|
Harun Demiraslan (Step In Fluid) au Hellfest 2019
Harun Demiraslan, cerveau de Step In Fluid et de Trepalium, était au dernier Hellfest pour évoquer avec nous la sortie (récente à l'époque) de Back In Business, le dernier Step In Fluid. Fin d'une grosse journée de promo pour le guitariste, qui préfère le chill d'une table de jardin sous un parasol plutôt que de s'enfermer dans un box à interviews. C'est un Harun crevé mais bavard et captivant qui nous répond. Harun Demiraslan : Quand on a sorti le premier album, à l’époque, on avait pas l'intention de s’arrêter là. On a fait trois ou quatre concert, et… Je sais pas, ça me convenait pas vraiment, ce qu’on restituait en live. C’était trop “brut”, pour moi, avec un côté pressé, un peu immature mais intéressant du premier album, et je me disais “mais non, c’est pas ce que je veux”. Ca fait qu’on s’est mit dans une dynamique où on a pas cherché à faire plus de concerts que ça. Après il y a eu une tournée avec Trepalium, puis Klone aussi, et on s’est retrouvés absorbés par nos projets d’origine, et on a pas remis le couvert. Mais on était quand même super frustrés de ça, on en parlait souvent en soirée, on se disait qu’il fallait qu’on refasse un truc. Finalement, en septembre 2015, j’ai commencé à bosser de nuit, j’avais une grosse envie, j’avais une libido musicale à donf, et j’ai maquetté six titres sur les huit du dernier album, en une quinzaine de nuits blanches. Je me suis retrouvé avec plein d’arrangements aux claviers, trop pour être gérés uniquement par des samples. Donc j’ai pensé à Gérald Villain, qui est un claviériste émérite, virtuose, créatif, humainement au top, et que j’avais déjà invité sur le dernier Trepalium. Je lui ai proposé de rejoindre l’équipe, en lui disant “si t’as des idées, t’en rajoute”. Le lendemain il m’a envoyé une septième compo, puis une huitième le surlendemain, j’ai aidé un peu à en finir une, j’ai rajouté des grattes dessus, des solos, et voilà, l’album était né. On a repoussé l’enregistrement deux fois, par rapport à Flo (NDLR : Florent Mercadet, le batteur de Step In Fluid) qui s’était blessé l’épaule, et qui devait se ménager pour ses tournées avec Carpenter Brut. Il a eu besoin de repos, puis il a tourné du coup, ça nous a laissé le temps de travailler encore plus en profondeur les arrangements, modifier des structures, peaufiner le truc à fond. Et c’est mieux comme ça, parce que sinon on aurait pu retomber dans le côté qui me gênait du premier album, le côté un peu “jeune”, intéressant mais trop spontané. Tu nous as déjà raconté pour l’intégration d’un clavier, tu peux nous raconter comment vous avez bossé avec le flûtiste de Magma ? En fait, les arrangements sur le dernier EP de Trepalium, sur les cuivres et tout ça, ont été fait par lui. J’en ai parlé à Matthieu Metzger (NDLR : saxophoniste qui participe dans Klone, Trepalium, Step In Fluid), pour qu’il m’aide à écrire les voix, parce que j’avais une idée des interventions que je voulais mais aucune connaissance des tessitures de ces instruments. Matthieu m’a dit “moi j’oserai pas, mais je connais un mec qui est vachement bon dans ça, c’est un pote”, et c’est comme ça qu’il m’a présenté Rémi Dumoulin, le flûtiste de Magma. J’ai découvert après-coup qu’il est parfois jury dans le conservatoire où je bosse, d’ailleurs ! Le monde est petit, tout le monde connaît quelqu’un qui connait quelqu’un qui connait quelqu’un qui connait Vander. (rires) Le groove sur Step In Fluid on connaissait bien, mais cette fois-ci il y a un petit quelque chose de Funk, de Hip Hop, qui est un peu plus prononcé. Hormis le clavier en plus, est-ce que tu penses que vos expériences dans vos différents projets ont “alimenté” Back In Business ? Pas en terme d’écriture, mais en terme de savoir-faire personnel de chacun, oui. Par exemple, quand je fais cocotte à la guitare, je le fais sonner autrement aujourd’hui qu’il y a huit ans. Y a aussi le fait que quand le Stéphane Dupé a intégré le groupe, il s’est retrouvé à jouer les lignes de basse que j’avais écrites. Pour cet album, y avait des maquettes, tout le monde a bossé chez soi, et il est arrivé avec de nouvelles lignes de basse, d’autres idées. J’ai pas la prétention d’être un bassman. Y a eu une