Seconde journée pour nous au Motocultor de cette treizième édition avec un vendredi riche en concerts et en émotions. On ne va pas chômer non plus aujourd’hui puisque que l’on pourra autant aller voir les groupes totalement différents en Black Metal tels que Belphegor, Regarde Les Hommes Tomber ou bien Wiegedood, tout comme apprécier des musiques « Post » allant d’Alcest à God Is An Astronaut en passant par les patrons de Cult Of Luna. Encore une très belle journée (cette fois-ci ensoleillée) qui nous promet un panel de musique amplifiée bien large.
En ce samedi ensoleillé, la Massey se réveille français avec le quatuor local Tranzat. Venant droit de Brest, les loustics ont pu prendre le petit déj’ chez eux et jouer au Motocultor à 13h30, quel luxe. Affublés de leurs très élégants polos roses qu’on peut admirer sur la pochette de l'album Ouh La La, les Bretons pur beurre (salé, bien sûr) étaient attendus de pied ferme. Il faut dire qu’en plus de leur précédent passage remarqué en 2018, leur dernier album a attiré l’attention de toutes les personnes de bon goût. Sans surprise, le set s’ouvre avec Lobster Beaujolais, titre mis en avant par un clip aussi barré que la musique de Tranzat. On comprend vite que malgré les tenues de golfeurs, les petits gars ne sont pas là pour prendre le thé. Très vite, Tranzat font preuve d’une véritable aisance sur scène et délivrent des titres musclés et techniques, où Manu assure chant clair et saturé. Jamais avare de grimaces, de mimiques stupides ou de pitreries diverses, le groupe n’oublie cependant jamais d’être irréprochable techniquement. La musique avant tout, garanti sans “wall of chiasse” ni blague à base de pipi. Vraiment fiers d'Ouh La La, les Brestois axent leur setlist autour de cette récente sortie (que, vraiment, vous devriez écouter si ce n’est pas déjà fait) avec aussi l’excellente Climbing Tibean Mountains To Learn The Secrets Of The Mind très Opeth-esque, et l’immanquable Lord Dranula. De bout en bout, un concert maîtrisé par des musiciens confirmés qui n’oublient pas de s’amuser sur scène. Bravo messieurs !
Le créneau suivant est également de chez nous, mais il est cette fois-ci squatté par les parisiens de Gohrgone. Des parisiens visiblement très énervés et agités, bien qu’ils furent ma foi fort courtois. Surtout célèbre pour son porte-clé parpaing, Gohrgone est avant tout une formation de Death Metal un peu “corisant” : le maître mot est la bagarre. Ou plutôt la porcherie, tant Thomas au chant multipliera les références aux cochons (et aux parties génitales quelles qu’elles soient). Pas besoin d’être un génie pour comprendre pourquoi Gohrgone est si attaché à l’image de la terre et des porcs : trois minutes à peine après le début du set, le pit n’est plus qu’un immense nuage de poussière dans lequel s’ébattent fièrement quelques dizaines de festivaliers. Car si les riffs sont sales et gras comme un pot de bonnes rillettes (de Tours, celles du Mans ne font pas le poids), le jeu des parisiens est chirurgical. Rien ne dépasse, que ce soit la section rythmique ou ce combo guitare / chant inarrêtable et déterminé comme jamais à casser la nuque de tout ce qui vit dans les cent mètres à la ronde. Hélas, les nombreux circle pits et pogos qui se déclenchent sans cesse remuent une épaisse couche de poussière, ce qui rend le concert difficilement vivable dans les premiers rangs. Un repli tactique est régulièrement nécessaire pour respirer de l’air avant de pouvoir revenir à la charge pour honorer la prestation béton de Gohrgone, qui restera dans les mémoires de toutes celles et ceux qui y ont assisté.
