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Steve Von Till (Neurosis) Motocultor, le 20/08/16

2016 est une année particulière pour Neurosis. Le groupe a célébré son 30ème anniversaire à coups de concerts monumentaux (au Roadburn notamment) et sort un nouvel album particulièrement attendu. Rencontre avec le guitariste-chanteur Steve Von Till à l'occasion du passage des Californiens au Motocultor.

Votre nouvel album, 
Fires Within Fires, sort le mois prochain. Après 30 ans de carrière et plus d’une dizaine de disques, sentez-vous encore une pression particulière ?

Oui et non. Cela dépend de ce dont vous parlez. Est-ce que l’on ressent une pression venant de l’extérieur ? Jamais. Par rapport à celle que l’on peut s’imposer nous-même, la seule chose que l’on veut être sûrs de faire, c’est de continuer à nous améliorer, à évoluer, à aller plus loin. On ne veut surtout pas stagner et rester où l’on est. Devenir meilleur à chaque album, c’est vraiment notre seule pression. Mais même dans ces conditions, on a appris au fil du temps à faire confiance au processus, à « sortir » de notre tête, car c’est souvent elle qui se met en travers du chemin. Si vous ouvrez votre coeur et votre âme, les choses arriveront, il n’y a pas besoin de s’inquiéter à ce sujet.

Vous ne faites donc pas attention aux critiques ?

Pffff…pourquoi faire ? Ils ne savent rien, ils n’ont qu’à monter leur propre groupe.

Il se passe en général trois ou quatre ans entre chaque album du groupe. Comment occupez-vous votre temps dans cet intervalle ?

Nous vivons dorénavant assez loins les uns des autres. Je vis dans l’Idaho, Scott dans l’Oregon. L’ouest américain est immense, c’est comme si vous aviez un groupe ici que vous deviez aller en République tchèque pour répéter…On se retrouve surtout pour les concerts et les tournées. On ne répète vraiment pas souvent. C’est une question de feeling, quand on sent une sorte d’énergie qui arrive on se dit « allez, on peut se voir le mois prochain, est-ce que tu peux prendre des congés, et toi aussi, est-ce que tu peux prendre des congés ? ». Et une fois qu’on s’est organisé on se rassemble pour quelque jours et on voit ce qu’il se passe ! Nous n’avons pas de méthode à proprement parler, cela se passe toujours de façon différente. Pour Fires Within Fires, nous n’avions jamais écrit un album aussi rapidement. On s’est retrouvés en février 2015. On a d’abord bossé à deux pour lancer quelques idées en début de semaine, puis tout le monde nous a rejoint et le dimanche soir l’ensemble du squelette de l’album était là. Le truc c’est qu’on avait prévu de célébrer le trentième anniversaire de Neurosis en décembre 2015, car c’est la date exacte du début du groupe, mais finalement on a décidé de repousser tout ça pour pouvoir aller en studio à la place, étant donné qu’on a tous du temps libre au moment des fêtes de fin d’année. On a finalement passé notre trentième anniversaire à enregistrer ce nouvel album ! 

Tout le monde a participé à l’écriture du disque ?

Oui c’est toujours un effort collectif. En fait on passe presque plus de temps à détruire qu’à créer. L’un d’entre nous a une idée, on la prend, on la tord (il mime le geste), on la brûle et de ses cendres surgit quelque chose qui est juste le résultat d’un processus collégial. On a retravaillé sur les morceaux en novembre et décembre, avant d’entrer en studio, mais c’était juste sur quelques jours. Au final, on a vraiment passé 6 jours sur l’écriture et l’arrangement de l’album.

Vous disiez que vous répétiez peu avant les tournées, qu’en est-il des concerts du 30ème anniversaire, où vous avez joué beaucoup de (vieux) morceaux ?

En général c’est vrai qu’on ne répète vraiment pas beaucoup. En revanche il est vrai que nous avons répété avant ces concerts (rires), mais ce n’était qu’une journée !

Une fois encore vous avez travaillé avec Steve Albini. Est-ce que cela s’est passé de la même façon que pour les fois précédentes ou avez-vous changé certaines choses lors de l’enregistrement ?

Non. C’est pour cela que l’on continue à travailler avec lui. En gros, on va à Chicago, on décharge notre matériel, on l’installe, il place des micros devant, on se prépare à jouer, il appuie sur « record » et boum, on a un putain d’album. Il n’y a pas d’expérimentation, quoi que vous lui proposiez, vous savez qu’il va le capturer de la façon la plus naturelle et réussie possible.

Est-ce qu’il travaille avec des outils digitaux comme Pro Tools ?

Non, tout se fait en analogique, c’est enregistré live, sans overdubs, sauf pour les voix.

Vous jouez donc toujours tous en même temps ?

Oui, c’est ainsi que tous les grands disques ont été enregistrés : Led Zeppelin, Black Sabbath…ces mecs jouaient ensemble. Sinon c’est de la merde, je ne comprends pas comment on peut faire un disque comme ça, chacun de son côté, « tiens demain je vais aller tout seul en studio ! » (rires)…c’est n’importe quoi.

