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C'est quoi gérer un label ? La réponse de Guillaume (Klonosphère)
On s'est posé une question toute bête, et on a voulu y répondre. C'est quoi gérer un label en 2019 ? Et puis en tirant sur le fil, on s'en est posées d'autres, des questions. Quel volume de travail cela représente-t-il ? Comment se faire repérer par un label aujourd'hui ? Comment vendre des disques face à la gratuité d'Internet ? Pour nous répondre, quatre maisons nous ont ouvert leurs portes, avec des profils différant par la taille, les genres abordés, menant à des approches parfois diamétralement opposées. À dessein, nous avons gardé une trame d'interview commune afin de mettre en avant les méthodes propres à chaque écurie, tout en nous efforçant de conserver une cohérence générale. Dans la continuité de notre interview de Pauline, roadie de l'extrême, nous espérons vous en apprendre plus sur les métiers de l'ombre dans le milieu Metal actuel.
 Pour te situer, peux-tu nous dire quand tu as démarré, combien de sorties tu as à ton actif et combien d’artistes sont passés ou sont dans ton roster ?
Klonosphère existe depuis 2001 et n’était pas vraiment un label au début mais plutôt un collectif artistique regroupant Klone, Trepalium, Hacride et d’autres groupes. A partir de 2010-2011 on a commencé à travailler sur nos premières sorties comme Step In Fluid et Lizzard. Et depuis, on bosse la communication d’une dizaine de groupes par an, voire une vingtaine lorsque l’on a collaboré pendant deux ans avec Pelagic Records mais c’est devenu compliqué à gérer sur la fin. Depuis, on se concentre uniquement sur les sorties Klonosphère qui recensent trois types de groupes : les formations encore toute jeunes, les groupes ayant déjà sorti un ou deux disques, et parfois des plus gros noms comme Psykup ou Nostromo. Généralement ce sont les groupes qui nous contactent pour que l’on travaille ensemble.
.png) Combien de personnes travaillent aujourd'hui pour Klonosphère de façon régulière ?
On est trois à l’heure actuelle, Julie, Pat et moi. Aujourd’hui je supervise l’activité, tandis que Julie et Pat s’occupent de la communication, j’aide ponctuellement car je suis aussi occupé avec mes propres projets musicaux.
J’imagine que tu reçois beaucoup de démos, comment t’organises-tu pour tout écouter et faire le tri ? Est-ce que tu prends des notes pendant l’écoute ? Tu fais attention au nom du groupe, des titres, à l’artwork, ou seule la musique compte ?
Je reçois beaucoup de demandes de groupes français ou étrangers. Parmi nos critères, la qualité musicale bien sûr, la production, mais aussi d’autres facteurs comme une cohérence visuelle (les photos du groupe, la pochette de l’album…) ou de l’expérience sur scène. Plus ces éléments positifs sont nombreux plus le travail sera simple pour nous ensuite. Honnêtement je n’ai pas le temps de tout écouter, ou alors j’ai du retard, il me faut parfois deux ou trois mois de délais avant de pouvoir découvrir un groupe. Ça a été le cas avec Soundcrawler notamment. Sinon concernant le style musical, on choisit de rester sur du Rock à tendance Metal et on a toujours une ou deux sorties extrêmes dans l’année aussi.
Quelle est la routine quotidienne d’un gérant de label ? Qu’est-ce qui représente le gros du travail ?
On a beaucoup de mails à écrire, des coups de téléphone, du travail administratif, des fichiers Excel à remplir. On communique aussi beaucoup avec les artistes pour leur expliquer ce que l’on met en place. Et puis à la sortie d’un disque on doit aussi gérer le référencement pour que l’album soit disponible sur les plateformes de streaming, mettre en place la distribution via Season Of Mist. Il y a aussi du suivi, du démarchage auprès des média pour amener les journalistes à écouter nos disques. Ils sont déjà très sollicités et notre but c’est aussi de trouver un axe pour les intéresser. Ça a été le cas pour le premier album de Flayed que l’on avait envoyé à Rock Hard, en sachant que le rédacteur en chef Philippe Laja allait l’aimer. Il a aussi mis du temps à l’écouter mais a accroché et ça a fini par payer car le groupe a été interviewé sur trois pages et chroniqué dans le magazine. Le problème reste que tout le monde a peu de temps.
