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Jessica Rozanes, programmatrice du Fall of Summer Paris, 2017
" Il ne faut pas oublier qu’il y a eu des groupes qui ont marqué l’histoire de la scène Metal et essayer de leur rendre hommage. "
En quatre éditions, le Fall of Summer est progressivement monté en puissance, s'affirmant chaque année un peu plus comme une référence parmi les festivals de Metal extrême. Nous avons discuté avec la programmatrice Jessica Rozanes, qui nous a parlé des difficultés rencontrées dans l'organisation d'un tel évènement, mais aussi et surtout de la satisfaction qui en découle.

Un an, ou presque, après la troisième édition du Fall of Summer, quel bilan peux-tu en tirer ?
L’édition 2016 ? C’est compliqué, il faut que je me remette dedans, je suis dans l’édition 2017 là ! Cela a été très positif au niveau des retours, notamment par rapport aux changements effectués au niveau des stands de nourriture, avec moins de queue, plus de choix et plus d’emplacements. On a également eu des bons retour en ce qui concerne l’espace toilettes et douches qui était proposé pour les gens qui restaient au camping, avec des toilettes en faïence qui étaient nettoyées tout le temps. D’ailleurs, en parlant des toilettes, cette année on va continuer à avoir notre espace « Fall of Shower » pour les gens qui ont besoin de prendre une douche et qui veulent s’asseoir sur des toilettes en faïence, et normalement on va passer à des toilettes sèches sur le reste du festival. Donc niveau installation, organisation, etc… les retours étaient bons. Il y avait le bar à bière aussi, où on avait 14 bières spéciales, qui a bien marché, et cette année, on va proposer une bière « Fall of Summer », une pale ale brassée par la Brasserie de l’Etre, une brasserie parisienne qui brasse ses bières à Paris.
Et au niveau artistique ?
Cela s’est bien passé l’année dernière comme cela s’est bien passé les années précédentes. On n’a pas de problèmes avec les groupes, tout se passe bien. L’année dernière, la grosse surprise pour les gens, cela avait été Goblin (et nous avions justement interviewé Claudio Simonetti à cette occasion). Je suis assez fière que le concert se soit très bien passé et qu’on ait eu un public assez intelligent pour ne pas crier « à poil » quand la danseuse de Goblin était sur scène. Je pense que le concert a été assez hypnotisant pour que les gens apprécient le spectacle sans être de gros « beaufs » on va dire, mais juste des amateurs de musique. Mais sinon, à toi de me dire ce que tu en as pensé…
Je me souviens qu’il y avait eu une ouverture un peu en retard le premier jour…
Oui, on a eu un petit retard sur l’ouverture qu’on a rattrapé assez vite en retirant les 5 minutes de battement entre les deux scènes et en retirant 5 minute par ci, par là aux premiers groupes, avec notamment un manque de communication avec ADX, qui ont fini leur concert alors que le son était coupé, ce qui était une erreur de notre part. Cette ouverture tardive était due à une livraison de bière en retard, puisque le camion de livraison des fûts avait eu un accident, et ce qui devait être livré le jeudi avait été livré le vendredi matin. Cela a été un petit stress l’année dernière, mais on n’a pas eu non plus un retard monumental.
Vois-tu encore des choses à améliorer ? J’imagine que c’est une histoire d’affinage, d’année en année, à mesure que vous gagnez en expérience…
Effectivement on essaie d’améliorer des petits points, comme avec les toilettes dont je te parlais. Après, c’est plus de l’organisation interne, des choses que ne voient pas forcément les gens. Tout cela dépend d’énormément de choses, comme prévoir un peu mieux, mieux accueillir les groupes, moins être dans le jus sur certains points d’organisation, même si cela reste compliqué, avec beaucoup de choses qui se font à la dernière minute. On essaie quand même de tirer des leçons des années passées. Et il y a des choses qu’on ne peut pas changer du tout au tout en restant sur un prix équivalent et abordable. Le but est que cela soit bien organisé, que cela roule et que ce soit une bonne expérience pour les festivaliers, les groupes, les bénévoles et les gens qui travaillent sur le festival, et que l’on essaie de rivaliser avec nos voisins allemands en terme d’organisation.
As-tu eu des difficultés pour boucler la programmation et qu’elle corresponde à ta vision ?
