Comment j'ai signé Mayhem ! (Season Of Mist) [par téléphone, 2018]

Mayhem. Rares sont les groupes de metal extrême dont le simple nom stimulent autant l'imagination, à l'épicentre d'un mouvement musical assez sulfureux pour faire parler de lui dans le grand public, tellement qu'on en parle encore aujourd'hui et qu'Hollywood s'en est emparé, pour le plus grand déplaisir de Necrobutcher et des fans. Comment le plus important groupe de Black Metal norvégien s'est-il retrouvé sur Season Of Mist, un label français pour ainsi dire inconnu à l'époque et n'a pas bougé depuis malgré l'instabilité qui le caractérise ? C'est ce que nous avons demandé à Michael Berberian, fondateur du label.


Mayhem, époque Chimera

Te souviens tu comment tu as découvert Mayhem ?

Michael Berberian (Season of Mist) : En fait j'ai commencé le Black Metal grâce à une bande de potes qui m'ont fait découvrir cette musique, en 92/93. C'est à peu près au même moment que j'ai organisé un concert de Samael. C'était donc avant la sortie de De Mysteriis Dom Sathanas, en plein dans l'ère du tape trading.

Est-ce que tu as connu Euronymous et Dead ?

Non, Dead était déjà mort. [sic] Euronymous, je n'ai pas eu l'occasion de communiquer directement avec lui, bien qu'il soit passé dans la région Sud, sur Marseille, chez Alex d'Agressor. Il est resté quelques temps avec lui et c'est d'ailleurs pour ça qu'il y a une profusion de Deathcrush dans le sud de la France alors que c'est un des LP les plus rares du black metal. En fait, il était descendu avec beaucoup de vinyles et toute l'équipe d'AgressorMutilated, le Death Metal old school français était très proche de lui. Moi, je suis arrivé juste après.

Comment en es-tu arrivé à les signer ?

