Ieperfest 2016 Ypres - Belgique

On ne va pas se le cacher, cette année c'est plein de doutes que nous nous rendons au Ieperfest. En effet, les signaux envoyés en amont de cette 24ème édition ne sont pas des plus encourageants : réduction drastique du line-up (une vingtaine de groupes en moins par rapport aux éditions précédentes), annulation du pre-fest et enfin et surtout une affiche qui, sur le papier, n’est pas la plus attrayante de la saison (la palme en matière de Hardcore revenant cette année au Fluff Fest organisé en République Tchèque à la mi-juillet).

Ceci étant dit, paradoxalement, le programme de cette première journée est plutôt alléchant et ne devrait pas nous laisser beaucoup de répit, on ne va pas s’en plaindre !
C'est donc à Eleanora (BC) que revient la difficile tâche d'ouvrir le fest dans une Marquee (la tente principale) logiquement assez désertée. Les Belges ne font pas partie de la fameuse Church of Ra pourtant on retrouve tous les marqueurs qui forment la marque de fabrique du collectif dans leur son, mélange de Doom, de Sludge et de Screamo notamment au niveau du chant. Le dynamisme du set et les brusques accélérations de la section rythmique qui tranche sans vergogne dans les passages les plus lourds ne sont pas sans nous rappeler la fougue de Birds In Row. En d’autres termes l’entrée en matière est excellente !

Si seulement quelques mètres séparent la Marque de la Main Stage, en termes de style, ce sont bien des années lumières qui séparent Eleanora du Hardcore très festif d’Higher Power (BC). D’entrée de jeu, on sent les Anglais impressionnés par les dimensions de la scène. Cette timidité se ressent logiquement dans leur prestation relativement empruntée. Cela n’empêche pourtant pas le pit de se réveiller au son des gros breaks. Le phrasé Rapcore, entrecoupé de passages plus mélodiques, évoque clairement Turnstile.
Retour dans la Marquee dans laquelle un mur de son d’une incroyable lourdeur s’abat sur nous. Hemelbelstormer (BC) a investi la scène et impose son univers mystique et occulte. Que ce soit auditivement ou visuellement (des clips sont projetés), les éléments naturels se déchaînent. Oscillant entre l'impétuosité d'un torrent en furie et le calme apaisé d’un voyage interstellaire cette demi-heure passe sans que l'on ne s'en rende compte.


photo : Alkerdeel - Vik Bulik

Chose totalement impensable il y a quelques années, Alkerdeel (BC) ouvre une impressionnante plage dédiée au Black Metal qui verra leur succéder Ghost Bath, Wiegedood, Tribulation et le lendemain Der Weg Einer Freihet. Cela fait beaucoup pour un fest Hardcore mais personnellement cela nous convient parfaitement !
Ne se contentant pas uniquement de jouer vite Alkerdeel démontre sa parfaite habilité à développer une ambiance malsaine au travers d'un Blackened Sludge lugubre tout en contrôle du temps et de la tension. La répétition des riffs ne tarde pas à produire un effet hypnotique qui s’emballe lorsque la formation Belge accélère encore alors qu’on les pensait à plein régime. L’impression d’être pris dans une gigantesque machine tournante hors de contrôle nous saisit alors.

Une demi-heure plus tard, tout de blanc vêtus, à l'exception notable du chanteur, Ghost Bath (BC) prend à son tour possession de la scène. Le contraste est flagrant tant les Américains inondent la Marquee de leur Black lumineux, puissant et éthéré. On sent bien le public quelque peu désarçonné par ce melting pot de la galaxie Post mais qu’importe, on prend notre pied, emportés par les envolées lyriques et la richesse du son apportée par les trois guitares. Les moments poétiques sont extrêmement rares au Ieperfest, Ghost Bath vient de nous en offrir un qui s’achève sur un solo de piano joué par le chanteur.
Pendant qu'on se remet de nos émotions, Burning Down Alaska prend un four monumental sur la Main. C’est moche, on a mal pour eux mais on se dit que les Allemands l’on bien cherché avec leur pastiche de Bring Me The Horizon (c’est dire).


