Nile, Krisiun, In Element, Naraka
par OonaInked (24/11/2022)
Lundi, 18h30 ; certains ne se sont pas encore remis sur pieds de leur week-end. Initialement prévu à la Machine du Moulin Rouge, la salle plus intimiste du Petit Bain prend le relai et n’est que peu remplie en ce début de semaine et presque-fin d’après midi. Une place stratégique se trouve sans difficulté malgré mon arrivée après le début du premier set. On peut entendre des « c’est plus d’mon âge » fuser d’un ton moqueur autour de la régie, loin du pit, loin du danger.
C’est Naraka qui déclenche les hostilités. Ils reviennent tout juste d’une tournée en support d'Alcest et Cradle Of Filth, joli lot de consolation pour palier à l’annulation d’une tournée avec les célèbres Carach Angren et Septicflesh. Et le quatuor francilien est déjà de retour pour nous jouer un mauvais tour, partageant ce soir l’affiche avec un quasi-double headline conséquent.
Le groupe nous présente une partie de leur unique album, sobrement intitulé In Tenebris, qui soufflait il y a peu sa première bougie. Rien de renversant, un Death Metal Mélodique teinté de Thrash et de Black Metal démontrant une codification à toute épreuve et un classicisme presque ennuyant. Le collègue Pentacle a eu le verbe plutôt juste lors de leur passage à Rennes ; s’il faut laisser à César ce qui est à César (« riffs plats », « samples pas terribles » qui pourtant proviennent de guests renommées comme Veronica Bordachinni de Fleshgod Apocalypse),vous pouvez également ajouter à la recette un public assez peu réactif et réceptif.
Théodore, le chanteur, tentera quelques poses exagérées, quelques interactions (le traditionnel « j’vous entends pas, plus fort ! »), mais laissées sans réponse, sauf pour remercier les collègues de tournée. A la rigueur, le peu d’encouragements notables viendront de Pierre-André, le bassiste - pourquoi était-il au milieu de la fosse et pas sur scène, je ne sais guère - mais autant dire que son avis n’est pas impartial. Même les coups de baguette de leur nouveau batteur live pour motiver la petite foule à clapper en rythme ne seront pas suffisants. Celui-ci aura au moins su faire honneur au jeu notoirement dévastateur de Franky Costanza (ex-Dagoba), présent sur les sessions studio (et probable contribution au "buzz" de l'album - et plus largement du projet).
Heureusement, la soirée ne fait que commencer, il nous reste de l’énergie à dépenser.
Note au collègue : personne ne s’est déshabillé, cette fois. :)
Il est à présent temps de découvrir pour la première fois en France les argentins de In Element, inconnus au bataillon jusqu’à ce soir, officiant dans un registre wannabe-Deathcore avec des reliquats de Trap. Eh bien laissez-moi vous dire que cela m’a fait grandement relativiser sur la performance du groupe précédent, et que je me portais mieux quand je ne les connaissais pas.
Les musiciens débarquent sur les planches portant cagoule, masques en cuir et harnais type soirée BDSM pendant qu’un projecteur diffuse leur propre clip centrant le propos sur quelques gonzesses dans des tenues tout aussi révélatrices. Vous sentez la gêne arriver ? C’est normal ; et honnêtement, si c’était pour voir une vidéo retranscrite en live à l’identique mais avec un son plus mauvais, nous aurions aussi bien fait de rester chez nous. L’identité visuelle qu’ils essayent de se forger n’apporte aucune plus-value à leur musique, et je n’y vois qu’une vaine tentative de se faire mousser et se faire passer pour plus subversifs qu’ils ne sont vraiment. S’ils pensaient avoir inventé le fil à couper l’eau chaude en s’appropriant une esthétique kink, Carpathian Forest le faisait déjà il y a trente ans. On aurait envisagé qu’un groupe fort de six albums, ayant partagé la scène avec des grands noms tels que Soilwork ou As I Lay Dying, aurait su fournir un show en conséquence ! Ce n’est pas le cas.
Deuxième facteur de gêne : leur musique. Passer d’un registre « Death Mélo classique » proche des groupes cités précédemment à ce qu’ils font actuellement n’était probablement pas la meilleure décision. Pour autant, le batteur reste très carré dans son exécution et Charlie, même s’il est essoufflé après deux titres et doit revoir sa technique de chant saturé, a une voix claire plutôt correcte sur laquelle il aurait pu (dû ?) capitaliser, eut-il choisi d’évoluer dans un genre différent ; c’est dommage d’avoir choisi d’en faire quelque chose de mauvais.
