Adrienne Davies (Earth) Paris, Point Ephémère, le 09-08/2014

Quelques heures avant son concert au Point Ephémère en compagnie de Earth, la batteuse Adrienne Davies nous a consacré quelques précieuses minutes pour évoquer le groupe, son dernier album (Primitive&Deadly, sortie le 2 septembre 2014) ainsi que son amour pour Joss Whedon.

Metalorgie : Combien de temps cela a-t-il pris pour composer Primitive&Deadly ?
Adrienne Davies : Dylan, Bill et moi-même avons composé l’ossature du disque ensemble, avant d’entrer en studio. Brett (Nelson, qui joue dans Built to Spill…) et Jodie (Cox, qui joue dans Narrows) se sont rajoutés durant l’enregistrement pour intégrer des couches supplémentaires aux mélodies de base. Nous avons également fait évoluer d’autres morceaux en live à force de les jouer, comme nous avons l’habitude de faire.

Certains morceaux ont été composés en dernière minute mais "Torn By The Fox Of The Crescent Moon" était l’un des plus anciens. Il a été intégralement composé par Dylan, à la base pour son prochain album solo ; mais dès que je l’ai entendu, j’ai dit "Non, il doit être sur le prochain Earth !" (rires). C’est d’ailleurs mon morceau préféré sur notre nouvelle sortie.

Le travail sur Primitive&Deadly a été similaire à celui réalisé sur Bees…, au niveau de la mise en forme des  morceaux, avec des overdubs et des couches de guitares plus "heavy" et pas mal de travail de production et de mixage pour en faire un tout cohérent. Avec les vocaux, on avait besoin d’être plus rigoureux dans notre approche. Sur Angels… au contraire, cela avait été beaucoup plus simple. Presque magique : on jouait, on enregistrait et c’était dans la boîte, aussi brut que cela.


M : Comment se répartit le travail de composition au sein de Earth ?
AD : Cela a pas mal changé avec le temps. Au début, nous étions tous impliqués dans le travail de composition, à faire évoluer les morceaux ensemble. Maintenant, nous travaillons de manière plus séparée : Dylan arrive d’abord avec des idées de riffs et nous les assemblons ensemble ensuite. On peut dire qu’il est plus à l’origine des morceaux, et que nous faisons le liant entre les parties en trio.


M : Pouvez-vous nous parler à propos du titre et de la pochette de l’album ?
AD : Le titre renvoie à l’une des paroles de Mark Lanegan sur "There Is A Serpent Coming".
En ce qui concerne la pochette, nous voulions quelque chose qui soit assez évident, qui reflète le sentiment que tu peux avoir en écoutant tes disques, tout seul dans ta cave et que tu planes. Les couleurs sont cools aussi, un peu spatiales…


M : Un violoncelle sur le précédent album, maintenant des vocaux… C’est quoi la suite ? (rires)
AD : Oui, c’est étonnant, hein ? (rires). Le truc amusant, cependant, c’est qu’on n’a pas de plan préétabli en se disant "Tiens et si on ajoutait quelque chose, par exemple, du banjo, pour le prochain album parce qu’on ne l’a pas encore fait", même si ça en donne l’impression.
Récemment, Dylan a pas mal écouté de Metal, de la musique plus heavy et c’est pour cette raison que certains nouveaux morceaux donnent cette impression d’être plus lourds, avec une batterie plus agressive. Mais ce n’est pas prémédité.


M : Cela a été difficile d’intégrer les nouveaux morceaux à votre setlist ?
AD : Nous avons pas mal travaillé pour garder une cohérence et satisfaire tous les fans, à la fois ceux qui nous découvrent maintenant et ceux qui nous suivent depuis très longtemps. Nous avons trop d’albums pour pouvoir jouer une chanson de chaque mais nous essayons de jouer des morceaux vraiment anciens.
Sur les nouveaux titres, en Allemagne et en Croatie, nous avons eu la chance de jouer avec Rabia Shaheen Qazi (qui joue dans Rose Windows et chante sur le dernier album de Earth) qui est venue chanter sur "From The Zodiacal Light"… Ce qui m’a fait bizarre (rires) ! Je n’aurais vraiment jamais imaginé jouer dans Earth en live avec un chanteur. Et finalement, une fois passé le "choc" initial, c’était terrible !


M : Comment l’avez-vous rencontrée ?
AD : Elle est aussi de Seattle et a travaillé pas mal avec Randall Dunn (qui a produit Primitive&Deadly) et on partage pas mal de points communs en tant que groupes. Oh, et leur batteur travaille au même endroit que moi. C’est un petit milieu, tout le monde se connait. En plus, leur groupe est cool, un peu hippie mais avec un côté obscur assez prononcé.

Dylan avait déjà travaillé avec des chanteuses pour ses projets solo. Lorsqu’il nous a proposé de tenter avec Earth, je me suis dit que c’était quitte ou double : soit c’était  une idée géniale, soit un désastre complet. Pour être honnête, il n’y a pas beaucoup de chanteurs qui auraient pu coller à notre style. Je ne voulais pas que l’on se résume à un simple backing band, en support des vocaux. Il fallait qu’ils se coulent parfaitement avec la musique. Lanegan, par exemple, était en haut de ma liste. On le connait depuis très longtemps et ça fait longtemps qu’on voulait bosser avec lui. Il a un grain de voix qui fait que vous le prenez immédiatement au sérieux.


