Throatruiner Records par mail, 2013




Cela fait maintenant près de quatre ans que le label Throatruiner Records nous abreuve de ses crasses auditives et s'est vite imposé comme un label important sur la scène Hardcore / Slude / Crust etc. Si tu connais As We Draw, Birds In Row, Plebeian Grandstand, Comity, Cortez, Huata ou Verdun, c'est que tu as forcément plus ou moins eu affaire à ce label, dirigé par Matthias, à qui nous avons posé quelques questions.


Peux-tu te présenter et nous expliquer comment t'es venu l'idée de monter ton propre label?

Matthias Jungbluth, 24 printemps, breton fixé à Rennes depuis maintenant quelques mois. Là ça doit faire pas loin de quatre ans que Throatruiner a débuté, plus ou moins sur un coup de tête après avoir planté une quatrième première année de fac au bout de cinq heures. J'arrivais à que dalle, parce que quoique je fasse, rien ne me correspondait vraiment. Pas bien doué pour grand chose, que ce soit m'intégrer, m'investir dans des choses qui m'emmerdent, et pas de compétences particulières en quoi que ce soit. Et je me voyais mal continuer à m'acharner pour des perspectives au final assez déprimantes. A côté de ça, ça faisait un petit moment que je chroniquais pour la concurrence, et j'avais toujours cette frustration de voir que des groupes que je trouvais dingues passaient inaperçus. J'avais quelques ronds de côté après un été passé à servir des moules-frites, un mi-temps de pion qui m'assurait le paiement des factures tout en me laissant pas mal de temps, et la prétentieuse impression d'avoir des goûts qui méritaient d'être défendus, donc je me suis lancé dans un label. Sans attentes particulières ni la moindre idée du taf que ce que ça représentait, mais c'est venu assez vite après.

Quelles sont les difficultés que tu as rencontré pour sortir les premiers albums?

En premier lieu, tout apprendre, vu que je partais de zéro : donner une sorte d'identité au label, trouver des groupes que j'avais vraiment envie d'aider, comment sortir un disque sans trop se ruiner, comment le promouvoir décemment… Tout ça a été extrêmement fastidieux; la première année ça a pas forcément été la joie mais j'ai toujours été suffisamment demeuré pour pas trop y faire gaffe et foncer tête baissée.

Quelles sont les conditions pour avoir la chance de faire parti du catalogue Throatruiner Records? En gros, comment choisis-tu les groupes?

Je sais pas si on peut parler de "chance", même si dans l'ensemble les groupes du label ont l'air assez satisfaits du taf que je peux leur fournir. Mais y'a pas vraiment de cahier des charges à remplir hein, faut juste que ça me touche suffisamment pour que je me sente d'attaque à les défendre sur le long terme. Même si certains groupes commencent leurs mails par un tendre "Hey Patron", on reste vraiment dans une optique d'entraide, eux se sont cassé le cul à enregistrer un bon disque, de mon côté à moi de me démerder pour leur filer la visibilité qu'ils méritent à mes yeux. Après y'a évidemment d'autres critères secondaires qui peuvent rentrer en compte: savoir qu'on est à peu près sur la même longueur d'ondes sur pas mal de trucs, que le groupe sache se bouger aussi tout seul, ce qu'il peut valoir sur scène, si il a fait un minimum ses preuves auparavant, etc...

 Imposes-tu certaines conditions aux groupes ou est-ce que tu leur laisse carte blanche?

Non non à ce niveau-là j'estime pas être bien emmerdant… Il m'est arrivé de demander à des groupes de se bouger un peu plus niveau concerts (pas tourner six mois de l'année hein, juste sortir de leur région) ou de faire appel à quelqu'un de vraiment compétent pour leurs artworks parce que leurs compétences en photoshop étaient pas fabuleuses, mais ça s'arrête là. Après ça reste rare, je taffe quand même avec des gens qui savent ce qu'ils font.

Dès le départ, tu as choisis de mettre les disques que tu sortais en téléchargement libre, ce que tu t'efforces toujours de faire. C'était pas un peu casse-gueule comme idée? Au final, penses-tu toujours que c'est un bon moyen de promotion qui permet à terme de vendre des disques?

