Roadburn 2019 - Jour #2 Tilburg, Pays Bas

Metalorgie continue de vous présenter son récit du Roadburn 2019 avec son lot de surprises et de choses qu'on ne peut décidément voir qu'ici.

Throane

Un écran en fond de scène. Des images en noir et blanc. Au milieu de la scène un totem de quatre mètres de haut en forme de dague. Les cinq musiciens de Throane lui font face de part et d'autre de la scène, comme pour mieux annoncer le rituel qui va suivre. Alors oui, Amenra, Blut Aus Nord, Celeste et d'autres... on pense un peu à tout ça et on a fait pire comme filiation. Cet espèce de Black Metal / Post-Hardcore dont les contours se font de plus en plus flous, cette ambiance de fin industrielle de fin du monde... Les liens sont difficile à défaire. Mais il y a plus important. Throane est beau dans ses silences. Throane est beau dans sa violence presque contenue, comme si elle avait du mal à être vraiment libérée. Définitivement, il y a une vraie colère qui s'exprime sur scène, une vraie douleur qui te tord le bide et te fait serrer le poing de rage. C'est dans la manière qu'il a de transmettre sa musique et de provoquer ses émotions que Throane impressionne et nous met à genoux.

Triptykon & Metropole Orkest

Le Requiem de Triptykon était sans aucun doute un des concerts les plus attendus de ce festival, parce qu’il présentait une composition inédite de Tom G. Warrior en collaboration avec l’arrangeur classique Florian Magnus Maier, également chanteur de Dark Fortress. Le set commence logiquement sur Rex Irae, première partie du Requiem tirée d’Into The Pandemonium de Celtic Frost. C’est une version qui est alourdie par les guitares sous-accordées de Tom Warrior et V. Santura et qui prend une ampleur nouvelle avec les parties classiques jouées par une orchestre, particulièrement les timbales et les cuivres qui renforcent la dimension médiévale et épique du morceau. La chanteuse Safa Heraghi réinterprète les parties vocales féminines avec une très belle voix qui prend aux tripes. 

Son chant est d’ailleurs moins opératique que la version studio, donnant au tout un ton peut être moins boursouflé et pompeux. Le concert s’enchaîne sans interruption sur la deuxième partie inédite Grave Eternal, et reste pris au piège du goût pour l’expérimentation de Tom Warrior. Un dialogue s’installe entre les différentes sections d’instruments, tour à tour les cordes, les cuivres, un duo timbales / batterie, le chœur qui délivre des chants aux harmonies fantomatiques et un impressionnant solo vocal de Safa Heraghi. C’est une pièce de musique classique contemporaine qui s’éloigne nettement de tout ce qu’ont pu faire Celtic Frost ou Triptykon, y compris dans leurs expérimentations les plus osées. Ce n’est clairement pas le genre de musique qui s’apprécie à sa juste valeur dans le cadre du Roadburn, debout confiné dans une 013 blindée, malgré un final musclé où les guitares mènent la danse macabre et l’orchestre qui clôture le triptyque avec le mélancolique Winter. Dans un autre contexte, assis pour un concert de musique classique, l’impact aurait sans doute été différent et gageons que ce Requiem révélera toutes ses subtilités sur l’album qui sortira dans le futur.

Anna Von Hausswolff

Hormis pour Mono et Slaegt qui se sont produits le jeudi, The Burning Darkness, la bannière sous laquelle les groupes invités par le curateur Tomas Lindberg se sont produits, débuta véritablement le vendredi du festival et de quelle manière… Premier nom dévoilé au côté d’At The Gates, c’est tout naturellement que la suédoise Anna Von Hausswolff s’est chargée de lancer les hostilités sur la Mainstage. Il faut avouer qu’avec son dernier album Dead Magic, unanimement encensé par le public et la critique, la musicienne avait atteint une forme particulière dans la construction de sa musique et la perspective de découvrir comment elle allait retranscrire cela sur scène était alléchante. Et le constat frappe dès le premier morceau : The Truth, the Glow, the Fall, qui ouvre également l’album, ne met guère longtemps à envoûter son audience et on comprend alors bien vite que toutes nos attentes vont être balayées par une performance hors du commun.