Nous avons pu écouter Fires Within Fires hier, c’est un disque assez court et qui donne l’impression de vouloir aller droit au but, était-ce une approche volontaire ?

Non ce n’était pas forcément intentionnel. A la fin du week-end où nous l’avons écrit, on a réalisé qu’il faisait moins de 45 minutes et on s’est demandé s’il fallait que l’on écrive plus de musique. On y a réfléchi et finalement on s’est dit « pourquoi ? », tout s’est fait si naturellement que le disque était très bien comme il était. Personnellement j’aime les LP « simples ». Parfois, vouloir écrire et sortir un double LP peut être compliqué. A l’époque personne, en dehors de groupes comme Yes (rires), ne sortait de double LP. Puis quand le CD est arrivé, la plupart des groupes se sont dit qu’il fallait absolument remplir le truc. Je ne sais pas quelle est votre opinion, mais je trouve qu’actuellement, avec les smartphones et la folie des médias, il est de plus en plus difficile de rester concentré sur quelque chose pendant longtemps. Et puis il y a tellement de disques qui sortent…donc finalement faire un disque plus court marche bien, cela ne l’empêche pas d’explorer des endroits très différents malgré une durée limitée.

Avez-vous prévu un jour une nouvelle collaboration, à la façon de ce que vous aviez fait avec Jarboe (NDLR : en 2003) ? On pense par exemple au chanteur d'Amenra (Colin H. Van Eeckhout) ou à Jacob Bannon de Converge

Non, pas avec Neurosis en tout cas. On a tous des projets chacun de notre côté, mais avec Neurosis on veut que ça reste « pur ».

Donc aucune chance de vous voir monter sur scène avec Amenra ce soir ? (NDLR : les deux groupes étaient programmés le même soir au Motocultor).

Non, mais ça n’empêche pas que j’adore ce que fait ce putain de groupe. Ils sont tellement puissants.


Cette fois, c’est Thomas Hooper qui s’est chargé de l’artwork de l’album. Est-ce que vous lui aviez donné des directives, des suggestions ?

Pas vraiment. On se connait depuis longtemps, on trouve que c’est un artiste très doué, d’ailleurs il avait déjà travaillé pour Scott sur son album solo. On en a discuté et on voulait faire quelque chose de différent. Lui voulait quelque chose qui le pousse dans ses retranchements et qui nous amène de la nouveauté. Il savait très bien ce que nous ne voulions pas. On a donc commencé à y réfléchir ensemble et il a fait des tonnes de croquis d’idées. On a vite fait le tri parmi toutes ces idées pour garder les choses qui nous attiraient particulièrement, comme le mandala, la clé, l’arbre…une fois que tous ces éléments ont été isolés, il les a rassemblés sur un seul et unique visuel. Ce qui est génial avec cet artwork c’est que c’est une peinture, il n’y a aucune manipulation digitale, tout est peint à la main. A chaque étape de sa réalisation, le visuel risquait donc d’être raté, c’était une belle expérience, avec un artiste tellement talentueux.

Sauf erreur de notre part, il semblerait que tu aies sur scène un attirail de pédales beaucoup plus étoffé que celui de Scott. Comment travailles-tu ton son avec lui ?



Je pense que nous sommes bien complémentaires, ne serait-ce que pour alterner les parties de chacun. Pour les parties lourdes, on joue précisément la même chose, mais pour le reste on fait des choses différentes. Je pense qu’en un sens, nous avons un jeu assez similaire : nous aimons tous les deux les harmonies, mais aussi jouer des choses inattendues. Mais oui, c’est vrai que je suis plus branché pédales d’effet, j’aime vraiment ça. En général quand ça fait « kshiouu » (NDLR : onomatopée difficile à traduire), ça me plaît. Je suis plutôt du genre à faire de choses qui vont sonner comme si ça venait d’un autre monde. De manière générale, que ce soit pour une jolie partie en clean ou un gros riff, on essaye de trouver un moyen pour travailler en synergie.  

Vous avez eu une influence sur un certain nombre de groupes qui sont aujourd’hui très reconnus, comme Amenra ou Cult of Luna. Est-ce que vous-même, vous l’entendez ?

Seulement quand les gens le disent. On entend ce genre de choses tout le temps, mais je ne crois pas qu’on le considère ainsi.

Donc quand tu écoutes un album d’Amenra, tu ne ressens pas de filiation ?

 
Non, pas vraiment...(il réfléchit)...non.

Et quand on le dit, est-ce que vous êtes fiers ? 