Pas du tout casse-gueule non, et pour tout dire, mes sorties en téléchargement gratuit s'écoulent mieux que les autres. Ca restera toujours le moyen de promotion le plus simple qui soit; je reste convaincu que la majorité des gens qui téléchargent mes sorties n'y auraient de toute façon jamais jeté une oreille autrement. Et si dans le tas quelques-uns aiment suffisamment pour vouloir acheter l'objet physique, tout le monde est gagnant. Donc à ce moment-là y'a pas vraiment de raisons de vouloir lutter contre, à part si l'on aime perdre de l'énergie et des auditeurs potentiels.

Ca ressemble à quoi à peu près un journée classique de boulot? Comment se passe l'organisation du label ? Tu stockes tout chez toi dans une seule pièce ou tu as décidé de louer un manoir pour tout ?

Oh pas besoin d'un manoir, une grande piaule dédiée suffit, même si la vitesse à laquelle tout s'accumule ces derniers temps est pas hyper tranquillisante! Sinon pas vraiment de journée-type dans le sens où je reste relativement dépendant des brouettes d'e-mails qui viennent se déverser chaque jour dans ma boîte… Y'a toujours des trucs qui se rajoutent, donc j'essaie de gérer le plus urgent en priorité (traiter les commandes, tout le travail en amont des futures sorties) et je meuble la journée avec tout le reste (gérer la promo, répondre aux dizaines de mails accumulés les jours d'avant, mettre à jour le shop, commander de quoi remplir la distro…). C'est un peu stressant dans le sens où je me couche sans avoir fait la moitié de ce que je voudrais, mais ça semble fonctionner ainsi. Au final j'ai quand même appris à y trouver un certain confort, à cette manière de taffer en apparence assez bordélique, c'est quelque chose d'assez stimulant. L'essentiel étant de garder le mode de fonctionnement le plus mononeuronal et motivant possible : envoyer un disque au pressage au plus vite dès que tout est prêt, ne pas savoir faire de factures, être le moins dépendant/redevable possible vis-à-vis des autres, fuir les contrats, avoir des deals compréhensibles même par un groupe de beatdown, etc… Je me suis pas impliqué dans ce milieu pour me sentir aigri, au contraire, donc tant que je peux rester bien à distance du "business de la musique" et de tout ce qu'il y a de nauséeux à l'intérieur, je me prive pas.

J'imagine que tu es fier de tous les groupes avec lesquels tu as bossé, mais si tu ne devais retenir qu'une sortie, celle qui t'as le plus marqué, qu'elle serait-elle?

Dur d'en isoler ouais, mais à égalité ça restera le Lines Breaking Circles d'As We Draw et le Cottbus de Birds In Row… En plus d'être deux des meilleurs groupes de leurs styles respectifs, sur album et encore plus en live, ce sont tous des gars qui font tout pour mettre leur passion au centre de leur vie d'une manière ou d'une autre. Et tout le chemin parcouru depuis qu'on se côtoie (un peu plus de trois ans) est assez impressionnant. Aujourd'hui dans le tas l'un d'entre eux enregistre la plupart des sorties du label, un autre sérigraphie tout mon merch, d'autres tatouent, démarrent leur label ou jouent dans Calvaiire avec moi… Ca crée une dynamique hyper intéressante.

Au contraire, c'est quoi la pire demande de groupe qu'on t'ai faite?

Oh j'ai dû en louper de belles, j'écoute même pas le dixième des demandes que je reçois, et ce plus par curiosité qu'autre chose… Pas par mépris hein, juste pas le temps de tout écouter, lire les mails en diagonale suffit amplement pour savoir si ça a une chance de me parler ou pas. Et puis c'est de plus en plus rare que je me mette à taffer avec un groupe que je ne connais ni d'Eve ni d'Adam; sans être d'une omniscience absolue je passe toujours autant de temps à découvrir des trucs, si un groupe vaut vraiment le coup pour le label, y'a 95% de chances que j'en aie déjà entendu causer d'une manière ou d'une autre.

Est-ce qu'il y a des albums que tu regrettes de ne pas avoir pu sortir par manque de finances, de temps ou autres contraintes?

Non non, à ce niveau-là, pas de regrets. Je sors pas forcément autant de trucs que ce que je voudrais, mais même si j'avais le temps et l'argent, sortir un disque tous les 15 jours serait plus contre-productif qu'autre chose.

