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Dans cette période sans concerts on a eu envie de vivre quand même un peu cette ambiance particulière. Du coup on a demandé à plusieurs de musicien.ne.s de nous raconter leurs anecdotes de tournée. En effet être dans un groupe ce n'est pas tout le temps évident et ça l'est encore moins de tourner pour jouer en concert. D'un point de vu extérieur, on peut avoir l'impression que le groupe monte sur scène, joue ses morceaux et puis tout roule et on recommence le lendemain. Sauf que la réalité des tournées est tout autre : tourner en van, entassés à plusieurs ce n'est pas que du fun, que les accueils craignos sont légions et que les galères peuvent tomber à tout moment. C'est aussi des anecdotes marrantes, des rencontres étranges, des situations ubuesques et tout cela fait en quelque sorte partie "du jeu". Ainsi, qui de mieux pour parler de ces choses là que les groupes eux-mêmes ? On a donc recueillis plusieurs témoignages de musicien.ne.s qui nous racontent quelques anecdotes de tournées et on poursuit cette série d'articles avec Fabien (Wheelfall, Chaos Echoes, Phazm), Franck (Eryn Non Dae) et Etienne (Zapruder).
Fabien (Wheelfall, Chaos Echoes, Phazm...)
En termes d'anecdotes de tournée, je dois avouer que je pense tout particulièrement à une soirée qui à mon sens fait de l'ombre à toutes les autres : notre concert au What The Fest, pas loin de Montpellier avec The Young Gods, Les Tétines Noires (LTNO), Horskh et Thot. Une affiche qui pour moi était assez exceptionnelle : dire que je suis fan de The Young Gods est un euphémisme et LTNO est une figure culte de l'indus français. Ouvrir pour les deux c'est un peu comme si je pouvais cocher une case dans ma vie ! On rajoute à ça les très excellents Horskh et Thot, la soirée allait forcément se dérouler sous les meilleurs hospices, sachant qu'on y rejoignait aussi nos amis du groupe Gravity avec qui on avait tourné peu avant.
Nous arrivons donc là-bas, tout le monde se retrouve ou fait connaissance, l'organisation du concert est une des plus généreuses que j'ai pu connaître : on est accueilli à bras ouverts, tous les groupes semblent s'entendre à merveille. La soirée se passe, les substances et les concerts s'enchaînent, le bassiste de LTNO me dit qu'on lui a fait penser au Ministry des débuts et à Rollins Band - un des plus beaux compliment au monde - puis on prend une baffe énorme devant celui de Horskh, on est hypnotisés par la performance de LTNO et son pied de micro humain (oui, absolument) pour finir sur une prestation grandiose de The Young Gods. Quelque part, la fête avait déjà commencé bien avant les concerts pour tout le monde, et l'état de chacun s'altérait de façon complètement exponentielle : on se retrouve à argumenter avec une personne du public qui trouvait notre prestation "trop masculine" (sic), de négocier très lourdement un vinyle de Big Black ou à empêcher Niko, notre batteur de tomber dans le tout proche ruisseau après avoir partagé avec l'orga quelques verres de bonne vodka.
Après les concerts vient le moment de rejoindre une maison que l'on partage pour la nuit avec une dizaine de personnes. Certains logeant ailleurs mais sentant bien le potentiel décadent de la soirée y voient une opportunité : ils nous accompagnent. Et ils avaient raison, ça ne s'est jamais arrêté : rarement j'ai vu autant de monde dans un état pareil, tous sans exception, agglutinés sur une minuscule terrasse. Je ne sais pas ce que ça donnait de l’extérieur, mais je peux vous dire qu'on était plus qu'heureux. Au fur et à mesure de la nuit, on commence à tomber - littéralement, de fatigue, d'excès, de dialogues sans fins. Certains essaient de se coucher, d'autres n'essaient même plus de se déplacer.
