Dour Festival (1ère partie)
par Peps (12/09/2009)

Véritable marathon musical alternatif de 4 jours, le festival de Dour fut pour sa 21ème édition un nouveau succès. Malgré une affiche sans doute un petit cran en dessous de ce qui a pu être proposé ces dernières années, le public a une nouvelle fois répondu présent en masse sur la Plaine de la Machine à Feu, avec plus de 35.000 personnes chaque jour. Et gageons qu'elles en sont reparties, éreintées certainement, délestées de quelques neurones pour beaucoup mais surtout habitées d’excellents souvenirs musicaux et festifs que ce long week-end a pu leur procurer.
Car c'est vrai qu'il y en a quand même eu beaucoup. Certains auxquels on a pu assister, et d’autres qu'on a manqués, écueil inévitable avec 6 scènes et de la musique de midi à 5 heures du matin pendant 4 jours.
Jeudi
Le premier de ces bons moments ne tardera d'ailleurs pas à se manifester, puisque c'est à Drums Are For Parade que revenait l'honneur d'ouvrir le festival sur le Marquee. Jeune formation belge à la croisée du sludge et du stoner, voire du noise rock, leur musique est aussi lourde que la barbe du guitariste/chanteur est dense. Sans complètement transcender un genre plutôt prisé actuellement, le groupe tente d'ajouter sa pierre à l'édifice et propose une prestation intense qui nous met dans de bonnes dispositions pour le reste de la journée, placée sous le signe du gros son dans ce chapiteau.
Sans grand chose à se mettre sous la dent avant l'arrivée d'AmenRa, c'est une première occasion de se balader d'une scène à l'autre, en quête de découvertes. Du reggae/ska californien des Aggrolites – qui ne détonne pas sous les rayons de soleil mais peine tout de même quelque peu à décoller – à l'étrange couple rock'n roll noisy Joe Gideon and the Shark, on retiendra surtout l'accueil réservé à la jeune prodige flamande de 20 ans, Selah Sue. Seule sur scène, armée de sa guitare acoustique, elle délivre devant des festivaliers particulièrement enthousiastes les morceaux de son premier disque placé sous le signe d'un folk/soul accrocheur mêlé d'incursions reggae/ragga. Douée d'une technique vocale parfaite, d'un charme indiscutable et d'un sens certain de la composition, il ne lui en faudra pas plus pour être adoptée avec ferveur par le public de Dour.
Joli moment prématurément interrompu par la chute dans les tréfonds du royaume d'AmenRa, la prestation des Belges se révélant une nouvelle fois imparable et immanquable. 50 minutes pour un condensé de noirceur et d'appels à la dépression, assortis d'un visuel hypnotisant (la projection vidéo autant que les musiciens) qui en rajoute encore une couche pour ceux qui s'accrochent toujours tant bien que mal à la positive attitude. Seul bémol, le niveau sonore qui baisse d'un cran après le premier morceau, et ce pour le reste des prestations musclées du week-end. C'est vrai que le site n'est pas énorme, que les scènes sont proches l'une de l'autre et que beaucoup de concerts ont lieu simultanément, mais ça reste globalement dommage de ne pouvoir profiter de ces groupes à pleine puissance, même si ça permet pour une fois de se passer de bouchons d'oreilles.
La lente et sombre descente s'achève et on ressort partagé entre éblouissement et atterrement. D'abord parce que le soleil tape, ensuite parce que pour en profiter il faut subir les mauvaises blagues et l'attitude "t'asvujefaistroplastararrogantec'esttropdrôletutrouvespas?" des malheureusement célèbres Fatals Picards, qui auraient mieux fait de continuer à jouer pour l'Eurovision, et se placent ainsi en bonne position pour l'élection de la traditionnelle erreur de casting du festival (parmi les plus célèbres vainqueurs : Patrick Juvet, BB Brunes, Diam's,...).
Heureusement, cinq affreux Suédois viennent rapidement à la rescousse à grands coups de décibels et de polyrythmies. Avec Meshuggah, on le sait, on n'est pas là pour rigoler légèrement, et ce n'est pas le chanteur en mode "robot méchant" qui viendra me contredire. Auteurs d'un set à la violence froide, méthodique et longuement préméditée, ils se verront remerciés par les premiers mouvements d'un public qui n'attendait que ça. Traditionnel point d'orgue d'un set piochant assez équitablement dans tous les albums depuis Destroy Erase Improve, "Future Breed Machine" rend la fosse incontrôlable, des inconnus me confient leurs lunettes, et tous se défoulent une dernière fois avant les prochaines occasions du lendemain.