Quand j'ai commencé à sortir des disques en 1995, je faisais ça dans ma chambre d'étudiant. Je dormais sous les cartons. Ca a pris un petit peu d'ampleur entre trois quatre ans avec des petites sorties comme ...And OceansBloodthorn, etc et en 1999, quand je me suis posé la question d'en faire mon métier ou pas, j'ai décidé de me lancer. Et là, je savais que je devais essayer de signer des groupes de plus grande ampleur. Et il y a deux groupes sur lequel je suis allé en même temps. Je m'en rappelle, j'étais en route pour le Dynamo Open Air en voiture et j'étais en négociations avec les deux groupes. Le premier, c'était Nocturnus, le groupe de Death Metal technique légendaire de chez Earache, on a sorti l'album Ethereal Tomb, qui n'est malheureusement pas super bon d'ailleurs. Le deuxième était Mayhem. C'était une négociation assez spéciale puisque j'avais sorti le premier CD de Black Metal français historiquement, Les Blessures De l'Âme de Seth. (NDR : Même si les disques n'étaient pas vraiment sortis à proprement parler, Les Légions Noires avaient sévi avant.) J'étais ami avec le groupe depuis un moment et ils étaient partis vacances en Norvège, pendant lesquelles ils sont passés au légendaire Elm's Street pub, où tout le monde traînait dans la scène Black Metal à l'époque. Et le chanteur de Seth m'appelle et me dit : « Il y a Necrobutcher à côté de moi. ». D'entrée, je lui dis : « Passe-lui ton téléphone ! ». Donc il a passé son téléphone à Necrobutcher alors qu'il ne lui avait même pas dit bonjour, en lui disant que quelqu'un voulait lui parler. Et donc j'ai Necrobutcher au téléphone et je lui dis : « Ecoute voilà, tu ne sais pas que je suis mais j'ai entendu dire que vous enregistrez un nouvel album en ce moment. Je suis un label français et j'essaye de me lancer par tous les moyens possibles donc je vais te faire une proposition très simple. Si tu as des billets d'avion dans ta boîte aux lettres dans deux jours, est-ce que tu descends à Marseille me parler ?». Là, il y a un blanc, tu ne sais pas s'il va t'insulter ou te raccrocher au nez. Et suit un moment qui, quelque part, change ma vie, puisqu'il me répond directement, sans dire bonjour ni rien : « J'aime bien les mecs qui ont des couilles. Fais-le. ». Donc je lui envoie les billets d'avion, sans que je lui ai fait une offre ou quoi que ce soit, il descend sur Marseille. Là, je sais qu'il a parlé à Hammerheart Records, à Nuclear Blast Records, à tous les labels, tout le monde voulait Mayhem à l'époque. Je l'invite au restau et il reste une nuit et une journée pendant lesquelles je discute avec lui. Et ça se passe bien, il m'aime bien, il voit que j'ai les crocs, que j'ai envie. J'étais jeune à l'époque, 25 ans et je viens d'arrêter mes études en cours de route. On commence à parler d'argent, je lui promets des choses que je n'ai absolument pas. Je n'ai pas le premier centime devant moi, de manière à avoir le coup. Mon idée était que, même si je signe Mayhem pour trop cher, ça va tellement me lancer que je me rattraperais derrière. C'est un peu le raisonnement économique de la haute couture : Dior ou Chanel ne gagnent pas d'argent sur leurs défilés, ils en perdent, mais ça leur permet de vendre des parfums derrière. Je me suis dit que ça lancerait le label, de sortir un peu de l'underground, qui était très très viable à l'époque, mais j'avais toujours eu l'idée d'être un peu plus gros, de faire les choses bien. En France, il y a eu la grande époque des labels comme Osmose Productions, Adipocère, Holy Records et ils se sont toujours un petit peu limités dans leur croissance, soit parce qu'ils n'avaient pas l'organisation, soit parce qu'ils n'en avaient pas l'envie. Moi, je l'avais, je voulais faire les choses à un niveau quasiment industriel. Donc ça impliquait de signer des gros groupes, de les séduire quelque part et de faire des sacrifices ! Donc j'ai vendu quelque chose à Jorn (Necrobutcher), qui m'a cru et m'a donné une chance. Il a vraiment pris un pari en me disant OK, on va aller sur un label que personne ne connaît. D'abord parce que l'offre financière était bonne, et ensuite parce qu'il a vraiment compris que je mettais tout sur lui. C'était un coup de poker phénoménal pour moi et je ne sais pas s'il avait conscience que je n'avais pas cet argent. Donc on fait un deal et là faut que je trouve de l'argent. Il a donc fallu que je vende l'intégralité de ce que je possédais, tout. J'ai quitté mon appart pour retourner chez mes parents, j'ai vendu ma caisse, j'ai vendu toute ma collection de vinyle et j'avais tout en Black Metal, tous les trucs que tu vois à 1500 balles sur ebay aujourd'hui. Je les ai vendus pour une bouchée de pain à droite à gauche. J'ai appelé tous les gens que je connaissais comme par exemple Christian d'Adipocère que je salue au passage, je lui dis que je vais sortir le nouveau Mayhem et qu'il a deux choix : soit il le paye 40 maintenant, soit ça sera 50 à la sortie. J'ai eu des avances un peu partout comme ça, j'ai gratté tout ce que j'ai réussi à mettre de côté à l'époque. Je ne viens pas d'une famille riche, je pouvais pas compter sur mes parents, mon père était au RMI et ma mère en invalidité donc c'était pas du tout propice pour moi. Toutes les banques m'ont claqué la porte au nez en me disant que j'étais fou et que j'allais me planter. Mais bon j'ai réussi, par la confiance et grâce aux autres labels français qui m'ont soutenu, surtout Adipocère, Displeased Records, quelques trucs comme ça et avec la petite distro que j'avais, à financer le truc tant bien que mal.

