Godspeed You! Black Emperor

par wohosheni (10/10/2024)



Dans le milieu du Post-Rock, Godspeed You! Black Emperor est une institution. Naviguant aux frontières Noise, Drone et Avant-Garde du Post-rock, les Québécois·es se sont faits spécialistes des morceaux et des ambiances qui s’installent, longuement. Et puis, avec le geste artistique, il y a une posture. L’un des premiers albums que j’avais glissé dans ma platine, Allelujah! Don't Bend! Ascend! (2012), m’avait surprise - et tout de suite acquise - sur un aspect : des bruits de casseroles frappées sur l’outro du premier titre Mladic, incursion sonore de la grève étudiante québécoise en 2012 contre l’augmentation projetée des droits de scolarité universitaires au Québec. Rien de tapageur, pas de slogans rentre-dedans ni de paroles ajoutées pour venir contextualiser : Godspeed You! Black Emperor fait de longs morceaux, pas de longs discours.

Il en va de même pour leur dernier album en date, tout juste sorti le 4 octobre dernier et nommé No Title As Of 13 February 2024 28,340 Dead. Pas de titre, pour ne pas détourner l’attention de la date et du nombre qui le composent : celui des Palestinien·nes morts pendant l’invasion de Gaza par Israël d’après les chiffres rapportés par le ministère de la santé Palestinien (ils sont près de 42 000 à ce jour, ainsi que 100 000 blessés, selon des chiffres très probablement sous-estimés). Pas de titre mais une ligne sobrement factuelle, à garder dans un coin de sa conscience pendant que l’on écoute la musique. Une manière de rappeler - peut-être - ce qu’il y a de plus simple, de plus essentiel dans la réalité des faits, que d'innombrables débats et explications contextuelles, bien qu’importantes, peuvent finir par mettre à distance. Deux jours après la sortie de ce huitième album, les Québécois·es étaient donc de passage au Trianon à Paris, l’occasion pour moi de les voir pour la toute première fois sur scène.

Sobrement, c’est aussi comme cela que démarre le concert de Godspeed You! Black Emperor : Thierry Amar à la contrebasse et Sophie Trudeau au violon entament le concert sur des nappes de drones. Au grand écran derrière, la projection au film analogique 16mm qui est l’une des spécificités du groupe en live, a commencé. Les trois machines trônent à hauteur de tête devant la régie son et lumière. Le projectionniste s’y affaire pour créer en temps réel des formes abstraites noires et blanches : en ce début de concert, il place devant les lentilles un grand bol en verre et bouge doucement ses doigts à l’intérieur afin de faire passer plus ou moins la lumière. Côté scène, les autres musiciens de Godspeed You! Black Emperor s’installent au fur et à mesure. Statiques à l’exception de quelques changements d’instruments (le contrebassiste endossant parfois la basse électrique, les deux percussionnistes/batteurs bougeant derrière leurs fûts et cymbales), ils resteront plongés pendant l’entièreté du set dans une pénombre rougeoyante terre de Sienne. Il se passe un moment à jouer ainsi. Et puis apparaît gratté sur la pellicule, un peu fragile et incertain, disparaissant plusieurs fois pour finalement persister, un simple mot : Hope. Ainsi s’achève cette longue entrée en matière.

Le concert se poursuit avec l’enchaînement des trois premiers morceaux du nouvel album (comptez trente-trois minutes au total) : une ambiance relativement posée s’installe, à la dynamique mesurée, dans laquelle le groupe prend le temps de nous immerger pendant que défilent sur l’écran des boucles vidéos de paysages ruraux, de feuilles qui passent au milieu d’un cours d’eau, d’horizons embrumés et de forêts sous les nuages. La première montée véritable s’opère à la fin de Babys In A Thundercloud, accueillie d’ailleurs par les premiers applaudissements nourris du public, suivie de Raindrops Cast In Lead qui vient secouer un peu les jambes et les têtes avec sa rythmique au tom basse Rock, simple et efficace, aux guitares qui tournent encore et encore. Ce seront ensuite deux incursions sur l’avant-dernier album G D's Pee At State's End! sorti en 2021 avec les morceaux Fire At Static Valley et Cliffs Gaze / Cliffs' Gaze At Empty Waters' Rise / Ashes To Sea or Nearer To Thee, entre lesquels s’intercale le single sorti pour le dernier opus, Pale Spectator / Grey Rubble.

Le concert se finit sur Chart #3 suivie de la montée phénoménale de World Police And Friendly Fire, tous deux issus de Lift Your Skinny Fists Like Antennas to Heaven (2000). Le spectacle sur scène se fait particulièrement intense, sur fond d’écran d’usines en fumées rouges, de forêts en flammes, ou bien est-ce que ce sont les usines qui s’embrasent et jusqu’à faire fondre la pellicule elle-même, qui se délite et se tord sur l’accelerando intense de World Police. Porté et tenu jusqu’au bout par le groupe qui semble imperturbable, ce moment est assurément le pic du concert et aussi, en toute logique, le signal de sa fin. Les musicien·nes quittent la scène les uns à la suite des autres, pendant que les drones résonnent encore. À l’écran, c’est le retour des projections abstraites en noir et blanc du début du concert. La redescente est progressive, les images moins riches, tandis que certains musiciens reviennent sur scène pour éteindre, une à une, les boucles sonores qui résonnent encore. Ce final s’étire, près de sept à huit minutes en tout avant d’atteindre le silence complet. Et bien sûr, pas de rappel.

Le concert aura duré tout près d’une 1h45. Le son était très correct pour ce que le Trianon propose d’habitude. Le concert affichait complet plusieurs mois à l’avance et le public semble être venu à l’écoute et enthousiaste. Au passage, j’aurais manqué la première partie de l’artiste expérimental bhoutanais Tashi Dorji pour cause de délai à l’entrée.

Alors quel verdict pour cette première expérience de  Godspeed You! Black Emperor en live ? Après une première demi-heure que j’ai trouvée plutôt calme, ce sont les quelques montées en intensité qui ont suivi qui m’ont permis de rester dans le concert pendant toute sa durée. Les projections font partie intégrante du show et permettent d’instiller de la dynamique puisque autrement, le jeu de scène du groupe est réduit au strict minimum : les guitaristes assis à gauche qui secouent de temps en temps la tête, le bassiste stoïquement debout au centre de la scène, les batteurs en fond tandis que les instruments à corde sont sur la droite, jouant debout et peut-être les plus expressifs du tableau. Le jeu de lumière sur les musicien·nes est aussi minimaliste, puisque finalement, ce qui est mis en valeur ce sont les projections de films sur grand écran. Il n’y aura eu aucune prise de parole directe, ou de message délivré en lien avec l’album tout juste sorti, ce à quoi je m’attendais peut-être vaguement. Assumée jusqu’au bout,  Godspeed You! Black Emperor tient sa posture. C’est la musique qui prend le premier plan, parfois dans une attente dépouillée, parfois dans un long étirement proche de la transe, parfois dans une montée qui s’affole et frôle la frénésie. Voilà ce à quoi m’a invitée ce concert de Godspeed You! Black Emperor. Sans jamais trop en faire, sans jamais surjouer la scène mais toujours en habitant pleinement chaque moment. Pour ressentir l’essentiel, rien de plus. Rien de moins.

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