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Blockheads Par mail
Blockheads fait partie de mes premières expériences dans les musiques extrêmes en live et des groupes de Grindcore que j'affectionne énormément. Lorsque le groupe annonce un nouvel opus (le premier en 8 ans !) et que l'un des membres accepte de se prêter avec gentillesse au jeu de l'interview, on hésite pas et on fonce ! Rencontre (par mail) avec Raphael, guitariste du groupe !
Hello Blockheads et Raphael, comment allez-vous ?
Hello Charles ! Tout d’abord merci de demander. On va plutôt bien, individuellement. Evidemment, l’excitation qui accompagne une sortie d’album contribue à ce sentiment global, je pense.
Pouvez-vous nous parler un peu de ce nouvel album ? Vous avez mis 8 ans à la sortir, que s’est-il passé pendant cette période ?
Je pense que le fait qu’on soit un groupe plutôt lent à enregistrer n’est un secret pour personne. Cela s’est déjà vérifié sur nos albums précédents, en particulier entre Shapes Of Misery (2006) et This World Is Dead (2013). Finalement, en considérant que nous sommes un groupe éparpillé géographiquement, très occupé par nos travails et familles respectifs, et un peu exigeant sur la composition, je dirais que maintenir ce rythme, ce n’est finalement pas si mal. On continue à faire les choses un peu à notre rythme, et c’est plutôt important pour nous de le faire comme ça. Si ça devenait une obligation, on perdrait une partie de cette notion de plaisir liée au groupe. On prend déjà plaisir à nous retrouver à cinq, pour être honnête, car ça n’arrive pas si souvent. Pour te répondre un peu plus précisément, la période a été surtout occupée avec des concerts, on a passé un peu de temps à me remettre à niveau quand je suis revenu, et on a fini de composer Trip To The Void.
L’enregistrement en lui-même n’a pas été si long que ça, une petite semaine en tout. Les voix ont pris plus de temps, en revanche, mais surtout le mixage et le mastering ont été un peu compliqués, avec des choix à faire, des aller-retours. Ça a pas mal retardé les choses. Avec les années qui passent, on n’exclut pas la possibilité que ce soit peut-être le dernier LP, alors on a voulu faire les choses bien et n’avoir aucun regret, ou le moins possible.
Je vous avais découvert il y a une dizaine d’années dans un concert à Langres (52), avec Defdump, Zuul FX et Eths. Pas forcément le line-up le plus cohérent à l’époque. Est-ce que vous avez l’habitude de jouer avec des groupes de styles radicalement différents ?
Ça peut effectivement arriver. Je trouve ça plutôt amusant, justement, pour le public comme pour nous. Par exemple, je ne pense pas que je serais allé voir Eths en concert de moi-même. Le fait est que ce groupe était carrément efficace en live. Mon premier concert avec Blockheads était d’ailleurs sur un fest avec eux, en 2002 ou quelque chose comme ça. Ce fut une bonne leçon d’humilité pour moi, parce que je partais clairement avec un a priori, et j’ai bien été obligé de fermer ma bouche après leur set !
Et puis, je dois ajouter le spectre des musiques que l’on écoute est suffisamment large pour qu’on arrive à nous enthousiasmer sur à peu près toutes les affiches. Ça a donné des dates aussi improbables que mémorables, comme Year Of No Light / Blockheads / Mumakil à Paris, ou encore Unlogistic / Vomit For Breakfast / Blockheads / Burning Heads, qui demeurent parmi mes meilleurs souvenirs. Il y a tes tonnes de groupes avec lesquels j’aimerais jouer, en dehors du champ metal / grind.
J’espère que du côté du public, ça se passe comme ça aussi, autant que faire se peut, même si c’est parfois compliqué. Mais ça vaut le coup, pour tout le monde.
Vous annoncez cet album comme un retour aux sources. Est-ce dans les sonorités ou la manière de composer ?
Je pense que l’idée était peut-être plus de présenter le disque comme un retour à une collaboration plus directe. Relapse a fait un super travail avec This World Is Dead, mais travailler avec un label qui est de l’autre côté de l’Atlantique, qui plus est de cette taille si tu considères les roster, ce n’est évidemment pas la même chose.
Un autre aspect de ce disque qui était dans notre esprit un retour aux sources, dès avant d’enregistrer, c’était le son. On savait dès le départ qu’on allait chercher à sonner au plus près de ce qu’on entendait dans notre local. Et ça signifiait surtout faire le choix de limiter les expérimentations à base de pédales, et se contenter de notre matériel habituel (amplis, pédales, guitares).