Vient ensuite l'épisode de la signature. La chronologie est la suivante : Necrobutcher descend à Marseille et accepte mon offre. Plusieurs coups de fils après, on s'est mis d'accord sur les montants. Je devais signer le contrat avec eux lors de leur premier concert en France en leur remettant une partie de l'avance. C'était en 1999, Fred de Garmonbozia organisait alors son premier festival en France. Il y avait Mayhem, Nile, Cryptopsy, Vader, Enslaved et d'autres, une affiche de fou quoi, avec un espèce de concours de batteur de folie, un putain de fest ! [NDR : voir notre interview de Fred sur ce sujet par ici.] Donc je monte à Rennes, Garmonbozia débutait à peine à l'époque, on était dans un Formule 1, pas du tout un quatre étoiles ! C'est là-dedans qu'on signe le contrat, quelques heures avant leur concert. Et ce concert, c'était le premier test, j'ai alors compris à quoi j'allais me frotter. Tous les groupes ont joué et ça s'est super bien passé, c'est au tour de Mayhem. Maniac est complètement bourré sur scène avec ses couteaux, à manquer de filer des coups au public. Ils terminent le concert en mode provoc' absolue par une reprise des Dead Kennedys (NDR : C'était en fait No Feelings des Sex Pistols). Et là, t'as Maniac qui rentre backstage avec ses couteaux, dans un état pas second mais troisième, prend tout ce qui se casse et le jette sur les murs. A un moment, il prend une espèce de gros pot de confiture et manque de le jeter sur le tableau électrique. Là, je gueule en disant « Arrête, tu vas faire sauter toute la salle ! Faut pas faire le con». Il y a du verre partout par terre, le mec est en caleçon en sortant de la douche et se met un énorme tesson de verre dans le pied. Il y a du sang partout, il s'essuie le sang avec la main, il la regarde, me regarde et s'essuie sa main pleine de sang sur ma gueule ! Donc j'ai fait ce qu'il fallait faire, je me suis levé et je lui ai mis une droite. Tu signes un groupe un jour et trois heures après, t'es obligé de mettre une beigne au chanteur ! Je me rappelle qu'il y a Hellhammer et les autres qui sont en train de regarder ce qui se passe. Hellhammer, gros bras, qui a l'époque était encore plus musclé qu'aujourd'hui, on parle d'il y a 20 ans, au summum de sa forme physique. Il arrive et me dit : « Tu viens de gagner notre respect ! » et il s'en va. Voilà, ça c'est la signature du Mayhem : du sang sur ma gueule, une bagarre et un membre du groupe qui ne défend pas son chanteur mais qui me dit que j'ai fait ce qu'il fallait !
 
Après, c'est l'épisode de la réception du master en 2000. Je monte en Suède pour leur donner la plus grosse partie de l'avance, parce que Mayhem voulait être payé cash, donc ils ne voulaient pas être payés en Norvège et se faire attraper par la douane. Donc je leur file un gros paquet de cash à Göteborg et eux me donnent le master de Grand Declaration Of War que j'écoute immédiatement. La face A, c'est normal, et la face B, c'est la grosse surprise avec tout le côté Indus / Techno complètement aventureux de Mayhem. Moi, je tombe sous le charme de suite, parce qu'en plus d'être metalleux, j'ai un gros background Goth / Indus et j'ai toujours été branché art. J'étais très content d'avoir un album qui allait être un challenge artistiquement, dès le départ. Mon premier gros album est un album risqué. Mayhem eux, partent avec l'argent et se démerdent pour l'enterrer dans la forêt pour pouvoir le récupérer petit à petit après en voiture, sans se faire choper par la douane. Ils font ça à la Mayhem, comme d'habitude, à leur manière, très Punk. A l'époque, je ne sais même pas si avec Schengen, on pouvait voyager avec autant d'argent dans l'Europe. C'était très très chaud, c'était la première fois que je voyais autant de cash de ma vie à l'époque. C'était assez fun et cette signature a complètement lancé notre carrière. On a fait plein d'erreurs après, on est humains mais ça a été un coup d'envoi absolument magnifique. 



Est-ce que ça s'est bien vendu dès le début ? 

L'album a marché. Il s'est fait beaucoup gueuler dessus à l'époque parce qu'il était très aventureux. Là on ressort une version avec un remix/remaster complet le 7 décembre et quand je le réécoute, je me dis qu'il n'a pas vraiment vieilli, par rapport au reste. De Mysteriis Dom Sathanas est intemporel mais je trouve que Deathcrush a vieilli et Chimera a un peu vieilli aussi. Ce n'est pas le cas de Grand Declaration Of War, qui pour moi est l'album qui représente Maniac dans toute sa folie, tandis que Ordo Ad Chao est centré sur Blasphemer et Attila et Chimera c'est vraiment Blasphemer dans le côté froid, clinique. Grand Declaration Oof War, c'est cet espèce de général fou qui prend les commandes de Mayhem. C'est un album magnifique.

Pourtant, beaucoup de gens étaient sceptiques de cette reformation de Mayhem sans Euronymous.