Troisième facteur de gêne : le frontman lui-même. Un accent à couper au couteau, incompréhensible par la majorité de l’audience, beaucoup de bla-bla inutile (osé, quand on a un temps imparti assez court), des tentatives de blagues lourdes tombant à l’eau (le premier qui me dit « normal, on est sur un bateau »…).
Bref, inutile de dire que le groupe était bien conscient de leur flop, vue la vitesse à laquelle ils ont remballé le matériel. Nous les retrouverons d’ailleurs plus tard à la sortie, distribuant des EP généreusement... Mais que très peu prendront, ou peut-être par politesse. C’est dire, même quand c’est gratuit, les gens n’en veulent pas.
C’est pendant l’entracte avec Cat Scratch Fever de Ted Nugent en fond sonore que la salle se remplit rapidement.
Il est temps d’accueillir les trois titanesques frangins brésiliens de Krisiun. Actifs depuis les années 90, on ne les présente plus ; forts de 12 albums studio, dont le dernier sorti en juillet, le combo n’est pas près de raccrocher et semble bien paré pour en découdre avec les die-hard fans surexcités aux premiers rangs (dont un Mr. Propre énervé d’1m95). Les pogos seront lancés dès le premier titre issu de l’excellent Apocalyptic Revelation (1998).
La setlist fut parfaitement répartie entre le nouvel opus évidemment mis à l’honneur, avec un solo incroyable de Moyses sur sa magnifique Solar V1, et d’autres bangers incontournables tels que Blood of Lions (The Great Exectution, 2011) ou Combustion Inferno, de l’album Southern Storm (2008). A titre personnel, Origins Of Terror aurait été préférable et plus efficace pour du live. Les mots me manquent tant la performance était d’une agressivité primitive qu’on leur connait bien et d’une irréprochabilité à la limite de l’insolence en termes d’exécution.
Après une outro sur le fameux thème de Et Pour Quelques Dollars De Plus (Ennio Morricone, 1965) et trente minutes de changement de plateau, c’est avec un plaisir non dissimulé que nous accueillons les américains de Nile, « fleuve impétueux et tumultueux », oui, mais aussi pionnier du Death technique, devenus discrets sur les terres gauloises depuis le Fall Of Summer 2015. Le premier à sortir des coulisses sous les applaudissements n’est pas Brian Kingsland, resté à domicile pour un heureux événement familial, mais le chevronné Scott Eames (Nevalra, Thy Antichrist), méconnaissable sans la barbe, sans le corpse paint, et quelques kilos en moins. Karl Sanders, vétéran et membre fondateur du groupe, sort à son tour appuyé par un powerchord du feu de dieu, malheureusement couvert par le volume trop élevé des samples de Sacrifice Unto Sebek, annonçant la couleur sang que la Seine allait arborer.
Kafir, Call To Destruction, In The Name Of Amun, Nile enchaîne sans sourciller des titres plus énergiques et techniques les uns que les autres, la rythmique tel un rouleau compresseur de calcaire, et pioche de manière équitable dans sept de ses neuf volets. Moi qui appréhendais leur setlist quasi-inchangée depuis quatre ans, je suis ravie d’observer les changements judicieux qui ont été opérés : sur l’album Amongst The Catacombs Of Nephren-Ka (1998), Ramses laisse sa place au Jinn, que je trouve davantage pertinent pour du live, et le plus teigneux Vile Nilotic Rites, leur dernier rejeton en date, substitue At The Gate Of Sethu (2012).
Scott ne manquera pas de présenter la nouvelle recrue à la basse, Julian, qui saura rapidement convaincre par sa complicité avec ses bandmates, avec le public, et par sa virtuosité digne d’une fusion entre Amos Williams (TesseracT) et Michael Angelo Batio. A l’instar de Krisiun, la claque est d’une violence outrancière, comme la grêle s’abattant sur le bétail. Onze titres, une heure et quart de set, ce ne sont plus les dix plaies d’Egypte mais les onze plaies du Nile.
Je ne retiendrai qu’un seul bémol de la soirée : un acte sans grande cohérence, ni avec lui-même, ni avec le reste de la programmation, créant une sensation de « too much », et les deux sets principaux un peu trop longs à mon goût. Ils auront beau être d’une grande qualité, ça devient… non pas écœurant mais bourratif. À fortiori du gros Tech Death qui tache. Qu’à cela ne tienne, tous semblent satisfaits de leur soirée, il est maintenant temps de rentrer chez soi et de braver trois jours de ténèbres à venir.
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