Jun-His et Ontto d'Oranssi Pazuzu

"Hypnotique" est le mot qui a été le plus prononcé par les protagonistes de cet entretien, et ce n'est pas un hasard. En effet, Oranssi Pazuzu sont devenus maîtres dans l'art de créer une musique hallucinogène et habitée, tout en étant empreinte d'une noirceur qui glace le sang. Nous en avons discuté avec Jun-His (chant/guitare) et Ontto (basse), notamment de la genèse de leur dernier album Värähtelijä, qui a déjà presque un statut culte à peine un an après sa sortie.



Nous sommes français, nous ne parlons pas Finnois. Comment prononce-t-on le nom de votre dernier album Värähtelijä ?


Jun-His : On dit " Värähtelijä ". Ce n'est pas un mot facile pour une personne qui ne parle pas Finnois.

Comment l'avez-vous composé ?

Jun-His : Nous avons commencé par faire des jams, juste après l'enregistrement du précédent album. Nous n'avions pas de plan particulier, si ce n'est continuer ce qui avait été commencé sur Valonielu et voir ce que ça donnerait. L'idée était tout de même d'incorporer un peu plus de musique avec un flot "libre" écrit en jam, et que ça s'imbrique naturellement dans ce qui était plus "composé".

Ontto : Nous avons enregistré beaucoup de jams qui ont été réécoutés ensuite, pour sélectionner les meilleures parties et les combiner.

Jun-His : Il nous arrivait de nous dire "Bon, ce passage a besoin d'une partie construite de telle manière". Nous voulions aussi qu'il y ait une composante ambient/noise comme c'était le cas sur nos précédents albums, mais sans se dire "Ok, ça c'est la partie ambiante, ça c'est la partie noise..". L'idée était de superposer ces éléments sur les riffs pour que la musique ait plus de couches différentes. C'est comme ça que nous avons fait Värähtelijä, ça nous a pris pas mal de temps.

Et avez-vous eu des influences particulières pendant l'écriture ?

Jun-His : Je ne m'en souviens plus ! [Rires]

Ontto : C'est assez difficile à dire, car toute chose est une source d'influence. Sur Värähtelijä, je crois que c'est le côté hypnotique du groupe qui a été mis au premier plan. Au niveau des influences, je peux tout de même te citer des groupes comme les Finlandais Circle, ou Swans.

Jun-His : Ouais, je crois qu'on a tous pas mal écouté Swans ces dernières années. The Seer est un album qui nous a marqué. En général, je n'écoute pas trop de musique quand je compose ou j'enregistre, mais une fois que l'album est terminé, je me mets à écouter de nouvelles choses. Il y a aussi le groupe finlandais Sink qui a été une vraie influence, c'est un des meilleurs trucs que j'ai jamais écouté.

Ontto : On dirait de la musique de cérémonie occulte. Mais ce n'est pas vraiment metal, il y a beaucoup plus d'électronique. Ils sont très bons !

On pourrait dire que Värähtelijä est votre album le plus expérimental à ce jour, surtout si on le compare au précédent, qui est plus direct. Est-ce que c'était conscient de votre part de faire quelque chose de très différent ?

Jun-His : D'une certaine façon, oui, mais je ne crois pas que ça soit si différent. Pour moi, c'est comme si on reprenait les éléments de Valonielu, et qu'on creusait encore plus profond dans cette direction.

Ontto : Pour moi, on avait trouvé quelque chose de nouveau dans notre son sur Valonielu et Värähtelijä ne fait que s'étendre sur cette base, en en repoussant les limites. Par exemple, on a deux chansons plus longues et plus progressives sur le dernier. On était vraiment très enthousiastes à l'idée d'aller à fond dans cette direction et c'est ce qu'on a fait.

Compte-tenu de la nature de votre musique, on pourrait se demander si vous prenez de la drogue pour composer.

Jun-His : Certains d'entre nous le font pour travailler sur les chansons, par exemple pour réécouter des demos et voir ce que ça donne.

