La Sélection #2 : Ministry commenté par Fabien W. Furter (Wheelfall) par mail, 2018

Pour les sourds qui ne l'avaient pas remarqué, The Atrocity Reports, dernier album de Wheelfall, est très influencé par Ministry, les barons du metal indus. Ces derniers ayant une carrière et discographie conséquentes s'étendant sur trente ans, nous avons demandé à Fabien W. Furter de nous sélectionner le meilleur d'Al Jourgensen et sa bande, de Ministry à Revolting Cocks, sans oublier Lard ou Surgical Meth Machine

NB : Et la première Sélection, consacrée à Ulver, est toujours disponible par ici.




"En préambule, Ministry fait partie de ces groupes qui ont su évoluer au fil des années et de leurs goûts, pour le meilleur et pour le pire ! Nombre de mes artistes préférés ont une trajectoire changeante au fil du temps, je m’y retrouve beaucoup : je ne conçois pas qu’on puisse faire exactement la même musique tout sa vie, on évolue tous d’une façon ou d’une autre donc pour moi, faire tout le temps la même musique ne serait absolument pas honnête. Et avec Ministry, on retrouve un cas un peu hybride : ils ont passé les 4/5 de leur carrière à se réinventer pour le meilleur (1981-2008), pour ensuite revenir avec une formule toute prête caricaturale et répétitive (2011 jusque maintenant), on va y revenir. D’ailleurs les différentes étapes de la carrière de Ministry sont très fortement marquées par les gens qui ont travaillé dans le groupe, quand bien même Al Jourgensen reste le cerveau et créateur du groupe : 

- On a la première période du combo, qui va englober les deux premiers albums, With Sympathy, qui est dans un style complètement synth-pop, et plus EBM pour le second, Twitch.

- La période culte de Ministry qui grossièrement s’étend de l’arrivée de Paul Barker à son départ… Mais il ne faut surtout pas oublier les gens qui l’entouraient à ce moment-là, en particulier Bill Rieflin, Chris Connelly, Nivek Ogre (Skinny Puppy) - appelés le « book club » par Jourgensen, et du côté de ce dernier Mike Scaccia (Rigor Mortis), qui a largement contribué lui aussi au style du groupe avec son riffing ultra rapide et thrash. A noter qu'on peut séparer cette période en plusieurs parties distinctes, si on veut être précis.

- La dernière période qui glisse plus du côté thrash metal.

Je crois que mon tout premier contact avec Ministry s’est fait par l’intermédiaire d’une reprise. Ayant grandi dans les années 90, j’ai complètement été touché par le boum du neo-metal et Fear Factory était associé à ce mouvement pour des raisons que j’ignore ! J’ai véritablement été touché par le metal indus via Fear Factory et Nine Inch Nails à l’époque. Bref, Fear Factory avait sorti une reprise de « Burning Inside » de Ministry avec Static X, et ça été mon tout premier contact avec Ministry ! Je crois d’ailleurs que « Burning Inside » (l’originale) est mon morceau préféré du groupe.


Le meilleur album
The Mind is a Terrible Thing to Taste (1989)



Et ça me permet de faire une transition vers cet album, qui pour moi est leur meilleur ! Outre le tube « Burning Inside », on a dans la tracklist tout ce qui fait que j’aime Ministry : les rythmiques industrielles, les samples piqués à de divers films (une liste très complète est disponible par ici), la guitare ayant un rôle rythmique avec un son à couper au couteau, les morceaux plus politiques (« Breathe » par exemple), la composition à la fois hyper répétitive et tortueuse (Connelly comparera d’ailleurs celle-ci à un cadavre exquis). Peut-être leur album le plus froid et le plus dur, reflétant totalement la tension (créatrice) entre Jourgensen et Barker, les nombreux excès narcotiques du groupe, mais aussi leur plus libre de toutes convention : rappelez-vous qu’il est sorti en 1989 sur Warner Bros ! Le début de l’album compte que des tubes, des riffs et rythmes qui me resteront en tête à jamais, et la fin de l’album est une descente aux enfers industriels et techno-noisy crade. « The mind is a labyrinth » comme dit le sample de Hellraiser 2 dans « Cannibal Song », cet album en est le reflet !
 
