Loma Prieta Avril 2013, Montréal

Loma Prieta @ Montréal

Depuis sa formation en 2005, Loma Prieta a su se forger une identité musicale distinctive au rythme d’une sortie par an, la plus récente étant un split avec Raein (2013). Après trois EP et trois LP majoritairement auto-distribués, le groupe effectuait l’an passé ses premiers pas sur le label Deathwish Records avec un quatrième album studio sobrement intitulé I.V. (2012). Drogués à l’intensité émotionnelle du live, les californiens ont enchaîné les tournées promotionnelles, voyageant à travers Etats-Unis, Canada, Mexique, Europe, Japon, Australie et Nouvelle-Zélande, sans perdre de vue leur port d’attache. Avec des membres très actifs et impliqués sur la scène locale, Loma Prieta est progressivement devenu un pilier de la communauté hardcore de la Baie de San Francisco, vivier prolifique de groupes légendaires tels que Mohinder, Yaphet Kotto, Funeral Diner ou encore Indian Summer. Abhorrant toute tentative de classification dans un genre ou un sous-genre, le combo s’associe plus largement à la scène punk DIY mondiale et exprime un besoin de renouvellement artistique permanent.

Le 7 avril dernier, j’ai intercepté le quatuor en plein marathon nord-américain –26 dates en 30 jours– lors d’un concert intimiste à Montréal. En dépit de l’abrutissement de la route et de conditions de jeu très précaires, les deux membres fondateurs, les guitaristes-chanteurs Sean Leary et Brian Kanagaki, ont volontiers partagé leur vision de la musique, véritable pierre angulaire de leur vie. La discussion a débuté pendant le montage, continué après une prestation épique, pour enfin se clore, faute de temps, par email.

Votre dernier album studio, I.V. (2013), a vu le jour sur Deathwish Inc tandis que la plupart de vos précédents titres avaient été auto-distribué via le label Discos Huelgas. Quelles différences existent entre les deux modalités en termes de liberté, promotion, qualité, profits, contrainte temporaire, etc..?
Sean: Honnêtement, peu de choses ont changé. Que ce soit en phase d’écriture ou d’enregistrement, nous n’avions pas l’intention de sortir I.V. sur Deathwish ; c’est en plein bouclage de la production que Tre, de Deathwish, nous a contacté pour nous dire qu’ils étaient intéressés à collaborer avec nous. Nous étions très excités à l’idée d’être impliqué avec un label qui a sorti autant de grands albums. Au final, ce n’est pas tellement différent de travailler avec eux que de sortir un album sur Discos Huelgas (le label de Val). Deathwish est un label indépendant dirigé par un petit groupe d’acharnés, à l’instar de Discos Huelga, qui sont dans la partie depuis plus longtemps.

Vous planchez actuellement sur un nouvel album. Est-ce qu’il suit la progression naturelle de votre groupe, ou est-ce que vous explorer des territoires inconnus ?
Sean: Je pense que notre progression naturelle est justement d’explorer des territoires inconnus. Peut-être que je suis trop proche du processus d’écriture pour l’appréhender différemment, pour moi, chaque album diffère radicalement du précédent. C’est une volonté affirmée, nous essayons de garder des éléments en commun sans stagner. Donc oui, le nouvel album que nous sommes en train d’écrire est définitivement différent de nos compositions passées, en espérant que ce soit fédérateur pour notre public.
Brian: Je pense qu’il est normal pour un groupe d’évoluer en même temps que ses membres progressent, vieillissent et expérimentent de nouvelles choses. Nous n’entrons pas en studio avec l’intention délibérée d’être différents ou expérimentaux. Ce qui jaillit sur l’instant est la matière première de notre création. Je suis sans aucun doute une personne différente de celle que j’étais quand on a commencé à écrire I.V. il y a quatre ans. J’approche la composition musicale de la même façon, je m’y attèle seulement avec des émotions autres que celles ressenties lors de l’écriture de n’importe quel autre album dans le passé.

