Interview de My Own Private Alaska Le 18/01/2008 - Paris (Kata Bar)

Metalorgie : La question a dû vous être posée des centaines de fois, mais difficile de passer outre. Quelle est donc la signification profonde de ce "My Own Private Alaska" et pourquoi le choix d’un tel nom ?

T. : My Own Private Alaska signifie beaucoup pour nous. Paradoxalement, alors qu’on est un groupe de musique et donc, par définition, tourné vers l’extérieur, il subsiste dans MOPA quelque chose de très personnel, voire égoïste comme l’indique la redondance des triples termes d’appropriation ("My", "own", "private"). Il exprime ce qu’il y a tout de plus intérieur en chacun de nous trois. Après, c’est également une évocation du film Insomnia de Christopher Nolan, avec un Pacino qui enchaîne les nuits sans sommeil et dans lequel résonne cette phrase : "En Alaska tu trouveras deux types de personnes : ceux qui y sont nés, et ceux qui sont venus là parce qu’ils ont voulu fuir". L’Alaska représente pour nous cet exil, ce désir d’ailleurs, d’une terre vierge et cet abandon de nos anciennes existences et ce jusqu’à nos propres noms (NDLR : d’où l’importance de l’anonymat et des prénoms effacés.)

Metalorgie : Et d’où est venue l’inspiration première, la source du projet, ses prémices ?

T. : Idéologiquement, c’est clairement venu d’un désir de quitter l’ordre urbain et citadin,
d’arriver à un espace désert, vaste, sauvage. MOPA cherche à exprimer ce rejet du quotidien et des valeurs qu’il véhicule. Y avait aussi un indéniable désir d’envoyer chier tous les codes de la scène, ses étiquettes, et la logique de cheptel. "T’es hardcore ou pas hardcore ? T’es true ou pas ?" etc. Tout ça, ça nous saoule terriblement, alors, on trouvait ça bien plaisant de se pointer dans ce milieu avec juste un piano. (Sourires)
Pour l’idée en soi d’un travail ayant pour base piano/chant crié par contre, ça faisait bien 6 ans qu’avec M. on en parlait et qu’on y réfléchissait. Et puis, un jour, on a fait une répète à deux, avec Y., et on a tout de suite trouvé que ça collait, que c’était fort, pas commun, que y avait là, la possibilité d’y mettre nos tripes. M. est venue à celle d’après pour y ajouter sa voix. Voilà comment tout a débuté.

Metalorgie : A quel moment, vous êtes passés du sentiment un peu flou de « concept à explorer » à celui de prise de conscience qu'il  y avait là sous la banquise un vrai projet artistique à mener à bien ?

T. : Assez vite finalement. Dès la première répète, y a eu cette alchimie, ce truc qui fait que tu sens que ça fonctionne et où limite tu te dis "mais oui, c’est ça, il fallait que ça soit fait, vraiment" ; où ça sonne comme une évidence. On avait donc un mélange de surprise et de joie et en même temps la conviction qu’il fallait développer l’idée.

Y. : Là encore l’image de l’Alaska colle bien, car on s’est vraiment sentis comme des explorateurs au tout début. Y avait tellement à débroussailler.

Metalorgie : Y., aussi bien sur scène, que sur disque, tu apparais comme le lien/liant entre la voix et le piano. As-tu ce sentiment d’être la clef de voûte ?

M. (intervenant) : Exactement. C’est lui le frontman de notre groupe. (NDLR : Le combo a effectivement une prise d’espace sur scène qui place la batterie au cœur du dispositif, que ce soit dans la positionnement, le son ou la réception de la lumière).

Y. : Etant au centre, j’entends vraiment les cris et les notes du piano qui se répondent, et de ce fait, je dois effectivement les accompagner, les unir. Mais plus qu’une batterie qui supporterait le reste, c’est principalement par le vecteur de nos émotions qu’on trouve notre mise en place. On joue tous comme si on allait crever sur scène, on se voit à peine, mais on sent qu’on est effectivement au bord de la rupture, qu’on ne doit rien retenir, rien sauvegarder. Je vois vraiment MOPA comme la chose la plus sincère et la plus viscérale qu’il soit et qui nous lie par cette douleur qui émane de chacun de nous trois.

Metalorgie : Comment perçois-tu ton rôle par rapport à cette triangulaire ? Quid de ton jeu ? Penses-tu devoir redoubler de technique en l’absence de guitare pour donner plus de variation ?

