Ieperfest 2022 Ypres - Belgique

Après deux années blanches pour les causes que tout le monde connait, c’est avec un grand plaisir qu’on se retrouve dans les plaines de Flandres occidentales pour cette nouvelle édition du Ieperfest. Cette année célèbre d’ailleurs les 30 ans du festival sans pour autant que d’événements dispendieux ne semblent avoir été prévus. A l’image de l’édition 2019, la configuration du site est restée très compacte et certainement adaptée à la fréquentation attendue. En revanche, cette année marque le retour d’une programmation sur trois jours.

Vendredi

Cette année, c’est aux belges d’Her Fault qu’est confiée la difficile tâche d’ouvrir le festival devant des festivaliers arrivant au compte-goutte et pas encore dans l’ambiance. Il faut dire qu’ils sont cueillis à froid par ce Blackened / Doom / Sludge et surtout par le chanteur Tijs Verhelst qui arpente la scène et la fosse couteau à la ceinture tout en toisant le public d’un regard plein de hargne. Globalement mené sur un mid-tempo, le set de 25 minutes passe extrêmement vite, mais constitue une excellente entrée en matière. On enchaîne avec Glassbone, ex-Wolfpack. La présence scénique des parisiens est énorme. Empilant les breaks, le groupe réveille le pit avec son Crossover mélangeant le Beatdown des origines avec des influences allant du Néo Metal au Grindcore, le tout dynamisé par des sons Electro. Hyper à l’aise en anglais (c’est suffisamment rare chez un groupe français pour être souligné), Hadrien, le chanteur, prend le temps de remercier l’organisation du festival.


Photo : Glassbone @kevienpictures

Dans la grande tradition de ce que j’appelle le Hardcore "à la Bridge Nine Records", les anglais de Hell Can Wait investissent la Trench avec leurs titres mêlant chant rageur et lignes de guitare très mélodiques. Très en vogue il y a quelques années, la formule ne semble plus trop faire recette en 2022, la Trench restant hélas peu fréquentée. A l’extrême opposée, c’est un public très nombreux qui assiste à la performance de Dare sur la scène principale. Morceaux sans compromis aux grosses influences Old School côtoient titres plus groovy dans une approche qui n’est pas sans rappeler celle de Turnstile, les incursions dans la sphère Pop en moins. Dynamique, leur set est très séduisant. Un nom à retenir, cela ne serait pas surprenant qu’ils deviennent l’un des prochains gros noms de la scène Hardcore. 


Photo : Dare @kevienpictures

Abrahamic Liars prend place dans la Trench. Ce groupe belge de Black Metal s’est distingué en 2020 avec la sortie de son premier album, Genesis, dans lequel le micro était tenu par des chanteurs différents sur chaque morceau. La configuration live est ici différente, avec un chant assuré par un duo mixte donnant une belle énergie à l’ensemble, les musiciens étant quant à eux plutôt statiques. Si les morceaux sont assez différents entre eux en termes de rythme ou même d’identité (on passe d’une forme de Black’n Roll plutôt mid-tempo à du Black Metal sans fioriture ultra efficace), les compositions sont plutôt linéaires, en de type : un titre une ambiance. Toujours dans la thématique Black Metal, on enchaine avec Dudsekop, formation on ne peut plus locale car elle est menée par Joost Noyelle qui n’est rien d’autre que l’un des cofondateurs du festival. Sur le papier, leur formule qui associe deux chanteurs (avec d’importants passages en chant clair) et des influences allant du Post Metal au Thrash Metal est assez séduisante. Cependant l’alchimie ne fonctionne pas systématiquement, certains morceaux faisant assez datés, notamment au niveau du chant. L’utilisation d’un mégaphone pour certains growls est originale mais hélas assez peu audible en live.