Oui et non. C’est vrai qu’il y a de la fierté. Tu sais, on fait cette musique bizarre avant tout pour nous, et le fait que n’importe qui d’autre l’apprécie est fou, en un sens. Parce que cette musique est folle. Si tu as de la chance, les gens vont aimer. Et si ça inspire d’autres personnes, de la même manière que nous avons été inspirés par quelques groupes uniques, j’espèrerais que ça les incite à prendre une guitare, à s’exprimer et trouver leur propre voix, plutôt que de sonner comme nous. Qu’ils puissent trouver leur propre son, leur manière d’être honnête et intense.

Tu as sorti ton album solo A Life Unto Itself l’année dernière. As-tu des nouvelles concernant Harvestman ?

Eh bien je crois que j’ai un album qui est a priori terminé, mais je n’arrive pas à me décider s’il est vraiment fini ou pas. Parfois, quand tu fais les choses seul, c’est difficile de te faire un avis tranché.  J’ai demandé leur avis à ma femme et à d’autres personnes, mais je ne sais toujours pas.

Vous avez tous ces différents projets, est-ce qu’il n’est pas difficile de faire la séparation entre la musique de chaque groupe ?

Non, parce qu’ils sont tous vraiment différents. Le plus compliqué, c’est de trouver le temps pour tout ! Je suis marié, je suis père, j’ai un travail à plein temps et notre putain de label à gérer ! Donc de fait, le temps dont je manque le plus est celui pour être créatif dans mon studio. Donc quand j’y suis, j’essaye d’être efficace. Comme avec Neurosis d’ailleurs, nous avons des plages de temps limitées ensemble, on n’a pas le temps de traîner et de faire la fête !

Qu’en est-il de vos titres et paroles de chansons, est-ce que vous avez des idées avant d’écrire la musique ?


On en parle très peu. On a toujours la musique d’abord, et les mots viennent après et toujours en dernier ! La plupart du temps, on n’a aucune idée de comment les paroles vont sonner. On joue, et on écoute l’enregistrement de la répétition, pour trouver les parties de chant. Tu écoutes attentivement en essayant de traduire ce que la musique dit, les voix qu’on entend dans nos têtes. Et c’est à ce moment là que ça prend forme. Une partie vient de nos vies, une autre vient de ce que ces voix disent. Ca peut aussi venir de ce que la musique demande en elle-même. Et on mélange tout ça. Parfois, on ne comprend réellement le sens de la chanson que des années plus tard, comme une forme de prémonition. Dans tous les cas, on fait confiance à notre instinct. Ce sont souvent les mêmes thèmes qui reviennent, que ce soit  des difficultés, que ce soit dans nos têtes, dans nos familles, dans notre communauté, ou dans notre monde. Et nous prenons ensuite ces éléments pour se demander pourquoi nous sommes ici, quel est notre lien avec l’autre, notre lien avec la nature, quel est notre lien avec le fait d’évoluer en tant qu’être humain… Sommes-nous en train d’évoluer ou sommes-nous un cancer ? (rires) Est-ce que nous avons le potentiel pour être à un niveau supérieur en tant qu’être humain ? Et quand tu penses à ça, il y a des choses douloureuses qui se passent autour de nous. Qu’est-ce que ça fait d’être le putain de primate qui pense à sa propre existence ?

Est-ce que l’expression artistique influence votre musique, que ce soit des films, de la musique, des livres ?

Je crois que la vie en elle-même est l’influence principale. Mais évidemment, tout ce à quoi tu es exposé doit, d’une manière ou d’une autre, t’influencer. Bien sûr que notre musique ne sort pas du vide. Ca vient du fait d’avoir grandi en écoutant Pink Floyd, Black Sabbath, Black Flag et Joy Division, et tenter de faire quelque chose à partir de ça. Mais, en devenant plus vieux et plus sage, tu apprends à ne pas être influencé, tu essayes de faire quelque chose de pur.

Quand vous tournez, est-ce que vous écoutez de la musique ou vous voulez du silence ?



Les deux, ça dépend des jours. C’est sympa d’avoir un peu de rock quand t’es posé en backstage.

Dernière question : quel est ton album préféré de Neurosis ?



Fires Within Fires ! Jusqu’au prochain. Le prochain est mon préféré !

Et quel serait-celui que tu aimes le moins ?

Je crois que je dois respecter chaque album, qui constitue à chaque fois une étape sans laquelle je ne serais pas celui que je suis aujourd’hui, et nous ne serions pas ce qu’est Neurosis. Donc je pense que je dois honorer tout ça comme faisant partie de notre passé.

Quels ont été tes concerts préférés dans ta vie ?



Des tonnes. En grandissant, j’ai toujours adoré Motörhead, je crois que je les ai vu onze fois, avec plein de line up différents ! Il y a aussi Swans qui ont toujours été incroyables. Je me prends aussi une claque à chaque concert de Godspeed You! Black Emperor, tu te sens élevé par leur musique. Ce putain de Willie Nelson continue d’impressionner tout le monde aussi ! C’est un maître dans son art.

Metalorgie Team (Octobre 2016)

Merci au Motocultor, Karine Sancho et l'équipe des relations presse, ainsi qu'à Loïs de Differ-Ant.

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