Il y a cinq ans, le power trio Wiegedood détruisait la Dave Mustage avec quarante minutes d’un Black Metal glaçant, brutal et véloce. En 2022 rien n’a changé, ou presque. Les Belges ont été déplacés sur la Supositor, et ils ont largement gagné en férocité. Wiegedood c’est l’élégance, la simplicité, la beauté d’un Metal racé, puissant, haineux : le Black Metal dans toute sa splendeur. Face au soleil d’août qui leur brûlait les yeux, les trois hommes ont balancé une bonne moitié de There’s Always Blood At The End Of The Road, sorti en ce début d’année 2022, accompagné de Ontzieling histoire de ne pas décevoir les fans les plus anciens. Dans le ciel, en plein après-midi, le soleil cognait fort. Mais ce n’était rien en comparaison de la dérouillée que nous ont collé Wiegedood ce samedi. Limitant la communication avec le public au minimum, les Belges auraient presque été impolis si on ne sentait pas le profond investissement dans leur art. Difficile de trouver les mots pour parler de ce moment hors du temps. C’était dur, beau et froid comme un hiver sec porteur de famine et de maladies. Brutal et poétique à la fois.
Regarde Les Hommes Tomber embrasse aujourd’hui. pleinement au Black Metal ou les traces de Post-Hardcore / Doom semblent désormais bien lointaines. Le groupes est très largement monté en puissance également à travers les concerts collaboratifs avec Hangman’s Chair (avec une représentation au Roadburn par exemple), mais aussi en « solo » avec des sets de plus en plus impressionnant comme récemment au Hellfest. Ici, si leur prestation est davantage statique ce qui ne leur nuit pas vraiment vu qu'on sent les nantais totalement rodés. Thomas est colossal derrière son micro, pas seulement dans sa puissance vocale, mais aussi dans son attitude et charisme tant il sait maîtriser et tenir la fosse en son pouvoir. Le reste du groupe n’est pas en reste et d’ailleurs ça joue fort ! Assez fort pour avoir l’impression que Regarde Les Hommes Tomber nous roule dessus. Pourtant, avec leur dernier album, Ascension, dont la setlist sera clairement orientée sur celui-ci, ce qui est logique avec sa sortie en 2020, juste avant l’épidémie de covid et les confinements successifs, on retrouve beaucoup de leads mélodiques et une vraie tournure vers le Black Metal scandinave à la Dissection avec des titres comme The Renegade Son ou Stellar Cross. En bref, et même sans un light show digne d’une salle ou d’un concert de nuit, le concert, bien qu’un peu court tellement c’était génial, de Regarde Les Hommes Tomber était impressionnant !
Ho99o9 fait un peu office d’OVNI aujourd’hui au Motocultor car on pensait pas le festival si aventureux pour programmer un duo de Hip-Hop sur le festival. Alors bon, ce n’est pas PNL, car ils ont quand même beaucoup d’accointances avec la scène Rock et Metal et Punk de manière générale. Aujourd’hui, pour notre plus grande surprise, les deux MC’s seront rejoints sur scène par Gil Sharone, ex batteur de The Dillinger Escape Plan, rien que ça ! Il faut dire que rajouter un batteur sur scène pour un duo chant / machine lance une dynamique supplémentaire même si les deux chanteurs occupent la scène de manière hyper charismatique (avec un look totalement génial et assumé), prête à retourner le site de Kerboulard. Le public est venu nombreux, ce qui fait vraiment plaisir pour eux et surtout, c’est la fête ! Mais façon Punk et vener, dans la bonne ambiance toutefois. On sent les côté Metal avec des morceaux tels que Bite My Face (avec Corey Taylor de Slipknot en studio) ou bien Lower Than Scum, et dans l’ensemble Ho99o9 garde ce côté Indus, vicieux et méchant comme si tu allais te faire planter dans une ruelle au moindre regard de travers. On retrouve cette dimension horrifique tel un Clipping pour rester dans le Hip-Hop expérimental et c’est marrant de se rendre qu’un des groupes qui semble « le plus dangereux » du festival n’est pas un groupe de Metal. Quelle claque ! Je ne pensais pas qu’Ho99o9 pouvait autant faire cet effet en live !
