Sepultura - Paris 2018 Elysée Montmartre

Nous rencontrons Derrick Greeen, chanteur de Sepultura quelques heures avant l'unique date française de la tournée à l'Elysée Montmartre.  Quelques minutes plus tôt, tous les groupes se sont réunis sur scène avec les techniciens, régisseurs et roadies pour une séance photo dans une ambiance très conviviale.

 

Machine Messiah est un succès international, et a même été récompensé meilleur album de l'année par les lecteurs de Metalorgie. Qu'est ce que ça fait de revenir sur le devant de la scène ?

Merci à eux. Oui c'est magnifique. On a trimé pour en arriver là et particulièrement sur cet album ou on a vraiment donné tout ce qu'on avait, comme à chaque fois sur nos précédents d'ailleurs. Mais  ça fait vraiment plaisir de sentir cette connexion renouée avec le public et on prend énormément de plaisir a tourner à travers le monde, qui plus est avec pas mal de nouvelles chansons, et les retours qu'on a sont incroyables. On a six titres issus du dernier album que l'on joue sur la tournée, donc on met vraiment l'accent sur Machine Messiah et pourtant on n'a pas l'impression de faire du forcing, les retours qu'on a sont que les fans sont ravis de les entendre et mieux, ils attendent souvent ces morceaux.

Sepultura à travers les années a exploré pas mal de style, le thrash, le death, le "metal brésilien"… Vous semblez maintenant partir plus dans une tendance heavy et prog n'est ce pas ?

Oui, c'est juste. Les choses sont arrivées naturellement vers ces genres. On est principalement influencés par nos expériences en tournées et à la maison, parler à des gens, des fans que l'on rencontre, les endroits que l'on découvre, les groupes qui ouvrent pour nous et tout ça a une influence majeure dans ce qu'on a comme résultat au final dans le processus créatif. Ce qui est génial dans Sepultura c'est qu'on ne planifie rien, on ne force pas le destin, tout arrive naturellement au moment où il le doit. On prend le temps pour nos processus d'écriture et d'enregistrement pour être certains d'obtenir un résultat qui nous plait parce qu'on prend beaucoup de choses en compte. On regarde là où on est aujourd'hui et on reprend tout ce bagage qu'a le groupe depuis bien des années maintenant, même avant que j'arrive, je pense que ces éléments musicaux sont toujours présents. Et donc avec le temps, les gens évoluent et les éléments de notre musique également, je ne suis plus le même qu'à vingt ans, personne ne l'est, même si je suis toujours moi et il en est de même pour Sepultura. Le même groupe mais avec des expériences en plus.

Et est ce que vous décidez d'aller vers une certaine direction quand même ou c'est totalement inattendu ?

Je pense que c'est plutôt conscient de notre part, en tant qu'en tant qu'artistes qui évoluons et changeons. On est tous sur la même longueur d'onde, à savoir, que nous voulons toujours faire mieux et différemment que ce que nous faisions précédemment. On explore de nouvelles parties de notre musique et de notre personnalité et on veut exprimer ça.

Comment composez vous ? Est-ce Andreas tout seul ? Paulo ? Tous ensemble ?

Les chansons démarrent toutes par Andreas puis Eloy qui pose des battements dessus. Ils jamment à deux et échangent des idées et testent des trucs. Puis on se réunit a quatre et on recommence ce processus en studio puis ça repart chez Andreas qui fait des modifications, et ça revient, c'est comme un long processus de fonte ; trouver les sonorités qui nous correspondent. Donc avant les studios d'enregistrement album, on a énormément de boulot pré production. Avec la technologie maintenant on est capables de s'envoyer des trucs à distance, y réfléchir une nuit, et renvoyer un élément de réponse le lendemain. Donc au final c'est une accumulation d'idées, mais ça démarre toujours à la base des riffs d'Andreas avec ensuite Eloy qui vient ajouter son grain de sel. En revanche si l'un de nous quatre a quelque chose à dire c'est toujours entendu. On ne met sur album que des titres qui ont été validés par nous quatre. Si jamais un morceau ne convient pas à l'un de nous, il est modifié ou jeté. C'est ça aussi qui fait notre force dans Sepultura. Finalement pour nous, construire une chanson c'est comme construire une maison. Il y a plein d'étapes différentes avec des contraintes différentes. Par exemple les paroles arrivent bien plus tard dans le processus créatif alors que le style justement, ainsi que le thème, s'il y en a un, sont discutés au tout début. On sait vers où on s'oriente on ne sait juste pas où on va arriver.

