Celeste par skype, 2021

Celeste nous revient en ce début d'année avec un nouvel album, Assassine(s) et surtout une direction musicale qui change de ce qu'ils faisaient par le passé. On a voulu en savoir plus et l'entretien avec le guitariste et compositeur Guillaume est à suivre ci dessous. On y parle de leur nouvelle manière de composer, de la tristesse qui anime Assassine(s), mais aussi de leur nouveau label Nuclear Blast Records et de leur volonté de mettre davantage en image leurs compositions.

Vous avez quitté votre label de cœur Denovali pour signer chez Nuclear Blast Records, comment s’est faite la transition ? 

Guillaume (Guitare) : On a été très bien accueilli par Nuclear Blast, c’est vrai qu’on se demandait comment ça se passait dans de plus gros labels, parce que c’est quand même une très grosse machine. On a la chance d’être très très bien entouré par des gens qui se sentent concernés par Celeste, on ne regrette pas du tout le choix qu’on a fait qui, je pense va nous permettre de franchir une étape qui sera importante dans la vie du groupe.

Il y a une différence dans la promotion j’imagine, comparé à Denovali, là par exemple ça fait un mois que le clip Des Torrents De Coups est sorti sur la chaîne de Nuclear Blast et il compte plus de 120 000 vues. Comparé à Cette Chute Brutale (d’Infidèle(s)) qui est sorti en Juillet 2017 et qui compte 64 000 vues.

Effectivement, on sent qu’ils mettent les moyens pour nous mettre en avant, au même titre que d’autres groupes de leur label, et on sent que d’être sur un très gros label, avec une grosse audience sur la chaine Youtube ça fait clairement la différence. Mais on reste aussi prudent avec ces chiffres, ça reste de la vue Youtube, nous ce qui compte c’est le nombre de personnes qui viennent à nos concerts, c’est comme ça qu’on pourra juger si effectivement on est plus connus qu’avant. Sachant que nous ne cherchons pas une notoriété à tout prix, c’est plus de pouvoir diffuser le plus largement possible notre musique et prendre encore plus de plaisir sur scène en jouant dans des salles plus remplies avec des gens qui aiment notre musique et notre démarche artistique.



J’ai remarqué que vous avez changé de studio, vous avez enregistré l’album au studio 1543 Brothers et non au Studio des prairies comme pour Misanthrope(s)Mortes Née(s) et Animale(s).
 
Alors c’est Chris Edrich qui a enregistré et mixé cet album pour nous, il est rattaché à une structure qui s’appelle 1543 Brothers où ils font aussi du mastering, bien que nous ne l’ayons pas fait chez eux. Chris Edrich travaille avec The Ocean et Leprous en live, il a aussi fait le son de Gojira sur Quotidien, c’est quelqu’un d’assez réputé dans le monde du Metal, surtout en live. Il a aussi collaboré sur le dernier Hypno5e. A la base, on devait enregistrer l’album aux Etats-Unis, mais c’est tombé à l’eau à cause de la pandémie. On a du revoir notre approche et on a quand même enregistré en France. Sur sa recommandation, on a enregistré dans un tout petit studio et je trouve qu’il a réussi à en faire un son très produit. 

Tu as évoqué la pandémie, donc la question un peu bateau, quel effet a eu sur votre processus de création pendant le confinement, si vous étiez confinés ? 

On a été confiné et ça a été un booster pour la composition. D’un coup, tous les aspects de nos vies se sont mis à ralentir et même si j’ai continué à travailler pendant le premier confinement, je passais des soirées entières à composer. Johan (Chant / Basse) a fait de même de son côté, lui qui travaillait dans la restauration, tout a été en suspens. En fait on avait commencé la composition de cet album quelques mois plus tôt, mais nous avions de toute façon décidé de faire une pause de six mois, pour terminer ces compositions parce qu’on devait partir en studio en Juillet 2020. Donc on avait quand même une échéance et on devait mettre un coup d’accélérateur. On va dire que le confinement est tombé à point nommé, mais ce qui a changé c’est notre méthode de composition. On avait plutôt ce mode là : Johan et moi on apporte un riff de guitare ou un morceau presque abouti d’un point de vue mélodique et ensuite on l’arrange ensemble, on structure, enfin on peaufine l’ensemble. 