Après sept années de composition et de tournées, quels aspects de la vie du groupe ont le plus changé ?
Sean: Sur la route, notre capacité d’adaptation à toutes les situations s’est renforcée. Bien évidemment lorsque l’on joue en live, mais aussi concernant tous les aspects éreintants d’une tournée : conduire sur de longs trajets, jouer dans des circonstances foireuses, dormir dans des conditions terribles, plus généralement apprendre à encaisser. La liste pourrait s’étirer indéfiniment. Même si cela a toujours été plutôt aisé, je pense que nous sommes aussi plus confortables dans l’écriture plurielle de musique. C’est une des raisons principales qui fait que nous travaillons ensemble depuis si longtemps.  
Brian: Nous sommes indéniablement des êtres d’habitudes : plus nous nous escrimons à faire quelque chose, meilleur nous y devenons. Nous entretenons tous une routine personnelle et s’y attacher est très important sur le plan individuel. Connaître nos propres limites et notre zone de confort nous a vraiment aidé à perdurer en tant que groupe qui est sur la route six mois par an. 

Vous avez tous de multiples side-projects, influencent-ils l’évolution et le son de Loma Prieta? Ou jugez-vous l’inverse plus vrai ?
Sean: Pour moi, les autres formations auxquels j’appartiens offrent la possibilité de jouer de la musique qui ne conviendrait pas à notre format. Les gens ont tendance à comparer les différents combos d’un artiste les uns par rapport aux autres. Il est évident que le style qui t’est propre colore tous tes projets. Une des raisons qui fait que j’aime tellement jouer au sein d’un groupe est l’aspect collaboratif. En même temps, c’est difficile de trouver des gens avec qui jouer qui ont un style complémentaire au sien. Nous sommes chanceux d’avoir trouvé un contexte qui fonctionne aussi bien pour chacun d’entre nous.

Vos deux seuls clips vidéo figurent des images de la Bay Area. La communauté musicale de San Francisco a tendance à être très soudée, vous appuyez-vous sur les effets de synergie qui découlent ? Ou est-ce à vous de générer votre propre élan ?
Sean: La baie de San Francisco est un endroit très transitoire. Les groupes, et les gens en général, vont et viennent rapidement. La scène change constamment, mais je pense que sous plusieurs aspects nous sommes pas mal investis, peut-être moins qu’avant que l’on commence à tourner aussi intensivement. Je ne pense pas qu’il y est beaucoup de groupes qui sonnent comme nous dans la baie, mais il y a incontestablement de nombreux groupes avec le même état d’esprit. On tourne tellement qu’ils y a plusieurs autres villes où l’on a le sentiment d’être à la maison, où il semblerait que l’on joue également un rôle actif dans la communauté musicale locale.

Quand vous voyagez, avez-vous le sentiment de représenter la scène hardcore de San Francisco ? Ou vous percevez-vous comme des loups solitaires ?
Sean: Je nous vois, ainsi que les groupes semblables au notre, comme des représentants de la communauté punk mondiale. L’un des aspects intéressants de donner des concerts tout autour du monde est de se rendre compte à quel point les choses sont étonnement similaires.

Dans une précédente interview, vous disiez « En 2012 nous allons mettre nos vies complètement entre parenthèses pour s’occuper du groupe à temps plein. » Est-ce que le résultat a été à la hauteur des attentes ? Quels ont été les aspects positifs/négatifs ?
Sean: En un sens, le groupe est au centre de nos vies depuis longtemps. Certes, nous avons tourné beaucoup plus intensément fin 2011 et en 2012 que ce que j’aurais imaginé. Personnellement, après avoir vécu cela, je me sens plus que jamais en osmose avec la musique. Bien sûr, c’était parfois atroce, mais le positif a de loin contrebalancé le négatif.
Brian: Comme le disait Sean, le groupe a pris une importance considérable dans nos vies dès sa création. Rien n’a foncièrement changé pour moi, au lieu de travailler quotidiennement sur de la musique ou des artworks, nous tournions ou voyagions ensemble chaque jour. J’ai toujours consacré beaucoup de temps au groupe, le travail a payé car tout ce que nous faisons maintenant est beaucoup plus gratifiant.

Avec un tel degré d’investissement dans le groupe, n’avez-vous pas peur de brûler vos ailes ?
Sean: Cela n’a jamais été une réelle inquiétude pour moi. Je peux dire avec certitude que je jouerai de la musique le restant de mes jours. Quant au groupe, il semblerait que nous rayonnons plus que jamais. Si un jour la magie cessait d’opérer, nous arrêterons. En attendant, nous lui dédions tout ce que nous avons. 
Brian: Je pense que nous remarquons tous un changement dans le groupe et c’est formidable de voir que toutes ces années de labeur acharné commencent enfin à payer. Le groupe est plus symbiotique et fun qu’il ne l’a jamais été. Je ne fais aucun souci pour le futur. Nous sommes tous très proches et il semblerait que c’est quelque chose que nous voulons continuer à mener aussi longtemps que possible.