Je n’ai jamais été familier avec le Post-Rock des irlandais de God Is An Astronaut, même si leur carrière d’une vingtaine d’année, parsemée d’une dizaine d’albums est largement respectable. C’est donc de loin qu’on assiste à leur concert qui fait la part belle aux mélodies de guitares. God Is An Astronaut offre un set très atmosphérique, enjôleurs et reposant, tout en sachant par moment faire gronder les amplis. On hausse plusieurs fois la tête en trouvant une ligne de guitare très belle et touchante, sans même connaître réellement le groupe. Ce qui fait que les irlandais ont réussi leur paris de nous faire rentrer dans leur musique malgré tout. Et puis ça faisait tout simplement du bien d’écouter ce type de musique planante après un Ho99o9 virulent et remuant ! A approfondir sur album et à redécouvrir en live avec grand plaisir du coup.
Pour ne pas trop être dépaysé en terme d’ambiance on enchaîne avec Alcest qui va simplement nous sortir une setlist axée sur leurs « tubes » : Protection et Sapphire issu du dernier album Spiritual Instinct, mais aussi Ecailles De Lunes - Part II, Autre Temps et Oiseaux De Proie à la rythmique tribale fantastique et enfin l’habituel Délivrance en conclusion comme d’habitude. Un début de set un peu nerveux vu les titres, mais toujours cette habituelle douceurs et tendresse que l’on retrouve autant dans la voix de Neige que dans ses superbes mélodies à la guitare. Ici il est un peu dommage de ne pas assez entendre la voix du musicien, un peu trop noyée dans des effets et surtout une batterie à la frappe très lourde et éclatante. Un chouette concert néanmoins si l’on apprécie la musique d’Alcest, mais à titre personnel, pour l’avoir vu déjà de nombreuses fois (dont un concert remarquable au Hellfest cet été) je n’ai pas été surpris. A revoir également en salle à la fin de l’année avec Cradle Of Filth et au Bataclan et décembre pour un set exclusif pour les dix ans d’Ecailles De Lune.
Même si Wiegedood a fourni un set d’une qualité rare, le Black Metal c’est sympa quand c’est kitsch. Habitués du Motocultor, Belphegor n'est pas avares - on le sait - en corpsepaints, crânes enflammés et autres joyeusetés macabres. Un set très classique pour les Autrichiens, avec leurs riffs Black / Death lourds, parfois groovy, alternés avec des blasts typiquement Black Metal. Comme d’habitude, Helmuth tentera de communiquer avec le public en commençant ses phrases par un “Moootoocultooor…” grogné, pour enchainer sur le titre de la chanson suivante. Rien de nouveau sous les blasts ! Alors que la prestation de 2018 était d'un niveau stratosphérique, on ne peut s’empêcher de trouver celle de 2022 légèrement décevante. Tant dans son jeu de guitare que dans sa présence scénique, ce cher Helmuth semblait en-deçà de ses capacités. Idem pour la nouvelle recrue à la batterie, Krzysztof Klingbein (oui, j’ai fait un copier / coller pour son nom) qui semblait avoir du mal à tenir la cadence infernale. Même les braseros n’ont pas joué le jeu comme il le fallait ce soir-là. Pour compléter le tableau, le technicien lumière était probablement saoul tant les lumières du concert étaient à côté de la plaque, à la fois pour le choix des couleurs et la synchronisation avec les breaks ou les blasts. La faute probablement à une longue tournée sud-Américaine, enchaînée avec de nombreuses dates européennes qui ont dû fatiguer nos Belphegor qu’on a connus plus en forme et plus hargneux. Ne boudons pas cependant la setlist efficace et assez fraîche, en plus de la présence de Tom “Fountainhead” à la guitare lead qui a fait un boulot fantastique.
L’édition de 2016 du Motocultor reste encore en mémoire avec un enchaînement digne des rêves les plus fous pour les amateurs et amatrices de Post-Metal : Amenra, Neurosis et Cult Of Luna. Les suédois sont donc de retours, seuls cette fois, mais bien décidés à donner le meilleurs d’eux-mêmes. Quelques secondes du morceau Cold Burn nous le confirme très rapidement. Le son est tout bonne hallucinant avec une basse qui vient te bousiller les intestins et un combos de double batterie qui viendront te faire trembler les genoux. Mais l’ensemble est super bien équilibré que se soit dans les riffs épais, les mélodies ou textures au synthé et la voix d’ogre de Johannes Persson. C’est simple et je ne sais pas comment le dire de manière moins familière, on est sur le cul. En terme de son (boules quies vivement recommandées), prestance sur scène et light show somptueux (ça fait plaisir de voir un vrai set lumière de cette qualité !) on en prend plein la gueule. Cult Of Luna réalise là un concert magistral, d'une puissance et beauté remarquable principalement axé autour des deux derniers albums (la mélodie imparable de Nightwalkers) mais aussi avec deux titres de Vertikal : I: The Weapon, In Awe Of. Un seul regret, c'était un concert trop court vu comment on était emporté dans l’œil du cyclone. Mais on a une terrible envie de les revoir au plus vite en salle à la rentrée !
