans ! Pas forcément conquis par le chaos de leurs premiers albums, que je n’arrivais pas à déchiffrer, c’est avec un peu de recul que j’appréhendais cette prestation. Force est de constater que les toulousains m’ont totalement retourné. Plongé dans une ambiance rouge, Plebeian Grandstand délivre une performance totale et extrêmement séduisante ne se contenant pas de verser dans l’âpreté et la violence étouffante. Les structures sont lisibles, le chant maîtrisé, un régal !
 Plebeian Grandstand - Paul Verhagen Photography
On enchaîne dans un registre différent avec Svalbard. Pour avoir assisté aux premiers concerts du groupe en France, vers 2017 si ma mémoire ne me fait pas défaut, je mesure le chemin parcouru depuis One Day All This Will End. Sans avoir trop altéré sa recette initiale, on sent un groupe qui a muri. L’alternance des chants entre Serena Cherry et Liam Phelan est réglée à la perfection tout comme le sont les parties en chant clair de Serena Cherry (un exemple à prendre du côté de Pupil Slicer ?). De façon très plaisante, cette dernière communique beaucoup avec le public, que ce soit pour le remercier, pour expliquer les thèmes abordés dans les textes ou pour partager l’émotion qu’ils ressentent à l’idée de jouer pour la première fois les nouveaux titres.
De retour dans la Purple Room on poursuit dans le sillon initié par Plebeian Grandstand avec Rorcal et leur Blackened Sludge frontal, intense, compact, suffocant. On se fait malmener pendant quarante minutes, mais on se rassure en se disant qu’on en prend moins sur la tronche que la batterie.
 Rorcal - Paul Verhagen Photography
En comparaison, le set de Ahab qui suit parait bien sage. Le moins qu’on puisse dire est que je ne suis pas un grand connaisseur de groupe mais leur Funeral Doom Metal, de par sa nonchalance toute en inertie, se révèle agréable à écouter. L’absence de changements de rythme brutaux est en effet assez propice à une petite pause dans cet enchaînement continu de concerts.
 Ahab - Paul Verhagen Photography
C’est à la fois plein d’attentes et d’interrogations qu’on se dirige vers la petite salle pour voir les énigmatiques Mùr. Les islandais n’ayant pas encore enregistré le moindre disque, la seule chose qu’on peut trouver sur internet est une captation live de leur prestation au Wacken Metal Battle 2023. On ne va pas tourner autour du pot, c’était (décidément) encore une grosse claque. Emmené par leur charismatique chanteur et sa Keytar, Mùr possède cette rare faculté à vous transporter très loin alors même que vous êtes en totale découverte de leur musique. Ne sachant pas où l'on met les pieds, on se fait bien balader par une formation allant dans des directions inattendues. On se fait ainsi avoir plusieurs fois en pensant avoir compris là où le groupe voulait nous entraîner. La dernière partie du set, lorsque le chanteur lâche sa Keytar, surprend ainsi par son déchainement de violence. Certainement la découverte du festival et de cet automne !
 Mùr - Paul Verhagen Photography
Enslaved appartient à ce cercle fermé des vétérans qui, dès qu’ils investissent une scène, font parler leur charisme via une présence incroyable. Tout est absolument maîtrisé, le son cristallin. Heimdal, sorti un peu plus tôt dans l’année est forcément mis en avant mais les norvégiens puisent également allégrement dans leur discographie pléthorique avec Havenless et son introduction a capella et avec Allfaðr Oðinn. Grutle Kjellson en profite pour chambrer Håkon Vinje, le claviériste, sur son âge, le titre ayant été enregistré avant sa naissance (il apparait sur la démo Yggdrasill de 1991).
 Enslaved - Paul Verhagen Photography
Puisqu’on en est à parler d’expérience et de présence scénique, que dire de Cult Of Luna ? C’est désormais un fait établi, mais le degré de contrôle et de précision avec lequel les suédois abordent leurs prestations live est tout simplement bluffant. Dès les premières notes de Cold Burn on se fait happer par la mise en scène. Plongée dans le noir, la salle est parcourue de haut en bas par les faisceaux rouges des projecteurs. Le son est énorme, à la fois massif et incroyablement limpide, reléguant, sur le plan de la qualité, bien loin derrière l’ensemble des formations vues pendant ces deux jours. Impérial, Johannes Persson (qui semble avoir pris un abonnement chez Basit-Fit) impose de façon non ostentatoire sa présence sur scène et son leadership. Peut-être encore plus que le passé, l’apport du second batteur (Christian Augustin) se fait entendre, celui-ci se concentrant sur les percussions diverses et variées en complément de Thomas Hedlung dont le jeu et la puissance de frappe sont toujours aussi impressionnants. Logiquement focalisé sur The Long Road North, le set s’offre un regard vers le passé avec les cultissimes I: The Weapon et Finland.
 Cult Of Luna - Paul Verhagen Photography
On ne va pas se mentir, programmer Llnn en clôture du festival, à minuit et après Cult Of Luna, relève d’une forme de sadisme de la part des organisateurs. C’est donc un peu sur les rotules qu’on se prend ce mur du son. Sans pitié, les danois s’acharnent sur ce qu’il reste de nos pauvres oreilles. Tout violents et abrasifs qu’ils soient, les titres de Llnn dissimulent cependant toujours en leur sein une subtilité à côté de laquelle il est facile de passer. Les plages Electro apocalypso-industrielle de Ketil G. Sejersen apportent définitivement un plus aux composition. Il est d’ailleurs assez fascinant de voir l’énergie dépensée à tourner des boutons, à appuyer sur divers touches dans ce qui, de l’extérieur, ressemble à de l’improvisation.
 Llnn - Paul Verhagen Photography
Bilan :
C’est donc dans un déferlement de violence sonore que s’achève cette excellente édition 2023 du Soulcrusher. Très éclectique dans sa programmation, le festival réussit par ailleurs à proposer une affiche laissant la part belle à des formations menées ou comportant des femmes. Cela n’apparait pas dans le présent live report pour des questions de goûts personnels mais il est tout à fait remarquable qu’un tiers de l’affiche soient des groupes avec des chanteuses (Witching, Pupil Slicer, Slow Crush, Gggolddd, Svalbard, Witte Vieven, Fvnerals, Lys Morke, Helen Money et Mütterlein).
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