Kurt Ballou (Converge) par mail, novembre 2017

En terme de carrière exemplaire dans la scène Hardcore / Metal, Kurt Ballou fait office de cas d'école. Non content d'être membre fondateur de Converge, l'un des groupes les plus séminaux de l'underground des scènes pré-citées, il a aussi un CV d'ingé-son d'enregistrement prolifique et respecté. A l'occasion de la sortie de la sortie de The Dusk In Us, neuvième album studio du combo du Massachusetts et dix ans après la première interview de Converge sur Metalorgie, nous avons essayé de faire le bilan de tout cela avec Kurt par mail.



Nous avions interviewé Nate en 2007 avant un concert à Paris pendant la tournée No Heroes. A cette époque, il avait déclaré qu’il voulait faire des albums qu’il aurait envie d’écouter. Des albums hors du temps comme Led Zeppelin II ou My War. Est-ce que vous ressentez toujours la chose ainsi dix ans plus tard ? Est-ce que vous écoutez votre propre musique ?

Notre sentiment n’a absolument pas changé à ce sujet. Nous voulons que Converge soit ce groupe dans lequel nous voudrions être si nous n’en faisions pas partie. En ce  qui concerne le fait d’écouter ma propre musique, une fois que l’album est masterisé, je ne vais l’écouter que si j’ai besoin de réapprendre une chanson. Je trouve ça trop compliqué émotionnellement de réécouter ma propre musique, pas dans le sens propre du terme, mais parce que je suis un ingé-son. De ce fait, je ne peux pas m’empêcher d’être analytique par rapport à ma musique. Et à chaque fois que je le fais, je suis face à face avec mes lacunes en tant que compositeur, guitariste et ingé-son.

Dans la même interview, Nate nous avait confié que le clip de No Heroes a d'avantage coûté que le coût total d’enregistrement de l’album. Est-ce qu’il en a été de même pour The Dusk In Us ?

Non. Il est devenu bien plus facile de faire de la production vidéo à bas coût au cours des dix dernières années.

Avez-vous déjà eu envie de mélanger l’art de Jacob et la musique de Converge dans un court-métrage ?

Ca serait cool, mais ce n’est pas quelque chose que nous avons considéré faire ou poursuivi.
  
Quelle a été votre méthode d’écriture pour The Dusk In Us ?

Comme pour tous nos albums, chaque membre vient en répétition avec des idées de chanson ou de riffs. Nous jammons sur ces idées, voyons si nous aimons ces idées et si oui, nous essayons alors de trouver un moyen de transformer ces idées en la meilleure composition que nous puissions faire. Au bout d’un moment, quand nous arrivons presque au point d’avoir assez de morceaux que nous voulons enregistrer, nous bloquons une période pour les coucher sur bande. 


 
Tu as dit une fois que tu voulais avoir un son de guitare qui soit un mélange entre Shellac et Slayer. Sur le nouvel album, Trigger sonne un peu comme ça et a aussi un petit côté The Jesus Lizard. Est-ce que vous avez été influencés par la scène de Chicago ?
 
Bien sûr ! The Jesus Lizard, mais aussi beaucoup de leurs contemporains du midwest des scènes Noise Rock et Post-Punk sont incroyables et ont été d’énormes influences pour nous.

Est-ce que vous vouliez donner une leçon à Slayer sur Broken By Light ?

Nous voulions juste écrire une bonne chanson.

Puisque nous avons évoqué Shellac et Steve Albini, est-ce que tu aimerais travailler avec lui ?

Ouais ! En tant qu’ingé-son, il y a beaucoup de choses que je pourrais apprendre en le regardant travailler. Parfois, je regrette de ne pas avoir eu un parcours plus traditionnel en tant qu’ingé-son et de ne pas avoir été formé par quelqu’un d’autre. Apprendre par moi-même a fait que j’ai mis plus de temps à me professionnaliser que d’autres ingénieurs. Ceci dit, je pense que ça m’a aidé à développer un style bien à moi. 
 
Nous avons vraiment aimé le morceau "Eve", qui est probablement l’un de vos meilleurs morceaux post 2010. Pourquoi ne pas l’avoir inclue sur l’album ? Est-ce que vous avez d’autres pistes restantes ?

Nous avons enregistré 18 titres, et nous ne pouvions pas tous les mettre sur l’album. Nous avons vraiment voulu que l’album soit aussi bon que possible. Certains de mes préférés ne sont pas sur l’album et d’autres qui font partie de ceux que j’aime le moins sont dessus. C’est juste comme ça que ça s’est fait. Je suis sûr que nous allons sortir les autres un jour, mais nous ne savons pas encore par quel biais. 

