Cult Of Luna Le Trianon, Paris, 2019

Cette année, Cult Of Luna, a sans doute sorti l'un de ses meilleurs albums et continue de surprendre après plus de vingt ans de carrière. Vingt ans de travail d'orfèvre d'un Post Metal venu du froid si personnel. A Dawn To Fear en est une nouvelle fois l'illustration et comme les suédois sont de passage en France en cette d'année pour défendre leur nouvel album sur les planches du Trianon, nous prenons rendez-vous avec son compositeur principal Johannes Persson pour en discuter. Un musicien sympathique, mais peu disposé à s'étendre et à en dire d'avantage que ce dont nous attendions. 

Je suis ravi de vous rencontrer. Je vous avais vu à la Gaîté Lyrique il y a trois ans, il me semble, pour Somewhere Along The Highway. C’était vraiment bien.

Johannes Persson (Guitare / Chant) : Oui ! C’était un concert très long (rires).

J’aimerais te parler de A Dawn To Fear. Est-ce que vous avez modifié votre façon de composer pour cet album ? Vous avez composé tous ensemble ? Vous êtes partis d’une idée directrice ?

Johannes Persson : On ne compose pas tous ensemble. En général l’un d’entre nous propose des idées déjà assez construites avant qu’on commence à travailler. Le plus souvent c’est moi, mais ça peut aussi être d’autres membres du groupe.  Chacun y met du sien, intègre sa propre façon de jouer et propose des idées de modifications.

Vous avez suivi le même procédé que d’habitude ou vous avez essayé quelque chose de différent pour cet album ?

Johannes Persson : Il y a eu un grand changement : d’habitude on travaille à partir d’un thème très spécifique. On fait ça depuis l’album Salvation. Même avant qu’on commence à écrire, on commence à discuter : « Voici l’histoire, voilà ce qu’on veut faire. Comment est-ce qu’on raconte cette histoire en terme de musique, d’arrangement, de production, de profil graphique, de vidéo, bla bla bla ». Mais avec ce projet on a d’abord commencé à écrire des chansons spontanément, et ensuite on les a analysées. On a dû prendre un peu de recul pour trouver l’histoire qu’elles racontaient. On a tout analysé et on a trouvé une idée. Et une fois que cette idée était là on a commencé à parler de l’artwork et du reste.



D’accord. Et est-ce que c’est une histoire personnelle ?

Johannes Persson : Alors, ce n’est pas une histoire dans le sens où je raconte quelque chose de narratif. C’est plutôt un récit intérieur sur ce qui est important pour nous à un moment précis et comment ça pourrait s’adapter à une situation globale.

Il me semble que vous vivez chacun loin des autres. Est-ce que ça impacte votre travail, ou son intensité, son énergie ? Est-ce que c’est plus difficile pour faire de la musique ?

Johannes Persson : Quand on habite si loin les uns des autres on doit vraiment avoir une idée précise de ce qu’on veut faire avant de se voir. On ne peut pas simplement commencer à répéter et espérer que tout se passe bien. Ça ne marche pas comme ça. C’est pour ça que j’écris beaucoup, même avant qu’on se retrouve. C’est pour apporter des bonnes idées de morceaux sur lesquelles on va pouvoir travailler. À partir de là, on cherche tous ensemble comment on peut améliorer mes idées. Je sais que quand je présente un morceau au groupe, certaines choses ne vont pas sonner comme je m’y attendais. Ça finit toujours par sonner bien mieux (rires).

Vous utilisez beaucoup moins de synthé et d’orgue dans cet album que dans Vertikal

Johannes Persson : Je ne dirais pas ça, je dirais que c’est l’inverse, en fait.

Oh, d’accord (rires).

Johannes Persson : Je pense que ça donne cette impression parce que c’est très intégré à la musique, mais en réalité on utilise plus de clavier qu’on ne l’a jamais fait. Et d’orgue, aussi.

J'ai une audition assez nulle, désolé.

Johannes Persson : Non non, je pense que c’est vraiment parce que c’est super bien intégré à la musique.

Vous avez enregistré cet album dans un studio norvégien, d’après ce que j’ai compris ? J’ai vu des photos, ça a l’air incroyable !

Johannes Persson : Oui, et c’est pareil dans la vraie vie.

Vous pensez que ce genre d’endroit a un impact sur votre musique ?

