Paul Gilbert La Flèche d'Or - Paris (20 mars 2013)

Le temps de s'installer, Paul Gilbert nous annonce en souriant « let me know what you’d like to know ». Sa guitare posée sur les genoux, il allait nous gratifier de quelques plans que vous pourrez entendre en cliquant sur les différents liens "extrait" que vous trouverez au long de cette interview...

Il y a des influences jazzy dans ton dernier album Vibrato, ce qu’il n’y avait pas dans tes précédents albums…

J’ai appris de nouveaux accords (rires).

… As-tu adoptée une nouvelle façon de composer pour cet album ?

Je pense que oui, pour cet album j’ai eu une nouvelle approche : m’éclater ! Par le passé, j’ai beaucoup écrit et composé, ce qui représente énormément de travail, c’était difficile et il fallait beaucoup s'entrainer et répéter. Cette fois ci, je me suis dit « et si je prenais du plaisir ? ». J’avais pas mal d’idées intéressantes, je voulais faire ce dont j’avais vraiment envie, et en étant le compositeur j’avais tout sous contrôle.

On dirait aussi que tu as laissé plus de place aux autres instruments sur Vibrato ?

J’ai toujours trouvé qu’un vrai groupe sonnait mieux. C’est important pour moi d’avoir un bon batteur, un bon bassiste, un bon claviériste à mes côtés. Mais en fait, je pense que pour cet album je voulais surtout plus d’espace pour l’improvisation. Dans le heavy-metal mais aussi dans la pop musique, les solos sont très courts et très structurés et pour Vibrato nous avons laissé plus de place pour l’improvisation, ce qui est bien pour l’album, mais encore mieux pour les concerts, car en live plus on joue, meilleur c’est.

Justement Vibrato semble plus convenir à être joué dans des petites salles que dans des stades, as-tu une préférence ?

Et bien, jouer dans un stade rapporte plus d’argent (rires). D’un point de vue musical c’est sûr que les petites  salles sont mieux car le son est meilleur, et on est plus près du public. Mais j’aime les deux, car les deux impliquent de jouer ma musique donc je n’ai pas à me plaindre, je suis heureux où que je joue !

Ta femme Emi joue du clavier dans ton groupe, a-t-elle eu une influence sur toi et sur l’album en raison de son background musical ?

J’ai appris beaucoup grâce à elle. Elle vient du classique mais a aussi étudié le jazz. Et forcément, elle répète à la maison, et je me souviens surtout l’avoir écouté s’entrainer pour ses cours de jazz, elle est très méthodique, à jouer tous les types d’accords possibles, encore et encore, et c’était aussi un très bon exercice pour mon oreille. Et tout à coup je réalisais « oh, en fait je connaissais déjà un accord de jazz ! » mais j’avais tord (extrait 1 : Il se met à jouer un accord de Rém7, puis le tranforme en Famajeur9, puis 11, en disant que les autres instruments s’occupent de la basse ré, ce qui lui  donne des possibilités de couleurs de mélodies, de solo et en improvisation encore plus intéressantes sans se soucier de la note principale de l’accord). C’était quelque chose de technique. Mon oreille n’était pas très à l’aise avec ce son au départ, mais j’ai commencé à jouer des solos de cette façon et ça a en quelque sorte changé ma vie, car c’est très intéressant de prendre la décision «  je vais choisir de ne pas jouer certaines notes ». Avant je jouais toutes les notes. Maintenant je suis plus regardant concernant les notes, ça aide beaucoup !

J’imagine que ça a changé ta façon d’aborder les solos de guitare ?

C’est avant tout un problème d’oreille, ça dépend de ce que tu écoutes et du type de musique que tu as en tête. Je veux dire, je ne suis pas un maître, je suis toujours un débutant à la guitare car j’ai grandi avec le rock. Par exemple, nous jouons en live Synchronicity de Police (extrait 2) mais en ralentissant le tempo de moitié, afin que je me sente plus à l’aise et que je prenne plus de plaisir sur le solo à improviser, plutôt que de le rejouer à l’identique. C’est ma façon de jouer. J’ai une méthode pour tester une chanson, c’est de voir si je peux la chanter. Je sais que j’ai les connaissances et la technique pour jouer du blues et ça on peut toujours le chanter (extrait 3 : il se met à jouer sur une gamme blues de LA). Mais pour le jazz, les notes restent en quelque sorte coincées dans mes doigts, et j’ai besoin de les avoir dans l’oreille pour qu’elles sortent. Je continue d’y travailler, je vais bientôt y arriver ! (rires).

Est-ce qu’à force tu t’es lassé de jouer le plus vite possible ?

