Imperial Triumphant par skype, 2020

Echappés de Metropolis après leur album Vile Luxury, les New-Yorkais d’Imperial Triumphant n’en ont pas fini d’errer dans les labyrinthes urbains. Alphaville, leur nouvel album, s’inspire d’un film de Jean-Luc Godard où une intelligence artificielle tyrannique réduit le champ de pensée des êtres humains. Alors que la police de la pensée était affairée ailleurs, nous avons pu prendre contact avec Ilya, guitariste du trio masqué, afin de parler musique, composition et références artistiques.

Quelle expérience tirez-vous de votre précédent album, Vile Luxury ?

Il a créé beaucoup d'opportunités pour le groupe et nous a permis de nous faire connaître davantage. On a pu jouer en Europe, donner des concerts sur de plus grosses scènes et conquérir de nouveaux fans. 

Vous avez travaillé avec plusieurs labels comme Code666 Records, Gilead Media, et vous venez de signer chez Century Media Records. Pourquoi autant de changements, et comment avez vous conclu avec Century Media Records ?

Avant tout, on a de très bons rapports avec les labels avec qui on a travaillé. On aime simplement tester de nouvelles choses. Century Media Records était la meilleure option que l'on avait, ils ont proposé des ressources qui correspondent à nos besoins artistiques. On a été mis en relation via JB de Svart Crown, également chez Century Media Records, et ça nous a semblé être un bon choix. Au final on a un contrat de trois albums avec ce nouveau label.


Pour Alphaville, vous avez eu la chance de travailler avec des musiciens de Meshuggah et Mr Bungle. Comment ça s'est fait et qu'ont-ils apporté à l'album ? 

Toutes les personnes qui ont participé à notre album sont des amis à la base et on voulait qu'ils participent, donc ça s'est fait de façon assez organisée. Par contre, on ne leur a pas donné trop d'indications, c'est toujours amusant d'être surpris et de laisser les choses se faire naturellement. Trey Spruance (Mr Bungle) a produit le disque, il a aussi contribué aux samples et aux synthés. Tomas de Meshuggah a joué du taiko (un tambour japonais) et Phlegeton de Wormed a posé des voix sur notre reprise d'Experiment. Les autres invités sont récurrents, Sarai Chrzanowski et Andromeda Anarchia font les chœurs, et Yoshiko Ohara s'occupe des cris et autres vocalises dans ce registre. Le barbershop quartet est assuré par RK Halvorson, et le trombone par J Walter Hawke. Il vient de New York comme nous, j'adore son jeu. 

C'est une chance d'avoir autant d'invités pour jouer avec vous. Avec votre bagage classique et Jazz, vous aviez parfois l'impression de coordonner un orchestre ? 

Oui, en quelque sorte.

Sur Alphaville, je retrouve des airs de Gorguts, Portal, Deathspell Omega dans ta guitare, tu confirmes ?

Oui, on a clairement été influencés par ces groupes, mais en même temps on essaye au maximum d'être nous mêmes. Nous ne voulons pas que notre musique rappelle immédiatement ces artistes, et je pense que sur Alphaville on explore encore plus notre identité sonore.

Vous avez beaucoup de passages dissonants dans vos compos, ça t'arrive d'être un peu frustré de ne pas pouvoir jouer des mélodies lumineuses et épurées ?

Eh bien on le fait tout le temps en réalité. On ne se limite pas en se disant "Oh il faut absolument que l'on joue un truc sombre et dissonant". On joue juste ce qui nous semble nécessaire, particulièrement sur le dernier album qui contient plus de parties consonantes. 

Et avez-vous d'autres projets où vous pouvez jouer des choses plus légères ? 

Je joue sur un album qui va paraître chez Gilead Media cet automne. Le groupe s'appelle Folterkammer, et on y retrouve Andromeda Anarchia, la chanteuse d'opéra qui chante sur Alphaville. Ce sera une sorte de rencontre entre Darkthrone et Wagner façon opéra. 

Certains titres comme Atomic Age ou d'autres issus des albums précédents me provoquent un vrai effroi. Cherchez vous à terroriser vos auditeurs ? As-tu des exemples de musiques qui t'effraient ?

D'abord merci, provoquer un certain degré de terreur est clairement quelque chose qu'on essaye de faire avec notre musique. Krzysztof Penderecki, un compositeur de musique classique moderne arrive à me faire ressentir la peur, c'est quelque chose qu'il a en tête lorsqu'il compose. György Ligeti aussi, et il y a des groupes comme Portal ou The Residents qui essayent aussi de rendre leur auditeur mal à l'aise.