Le problème, c’est qu’on a toujours des groupes, ou surtout des agents, qui mettent du temps à nous répondre. Il y a des groupes avec lesquels cela peut aller très vite, quelques heures, et d’autres pour lesquels la confirmation vient des mois après, même si l’on est quasiment sûr de les avoir. Par exemple, pour Immolation, on a fait l’annonce en juillet alors que c’était en cours depuis mars. Et comme j’essaie d’équilibrer un minimum l’affiche, tant que l’on n’est pas sûr de certains groupes, je ne vais pas m’avancer dans une direction ou l’autre. J’avance vraiment petit à petit pour essayer d’avoir quelque chose de cohérent. Je fais le running order plus ou moins en même temps, même si je l’affine à la fin, mais je suis obligée de savoir si tel groupe est disponible le vendredi, ou le vendredi et le samedi… Je ne vais pas booker des groupes et ensuite me poser la question du slot. Cela fait beaucoup de contraintes, l’objectif c’est toujours d’aller un peu plus vite, mais j’aurais peur de perdre un peu de cohérence dans l’affiche finale.
Puisque tu parles de running order, l’an passé tu avais voulu instaurer que chaque groupe joue au moins 45 minutes. Est-ce que ce sera toujours le cas cette année ?
Disons que c’est au minimum 40 minutes, et cela depuis la première édition du festival. Mais on sera bien à 45 minutes minimum cette année. C’est vraiment le minimum pour pouvoir faire rentrer les gens dans le set, et puis on sait très bien que souvent, les deux premiers morceaux, c’est pas toujours ça, il faut chauffer un peu la machine et laisser le temps au set de s’installer. Donc cela fait partie des objectifs que je me fixe.
Tu es aussi programmatrice du Klub, une salle qui se fait de plus en plus connaître comme une « annexe » du Fall of Summer, avec beaucoup de old-school et de musique extrême. Comment choisis-tu les groupes que tu programmes au Klub et ceux que tu réserves pour le Fall of Summer ?
Ce n’est pas exactement la même chose. Déjà, on n’est pas du tout sur les mêmes cachets. Mais on va dire que le Klub, cela va vraiment dépendre des groupes qui vont être en tournée en Europe, on fait d’ailleurs beaucoup de groupes américains, mais on ne va jamais faire venir un groupe exprès au Klub. J’ai des bons contacts avec pas mal de tourneurs qui sont plutôt dans l’underground et ce que l’on fait. Mais c’est plutôt marrant parce qu’on a notre petite routine. Les tour managers savent comment ça se passe, le « get in » est toujours à la même heure, ils vont manger au Black Dog à telle heure. C’est donc assez plaisant de pouvoir faire des groupes plus « petits », même si ce n’est pas toujours le cas. Par exemple, cette année on fait Cattle Decapitation au Fall of Summer et on les a fait l’année dernière au Klub. En fait, cela permet de faire jouer plus de groupes et de mettre en avant au Klub, un peu comme au Fall of Summer, des groupes qui n’ont jamais joué en France, qui ne vont pas forcément ramener assez de monde pour remplir Petit Bain ou Glazart. Nous on a l’occasion de les faire, de faire une petite centaine de personnes avec une entrée à 10 ou 12 euros et de faire quelque chose d’abordable. Pour résumer, il y a une intention similaire, mais ce n’est pas la même échelle.
Cette année encore, il y aura un concert hommage à un groupe de Metal français culte séparé depuis belle lurette, Sortilège. Est-ce que c’est ton initiative ou les musiciens t’ont-ils approché ?
En fait cela vient d’une discussion avec Yves Campion de Metallian, et qui joue aussi dans le groupe Nightmare. On a évoqué Sortilège, et il m’a dit qu’il était en contact avec les anciens membres du groupe et qu’il y aurait peut-être quelque chose d’intéressant à faire avec leur accord. Alexis, de Hürlement, qui va être au chant, est quelqu’un que je connais très bien depuis une dizaine d’année, qui est un très bon chanteur de Heavy Metal. Le choix paraissait évident à ce niveau. Le Heavy et le Thrash sont les styles que j’ai écoutés quand j’ai commencé à écouter du Metal, donc Sortilège fait partie des groupes que j’écoute depuis toujours.
Il y a donc un gros capital nostalgie sur ce concert hommage. Est-ce que tu penses que la nostalgie fait partie des valeurs du Fall of Summer ?