Oh non, c’est toujours marrant. Et c’est presque trop facile car plus tu joues vite moins tu as à te soucier des notes que tu joues. Si je joue en mode « dorien »  (extrait 4 : il se met à jouer une gamme en La dorien. une gamme dorienne est une gamme avec les intervalles suivant : 1ton, 1/2ton, 1t,1t,1t, 1/2t, 1t soit La-Si-Do-Ré-Mi-Fa#-Sol-La ) , j’aime ça mais ce n’est pas vraiment ce qui sonne dans ma tête. Je préfère jouer quelque chose de chantant. Quand tu joues très vite c’est plus facile, car tu te fiches de savoir si les notes que tu joues sont fortes ou justes (NB : pour dire dans la couleur de l’accord), ça passe. Si je joue un solo lent, je vais jouer plus de gammes et mettre plus d’accentuations (extrait 5 : il se met à jouer autour d’un accord de Lam7). Alors que si je joue vite, je vais me contenter de balancer les notes, il suffit d’avoir la technique. Et quand tu joues vite, les chansons vieillissent mal, car la vitesse c’est marrant pendant qu’un court instant, et puis après tu t’emmerdes (rires). Donc j’aime toujours jouer vite, mais pas à longueur de temps. Je cherche vraiment à construire une chanson pour accompagner la guitare (extrait 6 : toujours autour de la note fondamentale LA, en changeant les couleurs, du la mineur classique à la pentatonique mineure en passant par le la dorien). C’est comme ça que je m’amuse, quand je réussis à faire sortir un truc de ma guitare et de ma voix en même temps.

Tu as dit que tu n’avais pas l’oreille absolue, alors que ta femme Emi l’a. Est-ce que tu penses que ta façon de jouer et de composer serait différente si tu l’avais eu ?

Je n’en sais rien. En observant Emi, je me dis que c’est totalement incroyable, je peux lui jouer une mélodie qu’elle n’a jamais entendue avant, et elle réussira à me la retranscrire parfaitement. Je commence à m’y faire.

Mais avec toute la pratique que tu as, tu dois avoir quand même bien développé ton oreille ?

Ca dépend des styles, en blues j’aurais de bonnes chances de jouer du premier coup ce que j’ai en tête. Mais dans des styles qui me seraient moins familier, ça devient un vrai challenge ! Si j’avais à jouer Autumn leaves  - les feuilles mortes en français- ça serait affreux, car je ne sais pas vraiment jouer du « tender jazz »

Y-a-t’il des styles que tu ne peux pas jouer ?

J’ai la technique pour tout jouer, mais je ne sais pas où sont les notes (rires). Jouer du jazz est un vrai défi pour moi.

Ca n’a pas dû être simple non plus pour Partita en Do mineur de Bach que tu as enregistré pour ton précédent album Fuzz Universe ?

Oui, la technique est très dure, et il a fallu que je mémorise tout le morceau, il n’y avait pas de places pour l’improvisation comme dans le jazz. Il faut avoir le morceau en tête ou utiliser des sortes de moyens mnémotechniques visuels. Si je veux jouer en Si bémol majeur (extrait 7 : il "démanche" l’accord de Sib majeur), j’arrive à tout visualiser avant de le jouer, mais si je veux rajouter une mélodie par-dessus, j’utilise l’intervalle. J’y ai souvent recours, en particulier pour le blues, où je ne pense pas en notes mais en nombres (extrait 8). Après, en live, de toute façon on n’a pas le temps de réfléchir, il faut tout oublier ! (rires)

Y-a-t’il une raison en particulier pour avoir choisi de reprendre Blue Rondo a la Turk de Dave Brubeck sur ton album ?

J’ai entendu sa chanson Take Five à la radio, j’ai adoré le solo de batterie, alors j’ai acheté l’album et j’ai découvert Blue Rondo a la Turk dessus. J’ai immédiatement téléchargé la partition sur internet et je me suis mis à la jouer, c’est un morceau agréable à jouer et en même temps difficile à la guitare, car il est en Fa. Le solo dessus est en blues, il comporte deux et six accords (extrait 9 : il joue simplement les 2 premiers accords et la cadence finale de fin de grille, typique d’un standard blues jazz de l’ époque, et la grille de Blue Rondo). Et la manière de jouer change, je n’avais jamais fait ça, c’était vraiment très dur et ça m’a demandé beaucoup d’entrainement (extrait 10). Mais en même temps c’était vraiment l’éclate.

D’où vous est venue l’inspiration pour les paroles de Enemies (In Jail) ?

D’abord pour la musique, j’ai utilisée le vibrato de la guitare en faisant le truc le plus simple, des harmoniques, comme un débutant, mais je trouvais que ça sonnait bien (extrait 11). Pour cette tournée je n’ai amenée que cette guitare (NB : il s'agit de son nouveau modèle signature Ibanez Fireman FRM MAIS avec 2 doubles bobinages et 1 simple, pas encore commercialisé, et qui n’est pas équipé d’un vibrato) alors faut que je le fasse avec mes doigts (rires). Ca fait un son amusant. Quant aux paroles, quand j’étais très jeune, j’écrivais des livres, enfin je ne savais pas encore écrire, donc je faisais des dessins et je demandais à ma mère de les mettre en mots en les lui expliquant. Et un des livres que j’ai « écrit » s’appelait « heureux quand on conduit une voiture de course et que tout ses ennemis sont en prison » (rires). Je devais avoir 4 ans, et je me demande bien combien d’ennemis un enfant de 4 ans peut avoir ! Mais bon, c’était ce qui me rendait heureux à l’époque, et j’avais trouvé que ça ferait une chanson plutôt drôle.