Photo : Dudsekop @kevienpictures

Le nom Killthelogo ne vous dit sans doute rien, pas plus que ceux de .Calibre et de Facedown. Groupe de Hardcore / Metalcore de la deuxième partie des années 90, Facedown est devenu .Calibre au tournant des années 2000 à l’occasion de leur signature chez WEA et de l’introduction d’éléments Néo Metal dans leur musique. Reprenant le titre de l’unique LP sorti en 2002, Killthelogo a vu le jour début 2021 dans un style que l’on pourrait rapprocher du Refused actuel, soit du Post-Hardcore engagé plutôt équilibré. Afin de fêter leur retour sur scène, plusieurs morceaux des formations précédentes furent joués et ce qui devait arriver arriva : c’est ceux-ci qui, de loin, eurent le plus de succès. La réalité est parfois dure, surtout face au public du Ieperfest qui n’est pas très réceptif à tout ce qui n’est pas du Hardcore (j’allais écrire Beatdown mais cela aurait été exagéré) pur jus. Ne se démontant pas, le chanteur se démena jusqu’au bout pour faire bouger le public. Eleanora fait partie des groupes que je cherche à voir depuis leur premier album, Allure, sorti en 2016. Il aura donc fallu six ans pour que cela arrive, tant la formation ne franchit que très rarement les frontières du Benelux. La configuration "festival de plein air" ne joue clairement pas en faveur de ce type de formation au style exigent. Cependant, entrainés par l’énorme présence scénique de leur chanteur, Eleanora délivre une prestation complète. On retrouve les mêmes sensations qu’en album, ce mur de son qu’on se prend en pleine face et duquel émergent de puissantes mélodies qui, telles des lames de fond, vous transportent et vous permettent de traverser ce set qui, autrement, aurait été dénué de toute chaleur humaine (musicalement parlant).

La tente est forcement pleine à craquer pour accueillir Terror. C’est simple, je crois bien que la quasi-totalité des festivaliers est massée devant la scène. Malgré la multitude de t-shirt à l’effigie du groupe, Scott Vogel prend temps de préciser « We’re Terror. We’re Cool. We’re not a fucking Rock band, we’re a Hardcore band ». Après tout, on n’est jamais trop prudent ! D’entrée de jeu, ça moshe dans tous les sens, bref c’est le bordel. A ce petit jeu, les extraits de One With The Underdogs et de l’incontournable Keepers Of The Faith mettent tout le monde d’accord. Le set se termine traditionnellement sur le titre éponyme de ce dernier album et sur l’envahissement de la scène par une partie du public. On termine cette première soirée avec One Step Closer et son Hardcore festif ultra dynamique. Jeunesse oblige, les musiciens sont tous hyper sautillants. Le public n’est de son côté pas en reste, c’est l’ambiance des grands soirs sous la Trench. On regrettera cependant le son un peu trop métallique et surtout la réverbe sur la voix mais, creusant le sillon d’un Touché Amoré des débuts, les pennsylvaniens possèdent tous les atouts pour exploser sur la scène internationale. Espérons que ce premier concert en Belgique y aura contribué.


Photo : Terror @kevienpictures

Samedi

Peu convaincus par la programmation du début de journée, ce n’est qu’en milieu de journée que nous arrivons sur site. Cela est largement suffisant pour prendre notre dose quotidienne de Beatdown avec Street Soldier et Drain. On en profite également pour revoir les brésiliens de Questions. Leur hiatus forcé de deux ans à cause du covid n’a en rien altéré leur engagement contre le sexisme, l’homophobie et bien évidement Bolsonaro. Le groupe nous gratifiera au passage d’une reprise de Troops Of Doom de Sepultura. On enchaine avec le premier groupe que nous avions réellement coché : Vein.fm. Comme on s’y attendait, les bostoniens nous cueillent avec une avalanche de décibels. Leur Hardcore chaotique part dans tous les sens : entre le matraquage de la double pédale, les riffs acérés dans les aigus et l’alternance des chants, on ne sait plus où donner de l’oreille. On se fait dominer, mais ce n’est pas le magma infect ou la recherche gratuite de violence que l’on pourrait redouter. Les passages en chant clair (dont certains font penser à Chino Moreno de Deftones) contribuent à délivrer des accalmies bienvenues. Une très bonne surprise !