Le meilleur album pour découvrirPsalm 69 : The Way to Succeed and the Way to Suck Eggs (1992)



The Mind is a Terrible Thing to Taste ayant ouvert la voie, Ministry accouche 3 ans plus tard de Psalm 69 : The Way to Succeed and the Way to Suck Eggs dans la tradition de Jourgensen de faire des jeux de mots dans les titres d’album. Clairement, si on veut découvrir pourquoi Ministry est si culte, il faut écouter cet album. Une sortie chez les géants de Warner encore, un budget gargantuesque dépensé en drogues (certainement un peu moins que ce que Jourgensen aime à raconter, mais quand même), des morceaux plus accrocheurs et plus metal que les précédents, le morceau « Jesus Built My Hotrod » aussi débile que jouissif (et apparemment une des plus grosses ventes de singles pour Warner jusqu’ici)… Cet album aura une influence énormissime sur tout ce qui suivra de par ses fortes ventes, sa nouveauté dans le paysage musical, et les frasques d’Al Jourgensen. Un album totalement déraisonnable et hors de contrôle !

Ministry en live :

In Case You Didn't Feel Like Showing Up (1990) 



Pour le live, je n’ai pas pu choisir entre ces deux-là. Trop dur. Beaucoup trop. In Case You Didn’t Feel Like Showing Up est culte, avec ses grillages devant la scène, la dizaine de personnes sur scène, les deux batteries et surtout la myriade de morceaux issus de The Land of Rape and Honey et The Mind is a Terrible Thing to Taste. Le témoignage d’une époque, qui sera aussi conservé en vidéo, que je vous recommande.

Sphinctour (2002)



Le second, Sphinctour (oui, encore des jeux de mots), couvre la tournée qui suit la sortie de l’excellent album Filth Pig - un album plus lent, plus « sludge » oserais-je dire -, on y retrouve tous les tubes du groupe jusqu’à cet album, joués dans des salles pleines à craquer, menés par un Jourgensen dans un état aussi déplorable qu’hypnotisant. Pour moi le sommet est atteint sur le morceau « The Fall », absolument génial et contemplatif, rallongé pour ce live. Encore un concert qui se regarde, et que vous pouvez aussi voir en parallèle du documentaire totalement glauque (néanmoins génial) Fixxx qui raconte justement cette tournée et qui vous passera probablement l’envie de dire que « l’héroïne, c’est fun ». 
 
La petite perle trop souvent oubliéeAnimositisomina (2003)



On parle très souvent de Psalm 69, de l’ère « book club » (à raison), mais même quand on parle de cette période, les gens ont tendance à complètement oublier que cet album est sorti. C’est le dernier avec Paul Barker d’ailleurs, suivant un Dark Side of The Spoon très libre et différent, qui n’aura pas manqué de faire chier quelques fans peu ouverts à la nouveauté. Et tant pis pour eux s’ils veulent passer à côté de morceaux comme « Kaif », « Step » ou « Vex and Siolence ». Animositisomina arrive là, en 2003, comme un attentat musical. Le son vient te déchirer les oreilles, tout dans les aigus, tout en agressivité. Après deux albums où Ministry se faisait plus lourd, celui-ci reprend un peu la tradition de ces morceaux complètement fous, paranoïaques et hors de contrôle, tout en réussissant à intégrer la lourdeur de Filth Pig et la liberté de Dark Side of The Spoon. J’ai moi-même boudé l’album pendant un temps, mais lorsque j’y suis revenu, ç’a été une révélation. Un album plus dur à apprivoiser qu’il n’y paraît, mais qui a énormément à dire. 
 
Un bon album récentRio Grande Blood (2006)



J’ai longtemps préféré Houses of the Molé, mais… Avec le recul, je lui préfère celui-ci. Le virage thrash est à mon sens ici totalement intégré, les morceaux sont plus percutants, plus mémorables. La bande-son parfaite pour une virée destructrice sur la route en char d’assaut supersonique. L’enchaînement « Gangreen », « Fear is Big Business », « LiesLiesLies » et « the Great Satan » est vraiment parfait. On notera aussi que cet album est le second de la trilogie anti-George W. Bush, débutée avec Houses of the Molé et qui se terminera avec The Last Sucker, qui contient lui aussi quelques très bons morceaux comme « End of Days pt1» et 2.