Johannes Persson : Le plus important c’est qu’on y soit tous ensemble et qu’on enregistre tous ensemble. On ne fait pas ça d’habitude : pour les précédents albums on enregistrait une base ensemble et ensuite on partait chacun dans un studio différent, puisqu’on habite dans des villes différentes, et on enregistrait le reste individuellement. Cette fois on a pu échanger sur nos idées, on a tout fait ensemble.

Est-ce que ça a changé quelque chose en particulier ?

Johannes Persson : Oui, on pouvait se parler directement au lieu de s’envoyer des emails, c’était beaucoup plus simple.

Est-ce que vous avez un artiste attitré pour vos pochettes d’album ? Est-ce que vous pourriez me parler un peu de lui ?

Johannes Persson : Oui, bien sûr. Erik Olofsson travaille sur nos pochettes depuis Salvation. Il a tout fait tout seul. Il était dans le groupe jusqu’en 2014, et on est toujours de bons amis. Ça n’a pas été si facile d’avoir ce qu’on voulait. On n’a pas de thème vraiment concret donc ça a pris assez longtemps, il a fait beaucoup de propositions. Jusqu’à ce qu’il nous envoie cette image, là c’était parfait. Tu peux y voir beaucoup de choses. C’est comme un test de Rorschach, tu vois à travers ton subconscient. Pour moi, cette pochette pourrait montrer un tronc d’arbre, un lever de soleil… Elle pourrait montrer n’importe quoi. Après, une grande partie de l’artwork à l’intérieur l’album parle de chez nous. Il y a beaucoup d’arbres, des choses de notre coin de pays et de notre environnement. Mais il y a aussi des photos de notre enregistrement.

Entre le titre de l’album et ceux des morceaux, surtout le tout dernier, The FallA Dawn To Fear a l’air d’être un album plutôt pessimiste, avec une ambiance triste ou négative.

Johannes Persson : Oui, oui. On y retrouve beaucoup de mort. Dans A Dawn To Fear, mais aussi dans la vie : tu vas forcément vivre des expériences, des choses horribles ou négatives. L’exemple le plus concret que je pourrais prendre c’est celui-là : si tu vis une vie normale, si tu vis aussi longtemps que tu devrais, tu vas devoir enterrer tes parents, par exemple. Tu vas devoir enterrer les gens que tu aimes. Tu vas vivre la maladie, les peines d’amour, la déception, des choses comme ça. C’est un peu déprimant d’y penser comme ça. Mais je pense que si tu prends conscience que tout ça va arriver, alors tu peux profiter de ce que tu as aujourd'hui. Je ne dis pas que les gens devraient se satisfaire de la vie pourrie qu’ils ont. Mais on a globalement plutôt des bonnes vies, dans les pays occidentaux. Ce n’est pas à propos des choses matérielles, c’est plutôt : parle à tes parents tant que tu le peux, parle à tes enfants, à ta femme ou à ton mari, à ton copain ou ta copine, profites-en, parce que ça ne va pas durer. C’est de ça qu'on essaye de parler dans cet album.

Est-ce qu’il y a un message positif, peut-être plus léger, là-dedans ?

Johannes Persson : Oui ! Je sais que beaucoup de gens ont vu ça dans un sens plus global, ont lié ça à ce qui arrive à notre civilisation, à la planète. Cette interprétation ne me dérange pas parce que c’est aussi un « dawn to fear », un événement à craindre, quelque chose qui va arriver. C’est quelque chose qu’on pourrait changer, mais malheureusement il y a trop d’idiots sur terre qui empêchent le vrai progrès.

Donc vous laissez aux personnes qui vous écoutent la liberté de créer leurs propres interprétations ?

Johannes Persson : Oui, mais je peux quand même leur dire quand ils ont tort (rires).

Vous avez réalisé des clips incroyables pour The Silent Man et Lay Your Head To Rest, on pourrait parler de courts métrages. Est-ce que vous pouvez m’en dire plus sur la façon dont vous avez travaillé, et les idées desquelles vous êtes partis ?

Johannes Persson : (rires) Moi je ne voulais pas faire de clip. Mais on m’a forcé (rires).

C’est le label qui vous a forcé ?

Johannes Persson : C’est le management, et le label aussi je suppose. Le management m’a demandé de faire deux vidéos et d’écrire un scénario. J’ai passé beaucoup de temps à écrire, je ne savais pas vraiment où j’allais, ni ce qui allait se passer. Mais je suis revenu à l’essence des morceaux, à leur raison d’être. J’ai commencé à écrire en partant de là et les choses se sont enchaînées naturellement. Il y a beaucoup de références différentes à ce qu’on a fait avant, à la plupart des albums qu’on a écrits. Elles sont là, elles ne sont pas forcément évidentes mais les grands fans de Cult of Luna vont les voir.