Dire qu’il fallu du temps au show de Mindforce pour que les choses s’installent serait exagéré vu que l’ensemble ne dura qu’une vingtaine de minutes alors que le groupe pouvait en jouer le double… Néanmoins, après une entame très décousue, ce n’est qu’après quelques morceaux que le concert ne prend réellement corps. Globalement assez basique, le Crossover / Thrash des new-yorkais parvient à séduire sur certains titres. Très volubile, le chanteur Jason Petagine nous apprend que c’est la première fois qu’il sort des Etats-Unis et qu’il vient de manger le meilleur burger de sa vie. Si on vous le demande vous ne pourrez pas dire que vous ne le saviez pas ! Quand on débarque sous la Trench, Eyehategod est en pleine session de jam bluesy mais c’est Mike Williams qui attire nos regards. L’air complétement hagard, celui-ci déambule sur la scène sans but précis. On se demande vraiment comment il tient debout mais, comme mût par une énergie surnaturelle, dès que la distorsion se fait entendre, l’homme semble prendre vie. Le groove bien gras de la guitare de Jimmy Bower envahit alors l’espace et c’est parti pour cinquante minutes d’un headbandging d’une indolence ravageuse. Le lent Mississippi est en effet capable de se changer en torrent générant de furieux circles pits. Appelés de dernière minute pour palier la défection d’une tête d’affiche, les américains assurent complètement le show.

C’est avec l’entêtant refrain d’Every Thing, Every Day encore en tête qu’on se dirige vers la scène principale pour assister au set de Knocked Loose qui est l’un des événements du weekend. On ne va pas y aller par quatre chemins, dès les premiers accords de Where Light Divides The Holler, les américains mirent la tente à l’envers. Alors même que c’est leur deuxième concert de la journée (ils étaient un peu plus tôt à l’affiche du Vainstream à Münster, soit à plus de 400 kilomètres de là !) le groupe est ultra énergique, réclamant en permanence des circles pits. Les morceaux les plus anciens font basculer la fosse dans des moments de folie sauvage. La scène est en permanence envahie, des pyramides humaines se formant autour de (et sur) Bryan Garris dont la voix en live est encore plus aiguë qu’en album, c’est dire ! C’est donc sur un déchainement de violence que s’achève cette courte mais intense journée.

Dimanche

On démarre la journée du dimanche avec le bien nommé duo Pound. Avant même que la première note ne soit jouée, les anglais se démarquent par leurs instruments, le guitariste utilisant une guitare à neuve cordes et le batteurs deux sets placés à angle droit l’un par rapport à l’autre. Si cet équipement leur permet de varier les sonorités, on pourra regretter que les titres soient systématiquement construits sur le même schéma, avec une entame très dynamique et très abrasive à la Lightning Bolt et une seconde partie plus mid-tempo. Revendiquant son appartenance à la scène Hardcore plus que Metal pour des questions idéologique (« those who have their mind in the right place »), Pound remercie longuement l’assistance de leur consacrer autant de son temps et de son argent. On sent que c’est avec plaisir que les américains jouent ce matin. On poursuit ensuite d’une oreille distraite avec Scowl, Hardcore / Punk Californien mené, une fois n’est pas coutume, par une chanteuse, puis avec The Fight, représentants de la scène Old School new-yorkaise et Magnitude qui fait partie de la longue cohorte de représentants du label Triple B Records. Les québécois Get The Shot, menés par l’impressionnant Jean-Philippe Lagacé jouent aux gros bras sur la Mainstage, n’hésitant pas à aller chercher manu militari des personnes du public pour éviter que l’espace vide devant la scène (l’espace dédié au mosh) ne le soit pas trop. Il faut dire que leur Crossover / Thrash / Hardcore bodybuildé se prête bien à l’exercice physique. Survolté, le chanteur ira même jusqu’à escalader une partie de la structure métallique de la scène. On ne comprendra par contre pas la dédicace « Pour Marseille et pour la France » de l’un de leurs titres…