Peut-être, mais je parlerais plutôt de respect. Le respect d’une certaine scène, de groupes un petit peu « vieux ». Il ne faut pas oublier qu’il y a eu des groupes qui ont marqué l’histoire de la scène Metal et essayer de leur rendre hommage. Même si dans le cas de Sortilège on parle d’un groupe assez connu, moins oublié dans un sens que Massacra, mais cela permet de le remettre dans l’actualité et de témoigner de notre amour des vieilles choses (rires).
En festival Open Air, l’un des problèmes récurrents est le son, qui est souvent de qualité médiocre. (Nous avons justement fait un dossier détaillé là-dessus) Depuis 2014, le Fall of Summer s’est pourtant arrangé pour avoir un son de bonne qualité globale. Y a-t-il eu un travail particulier effectué à ce sujet par l’équipe ?
Disons que partout, y compris au Fall of Summer, cela dépend des groupes. Je n’ai plus le nom du groupe en question en tête, mais on m’a déjà dit « le son était bon sauf sur ce groupe X ou Y », et il s’était avéré que c’était un groupe qui avait son propre ingé son ! En fait on fait confiance à nos prestataires, Régie Tech, qui sont les mêmes depuis la première année. Il y a toujours des hauts et des bas, cela dépend des groupes et d’énormément d’autre facteurs, comme la météo, la topographie du lieu. Et parfois, quand les groupes ont un mauvais son, c’est juste de leur faute !
As-tu une idée de la proportion de groupes présents au festival qui sont sonorisés par vos équipes ?
Etant donné que pas mal de groupes viennent en avion, et que seuls les membres du groupe font le déplacement, je pense qu’on doit être au moins à 60 ou 70% d’entre eux qui n’ont pas d’ingé son, et environ 80 ou 90% qui n’ont pas d’ingé lights. Nous avons aussi nos propres designers lights, un par scène, qui sont des gens qui font partie de notre entourage et dont c’est le métier, qui ne sont pas dépendants des prestataires mais qui travaillent pour le Fall of Summer.
Finalement, il aura fallu quatre éditions du Fall of Summer pour revoir un groupe qui avait déjà joué, Venom en l’occurrence. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?
Venom, pour moi, c’est le groupe qui incarne le mieux le Fall of Summer. C’est un groupe qui est vieux, qui est rare, qui fait partie d’énormément de styles à la fois mais qui n’en n’a pas vraiment un. Ils peuvent être considérés comme une influence du Black Metal, ils sont d’ailleurs les premiers à avoir utilisé les mots Black Metal. Il font partie de la NWOBHM… C’est du Heavy, c’est du Thrash, on ne sait pas trop… C’est là que c’est intéressant. On fait jouer plein de groupes de Black-Death, Death-Black, Black-Thrash, Heavy-Thrash etc… qui jonglent entre plusieurs styles, il y a quelque chose d’indescriptible. Mais je pense encore une fois que Venom est le groupe qui représente le mieux la démarche artistique du Fall of Summer. Et puis Venom, c’est un peu une histoire d’amour pour moi (rires). Au début on partait sur une autre tête d’affiche, mais cela n’a pas abouti, donc j’ai envoyé un mail à Venom et en quelques heures c’était torché. Cela fait vraiment plaisir de voir à quel point il y a un lien entre le groupe et le festival. C’est le premier groupe que l’on a annoncé au Fall of Summer, le premier groupe qui nous a fait confiance alors qu’on était personne et qui est donc très important pour moi.
En dehors de Venom, quels sont les groupes dont la présence sur l’affiche 2017 te rend la plus fière ?
Il y en a beaucoup, mais je citerais notamment Morbid Saint, un groupe de Thrash un peu Death, super violent, qui n’est pas le plus connu de l’affiche, mais qui n’a jamais joué en France et dont ce sera la seule date en Europe cette année et la première fois qu’ils reviennent en Europe depuis 2014 il me semble. C’est un groupe que les gens ne connaissent pas assez malheureusement et qui fait partie de ces formations un peu oubliées. Toutes les personnes qui viendront au Fall of Summer auront intérêt à aller voir le concert de Morbid Saint, et moi-même, j’essaierai de me dégager de mes obligations pour pouvoir y assister. Sinon, je suis contente de faire Blasphemy ou Toxik, et cela faisait des années que j’essayais de faire Bulldozer et, pour revenir à la dernière annonce, de faire Doom ! Du Punk au Fall of Summer ! Mon Dieu ! (rires). J’invite aussi les gens à aller découvrir Crescent, un petit groupe égyptien pas très connu, mais qui fait du super Death Metal. Pour le coup, beaucoup de gens vont sûrement dire que ça ressemble à Nile, mais Nile, eux, ne sont pas égyptiens (rires).
