Faire six heures de route aller-retour pour un concert c’est un peu pénible, mais ce n’est pas comme si les américains d'Earth jouaient tous les quatre matins chez nous. Leur dernier passage en France, si on enlève la venue de Dylan Carlson en solo en début d’année, remonte à début 2015 à Paris. Cela vaut donc bien les quelques efforts pour aller jusqu'au 106 de Rouen, l’une des deux seules dates de la tournée qui passe par la France.
C’est la violoncelliste Helen Money qui a l’honneur d’ouvrir la soirée. La musicienne est seule sur scène, parée de son violoncelle et de plusieurs pédales d’effets. L’ambiance est calme, posée, le public à l’écoute de ce qu’elle peut proposer. A l’aide de ses pédales d’effets, elle déstructure le son de son instrument, le faisant résonner comme une guitare électrique. Avec des samples rythmiques en fond, le morceau Leviathan par exemple, sonne comme une bande-son de l’apocalypse, une sorte de Neurosis / Godflesh aux rotatives Indus / Drone et Metal. Incroyable de sortir un son pareil. Become Zero aussi avec ses percussions tribales met d’avantage en avant les cordes du violoncelle (ainsi que des notes de piano), mais celles-ci sont triturées, maltraitées, offrant des textures sonores assez inédites. L’ambiance est morne, la musique d’Helen Money évoque plutôt une chute, une fin, un deuil. Blood And Bone avec les notes de piano de Rachel Grimes (samplées pour l’occasion) est maussade, d’une tristesse palpable. Mais derrière son instrument qui semble geindre, crier même parfois, on en tire une musique mélancolique et belle. Une très belle découverte !
A peine le temps de boire une bière qu'Earth s’installe déjà sur les planches. Sobrement, dans le plus grand des calmes. Nous attendons patiemment, dans un silence presque religieux, les discussions se font rares, discrètes. Qu’il est agréable d’être au milieu d’un public respectueux, qui sait ce qu’il va voir et n’est pas torché après trois pintes à hurler des trucs débiles entre deux passages calmes. Dylan Carlson présente les deux musicien.ne.s avec nous ce soir : Adrienne Davies à la batterie bien sûr et membre permanente du groupe depuis 2001 et Tristan Jemsek à la seconde guitare pour cette tournée. Dylan, membre fondateur du projet, à l’origine de la création du Drone / Doom et influence principale de Sunn O))) ne se présente même pas. D'une modestie et d’une simplicité qui imposent le respect. On a en face de nous un groupe culte, important, référence de tant d’autres groupes, mais ce n’est pas ça qui s’en dégage. Plutôt une sorte de force tranquille, de personnes passionnées, avec seulement l’envie de jouer leur musique. Les premières notes bluesy de Cats On The Briar s’égrainent, lentement, tout en retenue. Le tempo est lent, mesuré. Il ne faut pas longtemps pour se laisser embarquer dans un désert aride, bien que très loin d‘une esthétique Stoner. On est plutôt dans une dimension mystique, psychédélique, mais quelque chose de doux, de planant, pas une grosse défonce aux acides. Earth c’est le voyage, la magie, ce truc dans lequel tu te laisses prendre, mais de manière rassurée et confiante. Les morceaux se lient entre eux, The Coulour Of Poison, Datura’s Crimson Veils… la plupart des titres sont issus de leur dernier opus, Full Upon Her Burning Lips, qui est sorti en début d’année chez Sargent House. L’alchimie entre eux est palpable, quelques jeux de regard ont lieu, tout au plus, mais la musique parle à leur place. Le jeu est millimétré , le placement de batterie ne laisse rien au hasard. C’est incroyable de jouer à une telle lenteur, mais de ne rien mettre à côte (ça s’entendrait aussitôt), les guitares se répondent et se complètent. Nous, on est fascinés parce qui se déroule sous nos yeux : voir des musicien.ne.s jouer aussi lentement, mais tout en précision, avec un feeling et un raffinement rares. Le son est parfait, l’exécution aussi, ça semble technique sans s’en donner l’air le moindre instant. Sur la fin, le fantastique Rise To Glory issu du culte The Bees Made Honey In The Lion's Skull est joué, dernière pulsation psyché envoûtante de leur show… ou pas, car Earth reviendra pour un dernier morceau histoire de prolonger un peu cet état de torpeur dans lequel ils nous ont plongé. Et puis c’est définitivement la fin, une heure de set, on aurait vraiment voulu plus, continuer de planer avec eux. Mais Earth nous a emmené avec eux, et c’était un instant rare et magique, c’est bien là, l’important.