(Soupir) Tu sais on a encore toujours les gens qui nous disent que « Mayhem est mort après Dead », « Mayhem est mort avec Euronymous ». Moi, je dis que Blasphemer a été le meilleur guitariste de Mayhem, tout simplement, il n'y a pas photo. Quand ils ont chopé ce gamin, parce que c'était un gamin quand il a rejoint le groupe, je pense que c'était le seul qui pouvait remplacer Euronymous, qui a écrit De Mysteriis Dom Sathanas, un album qui restera à jamais dans l'histoire au même titre que le premier album des Sex Pistols ou le premier Lou Reed. Cet album est l'icône d'une époque, il est intouchable. Va savoir ce qu'il aurait écrit derrière ! La trilogie d'albums avec Blasphemer et la folie qui entoure ce groupe, cet espèce de côté Punk "On fait jamais rien de bien, on fait tout comme on veut, on va être un groupe qui va se réinventer à chaque album, qui met cinq ans à les sortir et qui sonnent différemment, mais on fait pas du Marduk quoi !" Même sans Euronymous, ça reste un putain de groupe artistiquement intéressant. Sur scène, il y a eu des moments où ils ont été pathétiques et d'autres où ils ont été géniaux, ils ont toujours eu des frontman avec un charisme pas possible. J'en parlais d'ailleurs avec Jorn (Necrobutcher), Mayhem c'est plus gros que la somme de leurs membres individuels. Il y a une sorte d'aura mystique autour, qui fait que quand t'y entres, tu sens qu'il y a une espèce de pression d'être encore plus fou que tu l'es à la base quoi. Je pense que le line-up live qu'ils ont actuellement est peut-être le meilleur qu'ils n'ont jamais eu. On attend le premier vrai album de Teloch où il va pouvoir vraiment se lâcher et être lui-même. Je suis curieux d'entendre ça, pour voir s'il va vraiment y avoir un Mayhem version III. Il y a le premier Mayhem qui en quelque sorte invente le Black Metal avec De Mysteriis Dom Sathanas, le deuxième avec Blasphemer qui sort avec Grand Declaration Of War et Ordo Ad Chao, deux putains de statements artistiques et la troisième version où on sent que le groupe a vraiment encore quelque chose à donner, mais on attend la pièce maîtresse et on ne l'a pas encore eu. Je crois qu'ils sont en train de travailler dessus, j'ai hâte.

Donc Grand Declaration Of War est le plus grand succès commercial de Mayhem sur Season Of Mist ?

Oui, parce que c'est sorti à une époque où on est sur la fin de l'âge d'or du CD. Il est plus accessible qu'Ordo Ad Chao et Chimera est un album beaucoup plus froid, malgré de très bons morceaux ! Donc oui, ça a été un gros succès, je pense même peut-être le plus gros succès de l'histoire du label parce qu'à l'époque, le CD se vendait tout de même infiniment plus. Aujourd'hui, il faudrait rajouter les chiffres du digital pour avoir une base de comparaison solide. Et moi, j'ai vu Mayhem jouer devant 80 personnes quand on a sorti Ordo Ad Chao, au moment où ils étaient vraiment au plus bas en terme de popularité. Aujourd'hui, le phœnix renaît de ses cendres et fait à nouveau de grosses jauges. Je les ai donc suivi pendant ces vingt ans, la signature de Mayhem reste quand même le moment où on savait que Season Of Mist serait notre boulot pour le reste de notre vie. Ca nous a permis de signer plein d'autres groupes derrière, même si on a eu une espèce de trou après Mayhem entre six à huit ans, où on a signé Carpathian ForestMacabre, des groupes de petite envergure dirons-nous. Malheureusement, ça nous a donné une image de label Black Metal qui nous colle toujours à la peau aujourd'hui alors que c'est pas vrai. Et après il a eu un renouveau au début des années 2000 quand on a signé Cynic, Dillinger Escape Plan, Kylesa, le désastre Morbid Angel, Saint Vitus, Solstafir, Watain... On a signé des groupes venant de tous horizons et on essaye de donner cette couleur à Season Of Mist : c'est un label qui a des racines Black Metal où on fait toujours du Destroyer 666, du Revenge, du Mayhem ou du Watain, mais on fait aussi des trucs bien plus différeents comme Solstafir, Crippled Black Phoenix, Esben And The WitchMark Deutrom... Si Nuclear Blast Records et Napalm Records, et je ne dis pas ça péjorativement, sont les Hollywood du Metal, nous essayons d'être Sundance, celui qui va prendre le plus de risques artistiques sur ce qu'on signe, on essaye d'être un Profound Lore Records mais à une échelle plus grosse. 