Juste les temps de percevoir au loin quelques douces notes de Cocoon et de voir la plaine se remplir de dreadlocks et de cigarettes trop coniques pour être honnêtes, signe que Tryo n'est pas loin d'entrer en scène, et on se rend à nouveau au Marquee pour la dernière grosse étape du jour : Isis. Pourtant parmi les têtes de file d'un genre que j'affectionne, Aaron Turner et ses comparses ne m'ont jamais que peu convaincu sur disques, voire plus du tout depuis Panopticon. J'attendais donc de voir si cette première expérience live me ferait changer d'avis. Mais c'est au final plutôt conforté dans mon opinion que je quittais le chapiteau. Bien que dotée de qualités indéniables, la musique d'Isis a ce petit côté pompeux qui m'empêchera sans doute toujours de me laisser emporter. Rien à redire toutefois sur leur prestation au son propre, même si toujours un peu faiblard pour les passages les plus lourds, et à la mise en place impeccable. Même la voix claire de Turner, souvent critiquée, se posait parfaitement sur les ambiances plus éthérées des dernières productions.
La première journée, au final un peu faiblarde, se termine donc ici pour ma part. Je laisse le soin à la starlette de Santigold ("Ah mais minuit c'est trop tard pour moi, je veux jouer plus tôt, que les organisateurs se démerdent!" "Bon d'accord pour 23h45!" Et tout ça pour monter sur scène avec un quart d'heure de retard, à minuit comme prévu donc...) de profiter de son statut de tête d'affiche sur la grande scène pour lancer la première des nuits électro, que je fuirai lâchement jusqu'à lundi.
Vendredi
Les derniers acharnés de la fête occupent encore les tentes "after" du camping qu'il est déjà temps de rejoindre le site pour une journée où le hardcore et le metal seront particulièrement à l'honneur. On sait que, depuis ses débuts, le festival de Dour a toujours ouvert ses portes et ainsi fait la promotion de ces genres relativement peu suivis en Belgique francophone, c'est pourtant la première fois qu'ils occuperont une très grande partie de la programmation de la scène principale. Belle vitrine que certains ne manqueront pas d’utiliser pour convertir quelques âmes égarées.
Mais des âmes égarées il n’y en a que très peu pour la première prestation du jour. Il est tôt, la nuit a été longue pour beaucoup, et les organisateurs n’ouvrent les portes du site que quelques petites minutes avant l’entrée en scène des Bruxellois d’At Least We Try. Propulsé nouvel espoir d’une scène qui a connu ses heures de gloire il y a déjà une dizaine d’années, le groupe se démène comme il peut sur cette énorme scène, et devant une assistance pour le moins clairsemée. Le pit connaît malgré tout ses premiers envols de pieds et de poings, répondant favorablement aux appels des deux chanteurs et à des breaks plutôt bien sentis.
On enfonce ensuite un peu plus la pédales estampillée metal pour le groupe suivant puisque c’est au tour de The Red Chord de se produire sur la plaine. Musique barrée et ultra violente, chanteur à l’humour un peu absurde mais qui fait mouche, set dédié à tous les "motherfuckers" qui ont la rage contre tout et n’importe quoi, ou même contre rien mais qui ont la rage quand même, le groupe s’en donne à cœur joie et distille sa vision du chaos avec le sourire, et le poing levé. Percutant.
A peine le temps de se poser et de manger un bout que Jimmy Gestapo pointe son nez suivi de ses compères du combo new yorkais Murphy’s Law. Représentants historiques du côté festif du punk hardcore, le très charismatique frontman ne tiendra pas plus de 30 secondes sur cette grande scène avant de venir s’installer sur les barrières face au public et de se le mettre dans la poche à grands coups de "Belgium has the best beers in the world ! Not Germany !", "You like to drink ? You like to smoke weed ? You like to eat pussy ?". Du pain bénit pour le public de Dour, que l’on verra affluer sans cesse tout au long du set. Trois quart d’heure de fête donc aux sons des tubes du groupe, incursions ska comprises, et agrémentées de quelques reprises de morceaux légendaires du hardcore, tel "Straight Edge" de Minor Threat histoire de jouer le paradoxe.