Mais là on a été confronté à la composition de manière plus individuelle. Avec Johan, on a du apprendre le home studio, à programmer des batteries, à enregistrer nous même les choses, nos propres maquettes. Dans la première fois dans la vie de Celeste on a réalisé une pré-prod, et ça nous a aussi ouvert les chakras puisque d’être enfermés chez nous, ça a permis à chacun de pouvoir produire des choses plus abouties. De se laisser la chance de laisser aboutir certaines mélodies qu’on aurait peut-être pas osé proposer en répète, parce que t’as un espèce de jugement immédiat de la part de tes comparses qui se marrent. Quand ils sont déçu ils l’expriment immédiatement, ils n’ont pas le temps de s’approprier totalement la mélodie. Et c’est compliqué de juger un riff de guitare seul versus quand tu commences à l’harmoniser, quand tu mets une rythmique dessus. Et effectivement c’est ce qui nous a permis de nous apporter plus de diversité à notre musique. 
 
Bilan plutôt positif alors. L’album n’aurait pas été le même sans le Covid. 

Carrément positif, et c’est ce qui nous a permis de changer de manière définitive notre manière de composer. 

Je suis tombé sur une vidéo qui est sur votre page Facebook, c’était un live en 2010 à Saint Pétersbourg et vous jouiez la première piste de Misanthrope(s). C’était le bordel total. Là, votre musique évolue, il y a de moins en moins d’agressivité au profit d’une tristesse sous-jacente, chose qu’on a déjà pu constater sur Infidèle(s), vous cherchez moins à tout casser sur scène ? 
 
C ‘est vrai que si je repars quelques années en arrière, je ne m’attendais pas à ce virage pour Celeste parce que je pense qu’on s’assagit et jamais je n’aurais assimilé Celeste à un groupe sage. A la base, le projet de Celeste c’est de produire une musique dans la noirceur, dans la dissonance, quelque chose de jusqu’au-boutiste, de monolithique comme beaucoup de chroniques ont décrit notre musique. En fait je pense qu’on a fait le tour de la question, on en avait nous-même ras le bol, on avait envie de se prouver qu’on était capable d’autre chose et c’est ce qu’on avait commencé à faire avec Infidèle(s), mais qu’on n’avait pas suffisamment abouti. Et avec ce disque, sans faire le coup de "c’est l’album de la maturité", en tout cas c’est un album qui prouve le renouvellement de Celeste

Je ne sais pas si c’est plus sage, mais c’est en tout cas plus mélancolique car on avait envie de reproduire les choses qui nous avaient parlés sur Infidèle(s), qu’on avait commencé à défricher, de produire un Metal noir dans le sens mélancolique et pas noir dans le sens cliché Black Metal, quelque chose qui prenne plus aux tripes en fait. Comme on avait pu le faire tout au début avec notre ep Pessimiste(s), des choses qui tiraient un peu vers le Screamo, le Post-Hardcore, avec des mélodies un peu plus prenantes et moins agressives. Et même dans la production, c’est moins agressif.

 
 
C’est vrai qu’on pourrait faire un petit lien avec Pessimiste(s) dans le côté Screamo qui ressort un peu et je repense à ce que tu disais de "sortir une maquette un peu arrangée pour moins se faire critiquer". Par exemple, la guitare solo qui ouvre le morceau Elle Se Répète Froidement, même en connaissant bien votre discographie, jamais je n’aurais pensé entendre ça chez Celeste, c’est assez inattendu. 

J’en suis parfaitement conscient, je ne peux être que d’accord avec toi. En fait on s’est absolument rien interdit sur cet album. On a surtout voulu y mettre des choses qui nous faisaient plaisir, en se disant "pourquoi nous on n’aurait pas le droit de faire ça aussi". D’avoir des références plus Pop, plus accessibles, c’est vrai que jusqu’à présent nos morceaux étaient un chemin d’un point A à un point B en passant par pas mal d’états, globalement vénères d’ailleurs. Et là, on s’est donné la possibilité de répéter des mélodies qui nous plaisent. Ce titre il incarne la liberté qu’on s’est octroyé sur cet album. Avec une structure un peu plus Pop, une mélodie très entêtante, sans dénaturer la patte de Celeste et l’intensité qui est toujours là. 
 
C’est vrai que même si vous avez changé de studio, on reconnait le son, l’accordage, la voix de Johan et quand on entend votre dernier album on se dit "c’est du Celeste", mais là où c’est inattendu ce sont ces changements assez frappants, sur par exemple le titre instrumental (A) il y a du synthé au début, les guitares qui font leur mélodies en solo dans leur coin... D’ailleurs, quand on s’était vus à Lorient en 2018, tu m’avais dit ne pas avoir de pédales d’effets à la guitare. Là, vous vous êtes acheté des pédales de réverb ? 