photo : Wiegedood - Vik Bulik

Wiegedood (BC) nous fait rapidement oublier cette erreur de casting. Malheureusement desservi par un son plus que limite pendant la première partie de Svanesang, les Belges délivrent un set surpuissant. Le soleil a beau briller sur les plaines de Flandres, c'est bien une froide obscurité qui est tombée sur la Marquee pleine d'un public toujours prompt à supporter la scène locale. La bestialité du chanteur Levy Seynaeve, s’allie toujours aussi bien avec le spleen et la stridence de la guitare. De Doden Hebben Het Goend sorti l’année dernière est joué dans son intégralité et s’achève sur le final récité en russe par une voix féminine.

C'est grâce à The Black Heart Rebellion (BC) que nous faisons notre première excursion dans la Trench (la petite tente). Membre le plus expérimental de la Church of Ra, TBHR s’est clairement émancipé, et a abandonné le Doom tourmenté des débuts au profit un son toujours plus pur et faisant la part belle aux percussions de tout genre. Séduits par l’énergie possédée digne d’un pasteur évangélique du chanteur, on se laisse entraîner par le Blues, le groove et les accents chamaniques de la prestation.

Il faut attendre Brooken Teeth (BC) pour enfin avoir l'impression que le festival n'est pas à moitié vide. Musicalement très proche de Terror, le Hardcore des Anglais tape en plein dans le cœur de cible du festival et délivre une orgie de basses. En retour, le pit gratifie le groupe des plus gros circle pit de la journée. N’ayant pas peur des clichés, on savoure une gaufre belge au son de la douce mélopée des growls, de la double pédale et des soli de The Black Dahlia Murder (BC). Encore une fois, ce n’est pas la foule des grands soirs, ce qui fait se poser des questions au chanteur de la formation. Une partie de la pelouse est-elle infectée d’excréments ? Non, la raison est plus simple : en ce vendredi, le festival ne fait pas le plein. Clôturant la première journée dans la Marquee, Tribulation, propose un mélange de Black, Glam et Psyché. Un peu suranné, les permanentes, le maquillage à la Kiss et le look androgyne sentent les années 80. On n’est pas franchement emballé et on se demande pourquoi ce n'est pas un des groupes de l'après-midi qui se produit à la place des Suédois.

Cette année encore, le New-York Hardcore règne sur le Ieperfest, avec Sick Of It All (BC) qui assure la tête d'affiche de cette première journée. Comme annoncé l'année dernière les Américains sont en effet de retour à l'occasion du trentième anniversaire de leur formation. Injustice System, Good Lookin’ Out, Let's Take The Night Off, Sanctuary… Savant mélange d’ancien et de récent les tubes s’enchaînent, entrecoupés de remerciements pour le support du public et de diatribes contre Donald Trump qui les oblige maintenant à voter pour Hillary Clinton. Encore une fois, Sick Of It All démontre son habilité à habiter la scène.


photo : Sick Of It All - www.ieperhardcorefest.wordpress.com

Ce premier jour du festival s’achève sur un sentiment contrasté. Si la programmation nous a clairement convaincue, il n’en est pas de même de l’ambiance. Très clairsemé, le public est surtout beaucoup moins impliqué qu'à accoutumé, ce que nombreux groupes ne manquèrent pas de souligner. A l'instar du Roadburn, on ne vient pas par hasard au Ieperfest, qui est un rassemblement de connaisseurs. Cette apathie généralisée est ainsi d'autant plus étonnante.
 