Soudain, alors que le reste est en pleine discussion aléatoire, on entend un bruit fort et sourd. Certains ont vu passer quelque chose du coin de l’œil dans la maison, ce qui est suffisamment inquiétant pour qu'on aille voir. C'était un des mecs qui étaient allés se coucher à l'étage, et voyant que sa vessie ne tiendrait pas la nuit, il a littéralement volé à travers l'escalier pour atterrir le nez en sang sur le carrelage en allant vers les toilettes. Dans son malheur au moins, sa vessie était soulagée. Ses potes le déshabillent et le ramènent dans son lit tant bien que mal, et on continue la nuit. Avec 2 compères de Wheelfall on se dit qu'on a fait assez de frais, et on va se coucher dans un chambre bien au fond du couloir, au calme. Je me précipite pour chopper le grand lit avant les autres et je commence à m'endormir, satisfait. Soudain, j'entends un bruit ; je peine à ouvrir les yeux et je vois une silhouette complètement nue essayer de rentrer dans la chambre. C'est le mec qui avait fait le vol plané. Je l'observe explorer les murs de la chambre à tâtons avec une certaine curiosité, pis je le vois essayer de rentrer dans un placard. A ce moment là je me dit que c'était quand même un peu chaud, alors je me permets d'intervenir en lui demandant s'il s'était perdu ; je crois qu'il se rend compte de ma présence et décide tout simplement de se coucher EN DESSOUS de la housse de matelas de mon lit, ce qui est assez gênant pour moi, mais apparemment pratique pour lui. J'essaie de négocier mes pleins pouvoirs sur le matelas, mais rien n'y fait. Je finis par capituler et abandonner mon territoire lorsqu'il me propose un avantage en nature que je refuse, et qu'il me rétorque un désabusé : "t'es vraiment pas drôle" en se refaufillant sous la housse de matelas.
Le lendemain - quelques heures après -, on le retrouve le nez de travers et d'une discrétion impressionnante, à s'excuser à tout le monde bien que tout nous paraissait excessivement risible et sans importance au final. De mémoire, ses potes de longue date ne l'avaient jamais vu aussi déchaîné que cette nuit là, qui fut pour tous un énorme et agréable souvenir. Une sorte de Docteur Jeckyll et Mister Hyde d'une nuit hors normes : une légende.
Franck (Guitare - Eryn Non Dae)
Voici donc une petite anecdote de tournée. Si on devait la classer, elle se situerait sans doute dans la catégorie « les basiques du genre ».
Un jour de juillet 2013, on joue à Cardiff, en Galles du Sud, dans la cadre d'une semaine de tournée au Royaume-Uni pour promouvoir notre album Meliora. La salle est sympa, près du parc Bute et d'un superbe château gothique construit vers 1091 sur les anciennes fondations d'un fort romain. Un peu de monde, on vend du merch', tout le monde est content.
Après quelques verres, l'organisateur propose de nous loger chez lui car il possède une petite maison dans un quartier tranquille dit-il. Quelques potes à lui nous accompagnent pour continuer un peu la soirée. Parmi eux, y a ce mec de type « hyper ténébreux » à tendance mystico-gélatineuse qui nous a pris la tête une bonne partie de la soirée avec ses illuminations et autres convictions extrêmes. Il possédait la même croix inversée que Glen Benton et au même endroit ! Un vrai disciple... Bref, on roule un peu, on se gare et en effet le quartier est hyper calme.
Par contre, une fois la porte de la maison franchie c'est une autre histoire ! Comment dire... Avec le groupe, on avait déjà dormi dans des endroits un peu sommaires voire spartiates et pas forcément de première fraîcheur mais là, c'est l'apocalypse ! La cuisine regroupe au bas mot une année de vaisselle non faite. Des boites de conserves ouvertes laissées telles quelles s'enchevêtrent avec des centaines de bouteilles vides qui elles mêmes côtoient la dite vaisselle où les restes de bouffe font office de festin pour insectes. Dans le genre « recrée toi-même un écosystème unique dans ta maison », les mecs étaient vraiment balèzes !
Partout, le sol est tellement sale qu'à chaque pas, on se demande si nos semelles ne vont pas s'arracher. Le salon, idem ! Les potes de l'orga squattent les canapés et pour se joindre à la soirée, faudrait qu'on se pose par terre ce qui est impossible vu l'état ! On restera debout... De toute façon, les gens sont passablement saouls (certains d'entre nous aussi, bien sûr) et on sent bien que la communication commence à être laborieuse. On fait bonne figure un moment puis on prétexte la fatigue pour rejoindre la chambre et dormir. Sauf un, Mathieu ! Une fois lancé, il est inarrêtable ! Du coup, on l'a abandonné là et je ne me rappelle plus comment il finira sa « nuit ». Faudra que je lui redemande. (Mise à jour : « il s'est pointé dans le van au petit matin en chantant du Tool très fort alors qu'on ne dormait pas si mal... »). On traverse donc un petit jardin vers ce qui est censé être notre chambre. Jardin dans lequel ils font, je pense, une collection de sacs poubelles qu'ils jettent depuis les fenêtres de la maison. On atterrit en fait dans une sorte de remise où tout ce qui pouvait être stocké l'était. Une odeur de renfermé digne d'un placard à chaussures oublié doublée à celle de la moisissure nous accueille et comme pour le reste de la maison ,c'est dégueulasse. C'est con, ça aurait pu être « cosy » si ça avait été aménagé... On ne sera finalement que deux à tenter de dormir dans cette pièce, les autres sont finalement partis se coucher dans le van. Ils ont mieux dormi que nous.