En fait j’avais déjà une pédale de réverb peu de temps après qu’on se soit vu et je m’en servais principalement pour faire des transitions entre les morceaux en jouant quelques accords, pour occuper l’espace entre les morceaux. Donc effectivement on a tous les deux une pédale de réverb mais ça ne va pas plus loin ! (rires) On reste quand même très minimalistes comparé aux groupes avec lesquels on tourne. Peut-être que pour le prochain album, il y aura une pédale de plus, mais rien que ça, ça apporte une richesse en terme de mélodie. Ça ouvre un peu le spectre de notre musique, parfois t’as juste une mélodie de base qui est soutenue par cette petite réverb et ça ne donne pas la même perception du riff, ça le rend plus lisible, plus prenant. 
 
Un élément qui m’a frappé, c’est la batterie. Là où elle faisait un peu "autoroute" sur Infidèle(s), elle est ici beaucoup plus virtuose. J’avais lu dans une interview que Johan avait donné pour un webzine Turque que vous avez programmé de la batterie ?  
 
Petite parenthèse, historiquement c’est moi qui apporte la matière pour les compositions. Depuis Infidèle(s), Johan a composé la base de quatre morceaux là où je n’en ai fait six parce que j’avais le sentiment de tourner un peu en rond, il m’a aidé. Là, on a fait moitié moitié. Pour la batterie, concernant les arrangements c’est effectivement Johan et moi qui en avons écrit une bonne partie, il y a des idées qui viennent évidemment de Royer, mais on l’a aidé à le sortir de ses habitudes. Par exemple, la rythmique qui ouvre Des Torrents De Coups, c’est vraiment lui qui la joue, mais spontanément je pense qu'il n'aurait jamais eu l'idée de proposer un schéma comme celui-ci.  
 
Ça fait quinze ans qu’on joue ensemble, on a des habitudes et quelqu’un qui n’est pas batteur de base, peut-être qu’il se permet de créer des figures rythmiques qui sont pas forcément évidentes. Et on avait envie de le challenger, pour le sortir des sentiers battus avec des structures rythmiques par morceau qui soient plus affirmées et appuyées. 
 
J’ai remarqué que c’est votre album le plus court (si on compte Pessimiste(s) en ep), 41 minutes. C’est vrai qu’Animale(s) est une exception, puisque vous vous étiez mis le défi de faire un album qui durait plus d’une heure. Bilan par la suite mitigé, et vous aviez décidé d’être plus directs pour Infidèle(s). Là c’est toujours cette même volonté qui vous habite en somme ?
 
C’est peut-être dans la continuité de la sagesse et de tenir compte que le rapport à la musique a beaucoup changé, les gens consomment plus des titres que des albums en entier. Avec un album trop long, t’as toujours des titres qui passent à la trappe. On se donne tellement de mal pour que chaque titre soit le plus peaufiné et abouti, on a envie de donner une chance à chaque titre de pouvoir émerger, même s’il y aura toujours des préférences selon telle ou telle personne. On pense que huit morceaux, 41 minutes, ça reste une proposition solide.  

J’ai remarqué que sur certaines pistes, des mots ou groupes de mots sont doublés au chant, est ce qu’en live toi et Sébastien accompagnez Johan ?
 
(rires) Ca n’a pas été envisagé entant que tel, c’est plutôt pour du studio, c’est un truc qui apporte du relief. Johan se remet beaucoup en question sur le placement de ses mots, de la rythmique pour que ce soit original, mais il a malgré tout une voix qui permet beaucoup de latitude. Le fait de pouvoir doubler le chant, ça permet d’apporter plus de texture, d’appuyer certains mots et je pense que c’est vraiment bénéfique à cet album. 
Donc pour la version live on va y réfléchir, mais pour l’instant il est le seul à crier ! 


 
Une assez grande surprise est sur la piste Le Cœur Noir Charbon, une voix féminine se pose sur votre musique, de mémoire cela n’était pas arrivé depuis votre premier ep, sur le morceau Diluons Nos Souvenirs d’Enfance, et encore ce n’était qu’une phrase prononcée. 
 
C’est ça, c'est toujours cette approche d’explorer de nouveaux terrains inconnus. Ce morceau s’y prêtait particulièrement bien, Johan était l’instigateur de cette idée et on trouvait que par rapport à ce titre très long qui est tout en progression et en subtilité, cette voix féminine se prêtait à merveille à cette longue montée. Mais ça n’était pas dans le but de faire un featuring féminin, c’est plus dans l’idée d’inclure une participation féminine qui soit au service de l’œuvre. 
 
Depuis Mortes Née(s), vous confiez la conception de vos artworks à des femmes, pour représenter des femmes. Le premier titre est Des Torrents De Coups et ce que l’on discerne dans les paroles est bien ce à quoi on croit : la violence conjugale. La représentation des femmes est-elle plus qu’un visuel, une marque de fabrique pour vous, c’est aussi quelque chose que vous dénoncez ? 
 
