Interview de Pensees Nocturnes Par Mail

Peux-tu brièvement présenter ton projet pour ceux qui n'ont pas encore posé une oreille sur l'album de Pensees Nocturnes? Comment t'es venu l'idée, ou plutôt, comment s'est concrétisé ce projet?

Vaerohn : Pensees Nocturnes est un projet solo sans ligne de conduite définie, laissant libre cours à mon imagination fantasque. J’ai ainsi la possibilité d’édifier une musique qui me correspond totalement, sans avoir à me soucier qu’elle rentre ou non dans un moule particulier. Il n’y a pas de raison particulière quant à la "concrétisation du projet" sinon des possibilités matérielles.

Est-ce un véritable choix de travailler tout seul sur Vacuum ou bien est-ce que cela s'est imposé comme la seule alternative possible pour enregistrer le disque?

Vaerohn : J’avais vraiment besoin de quelque chose sans la moindre contrainte, que celle-ci soit financière, stylistique ou venant d’un élément extérieur tel qu’un label trop présent, une attente des auditeurs ou due au fait que le projet naisse d’une certaine collaboration. Pensees Nocturnes n’est que la simple matérialisation de certaines envies ou idées qui ont pu traverser mon esprit et dont j’assume l’entière responsabilité. Il est toujours frustrant d’être limité par un batteur un peu fainéant, un guitariste n’en faisant qu’à sa tête ou un chanteur se prenant pour une diva. Ce projet n’a aucune prétention, aucune obligation de résultat, et c’est un plaisir indicible que de se sentir libre de pouvoir tout faire, d’être le seul et unique décideur du produit final. Je ne me pose pas pour objectif de conquérir les fans ou de dénicher le label qui fera de Pensees Nocturnes un groupe internationalement vénéré, simplement de contenter ma personne durant le processus créatif, en expérimentant, en essayant de nouveaux instruments, d’autre styles… Travailler avec d’autres individualités implique toujours un certain nombre de conflits, ce qui veut dire consensus et donc frustration. Non pas que je considère mon travail comme supérieur, d’autant qu’en terme artistique le concept de supériorité ne saurait se limiter à une inégalité mathématiques, mais il s’agit de mon travail. Pourquoi s’imposer des limites si l’on a pour seul dessein d’éprouver une certaine forme de consolation dans le processus de création ? Je ne fais pas dans la philanthropie.

Des représentations live tout seul ou avec des musiciens de session sont prévues pour l'avenir?

Vaerohn : Je pense que les précisions précédentes répondent à ta question. N’étant pas vraiment enthousiasmé par le côté promotionnel d’une sortie ou le rapport avec les auditeurs, la manière dont est perçue Pensees Nocturnes, je n’envisage pas pour le moment de produire cette musique lors d’un concert. Jouer les saltimbanques pour promouvoir un nom ou flatter son ego n’est pas une idée qui m’excite particulièrement.

En lisant plusieurs chroniques sur le net, je me suis aperçu que Vacuum avait reçu un accueil plutôt élogieux, gage de qualité s'il en est, de la part de la presse spécialisée et des lecteurs. T'attendais-tu à un tel engouement?

Vaerohn : Sincèrement non. Et cela me surprend d’autant plus aujourd’hui car avec le recul je suis conscient que pas mal de points auraient pu gagner à être améliorés, inexpérience oblige. Pour être honnête Vacuum est pour moi du passé et je suis plus porté sur le prochain album qui sera beaucoup plus recherché et complexe. C’est un premier essai, un essai de débutant. Non pas que je renie cet album, il faut bien commencer un jour, mais j’ai du mal à comprendre l’accueil (toute proportion gardée) qu’il a pu recevoir. Et paradoxalement il est probable que la prochaine sortie suscitera plus de réticence car sûrement beaucoup plus difficile à cerner mais ce n’est pas le point le plus important. Je préfère rester dans l’ombre et développer une musique qui me parle plutôt qu’un de ces projets menés en deux temps trois mouvements dont la scène regorge.

Je ne peux pas croire que tu aies débuté la pratique musicale peu avant de composer cet album. Tu as fais du solfège et pratiqué plusieurs instruments auparavant?

Vaerohn : Excepté quelques années de piano trop vite oubliées je n’ai jamais suivi de formation particulière ce qui m’a poussé à « apprendre » la musique seul, tant pour la composition que le travail du son. Cette méconnaissance de la théorie musicale entraîne sûrement une certaine naïveté mais me permet aussi de ne pas suivre de règle bien précise. La guitare est mon instrument de prédilection et n’est jamais bien loin lorsque je travaille. Son adaptabilité en fait la compagne idéale pour explorer toutes sortes de genre et m’a permis de ne pas m’embourber dans une fange stylistique spécifique. Je n’ai donc pas vraiment suivi de cours de solfège ou d’instruments, ce sont des choses que j’ai compris en expérimentant, en essayant, tout comme je compose en suivant des idées sans vraiment savoir où elles me mèneront. Il ne faut pas être effrayé de l’inconnu, tenter des choses incongrues. La plupart du temps cela ne mène à rien mais à quoi bon ressortir éternellement les mêmes idées ?