Eloy a l'air d'avoir tiré le meilleur de vous tous depuis son arrivée, non ?

Je crois vraiment qu'il a apporté une toute nouvelle dynamique au groupe et qu'il nous a propulsé à un tout autre niveau qu'avant qu'il ne soit la. Je pense que tous avant …. En fait ça a toujours été important au sein de Sepultura qu'on soit tous connectés les uns aux autres, et Eloy a été cette pièce qui a fait que nous nous sommes tous retrouvés. La confiance et la sécurité du groupe a été restaurée quand il est arrivé, c'est quelqu'un qui veut vraiment être là, qui adore ce qu'il fait et ce feeling qu'il a et qu'il dégage vis-à-vis de la musique est implacable et les gens le ressentent vraiment.

J'ai remarqué quelque chose, lorsqu'on vous regarde jouer en live, vous êtes tous proches les uns des autres, rigolez, vous taquinez et semblez prendre plus de plaisir que les autres groupes qui existent depuis plus de trente ans. Y a-t-il un secret derrière tout ça ?

Ça fait plus de vingt ans que je suis dans Sepultura maintenant et Paulo et Andreas ont toujours eu cette attitude bon enfant, d'aller sur scène et s'amuser. Pour eux jouer ce n'est pas un métier c'est s'amuser et c'est une passion. Je pense que le jour où ça ne les amusera plus, ils arrêteront. Dès le départ pour ces deux la, le but c'était de faire de la musique pour s'amuser sur scène et s'amuser ensemble, avec les membres du groupe. Donc c'est vraiment un très grand privilège d'être avec ces deux là sur scène, et tu sais, je pense que l'on en apprend beaucoup sur la personnalité des gens lorsqu'on les voit sur scène et les voir prendre du plaisir c'est quelque chose de très naturel pour nous donc c'est ce qui doit transparaître au public, ça semble assez logique. Qui plus est on est sacrément potes. On est plus les uns avec les autres, qu'on ne l'est avec nos propres familles. (rires) on se connait tous vraiment par cœur et on arrive toujours à communiquer et s'adapter à toutes les situations tout le temps, à partir du moment où on est à quatre. Même quand on est à la maison chacun chez soi, il arrive qu'on se voie alors qu'on se voit tout le temps. C'est définitivement un lien très fort qui nous unit.

Tu es né à Cleveland dans l'Ohio ?

Oui

Et tu parlais déjà portugais avant ou tu as appris pour le groupe ?

J'ai du apprendre le portugais quand je suis arrivé à Sao Paulo. J'ai vécu vingt ans la bas et je viens tout juste de redéménager aux USA. J'ai déménagé juste avant cette tournée, maintenant j'habite à Los Angeles, sur la cote ouest, ce qui est une toute première pour moi. Et ça fait bizarre parce que d'un part c'est nouveau, et d'autre part les USA ont beaucoup changé en vingt ans, il faut que je me réhabitue mais ça fait vraiment plaisir de se rapprocher de la famille et des amis car j'étais exilé pendant si longtemps de chez moi, dans un pays de langue et de culture différente. Donc j'ai appris le portugais, basiquement parce que je vivais au Brésil et qu'il fallait que j'apprenne pour vivre, survivre la bas. Pour aller au supermarché, à la banque, pour faire les choses de la vie courante. En plus au tout début je vivais en plein cœur de Sao Paulo et les gars étaient en banlieue avec leur famille donc je ne pouvais compter que sur moi. J'étais dans la deuxième moitié de la vingtaine, je parlai à peine quelques mots d'allemand donc c'était un changement ultra radical pour moi et donc j'ai du rapidement m'adapter. Et ça m'a pris du temps à m'adapter la bas, mais aujourd'hui c'est une langue que je parle couramment et le Brésil est une deuxième maison pour moi.