Concrètement, ça signifiait aussi faire une croix sur un philosophie plus « metal », peut-être, du son de guitare, quelque chose de plus naturel, de moins compressé. J’ai l’impression qu’on a réussi à le faire après une foultitude d’essais de mix et de masters.
Les premières versions avaient été confiées à William de Gadget. Honnêtement, il a fait du super travail, et je pense que toutes étaient parfaitement exploitables, et avec fierté. Le souci pour nous, et je précise bien pour nous, était justement cet aspect très moderne, très metal. Finalement, Steph a repris la main et on est arrivé au son définitif du disque.
Musicalement, cet album sera sans doute un peu plus compact. On est sous la demi-heure, pour 25 titres, avec évidemment des aérations. Enfin, quelques-unes !
C’est amusant, parce que j’ai eu cette longue pause dans le groupe, environ huit ans, et j’ai bien vu que Fred avait étendu sa palette de riffs, qu’il s’autorisait plus de choses, mais fondamentalement ça reste son style. Si tu nous connais un peu, tu sais tout de suite ce qui vient de lui et ce qui vient de moi.
Ou avez-vous enregistré cette fois ? Est-ce que tout a été enregistré en live ou alors piste par piste ?
L’album a été enregistré au Disvlar Studio, par Steph Tanker, que tu connais peut-être pour son travail sur Whoresnation ou Doomsisters pour les plus récents, ou pour sa participation comme guitariste à des groupes comme Black Code, Vlaar ou Geraniüm.
Steph nous a beaucoup aidé sur ce disque, et pas uniquement d’un point de vue technique. C’est d’abord et avant tout un être humain comme on n’en rencontre pas si souvent. C’est quelqu’un de très généreux, avec une culture générale incroyable, ce qui inclut une culture musicale phénoménale. C’est aussi un excellent guitariste. Et cette générosité dont je te parlais, on en a bénéficié à travers ses conseils ou ses avis, même s’il avait toujours cette réserve qui est la marque des personnes humbles. Il n’a jamais empiété sur la direction musicale, juste donné son avis ou ses conseils, qui se sont avérés judicieux.
C’est aussi quelqu’un d’exigeant, avec lui et avec nous. Ça nous a permis d’aller un peu plus loin que ce qu’on se croyait capables de faire, et ça a été très précieux pour nous.
Les voix, cependant, nous les avons enregistrées chez Fred, notre guitariste, pour des raisons de timing et de disponibilités, et parce que Fred avait à la fois le bon matériel et suffisamment de savoir-faire pour s’en occuper. Les voix ont toujours eu une place importante chez nous. Il y a bien sûr Xavier, mais aussi Nico, Fred et moi. On tenait vraiment à prendre le temps de les peaufiner et de les mettre en valeur, caler, recaler, essayer des choses.
Pour revenir à la fin de ta question, et excuse-moi au passage pour mes digressions, tout a été fait piste par piste, une guitare à gauche, une à droite, la basse centrale et la batterie derrière. Rien de bien sorcier.
Sur l’album précédent, vous étiez 4. Comme s’est passé le passage à 5 au niveau du groupe ?
Ça s’est fait très simplement et très naturellement, puisque j’avais déjà joué dans le groupe auparavant. On avait bien sûr gardé contact, et au détour d’une conversation téléphonique, Fred m’a proposé de rempiler à la guitare, et éventuellement à la basse si Eric ne pouvait pas être présent sur certaines dates, ce qui a été le cas à Leeds ou au Outch Fest, par exemple.
C’est une solution qui amène un peu de souplesse concernant ce que nous sommes en mesure d’accepter ou pas. C’est un peu le problème de bon nombre de groupes qui sont arrivés à un certain âge et qui sont confrontés à des impératifs familiaux.
Pour la composition, j’ai eu la très bonne surprise de constater que la dynamique qui existait entre Fred et moi à l’époque de Shapes Of Misery était intacte. Finalement, nous avons repris nos habitudes de travail, ce qui a été très facilitant et rassurant pour moi.
Quels seront les thèmes abordés sur votre prochain album ?