Est-ce qu'il y a eu des moments où tu as senti que le groupe aurait pu partir complètement en vrille ou se séparer ? J'allais aussi te demander s'il y avait eu des tensions avec toi, mais quelque part tu m'as déjà répondu, puisque dès le jour de la signature, tu collais un pain à Maniac ! 

Qui était bien bourré, parce Maniac n'est pas quelqu'un à qui je pourrais mettre une beigne sans en recevoir une en temps normal. Je me suis engueulé avec à peu près tous les membres, pour une histoire ou une autre, évidemment. Mais il n'y a jamais eu de moment où le lien a failli être coupé entre eux et nous. Il y a eu des moments où ils ont eu de très grosses offres et je leur ai dit "Prenez les ! Allez-y, c'est pas possible!" Mais l'offre était tellement belle qu'évidemment, le label a explosé en route, il a été vendu et a cessé d'exister donc c'était effectivement de la poudre aux yeux. Et c'est pour ça qu'on s'est retrouvés vingt ans ensemble. Il y a eu des hauts et des bas mais en général, je pense que la relation entre Mayhem et moi est fondée sur le respect et l'honnêteté. Ils m'ont testé des dizaines de fois, ils ont vu qu'à fois ils avaient été payés et ils savent qu'ils peuvent avoir confiance en moi. Il y a cette phrase en anglais qui dit "The devil you know is better than the devil you don't." Je pense que je suis devenu le diable qu'ils connaissent. Peut être qu'ils considèrent un label comme un mal nécessaire mais ils savent que nous sommes celui dans lequel ils peuvent avoir le plus confiance. Des tensions au niveau du groupe, il y en a toujours eu. Mayhem est un groupe qui dysfonctionne naturellement. C'est toujours un groupe où tu as des bagarres, où tu as de fortes individualités. Oui, il y a eu le moment où ils ont viré Maniac pour ses problèmes d'alcool et ça allait très mal. Oui, Jorn Necrobutcher est parfois insupportable. Oui, Hellhammer a ses vices et son attitude, il se fout de tout. Oui, à un moment, Blasphemer n'en pouvait plus, il ne parlait à personne et ça se sent dans Ordo Ad Chao, c'est un groupe qui se déteste. Ils n'auraient pas pu le faire si le groupe allait bien. Je pense que le dysfonctionnement est le cœur de l'histoire de Mayhem, ça n'a jamais été un long fleuve tranquille et ça le sera peut être jamais. Ceci dit, aujourd'hui, le groupe est le plus fonctionnel qu'il ne l'a jamais été mais ça reste, par rapport aux autres machines qu'on a qui sont des groupes super organisés, quand même un sacré foutoir. 


Mayhem, époque Grand Declaration of War

A titre personnel, je pense que Blasphemer est un génie. Quand je l'ai interviewé l'année dernière, il m'a dit avoir composé Grand Declaration Of War dans sa tête, en faisant de longues promenades à pied. Les groupes ont tous leur manière de travailler mais je n'avais jamais entendu parler de quelqu'un qui composait de cette façon, encore plus pour un album comme Grand Declaration Of War.

Ca ne m'étonne pas. Après c'est un très très bon guitariste, un grand artiste mais il a un défaut. C'est quelqu'un que j'adore donc je me trimbale ses projets depuis des années : on a fait Ava Inferi et maintenant Earth Electric. A chaque fois il me dit "Je t'amène un album, ça y est, je vais faire un truc mainstream ! Tu vas voir ! Ca va être Rock, ça va être bien et entraînant." Et à chaque fois, c'est super compliqué, quoi. Je pense que c'est quelqu'un qui est tellement complexe dans sa tête que quand il doit écrire du Ordo Ad Chao ou du Grand Declaration Of War, c'est ce qui lui vient naturellement. Quand il doit faire du riff en 4/4 pour taper du pied, c'est pas lui, il sait pas faire. C'est ce que j'ai essayé de lui expliquer depuis un moment, et c'est pour ça que les Ava Inferi et Earth Electric ne prennent... pas. Parce qu'il n'a pas cette espèce de fibre rythm&blues quoi, il n'est pas capable d'écrire un morceau de Motörhead. Dans Aura Noir, il est aidé, c'est un travail d'équipe. 

Et de son propre aveu, ce n'est pas vraiment son groupe. 