M : La batterie est un instrument clé dans l’ambiance qu’installe Earth sur ses albums. Quelle est votre philosophie de jeu ?
AD : Quelqu’un qui nous connait depuis très longtemps vous dirait, à l’évidence, que nous jouons lentement. Plus précisément, que l’on évolue entre le trèèèèès lent et le lent (rires) avec des touches jazzy ou de blues, des infimes variations, en somme.
Quand j’ai débuté, je sentais que je pouvais apporter quelque chose de différent à la manière dont on perçoit généralement la batterie dans un groupe de rock, avec l’optique de créer un impact émotionnel particulier. C’est facile quand vous jouez de la guitare ou du violoncelle, moins quand vous êtes batteur. C’est ce qui me guide encore dans mon approche. Créer quelque chose qui vous met en transe. Alors que la batterie est normalement très directe, « à angles droits », j’aime l’imaginer comme quelque chose de plus rond, un peu comme un cycle sans fin.


M : Cela me fait parfois penser à l’approche que peut avoir un groupe comme Bohren&Der Club of Gore…
AD : Oui, c’est vrai, ce groupe est génial. Les percussions sont très "propres".


M : Comment définiriez-vous l’expérience de Earth en live ?
AD : Je pense que nos shows sont différents chaque soir, pas comme ces groupes qui collent à leur setlist, où les morceaux et le son doivent être identiques à l’album. Mais, franchement, à quoi ça sert ? Autant écouter le CD. Je ne dis pas que nous sommes en improvisation totale toute la soirée, nous nous sommes structurés avec les années, mais nous arrivons à nous échapper de nos cadres et à nous surprendre à certains moments qui varient en fonction des soirs, du public et de l’énergie dégagée.


M : La dernière fois que vous êtes venus à Paris, vous avez joué une reprise de Bon Jovi, « Wanted Dead or Alive ». Travailler sur des reprises, c’est quelque chose qui vous plaît ?
AD : (rires) Oh ! Nous étions tellement obsédés par cette chanson. Lori (Goldston) jouait du violoncelle et Karl (Blau) de la basse avec nous et ils n’étaient vraiment pas fans de Bon Jovi… Ils sont plutôt du genre « avant-garde », expérimental, ce genre de choses… Du coup, les faire jouer du Bon Jovi était juste exceptionnel (rires) !
Plus sérieusement, c’est sympa de travailler sur les morceaux des autres mais nous n’arrivons pas à faire des reprises identiques à l’originale. A chaque fois que nous essayons, cela sonne comme un autre morceau de Earth (rires).


M : Est-ce qu’il y a un morceau en particulier que vous aimeriez reprendre ?
AD : Hmm... "Wicked Annabella" des Kinks peut-être.


M : On parle pas mal de littérature lorsqu’on parle de Earth, en visualisant des paysages dévastés ou désertiques. C’est quelque chose qui fait partie de vos influences ?
AD : Pour ma part, j’adore la science-fiction et la fantasy… Dylan est plus branché sur Cormac McCarthy et lit aussi beaucoup de livres d’histoires, notamment sur le folklore anglais. Mais c’est amusant comme on a besoin de se mettre dans un environnement, un état d’esprit particulier lorsqu’on entre en studio. La littérature nous aide sans doute inconsciemment en ce sens.


M : Vous devriez écrire la BO d’un space opera…
AD : J’adorerais ! Pour Firefly par exemple ?


M : (rires) Plus sérieusement, écrire des bandes originales, ça vous intéresserait ?
AD : Dylan a déjà écrit celle de Gold. J’ai participé à l’enregistrement mais c’était tellement difficile, plus que je ne l’aurais imaginé ! Par exemple, à un moment, je devais jouer des percussions pour faire sonner comme un serpent… Et je n’y arrivais pas ! Même chose pour les cloches… J’ai dû totalement repenser ma manière d’approcher les choses. Mais au final, c’était motivant. Une fois que vous avez compris le truc, c’est génial. J’adorerais en refaire.


M : Avec quel réalisateur en particulier ?
AD : Je ne refuserais pas Jarmusch (rires). Autrement, Joss Whedon ! Je sens qu’on pourrait faire quelque chose de bien avec lui (rires).
Nous avons aussi joué live dans un cinéma pour Werner Herzog et son Fata Morgana, avec le film joué en arrière-plan. Je n’étais pas chaude au départ mais le résultat est plutôt pas mal.


M : Quel est le secret derrière la longévité du groupe ?
AD : C’est vrai que j’ai l’impression d’être dans ce groupe depuis toujours (rires). Plus de vingt ans, en fait…
Mais tant que nous continuons à nous épanouir dans ce que nous faisons, nous continuerons. La musique vous aide à surmonter les moments les plus difficiles… un peu comme une thérapie (rires). Elle vous garde l’esprit sain et fait de vous une personne meilleure, je pense. J’ai aussi l’impression de donner un sens à ma vie, de faire ce que pour quoi j’étais destinée. C’est important, pour moi, de croire en ce que nous jouons pour continuer.

Chorizo (Août 2014)

Merci à Sébastien (Differ-Ant) pour l'interview et à Humtaba pour ses questions.

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