 Qui s'occupe de la partie graphique? Tu gères toi même artworks, logos, visuels promotionnels, design du site etc? 

Les artworks des sorties, c'est le boulot des groupes, même si il m'est arrivé de conseiller des artistes à des groupes qui ne savaient pas trop vers qui se tourner. Sinon pour ce qui concerne le côté visuel du label, tout ce qui est site, visuels promotionnels, je gère ça de mon côté. C'est assez laborieux parce que j'ai appris à apprivoiser tout ça dans le cadre du label alors que j'étais d'une incompétence absolue, mais je sais à peu près ce que je veux et j'essaye de m'en tenir à des trucs assez épurés. Restant quand même assez limité, l'idée c'est rien de fou mais rien d'aberrant visuellement quoi. En revanche pour tout ce qui est logos et visus de merch, je me suis dit l'année dernière qu'il serait temps de travailler avec des gens dont c'est vraiment le taf. Je me suis orienté assez naturellement vers Fortifem parce qu'en plus d'être aussi doués qu'agréables, visuellement et musicalement ça collait parfaitement, pas eu besoin de m'étendre énormément sur ce que je voulais.

Comment se passe la collaboration avec d'autres labels? Ca part plutôt de ton idée de coproduire un disque et demander un soutient à d'autres collègues ou bien se sont plutôt des projets qu'on t'a proposé?

Ca dépend, c'est vraiment au cas par cas, mais les groupes ont souvent d'autres labels déjà intéressés; il m'arrive aussi de contacter des collègues quand personne d'autre n'est sur les rangs. Niveau collaboration ça se passe relativement bien parce que de plus en plus, je sais avec qui travailler et qui éviter. Je peux aussi me permettre d'être un peu plus gourmand sur les quantités et ainsi éviter les très usantes coproductions à 4 ou 5 labels - j'aime bien quand ça avance vite donc moins il y a d'interlocuteurs, mieux c'est. Et puis j'ai tendance à prendre en main tous les trucs un peu chiants (collecter tous les éléments du disque, gérer le budget, le pressage, la promo…), c'est beaucoup plus de taf mais ça évite les mauvaises surprises.

Venerable de Ken Mode (sorti à l'origine en 2011 chez Profound Lore Records) est ta première réédition. Comment en es-tu venu à bosser avec eux? Penses tu rééditer d'autres albums dans le futur?

De la manière la plus crétine du monde; ils venaient d'annoncer l'enregistrement de leur nouvel album, alors je leur ai balancé un mail facebook au culot pour savoir si je pouvais taffer avec eux dessus… Ils connaissaient déjà un peu mon taf et ont gentiment décliné le truc vu que la sortie était déjà prévue sur Season Of Mist, mais ils m'ont du coup proposé de represser le Venerable. 30 secondes après, c'était dealé, deux semaines après, c'était au pressage, un vrai modèle de collaboration sans prise de tête haha… Sinon represser d'autres disques j'y ai déjà songé ouais, c'est pas les albums "marquants" et épuisés (ou qui mériteraient un pressage européen) qui manquent, mais j'ai constamment de nouveaux projets de sorties sur le feu, donc pas trop le temps de vraiment y réfléchir!
Throatruiner Records c'est aussi une distro. Comment fais-tu ta sélection? Travailles-tu en coopération avec d'autres distro / labels français?

La sélection se fait assez simplement, essentiellement du LP, dans des styles assez ciblés - ceux que j'écoute quoi, en évitant les trucs qui ont 99% de chances de passer quelques années en stock. Sinon le label français avec qui je travaille le plus régulièrement reste Musicfearsatan, ensuite c'est surtout avec des Montpelliérains - Prototype, Basement Apes, Lost Pilgrims, Head Records...

Ta distro comporte pas mal de sorties A389 et Deathwish, sachant qu'en plus Birds In Row ont signé chez ces derniers. Peux-tu nous parler de cette passion apparente pour ce label?

Passion je sais pas si le terme est bien choisi, mais Deathwish et A389 demeurent deux des labels les plus actifs et incontournables dans les styles qui m'intéressent le plus. La plupart de leurs sorties sont dans le haut du panier de leurs genres et ont une vraie identité, donc chercher à distribuer leurs sorties me semblait assez naturel.