C’est le Blackened Hardcore sans concession de Soul Grip (BC) qui ouvre d’une très belle manière les hostilités pour cette deuxième journée. Les (très) jeunes belges sont heureux d'être là et le montrent. Les brusques accélérations du quartet qui suivent les longs passages Doom instrumentaux martyrisent nos cervicales pas encore échauffées. Bref : une bonne petite claque matinale!

Dehors, exception culturelle locale oblige, Stab (BC), représentant de la scène H8000, balance un Beatdown ultra basique dont les Flamands raffolent… On retourne vite dans la Marquee pour assister au débarquement en force de la Nouvelle Orléans. Le mix Thrash / Sludge de Goatwhore (BC) ne fait pas dans la demi-mesure. On se fait tabasser par la double pédale et les passages d’une lourdeur telluriques nous tassent les tripes. Le concert s’achève sur un énorme Fucked By Satan.

Autant dire que la séquence Hardcore Melo qui suit fait un peu "petit joueur". Attirant les foules, Bishop Green et H2O (BC) se succèdent, ces derniers défendant notamment leur nouvel LP Use Your Voice. Devant assurer deux dates dans la journée (la seconde en Allemagne à près de 6 heures de route d’Ypres !), on sent les Californiens en pilotage automatique. Après les quelques blagues d’usage sur les toilettes sèches, le combo note aussi quelques remarques sur le manque d’ambiance. C’est pourtant sur une scène envahie par le public pendant What Happened To ? que s’achève leur prestation.


photo : H2O - www.ieperhardcorefest.wordpress.com

Der Weg Einer Freiheit (BC) sonne la fin de la récré à coup de blasts et de stroboscope. Casque audio vissé sur les oreilles, le batteur mitraille à tout va. Le jeu des allemands est toujours aussi précis. La prestation est magistrale et saisissante de contraste entre les interludes doux comme des comptines et le matraquage en règle de la double pédale qui nous fait vibrer à l'unisson de la basse qui grogne.
En sortant de la Marquee, on laisse Cold Hard Truth et son chanteur shooté aux hormones détruire ce qui reste de nos tympans à coup de Beatdown subtile et on en profite pour aller faire un tour à la More Than Music Tent faire notre BA auprès de Sea Shepherd. Notre geste militant accompli, on partage l'heure suivante en allant picorer à droite et à gauche chez les vétérans Crude SS et Gruesome (BC), ni l'un ni l'autre n'étant particulièrement remarquables.

De retour d’une virée en centre-ville, on assiste à la seconde partie du set de I Killed The Prom Queen (BC), ce qui nous suffit amplement, les compositions des Australiens ne se distinguant pas par un éclectisme incroyable. Reste qu'à la lumière du soleil couchant, cela passe tout seul.

C'est au son du générique 20th Century Fox que Graf Orlock fait son apparition sous la Trench, tout souriant à l’idée de la branlée qu’il s’apprête à nous infliger. Ultra violent, le son des Californiens allie puissance Hardcore, violence Screamo et déstructuration Noise. Les claques les plus marquantes sont toujours celles auxquelles on ne s'attendait pas. Ce concert en fait désormais partie et sauve notre soirée. Survolté, le chanteur multiplie les incursions dans le public et finira même accroché à l’un des mats de la tente, à deux mètres de hauteur. Ca moshe méchamment sous la Trench. Il aura donc fallu attendre la fin du deuxième jour pour assister aux premiers moments de folie de cette édition du Ieperfest. On ressort complètement lessivés et on finit la soirée avec Cro-Mags et Atari Teenage Riot, peu convaincus par leur Digital Hardcore, mélange d’électro allemande de fête foraine et de rage adolescente.


Cela devient une habitude, c’est une formation Belge qui assure notre réveil musculaire : Sundays (BC). Leur Hardcore émotionnel, dans la veine de Verse ou de Touché Amoré, n’a rien de très original mais les Flamands le font bien ce qui est déjà pas si mal et appréciable en ce début de journée.