Y. : Comme je t’ai dit, la batterie, c’est le prolongement de mes émotions, une partie à la fois de mon corps et de mon âme. Ce qui m’importe, c’est donc d’être sincère, d’exprimer le plus authentiquement possible ce qui m’habite. Donc, je cherche pas du tout la technicité, mais au contraire une forme de linéarité, pour ne rien perdre de l’émotion, pour toucher à l’essentiel. Quand je finis un concert je suis vidé, dangereusement vidé. Notre musique est là pour métamorphoser en art nos pulsions, pour transcender ce que nous sommes.

Metalorgie : T., tu es la touche mélodique du trio. Elabores-tu tes compositions comme un morceau de piano classique ou avec déjà en tête le futur ajout de la voix, de la batterie et sa finalité screamo ?

T. : Très bonne question. (Sourire et court moment de réflexion). Bon, à l’origine, j’avais quelques compos à moi lorsqu’on a fait les premières répèt’ qui dataient d’avant. Et M. et Y. ont rajouté leurs parties respectives. Depuis, pour le moment, j’ai réussi à travailler en faisant abstraction de ce qui allait venir par la suite. J’avoue que je suis même surpris certaines fois par la réinterprétation de Y. à la batterie, qui va déstructurer ma mesure, l’accélérer ou au contraire la ralentir, et au final la rendre différente de ce que j’avais imaginé au commencement. Mais j’aime ce processus, ça m’enthousiasme beaucoup. Au fur et à mesure, qu’on avance, désormais, c’est clair que j’ai en tête de plus en plus ce que ça peut donner au final, mais j’essaie d’y penser le moins possible.

Metalorgie : Le fait de jouer sans filet, et sans aucun soutien d’une guitare ou d’une basse change-t-elle ta perception de la performance scénique ? Y a t il plus de pression, plus de vertige ?

T. : Notre configuration n’est effectivement pas neutre. Avec une guitare ou une basse, tu parviens toujours à masquer les pains, là, la moindre erreur s’entend directement. Il faut donc être bien concentré sur son jeu. En même temps, c’est électrisant, car ça rajoute une dimension supplémentaire. Après de manière générale, quand je suis sur scène, je suis tellement dans notre monde, que je ne prête quasiment plus attention à ce facteur. Je suis entraîné par les cris, la batterie, ce qui fait que je m’incarne dans l’instant sans le conceptualiser.

Métalorgie : Les paroles sont emplies de violence et de douleur. On y retrouve la thématique du couple Eros/Thanatos. S’agit-il de sentiments véritablement ressentis ou de métaphores ?

M. : MOPA me permet d’exprimer la partie la plus sombre de mon être, une partie que jusqu’à présent je n’avais pas exploré dans mes autres projets, du fait que les styles s’y prêtaient moins et aussi certainement parce que cette violence aurait sonnée trop âprement en français. Sur le fond, je pense qu’on peut réellement arriver dans sa vie à des moments où on souhaite la mort de quelqu’un. Ensuite, on passe à l’acte ou non, reste que ce souhait peut-être exprimé au moins par écrit. Ici, les textes parlent d’une solution plus extrême encore que le meurtre : c’est le fait de pousser l’autre au suicide (NDLR : Voir les paroles de "Die For Me"). Là, on atteint des sommets de douleur. Certaines choses de l’existence amènent à ces excès. J’ai moi-même vécu une partie de ces émotions, mais mes textes s’inspirent également d’évènements qui me sont proches, que je vois dans mon entourage. Cet horreur existe bel et bien.

Metalorgie : L’Alaska pour toi, c’est le début d’une nouvelle ère - le recommencement - ou c’est la fin de toutes choses ?

M. : La fin. Le message de MOPA est résolument nihiliste. C’est un ras le bol, un cri qui clôture une révolte qui est lasse de ne rien pouvoir changer. Après cette limite, il n’y a plus rien.

Metalorgie : MOPA se présente dans sa bio comme "3 gars assis". Comment ce fait s’est-il établi ? Et correspond-il à une allégorie de l’homme enchaîné au sol de ses misères, n’ayant d’autres moyens de s’échapper que l’issue du cri ?