Il paraît que certains cinéastes et auteurs racontent sans cesse différentes versions de la même histoire. D’une certaine façon, c’est assez vrai, et on peut transposer ça aux textes de grindcore ou de punk / crust. Les choses ne changent pas, bien au contraire. Les gens tuent et se toujours pour une conception abstraite comme Dieu, le nationalisme, la bigoterie (sexiste, homophobe) n’ont jamais été aussi présents et décomplexés, des familles continuent à être englouties par la Méditerranée, les inégalités n’ont jamais été aussi fortes, et nous sommes à l’aube d’un désastre climatique dont j’ai l’impression que pas grand monde ne mesure l’ampleur.
J’aimerais sincèrement que l’on n’ait plus à parler de ces sujets, mais on écrit tous à l’instinct. Et notre instinct nous pousse à extérioriser ça. Pour être honnête, je me pose encore la question de l’impact des textes. Parfois je me dis qu’on prêche essentiellement des convaincus. Parfois je me dis aussi que ce genre de textes a eu un impact sur moi plus jeune. Je ne sais pas si on saurait écrire autrement, cela dit.
Et puis l’album contient aussi quelques écrits plus personnels, pour exorciser un mal-être, un sentiment d’oppression. Ils sont écrits de manière plus abstraite, peut-être.
Presque 30 ans d’existence, dans une scène aussi extrême, est-ce que vous avez prévu de fêter cela ? Et comment voyez-vous l’évolution des scènes musicales justement ?
Eh bien déjà, la sortie de l’album marquera plus ou moins les 30 ans de la première répétition du groupe, ce sera déjà pas mal. Dans l’idéal, on aimerait aussi faire un concert pour marquer le coup, avec des groupes dont on se sent proches, et pourquoi pas quelques rééditions, mais tout ça est encore un peu flou pour le moment.
Pour les scènes, c’est assez complexe. Je constate quand même que la limite de « l’extrême » est assez fluctuante. J’ai l’impression que des éléments comme le blastbeat se sont quand même largement banalisés.
Pour le reste, je pense que pas mal de groupes ont réussi à s’approprier des éléments ou un vocabulaire musical déjà existant pour en faire quelque chose. Je pense à un groupe comme GOLD par exemple, qui prend un peu de post-punk, un poil de black metal, et qui en fait une musique absolument fantastique, de mon point de vue. Ou Krypts, qui a remis à l’honneur ce Death à la finlandaise que j’aime particulièrement.
Mais c’est vrai que je suis assez scotché par la remise au goût du jour de choses que je pensais finies : grunge, shoegaze, post hardcore (celui de Deadguy, le « vrai »), OSDM etc...
En tout cas, je suis heureux que toutes ces scènes ne soient pas si segmentées. Ça fait du bien à tout le monde.
Vous sortez le disque en LP chez Lixiviat Records, alors que le précédent était chez Relapse Records. Comment s’est passé le changement de label ?
Je précise d’abord que la sortie sera chez Lixiviat pour le vinyle et Bones Brigade pour le CD.
Ça s’est également passé de façon très simple. Relapse n’était pas intéressé pour sortir un autre album, donc on a envoyé quelques titres à des labels pour lesquels nous avions de l’estime, artistiquement ou sur la démarche. Nico de Lixiviat nous a fait part de son intérêt, et l’idée de la double sortie avec Nico de Bones Brigade est arrivée immédiatement après. Les deux Nico ont l’habitude de travailler ensemble, donc ça a été facile.
Ça nous parait vraiment être une bonne solution. Ce sont deux enthousiastes, qui savent exactement quoi faire et débordent d’idées. Qu’est-ce qu’on pourrait demander de plus ?
Pouvez-vous nous parler un peu de l’artwork du futur album ? Qui s’en occupe et que représentera-t-il ?
Il s’agit d’une photo de Roberto Campos, un photographe mexicain. Xavier est tombé dessus un peu par hasard, et elle correspondait bien au titre du disque.
C’est assez froid, plutôt graphique je trouve, et assez éloigné de ce qu’on a fait jusqu’ici.
Je ne sais pas encore quand on sortira les visuels de cet artwork, alors je ne m’avance pas trop.
Xavier et Hugo (de Schlep) ont pris en main l’artwork des trois formats. C’est peut-être celui qui est le plus aboutit et le plus cohérent depuis le début.
En tant qu’artistes, comment avez-vous vécu cette année sanitaire ? J’imagine que les répétitions / phases d’écriture ont dû être différentes ?