De sa voix claire et puissante couplée à ses notes d’orgue électrique qui nous transportent et accompagnée de ses musiciens, Anna Von Hausswolff réussit à transcender son matériel de base pour proposer une forme jusqu’au-boutiste sur scène. Cette manière de retravailler le format des morceaux pour les étirer de plusieurs minutes vient décupler la dimension dantesque des enregistrements studio qui ne sont pourtant pas en reste. Parmi les grands passages de cette setlist ô combien parfaite, il y avait forcément Ugly and Vengeful, le morceau charnière du dernier album qui aura su faire taire les quelques 3000 festivaliers amassés dans la salle, tout au long de sa longue montée en puissance jusqu’à son explosion finale. The Mysterious Vanishing of Electra, l’excellent single du même album avec cette guitare acoustique et ces toms de batterie qui nous ont martelé de lourdeur jusqu’à ce finish sur Come Wander with Me/Deliverance, extrait du précédent album The Miraculous, qui vient clore d’une main de maître ce set. Alors que les lumières se rallument dans la salle et que l’on reprend tous peu à peu nos esprits reste une idée persistante, celle d’avoir vécu quelque chose de grand.

Young Widows

En quatre albums, Young Widows a su laisser son empreinte sur la scène Noise Rock/Post Hardcore et cette année le Roadburn nous gratifie une fois de plus de petits sets spéciaux comme on en a désormais l’habitude puisque le trio de Louisville, KY, interprète en intégralité le classique Old Wounds. On sait donc à quoi s’en tenir et nous n’aurons le droit à aucune surprise bien au contraire. Avec classe et furie, les titres s’enchaînent les uns après les autres, rappelant un Jesus Lizard moins survolté mais tout aussi captivant. Après tout, quand le disque est bon et que le groupe le joue à la perfection, peut on encore espérer plus ?

Thou & Emma Ruth Rundle

L'association entre Thou et Emma Ruth Rundle avait de quoi surprendre tant leurs univers respectifs sont différents. Ceci dit, les Bâton-Rougeois [ndr : le gentilé des habitants de Bâton-Rouge] ont plusieurs fois démontré leur capacité à utiliser les voix féminines avec une certaine classe, notamment sur Inconsolable et Rhea Sylvia, on pouvait donc anticiper une collaboration fructueuse. Et c'est exactement ce qui s'est passé. Nous retrouvons donc la bande sur la Koepelhal pour présenter une série de compositions inédites. Celles-ci sont intéressantes car révèlent une autre dimension de Thou, plus mélodique et moins agressive, notamment par l'utilisation de riffs harmonisés à la guitare. Encore une fois, le son aurait mérité plus de précision et moins de basse, mais on peut tout de même entendre que la voix d'Emma Ruth Rundle se marie bien avec l'instrumental, y compris avec les riffs distordus. Un vrai travail pour adapter le matériel à sa voix se fait ressentir, à tel point qu'on peut s'impatienter d'entendre le résultat sur l'album qui est déjà confirmé. La dualité de voix avec Bryan Funck est bien pensée parce qu'elle donne un ton tour à tour mélancolique et rageur aux compositions. L'américaine ne se contente d'ailleurs pas que de chanter, elle empoigne une guitare sur certains morceaux, avec des parties qui rappellent les meilleurs moments de son album solo Protection. Et, ce n'était presque pas une surprise, le set s'est fini sur une réinterprétation dopée aux guitares sous-accordées de Hollywood des Cranberries, chantée à deux voix. Thou ont donc encore une fois choisi la bonne personne avec qui collaborer.

Gosta Berlings Saga

Alors qu’on se remet à peine de la performance d’Anna Von Hausswolff, il est déjà l’heure de parcourir à nouveau les couloirs de l’013 pour les prochains concerts que le curateur de cette année nous a concocté. Après un rapide passage sur la Mainstage pour entendre quelques sonorités Post Rock Psyché des américains de Grails, c’est sur la Green Room que ma curiosité vient s’arrêter pour y découvrir les très talentueux Gösta Berlings Saga. Ce groupe peu connu mérite pourtant toute votre attention en proposant un rock progressif à majorité instrumental et très inspiré par la scène Heavy et Synph-prog des années 70 (Jethro TullYesCamel…) en y insufflant un avant-gardisme qui n’est pas sans rappeler la Zeuhl de Magma avec une finition moderne comme la scène suédoise sait si bien le faire.