L'objet disque et son rendu final semble assez primordial pour toi. Es-tu toi même attaché à l'objet vinyl? En achètes-tu régulièrement?

Concernant le packaging, depuis quelques sorties j'essaye de proposer un poil plus élaboré que le combo de base vinyl noir/sous-pochette blanche, même si il n'y a rien d'extravagant non plus - la moindre coquetterie un peu exotique sur un vinyle tiré à 300 ou 500 exemplaires, ça coûte vite un bras. Sinon j'y suis attaché et j'en achète régulièrement oui, même si j'ai une collection que pas mal considéreraient comme maigrichonne. J'essaie de me restreindre et de prendre uniquement des disques que je considère comme vraiment marquants; avec tout ce qui me passe dans les mains, vaut mieux faire preuve d'auto-discipline.

 Ca fait plus de trois ans que le label existe. Qu'est-ce qui a changé depuis les débuts? Arrives-tu à vivre de ton label?

Ce qui a changé principalement, c'est que de plus en plus de gens vont s'intéresser spontanément à mes sorties parce qu'il y a un logo Throatruiner derrière - ça veut dire que j'arrive à remplir mon rôle de label au sens premier du terme, et ça fait plaisir. Je vois ça aussi avec les nouveaux groupes avec qui je travaille; ils sont souvent assez enthousiastes parce qu'ils voient que je peux leur apporter plus qu'une simple participation financière. Sinon j'arrive à vivoter de mes activités depuis mai dernier. Je m'attendais pas vraiment à ce que ça se fasse aussi rapidement; à la base je m'étais donné cinq ans pour en arriver à ce stade, mais d'un autre côté je me voile pas la face, c'est pas comme si c'était arrivé tout seul, et j'y ai consacré tout ce que je pouvais y consacrer, que ce soit temps ou thune. J'ai pas mal hésité avant de me dire "ok, maintenant je fais plus que ça" mais au bout d'un moment j'avais de toute manière plus le temps de faire autre chose, fallait sauter le pas.

Comment se passe l'équilibre de tes finances ? Tu réinjectes tout l'argent dans d'autres projets ou tu essaie de vivre complètement de ta passion ?

En gros à chaque fin de mois je me verse de quoi payer les factures, et tout le reste part dans les futures sorties et la distro. C'est pas la panacée mais je vais pas la jouer Cosette hein, tant que je peux faire que ça et continuer à être motivé en me levant le matin, c'est formidable.

Quels sont les groupes ou albums qui t'ont influencé, qui font que tu es en là actuellement?

Tous les classiques en matière de Hardcore pas joyeux et dérivés - ça a pu aller de Converge à Neurosis en passant par Botch, Kickback, Will Haven, Starkweather, Catharsis, His Hero Is Gone, Shora, Today Is The Day, Cursed, Breach, OrchidRubbish Heap

Dernièrement l'actu était pas mal chargée pour Throatruiner Records avec la parution des Lps de No Omega, Eibon, Vuyvr, Cortez, The Phantom Carriage et la réédition d'As We Draw… As tu déjà de nouveaux projets en tête pour le reste de l'année ou tu prends le temps de souffler un peu?

Effectivement, ça a pas mal été l'horreur dernièrement avec toutes ces sorties, mais finalement j'aime bien, si j'ai moyen de trouver un rythme de croisière avec 3 sorties par saison ce sera pas mal. Bref ouais la première moitié de l'année a été bien chargée avec genre sept albums en moins de trois mois. Là je calme quand même un peu le truc, ce mois-ci je sors le 10" des lorientais de Death Engine, du noise/hardcore hyper lourd et arraché, et un repressage du 12" d'Elizabeth que j'avais sorti l'année dernière avec leur première démo en bonus, tout ça en attendant leur nouveau 7" pour la rentrée. Il va aussi y avoir un nouveau 12" de Cowards, qui synthétise parfaitement ce que j'ai envie d'entendre en matière de hardcore crasseux, et puis plein d'autres trucs en chantier pour le reste de l'année.


Pentacle (Juin 2013)

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Commentaires

jeanvaljeanLe Lundi 17 juin 2013 à 19H06

Cool cette itw !