Le matin se pointe et nos hôtes dorment encore (on ne les reverra pas d'ailleurs). On décide de quand même prendre une petite douche avant de quitter les lieux et aller prendre un petit-déj' dans un endroit où on ne risque pas de manger des fourmis (au mieux) ou chopper une maladie quelconque en posant nos lèvres sur une tasse ! Bien sûr, la salle de bain est dans un état identique au reste de la maison excepté le sol qui ne colle pas. Lui serait plutôt du genre à accueillir des organismes vivants microscopiques qui adorent les endroits humides. Chacun tentera de trouver une technique pour éviter la contamination (comme ne pas se laver par exemple). Perso, j'avais mes tongs. Lors du traditionnel passage aux WC d'avant départ, un membre du groupe sort et s’écrit : « Putain, le temps de faire ce que j'avais à faire, je me suis retrouvé avec une limace au cul ! » C'était la conclusion de ce récit. Merci !
Dessin par Renard, merci à lui !
Etienne (Guitare - Zapruder)
En août 2015, pour notre première excursion hors de l'Hexagone, Isaac (chanteur et master booking du groupe) récupère les coordonnées d'un type, vaguement tourneur, vaguement recommandé par je ne sais plus qui. Le contact passe bien, le mec a l'air sérieux, le contrat est solide. Et puis au moment de lui envoyer du fric, on découvre son adresse : Bosnie-Herzégovine. Le mec nous cale quatre dates dans les Balkans. Après avoir bouffé 2000 bornes en 36 heures, on sort de l'Union Européenne, on se fait tamponner les passeports et l'aventure commence. Ce ne sont pas les anecdotes qui manquent, mais la plus "quoi la baise" a eu lieu lors de la date calée à Prizren. Au Kosovo. La route est pittoresque : on croise encore des Jeeps de la KFOR et à certains passages à niveaux il y a des panneaux qui indiquent "priorité au tank". Tous les 500 mètres un type a installé un car-wash dans son garage, et tous les kilomètres il y a une station essence. Un joyeux bordel. La date s'annonce originale : on débarque avec le camion dans un espèce de camping sauvage à l'entrée de la ville, où une vingtaine de tentes sont regroupées autour d'une buvette en bois de palette, seule source de courant. La scène, si l'on peut dire, c'est un bout de terrain autrefois herbeux au bord d'un ruisseau louche. « Surtout, ne pas se baigner », nous dit l'hôte. On s'installe comme on peut, les amplis sur les flycases en équilibre précoce et les pedalboards à même les mauvaises herbes, et après des balances approximatives et un groupe de jeunes locaux à qui on prête notre matos, c'est parti. Il fait nuit, les amplis sucent le jus et les lumières improvisées branchées sur la même rallonge que tout le matos commencent à fatiguer. Et puis c'est arrivé. Au milieu du set, alors que je m'amuse à faire le Jo Lopez au lieu de chanter correctement mes chœurs, je suis soudainement aveuglé par deux gros spots qui visent la scène. Une Jeep. « Merde », je me dis, « c'est quoi, les flics ? L'armée ? On fait trop de bordel, et ils font une descente dans ce squat en plein air ? » Je nous vois déjà croupissant au fond d'une geôle kosovare, regrettant d'avoir fraudé l'assurance à la frontière et le burger végé du catering (painoignon cru-tomate-pain). « Show must go on », paraît-il, alors on continue en attendant la sentence. Le véhicule s'avance jusqu'à presque chatouiller les chevilles d'Isaac. Recule un peu. Et puis plus rien. En fait, un type qui voulait prendre des photos et enrageait contre les spots défaillants était allé chercher sa bagnole pour éclairer correctement nos tronches. On a donc fini le concert comme ça, sautillant dans les orties, devant un ruisseau radioactif, éclairés à la Jeep. On s'en souviendra, du Kosovo. Ces quinze jours ont été une sacré aventure, entre le douanier qui m'explique comment lui glisser vingt euros à la coule dans le passeport ("Welcome to Bosnia" avé l'assen) et la station service de Sarajevo où figure encore un autocollant « interdit aux armes à feu » - pas juste de la déco, nous dira le gérant. Mais ça sera pour une autre fois. PS : la preuve en vidéo, Jo Lopez inclus.
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