En 2011, tu as travaillé avec le duo français Pneu pour leur album Highway To Health. Nous avions été surpris quand ça a été annoncé à l’époque, si on considère qu'ils ne sont pas très connus aux Etats-Unis. Comment avez-vous pris contact ? Est-ce lié à Eugene S. Robinson (Oxbow) qui joue sur un des titres de l’album ?

Ils m’ont envoyé un mail et m’ont demandé si je serais partant pour les enregistrer. J’ai écouté ce qu’ils faisaient et j’ai trouvé ça excellent, donc j’ai accepté de le faire. 



Peux-tu nous en dire un peu plus sur ta marque God City Instruments. Envisages-tu de créer des modèles à vendre en magasin?

J'ai toujours bricolé, bidouillé des tas de choses. Vers 2010, j'ai commencé à construire des guitares et des batteries et plus récemment, j'ai construit des pédales. Malheureusement, la fabrication nécessite beaucoup d'investissement et d'énergie et... j'ai déjà un studio, je joue dans un groupe, donc je n'ai pas été en mesure de créer beaucoup de matériel. J'essaye de m’organiser pour réussir à déléguer certaines de ces responsabilités à d'autres personnes. Pour l'instant, je ne fais que mettre au point des prototypes de pédales, tenter de rendre mes créations vraiment géniales. Mais je limite à la vente de petites quantités sur ma boutique Reverb.com et pendant mes concerts. 

Comment as-tu eu cette idée d'une carte de visite / circuit imprimé de distorsion? Es-tu surpris par le succès de celle-ci, qui est épuisée sur Deathwish ?

Ouais, c'est fou. Deathwish ne peut pas les garder en stock! Nous en avons vendu des milliers! J'ai eu l'idée il y a quelques années lorsque je suis allé au NAMM et que les gens distribuaient des cartes de visite spéciales pour attirer l'attention. Electric Guitar Company, par exemple, avait une carte faite d'acier inoxydable découpé au laser. Je me suis dit qu'une carte de visite avec un circuit imprimé serait vraiment cool. Je n’y ai pas repensé, j'ai laissé ça de côté  pendant quelques années jusqu'à ce que j'en parle à Nick, de Dunwich Amps, qui bosse avec moi sur le GCI Brutalist, mon futur pédalier principal, une fois qu'il sera perfectionné au moins. Bref, j'ai mentionné cette idée de carte de visite à Nick et  il a pensé qu'il pourrait faire une version simplifiée du Brutalist qui sonnerait bien et serait facile à construire. J'ai d'abord commandé une centaine d'entre elles, je pensais que je les donnerais gratuitement à des amis, à des techniciens que j'ai rencontrés en cours de route, ou à des fans de pédales, mais la chose devenait virale et les gens du monde entier en voulaient une et s’énervaient de ne pas pouvoir en obtenir. On a donc décidé d'en produire un petit paquet, pas trop cher et Deathwish a proposé de distribuer, ce qui a été extrêmement utile. 

Comment choisis-tu les groupes avec lesquels tu travailles dans ton studio God City?

Les groupes m'envoient des mails avec des liens vers leur musique. J'écoute ce qu'ils font. Si j'apprécie, que cela peut tenir dans le calendrier, que je pense que ce serait amusant et que je sens que je peux contribuer positivement au projet, alors j’accepte.

Te considères-tu plutôt comme un ingénieur ou un producteur?

Je fais les deux, mais je suis surtout un ingénieur. Tout dépend du projet. Je me sens comme si j’ obtenais (et beaucoup d'autres ingénieurs) ce statut de producteur trop souvent. Je demande habituellement à être inscrit comme coproducteur aux côtés du groupe dans les crédits de l'album. 

Quels sont les artistes qui ont collaboré avec toi qui t’ont le plus étonné et pourquoi?

Je suis très reconnaissant d'avoir côtoyé de nombreux musiciens talentueux et uniques. Je n'ai pas de favoris particuliers que j'aimerais mentionner. Je suis juste heureux d'avoir eu une liste diversifiée et passionnante d'artistes qui passent par mon studio.

Question technique: quels éléments matériels et logiciels sont devenus obligatoires pour le travail en studio?

Je suis clairement devenu à l'aise avec l'équipement que j'ai, mais rien n'est obligatoire. Tant que je dispose d'un lieu de travail confortable, d'une quantité et d'une qualité d'équipement suffisante pour capturer et mixer les performances, ça me va. 



