Laurent Lacrouts (The Inspector Cluzo) Download Festival Paris, le 11 juin 2016

Samedi, vers l'heure du midi, les gascons viennent d'arriver sur le site de l'hippodrome de Longchamp. Quelques instants après avoir investi les lieux, Laurent et Mathieu viennent vers la zone presse. L'entretien se déroulera avec Laurent, guitariste de The Inspector Cluzo.



Comment décrirais-tu ta musique à quelqu'un qui ne la connait pas ?

Ouf, c'est très complexe, je ne suis peut-être pas la bonne personne pour te répondre, il faudrait demander au public pour ça. Moi je sais pas, je dirais que c'est du rock, ça c'est sûr, du rock à sa vraie définition, c'est-à-dire qu'il y a de la soul dedans, du blues, ça rappelle le grand-père, mais il y a aussi des embardées énervées, c'est du rock dur sinon on ne serait pas là au Download évidement. Mais, j'y tiens, c'est aussi beaucoup de soul ! C'est de la musique jouée à quatre mains, il n'y a pas de basse et on est des ayatollahs du vintage, ça fait 21 ans qu'on joue ensemble donc on a une manière particulière de jouer, ce qui fait que le public ne ressent pas l'absence de basse. Il n'y a pas d'artifices, ni d'ampli basse, ni d'octaver. C'est juste nous et notre jeu !

Votre groupe va au delà de la musique.

Oui, il y a toute une philosophie derrière, on est complètement indépendants, mais ce n'est pas par posture. Notre producteur, c'est nous, notre manager, c'est également nous et d'ailleurs nous somme sans le seul groupe à l'affiche du festival qui n'ait pas d'agent. Et nous avons réussi à avoir un succès mondial underground dans 44 pays, c'est la seule définition du groupe que je dirais. Après, au niveau musical, c'est complexe. On essaye d'être le plus original possible et ne pas renter dans les cases. Tout ça vient de notre parcours particulier avec Mathieu : ça fait 22 ans qu'on se connait, on s'est rencontré en maths sup et on n'était vraiment pas programmés pour faire ça. Voilà, c'est un groupe qui s'est monté en 2008 et qui a eu tout de suite une super notoriété au Japon parce qu'ils aiment bien les trucs un peu déglingos. On fait guitare chant batterie, même si on est fort éloignés de Jack White et tout ça, et on a rencontré énormément de gens, qui sont devenus des amis, comme Mike Muir de Suicidal Tendencies qui nous aide beaucoup aux États-Unis, c'est lui qui nous fait jouer là-bas. Voila, c'est une histoire très humaine qui est basée sur l'artistique et pas sur le business.

Tu disais tout à l'heure que ton grand-père faisait du blues, c'est ça ?

Non, pas du tout ! On est Landais, on est des Gascons donc on vient d'un milieu rural et nos grands-parents étaient comme tous les grands-parents dans les Landes : des paysans. Mais c'étaient des métayers, c'est à dire qu'ils n'étaient pas propriétaires de leurs terres, ça crée un état d'esprit très particulier d'entraide, comme un esprit communiste qui est resté très fort chez nous. D'ailleurs en ce moment à la ferme, c'est notre voisin qui s'occupe de nos trois cents oies, ii nous envoie des textos pour nous tenir informé et il ne comprend pas du tout où on est (rires). C'est très rigolo, ce sont des gens très ouverts d'esprit.

J'ai vu que vous avez annulé le reste de la tournée 2016, justement pour les oies ?