Les albums un peu nuls

Relapse (2012) 



From Beer to Eternity (2013)



Après The Last Sucker, Ministry décide d’arrêter les frais. Jourgensen a tout dit, etc... Sauf que le mec revient comme une fleur, et on se met à espérer. Et bien non. Ce sera une catastrophe qui va à l’encontre de tout ce que Ministry avait bâti jusque-là : Jourgensen s’évertue à délivrer une formule fast-food de son groupe, sans aucune vraie conviction, sans prise de risque, sans vrai bon morceau. Une très mauvaise caricature de Rio Grande Blood en quelque sorte, et un Jourgensen qui se débat dans les sables mouvants de l’oubli. Le petit dernier qui vient de sortir, AmeriKKKant, est dans la même lignée, quoique moins pire que je m'y attendais.
 
Pour approfondir :

With Sympathy (1983)



Twitch (1986)



J’ai presque parlé de tous les albums du Ministry que tout le monde connaît, mais il ne faut pas oublier les origines ! Le premier album With Sympathy est totalement déroutant si on ne connaît que le Ministry de Psalm 69, mais il plaira à tous les amateurs de synth-pop de l’époque, avec ses faux airs de Depeche Mode sous héro. J’ai toujours beaucoup aimé cet album : ce n’est certainement pas un indispensable de la scène pop, mais il a vraiment du charme, à l’instar du morceau « Revenge », qui est d’ailleurs le premier morceau que j’ai essayé de chanter. L’album qui suit, Twitch, est plus EBM dans l’esprit, j’y accroche un peu moins, mais il a ses moments.
 
Early Trax / Side Trax (2004)




Deux morceaux qu’on trouvera dans des singles uniquement m’ont aussi bien marqué : « Halloween » (supra kitch et catchy) et « Same Old Madness », clip sorti avant With Sympathy qui ne s !ra pas retenu dans le tracklisting… Alors que c’est un des meilleurs selon moi. Il y a plein de petites raretés sur les compilations Early Trax et Side Trax qui vous mettront un sourire sur le visage !

Revolting Cocks - Linger Ficken Good (1993)



J’ai envie de faire un petit écart avec les Revolting Cocks, fondés par Jourgensen, Van Acker et Richard 23 de Front 242 ! C’est un peu le projet monté comme une grosse blague où tout le gratin metal-indus va s’amuser sur scène entre les tournées de son propre groupe. Reste que certains morceaux et albums sont vraiment hyper funs et bien foutus, comme Linger Ficken' Good et sa géniale reprise de Rod Stewart « Da Ya Think I’m sexy ». De la grosse blague grasse qui n’en finit jamais, des montagnes de drogues dans lesquelles tous les participants nagent, avec l’écrivain Timothy Leary. On dirait que toutes les décisions de l’album ont été faites en fin de soirée. Le défouloir parfait ! Une constante chez les RevCo.
 
Lard – The Last Temptation of Reid (1990)



Des envies de punk-indus ? Jourgensen ne s’arrête jamais. Tu peux aller écouter Lard, groupe éphémère composé de ce dernier et Jello Biafra des Dead KennedysThe Last Temptation of Reid est un putain d’album, remplis de tubes. On y retrouve Barker aussi, et Rieflin… la belle équipe ! Pure Chewing Satisfaction sorti 7 ans plus tard est très bon aussi. 

Surgical Meth Machine – s/t (2016)



Pour finir, un petit mot sur le projet solo de Jourgensen sorti récemment : Surgical Meth Machine. Loin d’être parfait, l’album a quand même quelques fulgurances qu’on n’avait pas entendues chez Ministry ou les RevCo depuis des années et des années ! Du coup, il ne faut pas s’en priver et faire le tri, simplement. 
 
 
En conclusion, Ministry, c’est un groupe qui me fait rêver, il représente quasiment tout ce que j’attends d’un groupe : des remises en question, des putains d’albums fous, des prises de risques, les connexions avec plein d’autres projets. Cette façon de voir les choses, de bousculer tout sur son passage sérieusement, tout en étant sarcastique et en se marrant, j’admire ça. Même si Ministry est devenu un groupe que je trouve pathétique depuis la reformation (et les nouveaux morceaux ne sont pas engageants du tout), leur carrière m’inspire et j’y vois quelques parallèles avec celle de Wheelfall quand je regarde nos premières sorties et ce qu’on fait maintenant - par contre j’espère avoir assez de recul pour ne pas faire de la merde dans 20 ans (rires) - ! Et chose surprenante : c’était très bien au Hellfest 2017, malgré toute mon appréhension… Comme quoi on n’est jamais à l’abri d’une surprise avec Jourgensen ! "

Fabien W. Furter (Wheelfall)


Neredude (Mars 2018)

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