C’est avec Frontierer que l’on renoue avec la liste de groupes que l’on avait consciencieusement cochés. La performance des écossais fut à l’unisson de leur musique : violente et chaotique. L’un des guitaristes n’hésita ainsi pas à faire du stage diving en montant sur les enceintes ou à lancer sa guitare dans les airs ! Evoquant par certains aspects une version musclée et sans compromis de The Chariot (notamment au niveau du chant), le Mathcore de Frontierer est une furieuse avalanche de riffs nerveux augmentée de plages électroniques. Un sacré moment ! Avec Downfall Of Gaia, le changement d’ambiance est total. Etant donné leur style, les allemands ne sont ici pas en terrain conquis et l’accueil qui leur est réservé est hélas plutôt froid. On ne reviendra pas sur le manque d’ouverture d’une partie des festivaliers, d’autant plus que, pour notre grand bonheur, ce n’est pas le cas des organisateurs. Ultra carré comme à leur habitude, le set est l’occasion de constater que le jeu du batteur est un des atouts de la formation, apportant dynamisme et diversité aux compositions. Le mélange des albums permet également de se rendre compte de la part grandissante laissée aux passages Post dans les morceaux les plus récents. 

On fait un break pendant que Liars, qui était à l’affiche du Ieperfest 1995 (!) joue avant d’aller voir Hemelbestormer groupe instrumental belge qui apporte un peu d’apaisement à ce week-end avec le voyage cosmique qu’ils nous proposent. Leur Post Metal habité d’ambiances noires constitue le chemin idéal pour nous conduire vers l’étape finale de notre édition 2022 : les incontournables Wiegedood. Depuis près de quinze ans que je fréquente le festival, je ne suis pas certains qu’il y ait eu une édition sans au moins la présence d’un membre de l’illustre Church Of Ra. Ce set de Wiegedood est l’occasion de confirmer, après le Roadburn, que There's Always Blood At The End Of The Road passe extrêmement bien en live. Ouvert par l’assassin FN SCAR 16, le concert se concentre en effet sur leur dernier LP en date mais pas uniquement, quelques morceaux de De Doden Hebben Het Goed II étant joués. J’ai beau les avoir vus un nombre incalculable de fois, les mélodies qui émergent de cet amas de riffs nerveux me font toujours autant le même effet. Autrement dit, il n’y aurait pas eu de meilleure façon pour moi de clôturer cette éditions 2022, d’autant plus que Levy Seynaeve se laisse aller à remercier subtilement le public ce qui est une première !

Bilan

Pour les habitués aux grosses machines rassemblant des dizaines de milliers de personnes, le Ieperfest peut avoir l’air de rien. Pas de piscine VIP, de statues, ni d’agents de sécurité pour surveiller les guitares de vieilles gloires des années 80. Juste deux scènes, de quoi se restaurer (toujours de façon vegan) et une tente pour le merchandising et les associations. Un festival certes réduit à sa plus simple expression, mais surtout une concrétisation de l’idéal DIY pour la majorité, si ce n’est la totalité, des formations se revendiquant de la scène Hardcore présentes ce weekend. Tout au long des trois jours, on a pu constater que chaque dépense était minutieusement contrôlée et chaque euro réservé à la musique (le soir même de la clôture, le site internet était d’ailleurs hors ligne, certainement pour réduire les frais). On se rappelle en effet l’appel aux dons ayant suivi l’édition 2018 et on se dit que les deux années qui viennent de s’écouler n’ont pas dû améliorer la situation. En ayant réduit la taille du site (le festival n’accueille depuis 2019 plus que 4500 personnes contre 12000 pour l’édition record de 2012), les organisateurs ont réinventé l’expérience du festival. Avec ses moyens limités, le Ieperfest ne peut rivaliser avec la grande majorité des festivals. Bien évidemment, c’est sur la base des têtes d’affiche que l’acte d’achat d’un billet de festival se décide cependant, ce qui est généralement vu comme une faiblesse est également un atout : l’occasion de faire des découvertes. Enfin, dans l’écosystème des festivals, un Ieperfest (comme bien d’autres) joue un rôle crucial en programmant de nombreuses formations locales, mettant en action l’adage « support your local scene ».

rwn (Juillet 2022)

Merci à @kevienpictures pour les photos www.kevienpictures.com

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