Tu te rappelles comment Sepultura a démarré pour toi ?

Oui, parfaitement. Ce moment était tellement particulier. En fait j'ai reçu un coup de fil de Igor, j'étais à New York à ce moment là. Et je n'ai pas audité en allant au Brésil ni rien. A l'époque ils avaient envoyé une cassette à travers le monde avec juste de la musique sans parole et tout un chacun pouvait y poser sa voix et ses idées. Et ils ont aimé ce que j'avais fait, alors je suis parti quinze jours au Brésil, je les ai rencontré pour la première fois, c'est d'ailleurs la première fois que j'allais en Amérique du sud et la première fois que j'entendais du portugais. Donc je les ai rencontrés, j'ai fait l'audition et ça s'est bien passé et je savais que je voulais revenir au Brésil parce que j'avais adoré mon séjour et que je sentais qu'une nouvelle vie démarrait pour moi donc quand j'ai été accepté dans le groupe, qu'ils m'ont dit qu'ils avaient un nouvel album et qu'ils voulaient ma voix dessus, c'était un grand soulagement pour moi et on a rapidement travaillé et sympathisé.

C'est à ce moment là que tu as eu ton surnom Fufu ?

Rires Non, ça c'est arrivé un tout petit peu plus tard … rires Juste après en fait. Au départ le surnom c'était fumasa, qui veut dire fume. C'est un membre du crew Sepultura qui m'appelait comme ça, et comme je suis quelqu'un de massif, imposant physiquement et que c'est un surnom plutôt léger c'est devenu fufu, fuffy, ou fu rires … C'est typiquement un truc brésilien d'attribuer des surnoms, là bas tout le monde en a un et c'est souvent quelque chose de négatif ou péjoratif rires  Souvent d'ailleurs tu as ton surnom gamin et il te suit toute ta vie. Et tu ne peux rien y faire, le plus tu essaye de lutter avec ton surnom, le pire c'est.

Avant Sepultura tu étais déjà dans le milieu metal ?

Oui, enfin, avant j'étais dans la musique très très lourde. J'adorai le hardcore et le thrash punk et seulement certains groupes de metal, mais je n'étais pas très lié à ce mouvement, mais on était au début des années 80 tu sais. A cette époque le metal ce n'était pas pareil, les paroles étaient vraiment ringardes, les gars portaient des tenues on ne peut plus kitsch et leurs cheveux c'était n'importe quoi. Bon à cette époque dans la scène hardcore, il y avait aussi cette mode des fringues chelou et des coupes nazes mais, déjà c'était moindre et au moins les thèmes étaient eux plus profond et ça me parlait. Quand ça cause injustice sociale, de dénonciation du système je me disais "wow, ça c'est mon truc" et c'était bien plus crédible que le metal. Même les musiciens, eux mêmes n'avaient pas toutes ces lignes de vêtements, ces apparats et tout ce business derrière comme le metal à l'époque. Puis la mouvance a changé, c'est devenu bien plus brut, et des groupes comme Sepultura justement on commencé à imposer leur propre style, leur propre vision musicale et artistique, moi ça me parlait plus. Là où pas mal d'autres groupes se contentaient de reprendre les codes et de jouer avec, à cette période il y a eu des émergences d'artistes qui avaient leur propre groove. Je pense également à Slayer que j'ai toujours aimé, Celtic Frost, ce genre de choses. Rétrospectivement aujourd'hui ça fait longtemps que j'ai un groupe dans la scène metal et quand je vois là où on en est arrivé et à quel point cette scène a grandit, je suis vraiment fier d'en faire partie et j'aime comment elle a évolué.