Ontto : Oui, c'est un bon moyen d'évaluer la musique, lui faire passer un test ! [Rires]

Jun-His : je pense que c'est bien pour te faire prendre du recul, comme si tu te remettais à écouter l'album de quelqu'un d'autre. De cette manière, tu arrives mieux à savoir ce qu'il faut travailler sur les chansons, quelle est la courbe d'intensité de la composition, etc...  Par contre, je n'aime pas trop faire ça quand je joue. Je me contente de quelques bières. Après avoir joué par contre, pas de problème ! [Sourire]

Est-ce que Värähtelijä est un album concept ?

Ontto : Je ne pense pas. Chaque chanson développe une vision individuelle. C'est comme un mirage ou une vision que tu as en plein trip. Les chansons développent toutes ce processus de choses qui se passent en toi, dans ton esprit. En prenant du recul, je pense que chacun peut deviner si l'album développe une seule histoire ou plusieurs choses différentes.



Comment en êtes-vous arrivés à cet intérêt pour la musique psychédélique, et à cette idée d'en faire un mélange avec des éléments black metal ?

Ontto : Eh bien... [rires] Je me suis intéressé à la musique psychédélique dès mon adolescence. J'écoutais du metal en étant plus jeune, puis il y a eu une période de deux ans où ça ne m'intéressait plus. Puis je me suis mis à aimer ça à nouveau. A partir de là, ça me semblait logique de jouer une musique qui combine ces deux choses. Je crois que Jun-His a eu une expérience assez semblable.

Jun-His : Oui, je pense que nous avons tous des goûts musicaux assez variés. Nous aimons l'art, peu importe le genre dans lequel il se classe. Le black metal est évidemment une grosse influence, mais je crois que le genre a toujours eu ce côté hypnotique et psychédélique. Nous voulions juste pousser cela encore plus loin et incorporer des influences hypnotiques plus tribales. Le groupe finlandais Circle est une énorme influence sur cet aspect.

Ontto : Oui, ils ont la froideur du black metal, sans que ça en soit vraiment. Et ils utilisent énormément d'éléments psychédéliques et krautrock dans leur musique. Par contre, ils ne le faisaient pas du tout de la même manière que nous. Mais l'idée principale est à peu près la même.

Jun-His : Quand tu écoutes As Flittermice As Satans Spys de Darkthrone, c'est très hypnotique mais c'est une approche résolument plus metal. Ca existait déjà. On voulait juste faire notre propre soupe, sans essayer de filtrer la musique dans un genre particulier, on cherche juste à faire une fusion.

Beaucoup de musiciens et de fans pensent que la musique sombre doit avoir une production lo-fi pour véhiculer une atmosphère idoine. Cependant, Oranssi Pazuzu a des productions plutôt propres. Est-ce que vous pensez qu'on peut faire de la musique sombre tout en ayant une production étoffée ?

Jun-His : Je ne crois pas que nous considérons notre musique comme sombre. C'est avant toute une réflexion de nous, de la réalité. Evidemment, on se concentre sur les plus noirs aspects de l'esprit. En un sens, c'est plus du réalisme, ce n'est pas censé être maléfique. Notre musique explore le psyché humain d'un point de vue psychologique, les choses sombres enfouies dans l'esprit de chacun.

Ontto : Par rapport au travail de production, je pense qu'on cherche à faire un compromis : d'un coté, avec un son possédé et lugubre, mais de l'autre nous avons des parties ambiantes et "spacy " qui ne sonneraient pas aussi psychédéliques avec une production lo-fi. Si tu écoutes au casque, on arrive à obtenir un effet étrange, qui serait perdu si on enregistrait sur un vieux multipistes. On essaye de prendre le meilleur des deux méthodes.

Jun-His : On aime beaucoup la musique électronique, qui est la plupart du temps bien produite, le but étant d'obtenir quelque chose de précis à l'écoute. Je pense que c'est un des éléments appréciables d'une bonne production. L'effet psychédélique est toujours présent, même si les guitares et le reste gardent un son bien brut et mordant. On essaye vraiment d'obtenir ce genre de mélange.

Qu'est-ce que vous écoutez comme musique électronique ?