Dans Vacuum, l'on peut entendre du Black-Metal mais aussi de la Musique Classique, du Blues... preuve de ton éclectisme musical. Qu'as tu écouté pour répondre à cette interview?

Vaerohn : Pêle-mêle : les derniers Code, The Black Dahlia Murder, Behemoth, Hyadningar (très bon) et  Natural Mystic de Bob Marley.

On t'a associé aux groupes de Black-Metal dépressifs avec notamment les canadiens de Gris ou Sombres Forêts et je dois avouer que j'y vois en partie des ressemblances, même si tu vas plus loin qu'eux en rajoutant des éléments « Classique » dans ta musique. Quel est ton point de vue la dessus?

Vaerohn : On a comparé Pensees Nocturnes à tant de groupes d’horizons différents que je ne me pose plus ce type de questions même s’il y a évidemment des ressemblances avec ces deux projets que j’apprécie beaucoup. Je laisse ce genre de considération à ce qui aime perdre leur temps, je préfère créer que jacasser à propos de sujets sans intérêt.

J'ai un coup de coeur tout particulier pour le morceau Coup de Bleus. Comment t'es venu l'idée d'insérer du Blues dans ta musique, cela c'est fait tout naturellement?

Vaerohn : Le Blues fait partie des genres avec lesquels j’ai beaucoup d’affinité. Ces moments privilégiés de partage dans la mélancolie où le temps prend une toute autre dimension. Il arrive régulièrement que je me laisse plonger dans ces atmosphères lors d’une soirée en improvisant avec quelques compagnons. Un pianiste a d’ailleurs participé à ce titre car je ne saurais improviser sur un autre instrument qu’une guitare. C’est donc en effet une idée qui m’a paru assez naturelle d‘autant que la mélancolie qui se dégagent de ce passage s’inscrit bien dans les ambiances qui parcourent Vacuum.

On t'as souvent posé la question de ta vision sur la scène Black-Metal, mais ma question ici est tout autre. Quel regard portes-tu sur la Musique Classique? On a souvent l'impression que c'est un monde austère, réservé à quelques élites musicales ou intellectuelles, difficile d'accès pour les non-initiés. Partages-tu cette vision?

Vaerohn : La Musique Classique est effectivement une musique élitiste quand bien même elle tend à se démocratiser de nos jours. Je m’explique. Elle est d’abord élitiste par sa complexité. Il ne faut pas avoir suivi de formation particulière pour se douter qu’un morceau de Black faisant tourner un riff sur trois instruments pendant 10 minutes exige moins de travail qu’une symphonie, une demi heure contre des dizaines de mois au bas mot. Et il est évident qu’un individu lambda ne saurait être aussi sensible à certains éléments qu’un musicien de formation : complexité de la composition (couleur tonale, changement rythmique/transition, gammes…), qualité de l’interprétation, qualité du son/ de la production. Je dois avouer trouver plus excitant de décortiquer une structure classique qu’étudier un album de Black Metal. Mais c’est un genre socialement élitiste également. Malgré les efforts fournis pour tenter d’attirer un auditoire hétérogène (je ne parle évidemment pas de l’Opéra dont les subventions gargantuesques offertes par l’Etat ne permettent pas de proposer des droits d’entrées à des prix abordables), force est de constater que la population arpentant les salles de concert reste toujours dans sa grande majorité de type bourgeois, sénile et/ou pétasse pompeuse. L’affichage et l’ego sont assez tristement les maîtres-mots de telles soirées au détriment de la musique qui est souvent bafouée (bavardage, applaudissement type rock star).
Pour en revenir à ta question il est donc évident que la Musique Classique n’est pas à première vue un style qui se destine à être aimé de la masse. Mais je pense sincèrement que l’amoureux de Musique sait faire abstraction de ce genre de fausse idée et prend le temps nécessaire à la bonne compréhension d’une œuvre. Car malgré le blabla musicologique, les études pompeuses dignes des enculeurs de mouche les mieux membrés de notre regrettée planète, cela reste de la musique, et sûrement la plus expressive des musiques par l’échelle immense des nuances qu’elle nous offre. Je n’affiche pas le fait d’en écouter, je n’ai pas suivi de formation musicale particulière, aucun mélomane fait partie de mon entourage et je parviens pourtant à prendre du plaisir à en y « poser une oreille » de temps à autre. Je pense que tout le monde peut trouver son bonheur dans un tel genre, car à l’image du Black Metal, la diversité des registres proposés rend idiot un rejet total. Il faut simplement prendre le temps.