Tu évoquais notamment les toilettes tout à l’heure, mais y aura-t-il d’autres nouveauté sur le site cette année ?
Non il n’y aura pas de grosses nouveautés cette année. Le but est déjà d’améliorer les bases avant de partir dans tous les sens. On essaie d’avoir des petites améliorations, et sinon, comme je le disais, des améliorations en interne que les gens ne peuvent pas voir mais qui peuvent se ressentir de manière générale. Pas de grosse révolution cette année, plutôt une consolidation des choses qui ont bien marché.
Comment se passent les préventes ? Mieux que l’année dernière ?
Oui c’est mieux que l’an passé, même si l’année dernière c’était un peu compliqué. On croise les doigts et on espère que ca va passer, parce qu’on est évidemment toujours dépendants des rentrées d’argent. Mais pour l’instant c’est assez positif, et comme d’habitude il faudra attendre le bilan à la fin, mais jusqu’ici on tient, même si ce n’est pas toujours très facile.
Il vous faudrait combien de personnes par jour cette année pour arriver à l’équilibre ?
Il faudrait environ 3 500 personnes par jour, sachant que l’année dernière nous étions à 3 000.
Quels sont les disques que tu as écoutés cette année ? As-tu eu des coups de coeur pour de nouvelles sorties ?
C’est un peu compliqué ce que tu me demandes, cela pourrait donner des indications sur ce que je vais programmer ! Je passe beaucoup de temps à écouter un peu de tout (rires), et si je te donnais un de mes coups de coeur, ce serait déjà une révélation par rapport à l’année prochaine… ou pas. Après, tout à l’heure j’ai écouté Ella Fitzgerald, donc ça n’a aucun rapport (rires).
Je note que tu fais tout de même une référence à l’année prochaine…
On ne sait pas, on espère. Cela dépend de comment ça va se passer à la rentrée. Espérons que ça continue sur la voie actuelle. Mais on a déjà fait trois années à perte, et on ne peut plus continuer comme ça. Bon si c’est à perte de 2 000 euros, ça va (rires), mais ça dépend de beaucoup de choses. C’est toujours très compliqué de savoir exactement de combien de billets on doit vendre, il y a toujours des surprises au niveau du budget. C’est aussi un peu handicapant en terme de programmation. Si j’étais sûre tous les ans de continuer, je pourrais booker des groupes à l’avance. Même si finalement j’aime bien booker un peu après aussi, ça évite d’avoir des surprises avec des groupes qui calent des tournées sans me l’avoir dit… Donc je fais avec.
Que t’inspire l’annulation récente du Ragnard Rock ?
Ce n’est pas vraiment mon rôle de commenter cette annulation, mais je pense que ça révèle beaucoup de problèmes de la scène française. Les histoires d’arnaques, de certains tourneurs ou prestataires qui ne sont pas payés sont véridiques, de ce que je peux savoir. Cela montre que les gens pardonnent trop de manière générale et que la scène française n’est pas assez exigeante avec elle même. Si on était un peu plus confiant en nos groupes et nos organisateurs, on aurait moins de problèmes à mettre de côté ceux qui ne sont visiblement pas honnêtes. Je trouve ça bien que, finalement, ça ait été révélé au grand jour. Ce que je trouve dommage, c’est qu’énormément de gens étaient au courant, mais passaient à côté avec un discours du genre « moi, tout ce qui m’intéresse, c’est de voir des groupes, qu’il y ait des choses qui se passent… ». Ce que j’ai envie de dire aux gens, c’est que les choses peuvent se passer tout en étant honnête et en payant les gens, en étant transparent. C’est vraiment triste qu’on arrive à excuser la malhonnêteté des gens. Certains ont peur que si l’on arrête tous les escrocs, il ne se passe plus rien, mais il faut savoir aussi que c’est à cause des escrocs que les gens honnêtes ont plus de mal à travailler.
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très bon et très agréable festival qui change des autres avec de vraies bonnes surprises !! \m/