Guillaume, sur scène avec Klone - Hellfest 2019
Signerais-tu un groupe qui ne te plaît pas plus que ça mais qui aura une résonance chez les auditeurs ?
Il m’est déjà arrivé de bosser avec des formations que je n’écouterais pas tous les jours. Je signe des groupes de Metal mais ce n’est pas une musique que j’écoute en permanence, je l’écoute surtout depuis un bon nombre d’années, ce qui me permet quand même de détecter quand un album est de qualité et qu’il peut plaire. Quand tous les éléments sont favorables et qu’un groupe est conscient du travail qu’il doit fournir, je peux choisir de les aider si je sens de la motivation et qu’on s’entend bien.
Il y a une part d’humain à prendre en compte donc...
Oui, je serai réticent si le courant ne passe pas ou si le groupe a des attentes démesurées. Parfois on tombe sur des musiciens avec des étoiles plein les yeux qui n’ont pas vraiment conscience que le milieu est difficile, il faut leur expliquer la nécessité de réfléchir à long terme et de développer un projet sur plusieurs albums.
Klonosphère est une maison plutôt axée sur les groupes français. Est-ce une nécessité actuellement de rester dans une sorte de niche (musicale ou géographique) et de ne pas trop s’éparpiller ?
Musicalement on a pour critère numéro un la qualité du projet, on ne veut pas rester tout le temps sur le même créneau question style. Mais l’objectif principal reste le même depuis ses débuts, à savoir proposer une structure pour placer des groupes en lesquels on croit en bonne position afin qu’ils puissent évoluer ensuite. Notre but n’est pas du tout de grossir, et je suis d’ailleurs très content quand je vois qu’un groupe qui a fait un ou deux albums chez nous arrive à signer sur un plus gros label par la suite, c’était le cas pour Kadinja qui est maintenant sur une succursale de Nuclear Blast Records. On voit Klonosphère comme un label étape, surtout aujourd'hui, en des temps où les gros labels ne signent que très peu de nouveaux groupes et ne prennent pas de risques financiers sur des premiers albums. Ils préfèrent miser sur des artistes déjà développés donc notre idée est de guider les musiciens, il m’est déjà arrivé de démarcher des labels pour certains groupes de chez nous, mais Trepalium par exemple, avec qui on bosse depuis des années, ne cherche pas à changer car ils sont satisfaits de notre travail. Voilà, on cherche à offrir un pallier, mais on n’a pour autant aucune garantie à terme sur le succès ou non du groupe, c’est quelque chose qu’on ne peut pas prévoir, dans un sens comme dans l’autre.
Tu as sans doute déjà fait face à des difficultés en voulant signer un groupe ou sortir un disque, peux-tu nous en parler ?
La vraie difficulté je l’ai ressentie au début, au moment de créer un réseau, là c’est parfois compliqué d’avoir des réponses. J’ai mis longtemps avant d’avoir des retours de média comme Oui fm, Zégut (RTL2) ou Télérama, mais à force de persévérance on finit par avoir des réponses et tout ça se décoince. Même chose avec les distributeurs, il faut leur prouver que l’on est sérieux et crédible quand on signe un deal avec eux. Mais une fois ces choses-là mises en place, le plus dur reste la visibilité, dans les magazines spécialisés notamment au vu du modèle économique de ces journaux. Car au bout d’un moment ces média vont parler de tes groupes si tu achètes des encarts pub chez eux, ce que peut faire un Nuclear Blast Records ou un Century Media Records, car ils ont des moyens que n’a pas une petite structure comme Klonosphère. Et quoi qu’il arrive, cela revient à acheter de la visibilité et c’est un investissement que nos groupes ne retrouveront jamais à la même échelle dans leurs ventes de disques. Du coup je préfère nettement conseiller à un groupe d’investir des moyens financiers dans du digital et des tournées car c’est sur scène que ça se joue.
Fais-tu ou as-tu déjà fait des sorties en collaboration avec un autre label ? Tu parlais de Pelagic Records notamment, quel est l’intérêt d’avoir un partenaire dans ces cas-là ?