C'est vrai aussi. En fait, Blasphemer est né pour écrire des riffs complexes négatifs et là il sonne comme lui-même et personne d'autre. Et c'est pour ça que j'ai insisté et que j'ai de suite aidé l'idée d'Vltimas. Ce projet a commencé quand il m'a dit "Dix ans après Ordo Ad Chao et la fin de ma carrière avec Mayhem, je voudrais à nouveau écrire un album extrême." Il avait un peu touché ça du doigt avec Nader Sadek mais encore une fois, ce n'était pas son groupe, c'était dirigé, commissionné. Il m'a dit qu'il voulait le faire avec Flo Mounier (Cryptopsy). Je connaissais David Vincent de Morbid Angel et lui aussi, ils avaient envie de travailler ensemble. J'ai un petit peu poussé tous les pions et aligné les étoiles pour que ça se passe. Je leur ai fait confiance et leur ai filé un budget. Et l'album d'Vltimas qu'on va sortir, c'est... (soupir) Bah c'est un bombe quoi. C'est vraiment ça. J'ai hâte que le monde l'écoute parce que c'est putain de bon. Donc je suis très content de l'avoir soutenu et oui, il est fait pour écrire des choses comme ça, pas pour faire du Earth Electric. Mais bon, j'ai eu plusieurs discussions musclées avec lui là-dessus, c'est comme ça. 

Certains rêvent de voir Mayhem en formation "Maiden" avec donc trois guitaristes et donc le retour de Blasphemer pour le temps d'un concert ou une tournée. Est-ce que ça pourrait arriver ? 

C'est pas du tout à l'ordre du jour mais ça a failli se passer. Mayhem a fait un concert à Oslo où ils avaient invité plein d'anciens membres comme Maniac ou Mannheim. Ca ne s'est pas fait avec Blasphemer. Il y a quand même pas mal de ponts qui sont cassés entre lui, Necrobutcher et Hellhammer. Il ne faut jamais dire jamais, je pense que ça pourrait se faire un jour. De même, je ne pensais pas qu'ils rejoueraient avec Maniac mais ils se sont retrouvés l'année dernière pour ce concert puis pour un autre en Suède où je crois qu'Attila avait déjà des engagements avec Sunn O))). Pour la première fois, il n'a pas pu y aller donc ils ont pris Maniac et il a été très bon ces deux fois. Mais je dirais que pour l'instant, Mayhem travaillent sur leur prochain album et Blasphemer est sur Vltimas, qui je pense va bien décoller. Ils n'en ont pas besoin. Si un jour, ils en ont besoin, peut être que ça arrivera mais ce n'est pas le cas pour l'instant. 



Vous allez donc ressortir une version remixée et remasterisée de Grand Declaration Of War. Qui est à l'initiative du projet ? 

C'est moi. Parce que l'ingé-son ne voulait pas, idem pour Hellhammer et Necrobutcher. J'ai un peu poussé tous les pions, encore une fois, parce que c'est un travail de long terme avec eux. J'ai retrouvé les master, on les a fait "cuire", un processus de restauration de bandes analogiques. Tu as des boîtes qui sont spécialisées là-dedans pour des master de musique classique des années 60. En gros tu as un problème avec la colle, qui détériore la bande magnétique, donc il faut cuire la bande à une certaine température dans une atmosphère contrôlée avec un certain taux d'humidité pendant des heures pour pouvoir faire fondre la colle et vite derrière faire un transfert numérique. C'est une opération risquée qui peut complètement endommager la bande ou ça peut se passer bien. On l'a fait avec Jaime Gomez-Arellano (ingé-son studio pour Ulver, Solstafir, Paradise Lost...). Necrobutcher était celui qui voulait le moins le faire. Hellhammer, quand je lui ai dit qu'on allait entièrement refaire le son de batterie, il était intéressé mais voulait le faire lui-même. Donc on l'a envoyé travailler avec Jaime et ça s'est très bien passé. Ils ont passé deux jours à tout corriger ! Il y avait des merdes sur cet album, des doubles triggers dans tous les sens, c'est pas le même niveau de technologie. A l'époque, ils avaient fait la batterie sur un ADAT, qui a un son dégueulasse. Ils ont fait Sherlock Holmes avec Jaime pour étudier chaque coup sur la batterie et ont retrouvé un son qui plaise à tout le monde. On a fait un espèce de compromis dans le son qui est bon, tout en gardant l'atmosphère originale, mais en donnant un côté plus organique à la batterie, moins kit en plastique. Et Necrobutcher, au fil du temps, s'est fait à l'idée, quand je lui ai montré des artworks. Je lui ai dit que son album avait vingt ans. Faire un remaster, même Pink Floyd et les Beatles l'ont fait. C'est pas une mauvaise chose, ça va pas nuire à ta crédibilité, t'es pas en train de commettre un crime quoi. Les trois autres membres ont trouvé le projet intéressant. J'ai fourni l'artwork, il a fallu payer trois artistes avant d'en trouver un sur lequel tout le monde tombe d'accord, cet espèce de Christ à la Léonard de Vinci, qui est devant les ruines du christianisme, un truc très ésotérique, un petit peu religieux, ce que Mayhem n'avait jamais fait, avec cet espèce de pigeon mort dans les bras. Je sais que les gens n'ont pas bien réagi à ce nouvel artwork au début, moi je le trouve fabuleux. On dirait une pièce médiévale du Quattrocento ! C'est Glyn Smyth, connu pour avoir bossé sur les artworks de Subrosa, qui a fait ça. Je trouve que ce mec est vraiment très très fort. Bref, l'album n'a plus ce côté Lapin Duracell que moi je ne supportais plus, ça le fait revivre, ça le modernise. Et tu vois qu'en fait, cet album aurait pu sortir aujourd'hui avec ce son et qu'il serait quand même bon.