Ça nous a bien entendu mis en stand-by. Nous avons moins répété, c’est évident. D’un autre côté, il y avait toutes ces questions de son et d’artwork à gérer, ce qui nous a permis de rester actifs pour le groupe, mais différemment.
Cela étant, on a commencé à composer du neuf, en se laissant sans doute encore plus de marge de manœuvre sur le contenu, en profitant du répit de l’été dernier pour mettre tout ça en place.
Là, on attaque la refonte de la playlist live, et c’est un sacré chantier. On a ressorti quelques antiquités. C’est un peu de travail, mine de rien. Et il y a évidemment la question du tri et de l’équilibre entre le neuf et le... moins neuf.
Est-ce que vous allez rééditer une compilation avec certains de vos splits ? Je pense par exemple à celui avec Mumakil ou Nostromo. D’ailleurs, est-ce qu’un prochain split pourrait voir le jour ?
Rien n’est prévu pour le moment, mais pourquoi pas en bonus sur des rééditions, si on arrive à les sortir. Ce serait une idée, mais je m’avance peut-être un peu. Mais nous n’avons pas été assez « productifs » pour les regrouper et en faire un CD complet, très clairement.
Vous (Xav et Fred) aviez fait une interview en 2012 pour Metalorgie, lorsque vous étiez passés au Sylak. Ils indiquaient que certains souvenirs les avaient marqués, notamment ouvrir pour Carcass ou faire une reprise avec Napalm Death. De ton côté, est-ce qu’il y a des souvenirs qui t’ont marqué tout ce temps ?
Oh oui ! C’est même assez difficile de choisir.
La tournée avec Mumakil, évidemment. C’était énormément de fatigue, mais tellement mémorable. La date à Paris était très sympa, mais j’en ai déjà parlé plus haut. Les mecs de YONL, ce sont vraiment des crèmes. Ça m’a fait très plaisir de les rencontrer.
Les trois dates avec Nasum restent aussi un super bon souvenir, un peu particulier évidemment. Mais c’était une rencontre très naturelle, directe et franche. De super gars, vraiment. On était même sensés aller enregistrer Shapes Of Misery en Suède mais les évènements en ont décidé autrement malheureusement. Pour l’anecdote, sur ces trois dates, on a passé une partie du concert à nous faire insulter par des fafs dans le public, à Luynes je crois. J’en reste très fier. Je me demande encore ce que des mecs avec ces idées peuvent bien venir faire à un concert de grind...
Plus récemment, le Dreadfest à Leeds m’a bien marqué. Le lieu, l’accueil, les rencontres, retrouver Michol de Chiens, revoir Yacopsae, galérer à l’aéroport et retourner travailler le lundi matin.
Et puis... le Moshfest. Je n’ai JAMAIS vu une telle bande de furieux et de furieuses, et qui en même temps font vraiment gaffe aux gens autour. C’était très intense, comme journée.
De quels groupes vous sentez-vous proches musicalement et humainement ?
On a croisé pas mal de groupes depuis le temps.
Ce serait difficile de n’oublier personne. En France, humainement, je dirais Whoresnation, d.h.i.b.a.c (OK, nous sommes deux sur cinq à avoir joué ou à jouer encore dedans), Warfuck et Chiens pour le grindcore, les mecs de Benighted également. Et puis la clique vosgienne : Lust For Death, Doomsisters etc. Ce sont tous des personnes pour lesquelles on a de l’estime ou de l’amitié, comme le crew Vlaar / Geraniüm plus à l’Est.
Et nos doyens à tous et toutes : Inhumate ! On se croise depuis tellement longtemps...
Hors de France, Nostromo / Mumakil évidemment. On a joué un paquet de fois ensemble, ça crée des liens solides !
En dehors de ces personnes, chacun a aussi des liens personnels plus ou moins forts et plus ou moins anciens avec tel ou tel musiciens, en fonction des groupes auxquels nous avons participé.
Musicalement, je ne sais pas vraiment. J’ai l’impression que beaucoup de groupes jouent un grindcore plus « moderne » que le nôtre. Et c’est très bien comme ça. L’uniformité est assez délétère pour une scène.
Je vous laisse le mot de la fin.
Merci pour tes questions ! On espère pouvoir tourner un peu pour le disque, j’espère qu’on aura l’occasion de se croiser.
Et encore bravo à vous pour avoir tenu la ligne sur votre page pendant la shitstorm masculiniste et misogyne il y a quelques mois.
Merci à Mitch (Doomsisters & le podcast Memento Mori) pour le contact !
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