On quitte le old school, pour revenir à des sonorités plus modernes et "metalisantes" puisque les infatigables Walls of Jericho sont maintenant au programme. J’avoue que j’aurais bien profité de leur set pour faire un petit détour par le camping, étant donné qu’on peut les voir en moyenne tous les trois mois en Belgique, et ce depuis près de quatre ans. La curiosité de voir l’accueil qui leur sera réservé me pousse toutefois à rester, et comme toujours celui-ci se révèle excellent. Allez savoir pourquoi ce groupe marche terriblement bien, quel que soit le public auquel il se confronte. Personnellement, ce n’est plus vraiment ma came depuis un moment et le côté extrêmement stéréotypé de leur jeu de scène et de leurs interventions entre les titres a le don de me lasser au plus point. Restent une énergie débordante, une capacité manifeste à la communiquer à un public de non-initiés et des morceaux parfois très efficaces. Preuve en est la foule qui s’est massée devant leur prestation et qui ne manque pas de les acclamer, ou de reprendre en cœur pour la 55ème fois "Fuck !". Candace et sa bande seraient-ils, à l’instar d’Hatebreed ou autres Terror, les meilleurs des VRP pour la scène hardcore ? Et celle-ci en a-t-elle besoin ? Chacun se fera son idée mais Dour a au moins le mérite d’ouvrir (rouvrir ?) le débat.
Vu que je suis finalement resté pour Walls of Jericho, c’est Sepultura qui fera les frais de mon ravitaillement au camping. Une source fiable me dira que c’était naze, avec trop de nouveau morceaux et pas assez de vieux thrash. Pas de regrets donc, c’était là mon seul intérêt. Place à la première excursion du jour, avec une visite en terres nippones afin de vérifier que le Tokyo Ska Paradise Orchestra n’a pas laissé tomber les costumes trois pièces ni les hommages au ska à l’ancienne. Pleinement et rapidement rassuré, je fais un détour par le Marquee pour apprécier quelques minutes de la pop noisy et décalée de Deerhoof. Je me demande qui est la plus étrange, et pourtant captivante : la musique ou la chanteuse. Difficile de juger en si peu de temps. Incontestablement étonnant et rafraîchissant, en tout cas à première vue.
Pas le temps d’y réfléchir plus longtemps, les fous furieux de The Dillinger Escape Plan prennent place sur la main stage. Bien qu’ayant personnellement un peu décroché avec la dernière production, le groupe est resté renommé pour ses prestations scéniques dopées à tout ce qu’on trouve de mieux dans le peloton, et se révèle donc immanquable. Comme prévu, ça bouge dans tous les sens, ça alterne entre morceaux de bravoure épileptique et chansons reprises en cœur par les fans, les amplis volent, leurs guitaristes aussi, le bassiste semble vivre dans un monde parallèle ou les bermudas se portent serrant et au-dessus du genou et Greg Puciato éructe toute en passion et chante juste. Bien qu’un chouia moins impressionnant qu’au Hellfest l’an dernier, The Dillinger Escape Plan reste un must en live. Ils viennent de le prouver à qui veut l’entendre, et aussi à ceux qui n’avaient rien demandé mais qui avaient le bonheur de s’aventurer par là.
Mes priorités pour la journée étant maintenant passées, je me laisse emmener et me retrouve pour commencer face à Babylon Circus. Plutôt habitué à leurs premiers disques pêchus et festifs, le constat est rapide : comme la plupart des groupes de cette vague, les années ne leur ont pas fait du bien et c’est à un concert plutôt mollasson que j’assiste. Je m’enfuis donc plutôt vers les sonorités plus excitantes proposées par le groupe au nom le plus long que je connaisse : …And You Will Know Us By The Trail Of Dead. Moi qui m’attendais à du post-rock paisible et planant (ne me demandez pas pourquoi), j’en prends directement pour mon grade avec des morceaux bien plus musclés que prévu, de plus soutenus aujourd’hui par deux batteries aux jeux complémentaires. Pas le temps de regretter mon erreur que le concert s’achève déjà sous les acclamations de l’assistance. Plus d’excuse en tout cas, il faudra que je m’intéresse à ce groupe et à ses titres plutôt surprenants.
C’est maintenant au tour de Killing Joke de se produire devant un public assez restreint. Les tubes indus/post-punk des vétérans britanniques ne semblent plus attirer les foules et malgré tous les efforts de Jaz Coleman, la mayonnaise ne prendra pas pour beaucoup de monde. Ce sera un peu le même constat pour Mercury Rev et son pop-rock onirique, dont le set sera en plus plombé par une pluie un peu trop rafraîchissante pour pouvoir réellement en profiter. La présence impressionnante, mais à la limite du "surjeu", du chanteur n’y fera rien, nombre de spectateurs préfèreront aller s’abriter et assister à une des performances phares du week-end, le retour à Dour d’Animal Collective. Je dois avouer que je ne savais pas trop à quoi m’attendre et malgré les excellents échos que j’ai eu des amateurs du groupe, je n’ai personnellement rien compris de ce qui arrivait à mes oreilles. C’est parfois bon signe, mais pas dans ce cas et je leur laisse donc le soin de faire vivre un concert apparemment mémorable à leurs fans. L’heure de l’autre Dour a sonné et il est temps pour moi d’aller recharger ce que je peux de mes batteries.
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