On a fait pire que ça en fait. Là on a annulé une date au Rockavaria en Allemagne, un truc de Metal, très Metal ! Tout ça parce qu'il y a notre club de rugby avec lequel on est en partenariat, nos amis du Stade Montois qui sont en accession au top 14. Une vraie amitié s'est créée avec eux, il viennent travailler les muscles à la ferme sur les activités agricoles, parce qu'il n'y a rien de mieux - c'est largement mieux que la gonflette, d'ailleurs t'es pas très gonflé au final mais t'as beaucoup de force - et on est maintenant très liés avec eux. Après le 7 octobre, on arrête donc le reste de la tournée pour gaver nos oies et se consacrer au truc, parce que notre marque Lou Casse marche très bien et ça fait partie de l'équilibre du groupe, de l'équilibre financier aussi, parce qu'on s'autofinance en partie par la marque.
C'est une sorte de coopérative The Inspector Cluzo. On fait des t-shirts, on fait des livres-albums et c'est très important pour nous, cet amour de l'indépendance tout en essayant d'être compétitifs. Même si jouer ici au Download, en plus à l'heure où on joue, c'est vraiment parce qu'ils nous adorent ! (rires) C'est pas pour du business qu'ils font ça, je le dis parce que ça a beau être Live Nation, je constate simplement les faits. Tu sais nous sommes des paysans et 1+1 ça fait 2, pas 2 et demi. On regarde les faits et c'est tout.

Donc vous vous appelez The Inspector Cluzo, comme le fameux inspecteur de la panthère rose. Est-ce que comme lui, vous avez l'impression d'évoluer dans un monde absurde et surréaliste ?

Oui, tout à fait ! Parce que le monde a vachement évolué et en plus par rapport à là où on habite, dès que tu te retrouves dans un festival comme ici, tu fais "Wouf…" ça change. Alors je sais pas qui est absurde et surréaliste, ça se trouve c'est ici la réalité, mais c'est vrai que c'est très très éloigné ! On est dans un monde, à la campagne, qui vit plus lentement, qui vit au rythme des animaux, très naturel. Après on n'est pas du tout des hippies, on est agriculteurs et on a une vraie démarche agricole, on est professionnels, on gave les oies, on les tue. On sait très bien positionner les choses par rapport à ça, on discute d'ailleurs très souvent avec des musiciens vegan parce qu'avec nous, ils trouvent un discours très ouvert même si on est issus d'un terroir très fort. Tu peux pas nous parler d'écologie d'une certaine façon, parce qu'à un moment donné on va te dire, viens avec nous, on va te montrer ce que c'est l'écologie.

Vous avez sorti votre troisième album The 2 Mousquetaires sous forme d'une BD, un clip The French Bastards en dessin animé également, c'est une passion chez vous ? Qu'es-ce que vous aimez dans ce registre là ?

C'est une passion et c'est aussi parce que le groupe a fonctionné tout de suite au Japon. Donc on a baigné dans un milieu très dessin, très manga, notre dessinateur est taïwanais, on l'a rencontré là-bas, on est tombés amoureux et on ne s'est plus jamais quittés. Il a aussi fait les dessins du dernier album Rock Farmers, qui sont des aquarelles qu'il est venu faire directement à la ferme. Il a aussi fait toutes les étiquettes de Lou Casse, nos pots, nos foies gras, c'est un travail global qu'on fait ensemble. On aime bien cet univers-là parce que tu peux dire beaucoup de choses et comme - j'aime pas beaucoup le mot, mais - on est des militants que ce soit en musique ou dans la vie, c'est une façon non bourrine et pas trop syndicaliste de dire et d'expliquer des choses avec beaucoup d'humour.
C'est aussi un trait de caractère de notre région, les Anglais y sont restés 150 ans, je pense que c'est dû à ça. L'humour absurde, nos vieux l'ont gardé et tu te pisses dessus avec eux, comme ça, en une phrase. La langue gasconne est comme ça aussi, c'est une langue très humoristique, poétique mais pas vulgaire. Donc la BD correspond à notre manière de parler, c'est très clair et très direct. C'est jamais méchant, sauf si tu me fais chier. C'est un trait de caractère aussi chez nous, mais ce n'est jamais nous qui allons chercher les noises.

Comme on l'a dit tout à l'heure, vous êtes 100% indépendants. Quelles difficultés rencontrez-vous au jour le jour par rapport à des groupes signés chez des labels importants ?

Oh la ! Faut écrire un livre là ! Parce qu'en huit ans, 800 dates et 44 pays, on en a vu passer des groupes signés, nous donner l'impression de nous dépasser et finalement se crasher dans un mur ! Après, on arrive avec notre tracteur et on les double au final.