Et quel était le sentiment de Blasphemer sur le projet, sachant qu'il a composé l'album ?

Lui était d'accord dès le départ quand j'ai lancé l'idée. Il était là : « Mais oui !! Mais merci, on va enfin pouvoir refaire ce son de batterie ! On va pouvoir corriger ça ! ». Maniac était enthousiaste mais a dit qu'il ne referait aucune voix, pensant qu'il ne pourrait pas faire mieux que sa performance de l'époque. Donc on a été obligé d'entièrement récupérer les parties vocales originales. Sur le reste en gros, c'est de la correction de batterie, pour les guitares, faudrait que tu en parles avec Gomez-Arellano, mais je crois pas qu'il y en ait.  

Quel a été ton meilleur concert de Mayhem et quand les as-tu vu pour la dernière fois ?

(soupir) Le plus fou... Tu vois l'interview de Necrobutcher donnée pour le documentaire A Headbanger's Journey ? C'était quand ils ont joué au Wacken en 2004, ce concert. T'as Maniac qui joue avec ses couteaux et ses têtes de cochon. Il tente de planter le couteau dans le sol sauf que la lame rebondit et il s'entaille la main salement, vraiment très profondément. Il commence à pisser le sang sur scène et au lieu de faire ce que toi et moi auraient fait : arrêter et filer vite à l'hôpital pour se faire recoudre, il termine le concert comme ça. Et ça le rend complètement fou. Il perd du sang, ça l’énerve, ça l'excite. Et là, tout le groupe sent qu'il y a quelque chose qui se passe, sans doute le concert le plus vicieux de Mayhem que j'ai jamais vu. Après leur set, Maniac tombe dans les pommes, il a perdu trop de sang. C'est Gunnar Sauermann (ancien journaliste travaillant maintenant au Wacken) qui l'amène. Il se fait coudre, il revient et se défonce la gueule. N'importe quoi ! Necrobutcher est énervé, pète un plomb, parce qu'ils sont tous dans un état second. Et il donne cette interview à Sam Dunn où il insulte tout le monde quoi ! Moi je suis à côté hors champ, tu vois Blasphemer qui est assis à côté qui se tient la tête en mode « Oh putain, mais qu'est-ce qu'il est en train de dire ! ». Mais lui aussi est mort aussi, il n'est plus capable de parler. Et moi, je suis mort de rire à côté en me disant « Mais putain, c'est fantastique ! Ca va devenir légendaire. ». Ils avaient aussi fait un espèce de quizz-test juste avant avec Satyricon et Mayhem avaient gagné parce qu'un journaliste leur avait filé les réponses à l'avance. Satyr était fou de rage ! Ca a été n'importe quoi ce jour-là, de la drogue à gogo, des filles partout, le mec qui revient de l'hôpital et se prend cinq shots de Jack pour « se désinfecter ». 
La dernière fois que j'ai vu Mayhem, ça devait être pour le Decibel fest à Philadelphie et je les ai revu peu de temps après sur la fin de la tournée De Mysteriis Dom Sathanas en Hollande. Mayhem, c'est un groupe qui marche en live maintenant, ils fonctionnent bien. Avant, ça pouvait être fou un jour et nul le lendemain. De nos jours, c'est un groupe plus qualitatif globalement.