Jun-His : Aphex Twin, bien sûr, c'est vraiment très bon. Des vieux trucs de DJ Shadow, des mixtapes de DJ qui durent une ou deux heures sur Soundcloud. Je ne sais pas qui sont ces gars mais ils sont vraiment bons et hypnotiques !

Ontto : Il y a un excellent groupe d'electro londonien qui combine plus ou moins les mêmes influences que nous, mais beaucoup plus axé electro. Un des gars fait toutes les machines et un autre joue de la guitare par dessus. Ça s'appelle Necro Deathmort, la mort en triple quoi ! [Rires]

Vous connaissez Bill Laswell ? Il fait un genre de musique dub vraiment bien écrite, et il a joué avec John Zorn dans les années 90 je crois.

Jun-His : Oui, ca me dit quelque chose, j'ai un peu écouté.



Sinon, vous ne venez pas souvent en France. Pourquoi ?

Jun-His : On ne fait pas beaucoup de concerts, ça ne se limite pas à la France. Je pense que notre musique a besoin que nous ne soyons pas trop à l'aise avec elle pour que ça fonctionne pleinement. Il doit y avoir cette appréhension pour que la musique soit aussi intense que nous le souhaitons. Mais nos concerts en France ont toujours été excellents et nous avons hâte d'y revenir en avril. Je trouve aussi que les français amateurs de metal sont assez ouverts d'esprit, j'aime bien ça. En tout cas, c'est plus le cas que dans d'autres pays qui écoutent du metal.

Quelle est votre approche de la scène, justement ?

Jun-His : Nous voulons créer une atmosphère vraiment intense, qui nous permette de plonger dans les recoins les plus sombres de notre conscience. Si nous arrivons à ressentir ça, notre but est de transmettre ce sentiment à l'audience.   

Ontto : Ouais, l'idée est de créer un trip collectif. Nous pensons que si nous parvenons à être happés dans ce trip, le public ressentira la même chose, si tout se passe bien ! [Rires]

Est-ce que vos concerts sont complètement calés, ou est-ce qu'il vous arrive d'improviser ?

Ontto : Certaines chansons sont plutôt directes, et ce sont celles que nous répétons. Mais il y a d'autres parties qui sont complètement improvisées.

Jun-His : Si on prend notre set du Fall of Summer, nous avions joué une chanson improvisée juste avant Vasemman käden hierarkia. Nous faisons ce genre de choses pour la même raison que j'évoquais tout à l'heure : nous voulons provoquer l'appréhension qui crée cette atmosphère intense. Parce nous ne savons pas ce qui va se passer et c'est ce qui rend la chose intéressante ! Je pense que trop de groupes ont peur de faire ce genre de choses sur scène aujourd'hui. C'est un peu étrange, parce que dans les années 60/70, tous les groupes faisaient des jams, et c'est ce qui permettait de repousser les frontières de la musique. Alors qu'aujourd'hui, c'est considéré comme un risque.

Ontto : Evidemment que c'est risqué, mais c'est tout l'intérêt ! Ça peut se passer très bien, ou au contraire, pas du tout ! [Rires]

Jun-His : Ouais, parfois le résultat est vraiment merdique mais ça fait partie du jeu.

A quel point diriez-vous que la Finlande fait partie de votre son ?

Jun-His : On nous pose la question souvent. C'est assez difficile de dire quelles parties de notre musique sont "finlandaises" ou à quel point la Finlande l'a influencée. Ce pays est assez maniaco-dépressif. Je pense que l'hiver très long doit jouer un rôle, car c'est un sentiment très cathartique. Tu te replies dans ton cocon.

Ontto : Oui, il fait noir presque constamment, et une des seules choses que tu peux faire à ce moment est composer de la musique. Et les gens sont... socialement... bizarres en Finlande, en tout cas si on compare avec d'autres pays comme la France. Donc oui, il y a définitivement une influence de la Finlande sur certains aspects, mais c'est difficile de dire lesquels, parce que nous n'avons pas de regard extérieur là-dessus. Tu pourrais sans doute mieux nous dire à quel point la Finlande influence notre musique ! [Rires]

La scène finlandaise a toujours été active et de qualité. Quels groupes recommanderiez-vous à nos lecteurs ?