La pochette d'Alphaville est réalisée par Zbigniew M. Bielak, qui a également travaillé sur Ion de Portal

Vile Luxury contenait des références Metropolis, Alphaville s'inspire aussi d'un film. Trouves-tu que la science fiction d'hier fasse sens aujourd'hui ? Notre monde est-il celui qui était dépeint dans la SF d'autrefois ?

Oui, j'en suis convaincu à 100%. Comme je le disais, on vit dans un présent dystopique. L'avenir funeste, c'est maintenant. 

Tu penses que l'on est plutôt dans un monde à la Metropolis ou à la Alphaville ? Un peu des deux ?

Plutôt Alphaville. J'aime beaucoup le fait que Jean-Luc Godard raconte une histoire dystopique dans le décor réaliste du Paris des années 60. Il n'y a pas de voitures volantes ou de choses comme ça. Je ressens la même chose à propos de ma ville, très dystopique, même de nos jours.

Metropolis et Alphaville présentent tous deux une figure tyrannique maître de son propre univers. Avez-vous été influencés par la situation politique actuelle aux États-Unis ? De mon point de vue Donald Trump peut être vu comme une sorte de tyran...

Je ne me sens aucunement influencé par Donald Trump. On laisse beaucoup de place à l'interprétation dans nos paroles, mais ce que je perçois comme une vraie dictature c'est celle de la ville elle-même. Et même les plus hauts placés sont sous son joug.

Alphaville, une étrange aventure de Lemmy Caution (Jean-Luc Godard, 1965).

Le film Alphaville imagine un monde dans lequel la pensée serait amoindrie à cause de mots ou de concepts progressivement effacés du langage. Penses-tu que le monde d'aujourd'hui souffre de tels maux ? 

Tout à fait, je pense qu’on n’a jamais été dans des sociétés aussi contrôlées. Les réseaux sociaux c’est dingue, par exemple. C’est fou à quel point on peut manipuler les gens grâce à cet outil.

Vos masques, vos pochettes ont un style art déco très identifiable qui se marie avec la musique. Utilisez-vous des supports visuels pour stimuler votre créativité quand vous composez ? 

Absolument. Notre musique est influencée par des éléments visuels, mais aussi par ce qu’on nomme des choses « enregistrées à l’oreille ». Un peu comme de la musique concrète, certains sons de la ville me donnent des idées pour composer des riffs. Généralement je prends ma guitare et je joue jusqu'à obtenir la sonorité que j’ai en tête. Par exemple à New York, tu entends des sirènes constamment, et c’est ce qui nous a donné l’idée des alarmes sur Atomic Age. Et plutôt que de mettre un son déjà existant, je me suis dit que j’allais le jouer avec ma guitare. L’effet Doppler, tu sais, quand quelque chose passe près de toi à grande vitesse, ça ressemble à une voiture de course désaccordée. J’ai toujours trouvé fascinant ce phénomène naturel, donc mes parties tremolo recréent ce genre de bruit. Le brouhaha du métro, l’atmosphère brute de la ville, j’essaye de mettre tout ça en musique.

Alphaville va-t-il modifier vos performances live visuellement parlant ?

On cherche toujours à améliorer nos concerts et à les rendre aussi fous que possible. Plus on aura de moyens pour le faire, plus ce sera dingue. J’ai déjà des idées en tête, mais j’attends la reprise des tournées pour le moment.

Sais-tu d’ailleurs quand vous pourriez rejouer sur scène ?

On essaye de rester optimistes à ce sujet. En février prochain nous avons une tournée américaine nommée Devastation Of The Nation (avec Rotting Christ, Borknagar, Wolfheart et Abigail Williams). Si on a de la chance, on pourra peut-être faire quelques dates au mois de novembre, à voir. Pour ce qui est de l’Europe, on devait jouer dans des festivals au mois d’août, mais comme ils sont reportés, on reviendra sans doute à l’été 2021, ou même avant si on le peut. Mais en ce moment on ne peut être sûr de rien.

Pour finir, pourrais-tu nous recommander une œuvre d’art autre que de la musique et qui représente Imperial Triumphant ?

La Victoire de Samothrace m’a vraiment captivé. C’est une sculpture au Louvre, tu peux la chercher sur internet mais c’est vraiment incroyable à voir en vrai. C’est une œuvre fantastique, je l’aime beaucoup car la tête est manquante et elle renferme cette dualité que l’on a aussi dans notre musique. Elle est immense, elle a vraiment un fort impact sur toi quand tu la vois en personne. 

Skaldmax (Juillet 2020)

Merci à Valérie pour l'organisation de cette interview.
Pour en apprendre plus sur l'univers d'Imperial Triumphant, notre article : Pourquoi cet album de Black Metal aurait-il pu sortir il y a 100 ans ?

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Commentaires

tirenaviLe Lundi 03 août 2020 à 12H02

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