appropriation, on a tous évolué. Une nouvelle méthodologie dans le travail. Le premier aurait pu être aussi dense, si on avait déjà eu Gérald au clavier, et qu’on s’était donné ce temps. Ouais, c’était déjà un peu pareil. J’avais proposé des morceaux, mais par exemple, sur le premier album, les tournes rythmiques A et B de As We Dance, c’est Florent Mercadet qui les avait proposées. Là ça a été un peu pareil, mais Gérald est arrivé comme un second compositeur, vraiment. Les rôles se sont inversés, entre guillemets, sur certains morceaux où j’étais l’arrangeur et pas le compositeur. Ca ne vous donne pas envie de réenregistrer One Step Beyond en y ajoutant du clavier, en y mettant des idées à Gérald ? Bien sûr. Je pensais appeler l’album One Step Back. J’en ai parlé aux autres, ils étaient là “beh non, quand même…” (rires) J’sais pas, c’est une idée. Mais bon, on aura pas le temps, on a pas que ça à faire. Et y a déjà cet album à défendre, et on aura pas beaucoup de temps pour le défendre. On a une petite fenêtre de tir avant que les tournées ne reprennent pour tout le monde… C’est maintenant ou jamais. Y a pas mal de gens qui aimeraient nous voir en live, du coup y a pas que ça à faire que de réarranger le premier album et de le réenregistrer. Mais ça peut être un exercice fun. Par contre y a un peu de ça pour la version live, puisqu’on parle de concerts. Gérald s’occupe de la logistique des samples, de la gestion de ce qu’il joue ou pas, parce qu’il a pas quatre bras, il gère le clic pour les retours du batteur… Il gère tout ça, c’est le scientifique du groupe. Il a déjà commencé à plancher sur des versions “à cinq”. Comment t’es venu l’idée de Streets Of San Francisco ? Tu as rematé des séries avec Don Johnson ? Bah évidemment… Enfin, non, on a rien “rematé”, mais disons que je propose les titres des morceaux dans Step In Fluid, et comme il n’y a pas de chant ou de texte, t’es obligé d’imager un peu la musique, tu cherches un concept, un discours. Là y avait un côté “générique” façon Les Rues De San Francisco. Je suis né dans les années 80, j’ai maté Starsky&Hutch… C’était tout téléphoné. Pour les autres titres aussi d’ailleurs, y a tout le temps une histoire qui colle au son que tu écoutes. On a pas de paroles, on parle avec nos instruments. Il faut que tu nous en dises plus sur les deux derniers titres alors (NDLR : Sexe A Pile, et Sex In An Elevator)… (rires) Sexe A Pile est moins imagé, mais Sex In An Elevator c’est ultra évident, t’as des sons d'ascenseurs dans les refrains, t’as de la flûte façon “film de cul années 70s”, je sais pas quoi te dire d’autre ! Si l’image te parle pas, si t’arrives pas à te projeter, c’est que t’es fatigué ! (rires) Mais Sexe A Pile c’est le moins “cinématographique” effectivement. En fait… Quand je te disais que j’avais fait six morceaux en quinze jours, c’est faux, c’est plutôt cinq en fait, parce que celui-là il a été composé pendant l’enregistrement du premier album. On avait même eu l’occasion d’en jouer une version beta lors des trois ou quatre concerts qu’on avait fait. Donc ouais il est moins imagé… Mais bon, Streets… Ou alors The Funk Bot Dance… Tu écoutes, tu lis le titre, tu te dis “beh ouais”. Est-ce que ce genre de lien avec des images, ça vous donne envie d’animer la scène avec des vidéos, lors de prochains concerts ? Ouais, c’est clair, d’autant plus qu’on pourrait caler ça sur les clics… On y pense. Mais on a pas de capital temps. Tu vois, on a une première date bientôt, on va peut-être pouvoir répéter la veille. On a jamais répété avec Gérald. Il a fait une répète tout seul, comme il a toutes les bandes studio… Et on a pas joué ensemble, les quatre autres, depuis plus de huit ans. Le capital temps, on l’a pas. Si on avait le temps, ben ouais, même faire un film à mettre derrière, un film à la Pink Floyd, ce serait fun. On parle souvent des moyens en terme d’argent, mais les moyens en termes de temps ça conditionne aussi ce que tu fais. Ca, ça aurait été une cerise sur le gâteau, mais je pense pas qu’on pourra s’investir plus que ça. C’est déjà très bien ! Qui est l’ami en question, dans From A Friend ? C’est la deuxième compo de Gérald Villain. A la base il avait tout fait avec des instruments africains, à