Quand tu es arrivé dans Sepultura, Max Cavalera était déjà la légende que l'on connait. Comment se prépare t on mentalement à remplacer un monument comme ça ?

On ne s'y prépare pas. En fait … Je ne l'ai jamais rencontré tu sais, donc je ne le connais pas du tout, tout ce que je connaissais c'était peut être un album ou deux, ou parce qu'il a chanté sur des trucs que j'ai écouté mais qui il était, je n'en n'avais aucune idée. Et c'est bien pareil depuis, on ne s'est jamais parlé, jamais vu, on n'a jamais été ensemble dans la même pièce. Et bien a l'époque c'était pareil, c'était un étranger total, juste le gars qui chantait dans mon groupe avant. Voilà. Mon point de vue quand j'ai passé les auditions et que je m'y suis intéressé un peu plus, c'est que quoiqu'il arrive il fallait aller de l'avant. Quoiqu'il se soit passé, quoiqu'il ait fait, qui qu'il soit, c'est du passé, c'est révolu, maintenant il faut aller de l'avant et donc j'ai chanté dans cette optique. Et après quand je suis arrivé dans le groupe je n'ai jamais eu le temps d'y penser ou de m'y intéresser. Il fallait faire un enregistrement, des concerts, une tournée, de la promo, des interviews, encore une tournée ailleurs, 20 000 personnes au Rock in Rio, un autre enregistrement, tu vas faire ci, tu vas faire ça etc. donc ces choses étaient le vrai challenge pour moi. M'imposer auprès du public et créer une connexion avec des gars qui se connaissaient tous depuis plein d'année, et je savais que tisser ce lien prendrait du temps.

As-tu entendu le dernier album de Cavalera Conspiracy ?

Oui je l'ai écouté

Et qu'en dis-tu ?

… Il était … meilleur que celui d'avant rires. Après je ne me suis pas attardé dessus, mais la qualité du son, la production était très bonne, sinon pour le reste … Je l'ai entendu oui.

Quelle est la suite avec Sepultura ?

Après cette tournée on va faire quelques dates au Brésil, puis on part en tournée en Nouvelle Zélande, Australie, Japon en Mai. Puis on revient en Europe pour les festivals cet été. Ensuite on est en train de mettre au point une tournée Nord Américaine pour cet automne et promouvoir un film documentaire sur lequel on travaille depuis longtemps avec Otavio Juliano, le réalisateur. Ça s'appelle Sepultura Endure et Il est en train de peaufiner ça et on devrait le sortir avec un DVD live du Rock in Rio 2017. Ça explique pas mal de trucs sur la durée de vie de Sepultura, comment on fonctionne et ça montre pourquoi on est toujours ici aujourd'hui. Notre passé, notre transition et notre présent. Pas mal de musiciens extérieurs à Sepultura sont interviewés aussi et ils expliquent ce que Sepultura voulait dire pour eux avant et ce qu'il représente pour eux maintenant. C'est un super film à voir, surtout d'ailleurs si tu ne connais rien au groupe, mais c'est un bon documentaire aussi donc ça peut convenir à tout le monde. Sinon on commence a discuter du prochain album aussi. Ce dernier album, Machine Messiah nous a vraiment boosté et on a vraiment envie de poursuivre dans cette lignée. On a toutes les conditions qui sont propices, un bon label, un bon management, des bons retours, des bons bookings, ce qu'on n'a pas eu depuis très longtemps en fait, donc c'est le moment pour nous d'embrayer et d'y aller à fond, on ne veut pas perdre ça.  

Dernière question : c'est à ton tour de poser une question aux lecteurs de Metalorgie qui ont fait de Machine Messiah le meilleur album de 2017.

Ok … Y'a-t-il déjà eu un concert, ou un album qui a été une révélation pour vous ? Lequel et qu'est ce que ça a changé pour vous ?

Voilà, vous pouvez répondre à Derrick, et un grand merci à lui pour sa bonne humeur et sa gentillesse.

Maxwell (Avril 2018)

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