Vacuum me donne l'impression d'un mélange de deux mondes, celui d'il y a quelques siècles m'évoquant le romantisme du XVIIIe et celui moderne, urbain même, comme le suggère la pochette.. Quel est ton point de vue sur la société urbaine?

Vaerohn : Ce cadre urbain dépeuplé est le témoignage du fait que le Black Metal peut être la représentation d’une vie moderne, de ce malaise contemporain qui prend forme au milieu des tableaux sordides de bitume. La ville, archétype même de ces pulsions humaines de mort que l’on nomme progrès et aboutissement, agglomérat d’individualités égoïstes et hébétés dans leur routine absurde.  Je ne me suis jamais senti aussi seul qu’au milieu de cette masse et c’est quelque chose que j’avais besoin de faire ressortir. Tu l’auras compris, pour moi rien ne vaut la quiétude et la beauté de la "nature".
Je ne suis pas panthéiste mais on ne se sent finalement pas toujours aussi seul que l’on pourrait le croire  au milieu de verdure en comparaison avec les indicibles trajets en RER.

Parlons des textes si cela ne te déranges pas. Que disent-ils? A quoi font-ils référence? Quels sont les thèmes principaux que tu développes dans ta musique de façon générale?
Des lectures dont tu t'es inspiré pour écrire ce disque?


Vaerohn : Chaque morceau a sa personnalité. Les thèmes tournent autour de la solitude, de la haine de soi et du monde, de la nature,… Je souhaitais des paroles à l’image de la musique. Un morceau évolue en fonction d’un grand nombre de facteurs : état d’esprit et passé de l’auditeur, nombre d’écoutes, environnement, support audio, écoute collective ou solitaire… Il est indispensable de laisser une marge de manœuvre pour que chacun puisse aborder les morceaux à sa manière. Fixer un concept avec des paroles trop précises entrave cruellement cela et c’est ce que j’ai tenté d’éviter. J’ai donc préféré des textes poétiques et rêveurs. On peut aborder le fond conceptuel de  Pensees Nocturnes en interview par exemple, mais laisser une certaine souplesse à l’auditeur est primordial.
Il n’y a pas vraiment de référence précise à quelque auteur que ce soit dans cet album sinon le fait d’avoir rendu hommage à deux noms oubliés de la Poésie Française : Albert Giraud et Maurice Rollinat. J’ai beaucoup lu. Mais de ces lectures n’est ressortie qu’une certitude. Celle qu’aucun philosophe, aucun scientifique, aucun homme aussi génial soit-il n’a jamais trouvé la vérité, la solution, le sens. Lire peut probablement occuper, illusionner, permettre de s’instruire, de s’émouvoir, de faire voyager et même de changer une vie mais ne donnera jamais d’explication concrète de notre existence, la fin de ce film prenant mais si absurde.

Une sortie vinyl pourrait être classe pour les passionnés et les collectionneurs que nous
sommes... Est-ce prévu? Rappelons également que l'album est sorti chez Les Acteurs de L'Ombre et que c'est leur première production. Es-tu satisfait de ta collaboration avec eux?


Vaerohn : Outre le fait que le label n’a pas à l’heure actuelle les moyens de produire une version vinyle de Vacuum, je n’ai pas vraiment cet esprit collectionneur pour vouloir la voir à tout prix prendre forme. D’autant plus que je suis aujourd’hui porté sur le futur.
Dire que je suis satisfait de l’investissement que Les Acteurs De L’Ombre ont fourni est loin de refléter la réalité. Je me rends finalement compte que l’argent ne fait pas tout et que l’on peut faire bouger les choses avec la motivation nécessaire. Pour un groupe partant de rien je pense que Pensees Nocturnes a obtenu bien plus qu’en signant sur n’importe quel label daignant l’accepter ce qui était loin d’être chose facile à la vue du risque à prendre (pas de concerts, un style peu commun). Cette signature a vraiment été une chance et je conseille à tous les groupes sans prétention à entrer en contact avec le label qui recherche actuellement d’autres projets à promouvoir.


A quoi peut-on s'attendre pour la succession de Vacuum?

Vaerohn : Le prochain album est pratiquement terminé. Ce sera à la fois quelque chose de plus varié et de plus extrême, à la fois plus complexe et malsain. Il faudra s’attendre à être surpris et ne pas avoir peur des mélanges saugrenus avec entre autre l’utilisation d’instruments assez peu communs.

Merci d'avoir composé Pensees Nocturnes et d'avoir pris le pris le temps de répondre à ces
questions. Je te souhaite bonne chance pour la suite et je te laisse les derniers mots pour conclure cette interview.

Vaerohn : Merci à toi pour l’intérêt que tu portes au projet. Bonne continuation à Metalorgie.

Pentacle (Octobre 2009)

Partager :
Kindle
A voir sur Metalorgie

Laisser un commentaire

Pour déposer un commentaire vous devez être connecté. Vous pouvez vous connecter ou créer un compte.

Commentaires

Pas de commentaire pour le moment