travers des plug-ins de son clavier. On en était pas contents et on a préféré le côté urbain avec un piano. Je lui ai dit “c’est ta compo, tu fais ce que tu veux, je te suis, ça va coller de toutes façons”, c’est lui qui a eu le dernier mot. Il y a déjà quelques thèmes un peu africanisant, ça n’allait pas manquer. Il se trouve qu’il connaissait pas vraiment Matthieu Metzger. Ils se connaissaient comme ça, sans plus. Je lui ai dit que c’était un pote et que je pouvais lui en parler, pour faire un featuring sur ce titre, et Gérald il a dit “mais ouais carrément”. Comme il n’avait pas vraiment de titre, je lui ai proposé From A Friend, il y a un côté lyrique, presque mélancolique, on peut s’imaginer des trucs derrières, c’est dans la suggestion. Les paroles c’est un langage explicite, c’est pas codé, alors que nous forcément y a deux niveaux avec la musique instrumentale, y a un côté un peu mystérieux. Ouais, il va y avoir une date en septembre 2019 vers chez nous, je peux pas en dire plus, c’est pas encore annoncé pour l’instant. Y en a deux-trois qui se confirment dans la région, et on espère en faire quinze-vingt, mais il faut voir avec les plannings de chacun. Tu penses qu’avec Step In Fluid il y aurait une place à aller chercher dans les festivals de Prog, de Jazz ? Bien sûr, en tout cas nous on aimerait bien. Après, le crossover, l’hybridation que tu entends dans ce groupe, il vient plus du Hellfest que de Jazz In Marciac. Ca peut heurter certaines personnes, qui vont se dire ouaaah c’est “électrique” ! On va pas commencer à ôter de la disto pour faire plaisir à mémé quoi. Mais c’est pas ça le vrai problème, c’est surtout que notre tourneur il a un réseau à lui, et les festivals de Jazz c’est un autre réseau. Ca s’improvise pas comme ça, il faut les contacts… En plus on arrive après huit ans d’absence, on existe pas dans la scène Jazz. Evidemment qu’il y a un côté Jazz, c’est évident, c’est Prog et Jazz et Metal, mais ça a pas l’air simple d’avancer dans ces directions. Quand tu écris un morceau, ou un riff, comment tu détermines ce qui colle avec Trepalium et ce qui correspond mieux à Step In Fluid ? Je ne compose pas un truc sans me dire à l’avance dans quel groupe je vais le mettre. Je me verrouille soit dans Trepalium, soit dans Step In Fluid, avant de m’y mettre. On utilise pas les mêmes façons de jouer, on a même pas les mêmes accordages, ni les mêmes états d’esprit. La question ne se pose pas vraiment, du coup. C’est un masque de déco que j’ai chez moi. Il a servi pour la pochette d’un projet solo entièrement DIY, de l’écriture à la distribution. C’est un truc qui est pas passé complètement inaperçu, j’ai fait un crowdfunding et ça s’est remboursé direct, y a eu du suivi, j’ai tout géré tout seul. C’était bien sympa, je me suis éclaté, et j’ai même fait produire un clip. J’avais ce projet en tête, avec un danseur qui est un pote de Poitiers, et j’avais ce masque, je voulais m’en servir comme référence dans le clip. Pour moi ça faisait un clin d’œil à Herbie Hanckock, au côté africanisant, mystique, mais aussi à la culture vaudou de l’EP d’avant de Trepalium, et même la musique elle-même, les outils que j’utilise, un peu afro-futuriste… C’est un projet un peu Electro où je chante en malien, donc ça fait sens. Bref. Je me suis dit que j’allais m’en resservir, de ce masque, parce que j’aime bien croiser, percuter, toutes mes idées à différents niveaux. Y a pas une seule lecture de ce masque, c’est un clin d’œil, c’est aussi une référence à ce que j’ai fait avant. Pour finir, est-ce que vous avez déjà pensé à la suite ? J’ai deux projets sur le feu, qui n’ont rien à voir, dont le prochain album de Trepalium qui se prépare. Pour Step In Fluid, on vient juste de sortir Back In Business, donc je vais pas te parler de “suite” dès maintenant, mais on imagine, on voudrait en tout cas, un troisième album. On va pas s’arrêter comme ça. Enfin, ça peut s’arrêter comme ça, mais on voudrait pas. Zbrlah (Décembre 2019)
Merci à Harun pour sa disponibilité et sa gentillesse.
A voir sur Metalorgie
Laisser un commentaire
Pour déposer un commentaire vous devez être connecté. Vous pouvez vous connecter ou créer un compte.
Commentaires
Pas de commentaire pour le moment
◄1► |