Avec autant d’heures passées sur la route, avez-vous trouvé difficile de maintenir le même niveau de créativité dans le processus d’écriture ? Tirez-vous l’inspiration de vos voyages ?
Sean: Oui et non. Nous ne composons que très peu sur la route, il n’y a juste pas assez de temps et d’espace pour travailler. Cependant, j’ai remarqué que nous envisageons notre temps à la maison avec un plus grand désir d’être créatif, avec une approche plus structurée de la composition et de l’orientation à donner au groupe, qu’auparavant quand nous tournions beaucoup moins. C’est bénéfique pour la dynamique du combo d’être aussi actif que nous le sommes.
Brian: Personnellement, être en tournée m’aide à écrire de nouveaux morceaux, à clarifier les idées dans ma tête et à concevoir les artworks. Être assis dans le van avec rien d’autre à faire que d’être seul avec soi-même est épanouissant, je cogite mieux sur la route qu’à la maison. Ce sont les longues heures immobiles qui me poussent à créer et m’incitent à travailler plus dur.

Si vous aviez la possibilité d’être moins Do It Yourself, la saisirez-vous ? Ou préféreriez-vous garder les pieds sur terre et maintenir l’esprit DIY ?
Sean: J’ai joué dans des groups DIY depuis le milieu des années 90, cela serait vraiment étrange d’abandonner autant de contrôle à ce point. Les gens considèrent que l’éthique DIY est une noble cause -et ça l’est en un sens-, il s’agit également d’avoir un contrôle absolu sur la direction à prendre avec son groupe. J’adore être actif et contribué à la communauté DIY car cela crée une atmosphère positive pour nous tous. Être DIY c’est aussi maîtriser son propre destin. Nous mettons tellement de nous-même dans ce que nous faisons que ce serait dur de faire confiance à quelque d’autre pour prendre soin du groupe comme nous le faisons. Pourtant, j’imagine déléguer certains aspects dont nous nous chargions parce qu’il n’y a maintenant plus assez d’heures dans une journée pour s’occuper de tout soi-même, et, cela me rend parfois anxieux.
Brian: Il est vraiment difficile de remplir ses obligations sur la route. Spécialement si nous voyageons à l’international et n’avons pas accès au téléphone/wifi. C’est très frustrant de booker une tournée quand on est déjà en tournée. C’est difficile de travailler sur l’artwork, de s’occuper des commandes de marchandise et de s’assurer que le van et le matériel de location sont disponibles trois mois dans le futur pour une prochaine tournée. On finit toujours par y arriver mais c’est un casse-tête la plupart du temps.

Existe-t-il un groupe qui a inspiré votre approche personnelle de la musique? Dans l’absolu, quel est votre album préféré ?
Sean: Le groupe qui m’a vraiment introduit au type de musique que nous jouons est un groupe canadien nommé Shotmaker. J’ai acheté leur premier LP, The Crayon Club, quand j’avais quinze ans et ça a changé ma vie. C’est putain de lourd. J’ai une pléthore d’albums "préférés", mais je pense que c’est celui qui a eu le plus d’impact sur ce que fais actuellement.
Brian: Je pense qu’entendre Document 8 de Pg. 99 pour la première fois a été très important pour moi et a profondément influencé mon jeu de guitare. Le clip vocal au début de l’album a toujours été omniprésent dans mon esprit, me propulsant dans tout ce que j’accomplis. J’avais 16 ans quand cet album est sorti et je venais juste de commencer à jouer de la guitare. Je n’avais rien entendu de comparable, cela m’a ouvert les yeux.

Votre musique et vos paroles semblent pleines de rage et de discorde. Arrivez-vous à séparer cela de votre quotidien ? Ou bien votre musique reflète-t-elle les aléas de vos vies ?
Sean: Pour moi, le groupe est une soupape. Je suis une personne introvertie qui supprime beaucoup de pensées horribles et de négativité à travers la musique. Je plaisante en disant que le groupe est la seule chose qui maintient ma santé mentale.
Brian: Nos chansons et notre musique sont très réels et sincères. Chaque jour, quand j’écris et compose, j’essaie de me rapprocher un peu plus de qui je suis foncièrement. Plus je vieilli, plus je ressens la nécessité d’être cette personne.

Loma Prieta - Live in Montreal

Lyra (Juin 2013)

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