Vvovnds (BC) durcit les choses en assommant la Trench avec leur Sludge abrupt. La chaleur et la moiteur de la tente aidant, le chanteur nous entraine dans la transe dans laquelle il semble profondément plongé. Ses hurlements aux accents Screamo nous transpercent de part en part, on est conquis !

Dehors, Deez Nuts a déjà investi la scène principale et inonde la plaine de Flandres de son Rapcore si caractéristique. Le débit de parole de JJ Peters est toujours aussi impressionnant et les Australiens se démènent sur scène enchaînant les titres sans moments de repos pour optimiser leur demi-heure mais la foule reste globalement froide ce qui fera s'interroger le chanteur sur ce comportement. Le désormais classique Band Of Brothers clôture un set finalement un peu décevant.

Autant dire que c'est à nouveau le grand écart lorsque l'on pénètre dans la Trench pour assister à la prestation de CHVE, projet solo de Colin H Van Eeckhout, le leader d'Amenra. Le début de la prestation est hélas perturbé par un souci avec le hurdy gurdy. Dès que cela est résolu, CHVE développe une atmosphère lourde sur laquelle Colin pose sa voix cristalline, propice à la méditation et au repos, assis dans l'herbe.
En attendant Kingdom, on passe le temps devant World Eater (BC) qui délivre un Hardcore classique très proche d'un This Is Hell ou d'un Terror. Dernier membre de la Church of Ra présent sur le fest Kingdom, qui rassemble des membres de The Black Heart Rebellion et d'Amenra, est la formation du collectif qui ressemble musicalement le plus à ces derniers. On apprend à apprivoiser la musique de Belges, toujours menaçante mais qui n’explose pas systématiquement, les déchaînements de violence restant souvent contenus, sobres. On se laisse bercer par la douceur de la basse en regrettant parfois que certaines compositions ne se transcendent pas d’avantage.

Cette année LE groupe de Post-Rock instrumental du Ieperfest est hispanique : Toundra (BC). En ce dimanche soir ces douces plages de guitares et les lentes montées en puissance sont les bienvenues, après l'orgie de breaks de ces dernières 72h. A fond dans leur set, les Espagnols font plaisir à voir jouer et entraînent avec eux le public de la Trench. Voir un musicien sourire pendant l'intégralité de son concert est tellement contagieux. Quelle belle façon de clore la programmation de la Trench !

photo : Agnostic Front - Vik Bulik

On écoute d’une oreille un peu distraite les sets de Dying Fetus (BC) et de Pro-Pain en n’attendant plus qu’une chose : la clôture du festival par Agnostic Front. Eliminator d’Ennio Morricone retentit enfin, signal de l’arrivée imminente du gang. Tel un boxeur Roger Miret débarque et nous balance Dead To Me. Nos corps meurtris nous maudissent. Difficile d’être original dans la description d’un set d’Agnostic Front tant les New-Yorkais sont constants dans la qualité de leurs prestations. « Welcome to the Hardcore show » est finalement ce qui résume le mieux leurs concerts : de la rage (Police Violence, qui prend une dimension particulière au vu des récents événements aux USA), des hymnes (For My Family, Gotta Go) et surtout une ambiance festive comme lorsqu’une cinquantaine de personnes monta sur scène sur le célébrissime Blitzkrieg Pop.


Cette 24ème édition du Iepefest s’achève donc sur l’image d’Épinal d’une communauté soudée. Finalement contrairement à ce que l’on craignait, ce n’est pas tant la programmation qui aura fait défaut à ces trois journées mais plutôt l’absence d’ambiance et la passivité du public. Je manque peut-être de recul mais ce fest est extrêmement attachant. Organisé par des passionnés de façon totalement indépendante, il ne peut être comparé aux grosses machines que sont le Hellfest ou le Download. Il présente un rapport qualité / prix imbattable (83 € les trois jours) et est toujours gage de découvertes.

rwn (Septembre 2016)

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