Dans toute cette longue collaboration avec Mayhem, est-ce qu'il y a un ou plusieurs petits quelques choses qui te rendent fier ?

Eh bien dans ma vie, j'ai eu la chance de signer ce qui était mon groupe de Black Metal favori, Mayhem. Et j'ai aussi pu signer mon groupe de Death Metal préféré, Morbid Angel, même si je suis très conscient que je n'ai pas eu un classique. Et j'ai eu le privilège de signer mon deuxième groupe de Goth préféré, Christian Death. J'ai pu travailler avec des stars de mes goûts personnels dans les trois genres musicaux qui ont défini mon existence. Donc ça, c'est une fierté absolue. Avoir Mayhem pendant vingt ans, ça te forme un homme ! Tu prends de l'ampleur, tu apprends à dire non, à faire face aux conneries, aux conflits, à plein de trucs. Maintenant que nous sommes un label qui a fait son trou, quelque part, je crois que je n'aurais jamais pu faire ça sans l'expérience Mayhem. Ca a été ma formation sur le tas, un coup de poker pas possible, mais gagnant !

Pour finir, je suppose que tu pourrais nous raconter des histoires sur Mayhem pendant des heures. Est-ce que tu en as une pour nous ?

J'ai passé une journée avec Maniac où il m'a raconté toutes les conneries qu'ils ont pu faire. Ca va à des niveaux impossibles, stratosphériques. (soupir) Il y en a une où je n'étais pas présent, c'est Maniac qui me l'a raconté. C'est le jour où ils ont fait le Live à Milan. Il y a Robert d'Avantgarde Music qui leur fait goûter la grappa en disant « les Norvégiens, vous ne savez pas boire, on va vous faire goûter ça ! ». Et t'as Maniac qui ne comprend pas et qui se sert des verres à eau et se les descend comme ça. Et l'autre au lieu de le calmer lui dit « prends-en un autre ! » Et ils le mettent dans un état second. Il faudrait que Maniac te raconte ça en détail parce que moi, je me pissais dessus de rire, mais au bout d'un moment, il sent que ça commence à tourner. Il est tellement bourré qu'il ne trouve pas la porte. Il passe par la baie vitrée en la cassant, il y a les mecs du resto qui sont lui courent après, t'as Roberto qui essaye de les calmer. Là, il prend un taxi pour aller à son hôtel, qui était EN FACE de la rue, il devait juste traverser. Donc le taxi italien se dit « toi, mon coco, je vais te faire faire le tour de la ville ! ». Il le dépose donc sur le trottoir d'en face du resto. Il monte dans son hôtel dans lequel il partageait une chambre avec Blasphemer. Blasphemer est dans la chambre avec une ou deux gonzesses et lui dit de dégager sur le champ ! Donc, il pique une autre chambre, se prend une douche et va se coucher. Sauf qu'il avait oublié de se déshabiller pour prendre sa douche. Le lendemain, il va prendre son petit déjeuner, et le staff de l'hôtel lui dit qu'il est viré de l'hôtel parce qu'il a pissé sur le lit. Et il essaye de se justifier en disant « Mais non, j'ai juste pris une douche tout habillé !! ». A mon avis, il devait y avoir du vomi partout dans la chambre et ils ont cru qu'il avait pissé dans le lit. Enfin bref, le jour où il doit faire le concert Mediolanum Capta Est, il se fait virer de l'hôtel parce qu'il y a eu une soirée Mayhem normale. Il traverse une baie vitrée, fait le tour de la ville bourré et se fait jeter de son hôtel. Et des anecdotes comme ça, il y en a des centaines, largement de quoi écrire un livre. C'est pas Mötley Crue non plus, mais honnêtement, je les ai tous connus dans cette scène : les Emperor, les Gorgoroth, etc. Mais il n'y a pas un groupe auquel il est arrivé tant de conneries. Ils se sont faits jeter des molotov à la gueule, ce groupe est fou quoi !

Précédents épisodes de "Comment j'ai signé" ! : 

#1 - Textures 

#2 - Enslaved 

Neredude (Décembre 2018)

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