M. : Pour l’historique, c’est tout simplement qu’effectivement, en répétition, de par leurs instruments, Y. et T. étaient en position assis. Je m’y suis mis aussi un jour, et puis finalement j’y suis resté. Comme tu dis, en étant ainsi fixé, ça pousse à rechercher d’autres émotions, d’autres attitudes, d’autres moyens d’exprimer ce qu’on raconte et même si peut-être que naturellement, j’aurais parfois envie de me jeter par terre, d’être obliger de rester ainsi, ça catalyse la douleur, la maintient, et m’oblige à la subir. En étant assis, c’est peut-être davantage à nos instruments de se mouvoir dans l’espace. Ce sont eux les acteurs.

Metalorgie : MOPA dégage une profonde sensation d’errance et de solitude, et pourtant, vous insistez sur l’importance de vos liens, de votre unité. Alors, s’agit-il de 3 âmes isolées ou d’une entité à part entière ? Dans le fond, solitaires ou solidaires ?

T. : On partage un même point de vue qu’on vit et exprime de manière personnelle. Prend par exemple dans le cinéma, un des principes de base est de donner l’opportunité aux spectateurs de s’identifier au héros qui par définition est une personne seule. Et pourtant si le film est bien foutu, on se retrouve tous dans le personnage principal alors qu’il vit des choses qu’on n’aurait pas forcément vécues nous-mêmes…Donc dans un sens et dans la vie de tous les jours, je dirai solidaires… D’ailleurs pour faire le lien, je sais pas si t’as vu le film Into The Wild (NDLR: Oui...), mais je peux te dire que nous on s’est largement identifiés au personnage de Chris Mc Candless ! C’est fou le scénario de ce film : c’est exactement la problématique qu’on soulève dans le concept My Own Private Alaska !! Hallucinant, filppant même je dirais ! On aurait du écrire à Sean Penn, je suis sûr qu’on aurait eu des choses à se dire ! Mais revenons à nos moutons : d’un autre côté, sur scène ce qu’on fait se passe tellement dans les tripes que tu peux pas vraiment dire que tu sois solidaire avec les membres de ton groupe. On pense et ressent des choses par rapport à nos propres expériences de vie qui ne se partagent pas, tellement que ça fait mal. D’ailleurs on se regarde même pas sur scène.
Finalement le personnage principal de nos concerts est la mauvaise ambiance ! Et même si elle est personnelle et introspective, elle se fait sentir d’elle-même !!

Metalorgie : D’un point de vue plus pragmatique, qu’en est-il des futurs projets ? On a déjà pu assister à un nouveau titre "Broken Army", et son savoureux finish sur fond de marche militaire. D’autres arrivent ?
M.
: En effet, "Broken Army "est un nouveau titre qu’on présente sur scène. Sinon, oui, on continue à travailler et à composer. Ce qu’on sait, c’est qu’on aime le format 6 titres. On a envie de poursuivre les sorties avec ce nombre de morceaux. C’est, nous semble t-il, la bonne dose d’iceberg, car on le sait, point trop n’en faut.

Y. : La batterie est un instrument encore jeune, historiquement, il reste donc beaucoup de choses à explorer, rien que sur son domaine. On hallucine un peu que certains nous demandent si y aura prochainement l’intégration d’autres instruments. C’est vraiment pas une priorité. Pour nous le groupe, c’est chant-piano-batterie, rien d’autre. Après, on ne peut jamais fermer aucune porte, mais c’est en tout cas, vraiment pas une chose à laquelle on pense dans l’immédiat. C’est sur cette structure qu’on veut travailler. Et au vu des nouveaux matériaux qu'on découvre, on a vraiment pas l’impression de se répéter. Il existe tout un tas de nuances, de variations, de colorations musicales différentes qui existent en partant de cette base, et c’est cela qu’on veut trouver et faire ressortir.

Metalorgie : Et le grand Chopin dans tout ça, qu’aurait-il pensé au final, de votre musique ?

T. : God !! Comme disent les ricains. La question embarrassante ! J’imagine qu’un génie comme lui était ouvert d’esprit, et donc quelque peu précurseur lui-même... Donc je dirais qu’il nous aurait encouragé à prendre ce risque et à redonner une chance à la "musique classique" dans un créneau pas forcément fait pour elle.

M. : Ou à redonner une chance au screamo dans un créneau pas forcément fait pour lui !

Turtle (Février 2008)

Merci aux membres du groupe pour les bons moments passés ensemble et au Kata Bar pour l'acceuil.

Partager :
Kindle
A voir sur Metalorgie

Laisser un commentaire

Pour déposer un commentaire vous devez être connecté. Vous pouvez vous connecter ou créer un compte.

Commentaires

Pas de commentaire pour le moment