Jun-His : Sink. Notre guitariste Ikon joue aussi dans un groupe qui s'appelle Kairon Irse!. On dirait du shoegaze prog, un peu pop aussi ! Les guitares font vraiment "kshhh", si tu vois ce que je veux dire ! Il y a aussi nos bons potes de Dark Buddha Rising, on partage notre studio de répétition avec eux. Il y a aussi toute la scène de Tampere qui est vraiment intéressante.

Dans le monde du metal, il y a toujours un énorme pourcentage de groupes qui chante en anglais. Pourtant en Finlande, la proportion de groupes qui chantent dans votre langue maternelle est beaucoup plus importante que dans d'autres pays, et ça inclut votre groupe. Comment l'expliqueriez-vous ?

Ontto : Déjà, la Finlande a une scène metal très active, donc il y a beaucoup plus de gens qui vont aux concerts, et aussi plus de demande. Quand on a commencé, on n'envisageait pas vraiment de faire des concerts hors de Finlande. Nous voulions juste faire de la musique, et nous avons choisi de chanter en Finnois parce que c'était naturel pour nous.

Jun-His : Oui, et c'est aussi du à notre niveau en langue. Notre anglais est pas trop mal, mais le fait de chanter en finnois nous permet d'avoir des paroles plus profondes. Ontto écrit les paroles, mais quand je les chante, tu peux les comprendre à des différents niveaux et ça contribue aussi à donner de l'atmosphère. L'atmosphère est ce qu'il y a de plus important dans notre musique.
Du coup, quelle est la suite prévue pour Oranssi Pazuzu ?

Ontto : Nous allons faire cette tournée en avril, et après, nous pourrons commencer tranquillement à travailler sur le prochain album. Mais ça va prendre du temps, parce que nous nous sommes vidés sur Värähtelijä, nous n'avons plus de musique en réserve.

Jun-His : Je pense que nous sommes arrivés à la fin d'un cycle avec cet album. Maintenant, nous sommes face à une page blanche, et nous devons réinventer notre musique en quelque sorte. On pourrait continuer sur la même voie que ces dernières chansons, mais ça ne correspondrait pas à l'esprit du groupe. Oranssi Pazuzu est synonyme d'exploration, et c'est ce que nous allons faire. On va sans doute faire quelques jams et voir ce que ça donnera, sans aucune pression sur le sujet. C'est une situation assez intéressante pour nous.  Je ne suis pas du tout inquiet de n'avoir aucune idée de ce qu'on va faire ensuite, c'est plutôt une opportunité pour moi, musicalement parlant.


Quelles sont vos sorties favorites de l’année 2016 ?

Ontto  : Personnellement, j’aime beaucoup la dernière trilogie de Swans, qui se termine avec The Glowing Man. Je vais aussi citer le dernier album de Sink : Arc of Contempt and Anger

Jun-His  : Je n’ai absolument aucune idée de ce que j’ai écouté en termes de nouveaux albums ! [rires] J’ai pas mal écouté Fairport Convention, mais c’est plutôt les vieux albums. J’ai toujours du mal à me rappeler les dates de sortie des albums. On écoute pas mal Magma, y compris le dernier : c’est vraiment excellent !

Vous écoutez d'autres groupes français ?

Jun-His : J’écoute pas mal Aosoth, c’est un putain de bon groupe ! J’aime beaucoup  Jessica93 aussi, il est très bon.

Neredude (Février 2017)

Interview par Neredude (Facebook) et Raikage

Partager :
Kindle
A voir sur Metalorgie

Laisser un commentaire

Pour déposer un commentaire vous devez être connecté. Vous pouvez vous connecter ou créer un compte.

Commentaires

NeredudeLe Mardi 28 février 2017 à 20H35

Faut juste cliquer sur le lien pour le savoir. Merci les traducteurs avec prononciation ! :)

Et merci beaucoup pour ton commentaire !

GBGLe Mardi 28 février 2017 à 13H24

Merci pour cette interview, très intéressante et les gars semblent bien sympa. Excellent groupe en tout cas, vivement la suite.
Et du coup le titre de l'album se prononce comment ? ^^