Piochant allègrement dans l’ensemble de leur discographie, interprétant même Terra Nova, un morceau enregistré à la période de l’album Sersophane mais n’ayant pas fini sur ledit album et qui fut dévoilé par le groupe en 2017, les musiciens auront chacun à leur tour maintes occasions de montrer leur virtuosité et leur polyvalence devant un public conquis bien que plutôt clairsemé. Merci donc à Tomas Lindberg pour cette découverte en ayant invité ce groupe à se produire au Roadburn cette année, et pour les quelques lecteurs dont ces lignes auraient éveillé la curiosité, je vous conseille fortement de jeter une oreille sur leur album Detta Har Hänt.

Lingua Ignota

Un deuxième set de Lingua Ignota nous permit de nous entraîner aux surprises et au skatepark. Annoncé par un bouche à oreille efficace et l'aide des réseaux sociaux, le skatepark se remplit petit à petit. Une foule moins proche et plus d'espace, c'est bien ce que Kristin Hayter attendait pour sa performance. La setlist fut quasiment identique, la configuration du skatepark permet au public de se tenir en haut des rampes, entourant une surface surélevée où la scène de fortune est installée. Certains s’allongent le long des rampes, d’autres se hissent où ils peuvent, cela accentue le côté singulier de ce concert et pose une ambiance particulière. La prestation fut à la hauteur de la précédente, la chanteuse était cependant plus mobile, et le public fut plus nombreux à profiter du son et de la performance.

At The Gates

Si le Roadburn a l’habitude de programmer du Death Metal, faire venir At The Gates malgré la présence comme curateur de Tomas Lindberg n’était pas la chose la plus logique du monde comme le précisait la petite description de l’artiste fournie par le festival lui même. Mais les Suédois ne sont pas du genre à se laisser impressionner et ils nous ont préparé un joli set spécial pour l’occasion, s’étalant sur 90 minutes. La machine est prête à faire feu de toute sa puissance et, surprise!, ce sont les notes de Red du roi pourpre qui retentissent et n’augurent que du bon. 

Le groupe va alterner entre des reprises, des morceaux cultes qui prouveront, s’il fallait encore en douter, que les maîtres du Death Metal mélodique aux relents Crust, ce sont bien eux, et des invités. En vrac, on retrouve donc une reprise de Philip Glass avec Anna Von Hausswolff, Matt Pike (vêtu d’une chemise, s’il vous plaît) qui vient pousser la chansonnette sur un classique de Trouble, Rob Miller (AmebixTau Cross) en renfort sur le titre suivant, un Blinded by Fear d’une violence tout à fait jouissive et des morceaux des deux derniers albums du groupe. Le tout sans jamais se départir de la classe et du talent qui définissent les grands maîtres. 


Drab Majesty

C’est dans la Koepelhal que joue le projet de Darkwave / Synthpop / Goth Rock qui a tout raflé en 2017 avec son second album : The Demonstration. Un album qui avait le bon goût d’aller piocher dans mal de styles étiquetés 80’s et de les dépoussiérer, comme c’est pas mal la mode en ce moment, mais surtout en se les réappropriant. Et puis principalement, ce disque est une usine à tube. Onze titres, onze tubes pour danser, pour fredonner les refrains en cœur, pour siffler les mélodies imparables. Ce soir la déception est au rendez-vous. Il ne se passe rien sur scène, le duo, paré de ses costumes excentriques, ne bouge pas d’un iota. Tout est froid et mécanique, sans âme. C’est un peu le genre en même temps, mais difficile de se laisser prendre dans l’ambiance. Et puis surtout le son est mauvais, un problème récurrent de cette salle / gymnase. Les basses sont bien trop présentes, noient tout dans le mix et on entend assez peu la voix et les lignes mélodiques. Du coup tout l’intérêt de Drab Majesty est vite effacé et on se rend à l’évidence que ça ne sera pas un bon concert.