C’est plus compliqué que ça, en réalité Klonosphère et Pelagic Records n’ont pas été partenaires mais Klonosphère travaille aussi en tant qu’attaché de presse sur des sorties. Robin m’avait proposé de bosser sur la promotion française de Cult Of Luna, Mono, etc., mais ça s’est avéré plus compliqué que ce que j’imaginais au départ. Le cumul avec les sorties Klonosphère était difficile à gérer et n’était finalement pas assez intéressant financièrement au vu de la charge de travail, donc j’ai préféré me concentrer uniquement sur nos productions.
Y a-t-il une sortie qui te rende particulièrement fier ?
C’est dur de choisir, surtout qu’il y a beaucoup de groupes avec qui le contact est très bien passé. Je pense à Kadinja par exemple, Step In Fluid et Trepalium évidemment car ce sont des potes. Même chose pour un nouveau groupe qui s’appelle Uncut, de Poitiers comme nous, et il y a beaucoup d’entraide car ce sont des petits jeunes qui découvrent le milieu. 7 Weeks aussi c’était très chouette artistiquement, pareil pour Jumping Jack, et plein d’autres projets que j’ai forcément oublié de citer avec qui j’ai fait de super découvertes tant sur le plan humain que musical.
 Avant l’explosion d’internet beaucoup de labels ont pressenti une crise du disque et nombre d’entre eux ont dû fermer leurs portes. Maintenant, avec une boutique en ligne, des média comme bandcamp, youtube, des chroniques dans diverses langues, est-ce que tu dirais qu’internet est toujours un danger pour un label de musique underground ?
Pour un groupe c’est déjà nettement moins cher de diffuser sa musique en streaming plutôt que de presser des albums et de les envoyer aux quatre coins du monde. Quant à la crise des supports physiques, elle est réelle, mais on a la chance d’être dans un genre où les gens achètent encore du cd et du vinyl après les concerts. Personnellement internet ne me dérange pas, au contraire, aujourd'hui on touche de plus en plus d’argent par ce biais-là, non pas avec les ventes numériques mais avec le streaming. Et concernant les grosses maisons de disques, bien sûr certaines ont eu l’impression que leur monde s’écroulait mais c’est aussi parce qu’elles n’ont pas voulu s’adapter et ont préféré râler dans leur coin. Même si la transition est difficile, il me semble que la façon de travailler vers laquelle on tend avec les outils dont on dispose est plus efficace, pour tout ce qui concerne le ciblage par exemple. Une pub Facebook bien ciblée te rapportera bien plus de retours qu’une page de magazine, sans compter qu’on a accès bien plus facilement aux morceaux, il suffit d’un clic. Je ne sais pas ce qui se passera dans les prochaines années, mais je suis plutôt confiant. Certains disaient que le nombre de groupes allait réduire et c’est tout à fait l’inverse, on a quantité d’artistes qui n’ont plus à suivre les desiderata des maisons de disque, ça peut même ouvrir plus de voies qu’avant au niveau artistique pur. Il y a de belles surprises, quand on voit des parcours comme celui de Carpenter Brut qui s’est fait connaître sur internet et s’en sort très bien sans maison de disque. Au point qu’actuellement en se formant sur les tâches à faire et en s’entourant des bonnes personnes, un artiste peut se passer d’un label classique et mieux s’en sortir financièrement. Quand on voit certaines majors, on réalise qu’elles fonctionnent encore comme il y a vingt ans ou qu’elles commencent juste à s’adapter à des changements à l’œuvre depuis déjà des années. Rien ne s’écroule, c’est simplement la façon de consommer la musique qui a évolué, les cds ont remplacé les vinyls à l’époque tout comme le numérique prend de l’importance actuellement et impose de réfléchir différemment. On ne vise plus les radios FM inaccessibles mais les webradios et les playlists avec bien plus d’auditeurs dans lesquelles il est bien plus facile d’être diffusé. Il faut être un peu malin et se poser les bonnes questions.
A l’approche des années 2000 on a eu le droit à un discours sur le retour du vinyle, et même de la cassette dans une moindre mesure. Qu'en est-il pour Klonosphère ? Y a-t-il un format qui a la cote ?