Il n’y a pas de revendication au sein de Celeste et il n’y a pas non plus de volonté d’expliquer une pochette ou des morceaux. Johan ne m’a jamais expliqué ses textes. On a envie que les gens puissent se construire leur propre image mentale. C’est plus une poésie qui doit provoquer des choses en toi, il n’y a pas de raison de l’expliquer. 
 
Vous fournissez le matériau, chacun en fait ce qu’il veut ? 
 
C’est ça, chacun en fait ce qu’il veut. Après c’est vrai qu’il y a une redondance d'une part de la féminité dans nos œuvres, avec des propos crus et violent tout en restant poétique, mais Celeste c’est un tout. Quand on compose la musique on ne sait pas quelle est va être la thématique, c’est plutôt dans l’autre sens. Au final ça donne un tout très compact et homogène et conceptuel. On n'a jamais été un groupe revendicatif… Chacun est libre d’interpréter comme il le souhaite notre œuvre. 
 
Ça répond un peu à ma question, Johan est seul aux commandes pour les paroles ? 
 
C’est effectivement le cas. J’aimerais bien lui apporter ce qu’il m’apporte musicalement, c’est dire du renouveau, de m’ouvrir les yeux, les chakras, mais je suis un piètre écrivain (rires). Pour lui, c’est un peu une épreuve, c’est pas toujours facile. Le français ça pourrait mal sonner, mais lui y arrive en lui donnant une forme élégante et je suis assez admiratif. Je vois mal qui pourrait prendre le relais ! 
 
C’est vrai qu’il y a des paroles il faut oser les dire, notamment dans Elle Se Répète Froidement  : « Prête à se laisser mourir, chutant sans fin, elle se répète, froidement, qu’à défaut d’être aimée, elle veut en finir ». Dans un autre contexte ça pourrait paraitre nunuche, mais avec vous on est habitués. Il faut l’assumer, et je pense qu’un nouveau groupe ferait ça, ça nous paraitrait bizarre ! 

C’est aussi notre signature et je pense que c’est ce qui fait qu’on reste un groupe un petit peu à part. 



Vous avez sorti des clips pour la promotion de votre album, c’est grâce à Nuclear Blast Records que vous avez pu faire ça ? 
 
C’est clair que quand tu as un label comme eux, ça aide. Ils nous aident à développer nos moyens de promotions, mais c’est avant tout grâce à nous que les clips existent. Parce que c’est nous qui sommes allés chercher les réalisateurs, c’est nous qui avons bossé avec eux sur les scripts, sur les décors, sur le montage, c’est nous aussi qui sommes sortis de notre zone de confort. La première fois fois qu'on a fait un clip c’était pour Cette Chute Brutale et on se disait que c’était chiant de faire un clip. Maintenant on s’est rendu compte que c’était indispensable. On va en sortir cinq pour Assassine(s), car c’est un moyen de compléter notre approche artistique. 
 
Les concerts reprennent, vous allez repartir en tournée… 
 
L’idée c’est de faire une grosse tournée pour faire la promotion du disque. On part avec Conjurer pour 32 dates d’affilées sans day off, ça va être sport ! On part pour la première fois avec un vrai tour bus, ça va être une autre approche de la tournée, on a vraiment hâte ! On fera aussi une troisième résidence en Janvier pour préparer le prochain set et je ne peux pas tout te dévoiler mais on va se remettre en question sur le côté visuel, on bosse avec un ingénieur lumière. On a une tournée dans les pays de l’Est en Février, en espérant que la situation actuelle ne nous empêche pas de la faire. 
 
Question bonus : Votre booker, c’est Voulez-Vous Danser, qui a été sous les feux de la rampe récemment avec le concert d’Anna Von Hausswolff qui a été délocalisé dans une église protestante à Paris. Du coup, je te pose la question à toi, qui est dans un groupe dont le logo est une croix inversée : Que penses-tu des religieux intégristes qui empêchent de laisser entrer des gens à des concerts ? 
 
J’avais compris que ça avait été déplacé mais je ne savais pas quelle était la cause. A chaud j’ai envie de dire que ça ne me surprend pas ! Les intégristes sont par définition l’inverse de l’ouverture sur le monde et de ce qui peut se passer au-delà de leurs croyances personnelles. Et avec Celeste on ne porte pas la religion dans notre cœur, on pense qu’elle cause plus de torts à l’humanité qu’elle ne lui est bénéfique. 

Barja (Février 2022)

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