Messa

Toujours dans la famille de ces groupes de Doom qui montent, je demande les italiens de Messa qui ont fait forte impression l’an dernier avec Feast For Water. Du Doom, mais pas que, traversé de noirceur et du feutré des vieux films noirs. Quoi de mieux qu’un cadre tel que l’église de la Het Patronaat ? Ce sont de parfaites conditions pour réaliser ce rituel, ou plutôt plonger dans une sorte de recueillement comme c’est le cas lors des passages d’une classe folle du titre Leah menée par la voix profonde et subtile de Sara. Le son est aux petits oignons, c’est lourd comme il faut, mais chaque instrument se distingue, notamment quand c’est le piano Rhodes qui mène la danse (She Knows). Toute la subtilité et la puissance de Messa se déploie sur scène, c’est juste et ça transpire la classe grâce aux deux atouts indéniables : les sonorités si particulières de ce piano et la voix incroyable de Sara. Le set est plutôt axé sur le dernier album, ce qui semble une évidence, mais il est vraiment agréable d’entendre deux titres de Belfry : Blood, chevauchée désertique étrange, pas mal Jex Thoth dans l’approche et le plus tranché Hour Of The Wolf qui débute de manière très religieuse pour se muer en tornade rock n roll, de quoi très bien finir ce concert déjà excellent !

Loop

Dans la famille “roi du rock psychédélique injustement oublié car je suis né dans les années 80” je voudrais le maître : Loop. Le groupe, personnifié par l’unique Robert Hampson, aka “l’homme qui porte le mieux la chemise à pois du monde” a sorti trois excellents albums à la fin des années 80/début 90 puis s’en est allé avant de nous gratifier de plusieurs lives et d’un EP tout aussi excellent que ses aînés. Et, afin de conclure cette introduction rapide du groupe pour tous ceux qui ne les connaîtrait pas encore, Monsieur Hampson a joué sur Pure de Godflesh, groupe dont il a également réalisé une reprise, l’incroyable Like Rats. Sans surprise, le groupe joue fort et noie la main stage dans un déluge de fuzz, de beats hypnotiques et de chant trempée par la reverb. Dès le deuxième morceau, Hampson demande “can we have a shit-ton more strobes please ?” et voilà que la main stage s’illumine de mille feux. Une expérience visuelle qui accompagne la déferlante de classiques que le groupe nous a concocté. Et s’il est évident que n’importe quel morceau paraît faible après un straight to your heart magistral, on ne se plaindra ni de la prestation, ni de devoir prendre le dernier train dans le froid. Un immense concert du maître.

Craft

Voilà ce qu’on appelle un plantage dans les règles de l’art. Craft ont déçu avec une mise en place loin d’être irréprochable, sans doute par manque de répétitions et de pratique, et un son atroce. Les riffs pourtant bien forgés de White Noise And Black Metal perdent ici tout leur mordant et ce n’est pas le look de contrefaçon de Kalash Criminel qui va donner envie de rester plus longtemps, surtout avec les jambes cassées par une journée de concerts. C’est plutôt l’occasion de tenter sa chance à la Green Room avec Bosse-de-Nage.

Bosse-de-Nage

Ils en sont déjà à leur quatrième album, et on ne sait toujours pas comment décrire la musique de Bosse-de-Nage. D'une filiation Black Metal, on y retrouve également des fioritures rythmiques que ne renieraient pas Fugazi ou des riffs mélodiques à la envy. Leur set sur la Green Room est à l'image de leur dernier manifeste Further Still : un assaut de riffs enragé et foudroyant, avec peu voire aucun temps morts. Le son et le groupe sont proches de la perfection, du martèlement des blast beats aux cris écorchés de B., sans oublier les riffs signés M.. Le set se concentre sur les deux derniers disques du groupe, avec une majorité de compositions au tempo rapide, qui monte progressivement en intensité pour exploser sur le final A Faraway Place. Pas de doute, ces américains maîtrisent leur sujet et ont su convaincre une Green Room blindée et à bout de force. Espérons qu'ils passeront par l'hexagone bientôt.

Metalorgie Team (Juin 2019)

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