En termes de revenus j’ai l’impression qu’on est à peu près à égalité entre les ventes numériques et physiques, bien que ça varie d’un style à l’autre. Par exemple Kadinja qui joue une musique moderne et plutôt Djent fait beaucoup de ventes numériques via Spotify, ça doit représenter 60 % à 70 % de ce qu’ils vendent. A l’inverse, 7 Weeks qui est un groupe de Stoner, va écouler bien plus de disques et surtout après les concerts plutôt que via un distributeur. Pour ce qui est du vinyl, certes ça revient mais les groupes n’en pressent que 300 à 500 en moyenne et c’est cool si ils arrivent à tous les vendre. Pour le dernier album de Klone, Season Of Mist qui est notre distributeur, nous en a pris 200, donc on ne parle pas non plus de milliers de vinyls. Après, à la sortie d’un concert pas mal de gens en achètent quand ils ont pris une claque, c’est un support plus attractif que le cd ou un clic sur Spotify, et certains ne l’écoutent même pas mais ils ont été séduits par la pochette ou l’objet en lui-même.
 C’est marrant, je n’avais pas envisagé qu’un sous-genre au sein même du Metal puisse influencer la vente de tel ou tel support…
C’est sûrement une question de génération, les gens qui ont mon âge et qui ont élevés en écoutant de la musique sur CD ou vinyle ont peut-être plus tendance à continuer d’acheter du physique, il y en a même certains qui bloquent encore sur le fait d’écouter en streaming. Et à côté de ça on a des générations plus jeunes qui découvrent toute leur musique sur internet, avec une plus forte tendance au zapping aussi. Les « vieux » vont plus user un disque et s’intéresser au concept derrière tandis que des auditeurs plus jeunes font parfois tourner des playlists sans savoir quels groupes ils écoutent mais ils savent qu’ils aiment cette musique. Mais je comprends, j’aurais rêvé à 15 ans d’avoir autant de musique à portée de main car j’étais très curieux. En réalité à cet âge-là j’avais quatre disques, je faisais des échanges avec mes potes, certains albums étaient d’ailleurs introuvables, et on retournait nos cassettes de Pantera en boucle et en boucle.
Quelle recommandation ferais-tu à l’heure actuelle à un jeune groupe de Metal qui souhaiterait être signé ? Que ce soit d’ordre très général ou très pratique…
Il faut prendre le temps de connaître le milieu dans lequel on évolue pour ne pas avoir de désillusion. A part ça, la clé d’un groupe c’est aussi la motivation donc il faut se fixer des objectifs à long terme sur deux ou trois disques. Il est aussi important de prendre conscience que dans le milieu Metal l’image est aussi importante que la musique, le groupe doit apporter quelque chose qui nourrisse l’imaginaire. Tu peux écrire le meilleur morceau du monde, s’il est accompagné d’une photo toute pourrie personne n’aura envie de cliquer dessus. C’est la même chose quand on feuillette un magazine, l’œil sera forcément attiré par les costumes bizarres de Slipknot et pas par un groupe qui ressemble à des collégiens qui ont pris une photo à l’arrache après les cours. Donc il y a du boulot sur l’image, mais aussi montrer qu’on a la gnaque en live. Et puis même si on est doué.e en musique ça ne suffit pas, il faut aussi se créer un réseau et rencontrer les bonnes personnes qui nous feront avancer, montrer qu’on est présents, etc.
Merci beaucoup pour le temps passé à répondre à cette interview, je te laisse la parole pour conclure comme tu l’entends.
Merci à tous les gens qui soutiennent notre label depuis le début, merci aussi aux gens avec qui on travaille, notamment dans les webzines qui comptent beaucoup de bénévoles. On bosse avec des passionné.e.s, et certains sont présents depuis plus de vingt ans maintenant sans rien lâcher, c’est aussi grâce à eux qu’on est toujours là aujourd'hui donc gros respect.
Merci à Anne-Laure Deylaud pour son aide sur cette interview. Si vous l'aviez ratée, voici la première interview de ce cycle avec la réponse de Shaxul pour l'Armée de la Mort.
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