Il y a ta chanson Vibrato qui me fait penser à du Primus avec son rythme syncopé.

Vibrato est un défi lancé à mes élèves, car c’est vraiment quelque chose qui leur pose problème. Ils connaissent parfaitement leurs gammes et pourraient les jouer pendant des années (extrait 12 : une simple gamme de Do Majeur). Mais ils ne pensent jamais où sont les syncopes, ils commencent toujours sur  « un », alors que cette chanson part sur la fin du « deux ». Il y a du shuffle (NB : un groove « ternaire ») et beaucoup de syncopes, et c’est sur quoi mes élèves doivent le plus travailler ! C’est mon message caché à mes élèves « voila ce dont vous avez besoin, tous ces éléments ».

Est-ce qu’il y a une influence Deep Purple sur Rain and Thunder and Lightning ?

(Extrait 13) C’est vrai, mais d’où ça m’est venu, aucune idée ! En même temps, dès que tu joues en Sol, ça sonne comme du Deep Purple (extrait 14).

Quand on te voit avec une guitare en main, à jouer sur scène ou donner des cours, tu as toujours l’air d’être le plus heureux des hommes, quel est ton secret pour ne toujours pas être blasé après toutes ces années ?

Oui, vraiment ! Le secret est de garder un équilibre parfait entre ce que tu sais parfaitement jouer et ce qui te donnes du plaisir à jouer mais il faut que tout ça te demande également un minimum d’efforts pour ne pas tomber dans l’ennui. Mes concerts sont pratiques pour ça, la plupart des passages j’arrive à les jouer parfaitement mais il y en également de très durs où chaque soir je me dis « ok, on y arrive… ». Je pense que je ne ferais jamais un concert parfait, car il y toujours des fausses notes du fait que je cherche toujours à repousser mes limites, mais en même temps ça aboutit parfois à des moments magiques qui ne se reproduiront pas dans d’autres concerts, justement pour cette raison. Parfois Il suffit d’avoir un bon groupe et un bon public.

Alvin Lee est décédé il y a quelques semaines de ça, faisait-il partie de tes influences ?

Alvin Lee est principalement connu pour son solo de guitare sur Going Home, et son style de jeu sur cette chanson est le plus difficile à jouer sur une guitare, ce n’est pas un style classique mais rock, et surtout c’est un style qui n’est pas efficace dans son rendement puisqu'il utilise la force pure, tout en aller simple pour les coups de médiator, ce qui est différent de mon style : la façon dont je joue est efficace, je n’ai pas de puissance dans la main et je n’en ai pas besoin. Alvin Lee est comme les guitaristes d’Iron Maiden, il fait tout en « downstrokes » (NB : coups de médiator vers le bas) (extrait 15 : le riff d'intro de The Number Of The Beast joué des deux façons pour souligner la différence de rendu), alors que ça serait plus simple en aller-retour, mais ça ne sonnerait pas pareil ! Et Alvin Lee, avec ce solo, dégage une puissance qui m’a toujours épatée, ça sonne agressif et cool à la fois. Il avait aussi de belles balades (extrait 16 – il joue I’d Love To Change The World de Ten Years After). On ne l’oubliera jamais, Alvin Lee vivra éternellement à travers sa musique.

Après les guitares 7 cordes, les guitares 8 cordes semblent devenir à la mode avec des groupes comme Animals as Leaders, qu’est ce que ça t’inspire ?

Pour moi, depuis que j’ai découvert le jazz et le blues, je trouve que les possibilités offertes par une guitare 6 cordes sont déjà illimitées. Et même sur mes guitares signatures, j’ai demandé à ce qu’il n’y ait que 22 frettes et non 24, car sinon je m’y perds (rires). Il y a trop de notes, trop d’options. C’est intéressant que des personnes s’essaient à de tels instruments, mais pour moi, 6 cordes, c’est largement suffisant !

Et pour clore cette discussion, le mot de la fin était en fait un riff.


Remerciements à Roger et Replica Promotion pour nous avoir obtenu cette interview, qui a été réalisée en la présence et avec l'aide de Jaison (qui sait aussi jouer) pour les questions pertinentes et les détails techniques lors de la transcription !

Grum (Avril 2013)

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Commentaires

jeanvaljeanLe Samedi 13 avril 2013 à 10H33

Un super guitariste, merci pour cette itw bien intéressante !

LeinatanLe Jeudi 11 avril 2013 à 23H16

Super interview! Merci beaucoup ;-)

BacteriesLe Jeudi 11 avril 2013 à 14H21

C'est très technique (et je capte pas tout), mais c'est cool à lire! J'ai écouté les albums du coup.
Chapeau Grum!