Intéressant. Est-ce que tu as des réalisateurs qui t'inspire ?

Johannes Persson : Bien sûr ! Ces vidéos sont clairement inspirées de Tarkovski. Pas dans son utilisation de plans longs ou autres, je ne peux pas travailler comme ça. Ce n’est pas quelque chose qui m’intéresse, non plus. Mais plutôt dans l’imagerie, le style, les costumes, les maquillages, ces choses-là.

En 2016 vous avez joué Somewhere Along The Highway en entier pour un concert. Est-ce que c’est quelque chose que vous aimeriez faire sur un autre album ? Est-ce que c’était une expérience positive pour vous ?

Johannes Persson : Je ne pense pas qu'on referait ça pour d'autres albums. Mais oui c'était intéressant de le faire. On plaisante là-dessus, on dit qu’on pourrait faire un concert anniversaire pour chaque album, tous les ans. Je ne dis pas que ça n’arrivera plus jamais, mais ce n’est pas en projet. On a d’autres travaux en cours.

Cette même année, vous aviez sorti Mariner, un album avec Julie Christmas. Est-ce que vous aimeriez faire d’autres morceaux ou d’autres albums avec des voix de femmes ?

Johannes Persson : Je peux relever n’importe quel défi. Ça dépend beaucoup des idées qu’on va avoir. Si on a envie de travailler avec une personne on lui proposera quelque chose, qu’importe si c’est un homme ou une femme. Mais on n’a pas ce genre de projet pour le moment.

Est-ce que vous pourriez me parler de votre façon de travailler sur cet album ? Qu’est-ce que vous en pensez, trois ans plus tard ?

Johannes Persson : Ah, Mariner ! Ça fait longtemps que je ne l’ai pas écouté, mais je trouve qu’il était plutôt bien. Il s’est avéré bien meilleur que ce à quoi on s’attendait. Ça devait juste être un petit projet, quelque chose à sortir pour quand on n’était pas en tournée. On ne devait pas en faire grand-chose. J’avais demandé à Julie si elle voulait faire quelque chose, elle avait dit oui. Ou alors non, elle n’avait pas dit oui, elle avait dit « on fait juste une chanson pour voir ». Et on a fait ça, et c’était plutôt bien. Ensuite on a travaillé ensemble sur des chansons qu’on s’envoyait, et puis « oh, ok, on a un album entier en fait ». « Bon, on a qu’à le sortir et voir ce qu’en pensent les gens ».

D’accord, c’était quelque chose de spontané.

Johannes Persson : Oui, très spontané. Mais toujours avec ce thème du voyage astral abstrait.

Ce soir vous jouez avec Brutus et A. A. Williams. Est-ce que c’est vous qui les avez choisis pour la tournée ?

Johannes Persson : Tout à fait. Ce sont deux artistes très talentueux. J’ai beaucoup aimé leurs albums ces deux dernières années. A. A. Williams est très intéressante, j’ai écouté son nouvel album et il est incroyable.  Il n’est pas encore sorti bien sûr, mais c’est pour bientôt. Et il y a aussi Brutus. Leur dernier album est parfait, je l’adore.

Ils sont en train de devenir assez populaires en France.

Johannes Persson : C'est une bonne chose pour eux ! Ils sont supers !

Une dernière question : vous allez jouer avec le français James Kent (Perturbator) au Roadburn, cette année. Est-ce que vous pouvez m’en dire deux mots ?

Johannes Persson : On a commencé a travailler ensemble, on s’est vu il y a deux semaines et on a fait quelques morceaux.

Vous avez travaillé à distance ?

Johannes Persson : Oui, mais il a aussi fallu qu’on se rencontre. Ça va sonner comme un mélange de mon travail et du sien.

Intéressant. Est-ce que vous avez entendu ce qu’il a fait avec Alcest, sur leur concert exclusif ?

Johannes Persson : J’en ai entendu parler mais je ne l’ai pas encore écouté.

En tout cas je suis très impatient de voir votre collaboration.

Johannes Persson : Merci, on verra ce que ça donne (rires).

Pentacle (Février 2020)

Merci à Roger de Replica Promotion d'avoir pu organiser cette rencontre.
Merci à Louise pour la retranscription.

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