Perturbator était également là en 2016 sur cette fameuse édition et vu l’heure un peu tardive, c’est le créneau tout trouver pour aller s’ambiancer sur la musique électronique du français. Surtout que depuis, Perturbator a nourrit sa Synthwave d’autres influences qui lorgnent d’avantage vers la Techno Indus, et surtout la scène Goth, Post-Punk et New Wave avec l’album Lustful Sacraments. Et ça tombe bien puisque le musicien va en jouer plusieurs morceaux dont l’éponyme, Excess (très Post-Punk celui là) ou bien Death Of The Soul qui fait penser à du Gesaffelstein pour ses rotatives et son ambiance très pesante ou The Other Place plus atmosphérique, mais pas moins dansante. On apprécie fortement la nouvelle tournure que prend Perturbator comme il est très agréable de se faire malmener par des gros tubes que sont Neo Tokyo ou bien Future Club, sans doute un de mes morceaux préféré de l’artiste. Et puis visuellement, le combo claviers / batterie et pentacle en néon mauve envoie carrément. En bref c’était l’heure parfaite pour user de ses dernières neurones et ressources en pas de danse et headbang endiablés.
Après un aller-retour à la voiture pour enfiler un pantalon (le froid tombe vite en Bretagne), un dilemme. Aller voir Perturbator pour la cinquième fois, groupe français qui passe près de chez moi dans un mois mais toujours excellent, ou risquer d’aller voir Batushka dans des conditions de festival ? Et puis au fait, de quelle version de Batushka est-ce qu’on parle ? Petite remise en situation : en 2018, deux membres de la formation déclarent avoir viré l’autre du groupe et continuent le projet chacun de leur côté, gardant le nom de Batushka. Les identités des membres étant quasi-secrètes, l’affaire est difficile à suivre et les memes sont légion. Depuis, chaque “version” de Batushka a sorti un nouvel album et on parle donc du “vrai” Batushka et de “faux” Batushka en fonction de quel Batushka a sorti le meilleur album, mais personne n’est d’accord pour dire lequel est lequel. Bon. Le Batushka qui jouait ici était celui de Derph, guitariste dans la première version du groupe. A priori, le “vrai” Batushka, ouf.
On retrouve avec bonheur trois choristes en plus du chanteur-guitariste autour d’une scénographie largement empruntée à la religion chrétienne orthodoxe. Parés de toges brodées d’or, les sept silhouettes qui composent Batushka ont joué un set très solennel, d’une beauté saisissante. L’intégralité de l’album Панихида sorti en 2019 a été délivrée dans l’ordre, avec en bonus les trois meilleurs titres de Yekteniya. En 2016, le show avait été plutôt gâché par un son assez médiocre, massacrant la finesse de la musique de Batushka. Mais ce soir, tout va pour le mieux et on peut profiter dans de très bonnes conditions de ce Black Metal profond, mystique et spirituel. Les chœurs sont poignants, la batterie impériale et les riffs acérés. L’utilisation de guitares huit cordes est d’ailleurs assez rare dans ce style et apporte une réelle touche d’originalité à la musique déjà singulière de Batushka. Durant plus d’une heure et dix minutes (oui, le groupe a très largement débordé de son créneau pour notre plus grand plaisir), les Polonais nous ont régalés. Evidemment, il ne fallait pas se pointer pour se battre dans le pit. Mais posé près de la régie, avec cette cérémonie sous les étoiles… c'était un merveilleux souvenir que ce dernier concert du samedi. On regrette en revanche des blancs assez étranges entre les morceaux, rendant les enchaînements très bancals et assez amateuristes, ce qui tranche avec la quasi-perfection de l’ensemble.