Tu as expliqué dans une interview que "donner l'impression que vous jouez fort est plus important que de jouer réellement fort". Te souviens-tu d'avoir dit quelque chose comme ça et aimerais-tu nous en parler un peu? Utilisez-vous cette volonté en studio?

Oui, j'ai dit ça. J'aime le son des amplis poussés à fond (NDLR : les amplis à lampe des guitaristes donnent un son plus ample, plus ouvert et vivant lorsqu'ils sont utilisés à un volume élevé), mais dans le cadre d'un concert, il est important que tout le groupe soit bien audible pour le public, peu importe l’endroit où ils se trouvent dans la salle. Cela signifie souvent que mon ampli est plus silencieux que je le souhaite, de sorte que tous les instruments puissent être captés par la sono. Malheureusement, beaucoup de salles où nous jouons, qui ont généralement une capacité de 250 à 600 personnes, n'ont pas de système de sonorisation assez puissant pour que la voix et la batterie soient entendues par-dessus un ampli guitare de 100w poussé à fond. Je dois donc trouver un moyen de jouer moins fort que je ne le voudrais sans trop sacrifier au niveau de la qualité du son. Beaucoup de groupes ont des guitaristes qui jouent trop fort, ce qui amène leurs batteurs à acheter de mauvaises cymbales qui sonnent très fort pour les concurrencer. 
En studio, je peux pousser les amplis jusqu'à ce qu'ils sonnent au meilleur de leurs capacités, mais il peut être difficile de convaincre les batteurs d'utiliser des cymbales qui sonnent mieux mais sont moins bruyantes. Pendant le mixage, donner l'impression d'avoir un volume sonore « fort » est différent de simplement pousser le fader à fond. Cela a plus à voir avec la création d'un spectre sonore particulier, l'utilisation de l'équaliseur sur certaines fréquences comme les basses et les middle, l'usage de la réverbération, de delay et la compression. 

Question Jane Doe : Nous pensons que vous avez un autocollant qui dit "distort everything". On dirait que les voix et même la batterie ont été déformées sur cet album. Peux-tu nous parler un peu de l'enregistrement du disque et nous donner quelques détails ?

Les pistes principales ont été enregistrées au Q Division par Matt Ellard et j'ai enregistré les overdubs à Godcity. Le mixage a été fait par Matt à Fort Apache et il a été masterisé par Alan Douches à West West Side Music. Il a été enregsitré et mixé sur bandes. Il y avait effectivement de la distorsion sur le chant et tout a été poussé assez fort pendant le mixage et le mastering, donc il y a une bonne dose de saturation, oui. 

Tu as récemment lancé une chaîne youtube avec Nate pour tester du matos (guitares, basses, amplis ou effets).Ce sont des infos qui vous manquaient quand vous avez débuté ?

Oui, j'aurais aimé avoir toute l'information qui existe en ligne aujourd'hui quand j'ai commencé à jouer de la guitare il y a presque 30 ans et que j'ai commencé à enregistrer il y a plus de 20 ans. Mais il y avait des livres et il y avait des newsgroups. J'avais l'habitude de lire rec.audio.pro religieusement. L'accès à l'information est tellement meilleur aujourd'hui. 

En tant qu'ingénieur du son : quel genre de format recommanderais-tu pour écouter The Dusk In Us à la maison? (Vinyl / CD / MP3 / etc...) et un bon matériel audio pour l'écouter?

Le vinyl ou MFiT sont les supports les moins compressés pour écouter l'enregistrement. Je suggère d'utiliser de bonnes enceintes Hi-Fi qui soient assez neutres. À la maison, j'ai un ampli Yamaha de qualité intermédiaire, une platine Rega avec bras de lecture Graham et une cellule Grado. Cela alimente des enceintes de sonorisation Traynor 4x10 que j'ai converties en haut-parleurs Hi-Fi. Mais honnêtement, j'écoute la plupart de ma musique sur mon système audio de studio. C'est pratique et ça sonne génial.

Avec The Dusk In Us, vous avez réalisé votre meilleur départ (en termes de ventes) aux États-Unis (et même n°1 dans le classement Hard Rock). Comment expliquerais-tu ce succès lorsque le marché du disque est en déclin?

Oui, ça a été vraiment incroyable et surprenant. Je n'ai pas vraiment d'explication. Nous continuons à faire ce que nous ressentons avec passion et je suis très reconnaissant que tant de gens l'apprécient!

Metalorgie Team (Décembre 2017)

Photos du groupe par Mariexxme. © 2017
Toute reproduction interdite sans autorisation écrite du photographe.



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