C'est le Lièvre et la Tortue ?

Oui c'est ça, c'est vrai dans tout. Je pense qu'il y a des choix. On a fait le choix de ne pas partir de chez nous, parce qu'on a eu des offres de Major mais on a fait le choix de ne pas se déraciner. Surtout après avoir beaucoup voyagé, tu vois comment est foutu le monde, tu hallucines ! Quand tu as la chance d'avoir une culture, tu en profites. Pour nous la culture c'est comment mieux vivre ensemble, on n'exclut pas les gens par la langue. Les vieux disent toujours "les Landais, c'est les habitants des Landes", et ça veut tout dire. Tu t'appelles Mohamed, tu habites dans les Landes si tu en a l'envie, et tu es Landais. C'est une terre d'absorption. On est des basques romanisés et anglicisés, italianisés et hispanisés. Chez nous le FN a le plus faible taux en France parce qu'il y a les fêtes de village où tout le monde se brasse, donc tu peux pas être dans le clivage. Ça peut discuter fort mais c'est tout, ça marche comme ça dans le monde agricole. Tu peux te retrouver avec un mec de la FNSEA, le syndicat de droite, vraiment productiviste, et toi t'es plus confédération paysanne et t'es pas d'accord sur la façon d'emmener l'agriculture, mais par contre quand il faudra s'entraider pour les bêtes, s'amener une gamelle, il y aura pas de soucis.

Donc pour répondre précisément à ta question, on a des énormes avantages : la liberté ! Sur le dernier album, le premier morceau fait 7 minutes, des sauts de guitares, tout ça, rien à branler. C'est impossible de faire un truc comme ça sur un label indé ou une major. Par contre on a des soucis de promotion mais, au final, au bout de huit ans, il se passe des trucs spéciaux, par exemple ce soir on passe au JT de France 2. Ils sont venus à la ferme, etc. 66 minutes ont fait un portrait de nous, pendant un mois, ils sont même venus au Japon avec nous. On a cultivé une forme d'originalité et au final ça paie sur la longueur donc oui c'est le lièvre et la tortue ! On a même le patron des Inrockuptibles qui est descendu à la ferme en début de semaine, et il est sorti béat de son séjour. Le dernier album a été mixé par le gars qui fait Jack WhiteDead Lovers, tous ces trucs là juste parce qu'il est tombé amoureux du groupe. Normalement c'est 40000 $ le mix, et on les a pas, mais on n'a pas payé ce prix là ! Normalement on devait jouer à 15h aujourd'hui mais Live Nation nous aiment bien, ils se sont dit "ils sont cools et tout", et ils nous ont mis a 21h. On n'a rien demandé hein ! On n'a pas d'agent qui met la pression. Donc il y a des avantages et des inconvénients mais au final rester soi-même ça paye. Ceci dit, je pense que c'est très dur d'être chez une major et de rester soi-même. On a plein de copains que je ne citerai pas, qui sont de chez nous, qui sont très connus, et on voit l'évolution. Pourtant à la base ils sont comme nous, après c'est un choix de vie, de personnalité, d'éthique. Ça fait penser à la légende du crossroads … tu connais ? 

Non.

Haha ben ouais t'es un metalleux hein. Donc le crossroads c'est l'histoire du diable qui se pointe, qui dit, "Tu veux être le plus grand guitariste du monde ? Oui, ok, mais j'achète ton âme." Donc c'est l'histoire de Robert Johnson qui aurait été le premier à avoir fait ça, Jimmy Page l'aurait fait, et nous, donc, au crossroads on a eu une réponse qui a été "Va te faire enculer !" Point barre ! Ce qui fait qu'on est parti sur un autre style de vie très accompli et qui nous satisfait entièrement. Jamais on échangerait notre place même si c'est deux fois plus dur pour nous. C'est l'artiste qui prime en gros. C'est pour ça qu'on a joué deux fois au Fujirock festival et il n'y a quasiment aucun autre groupe français qui l'a fait. C'est parce que là-bas les mecs ils s'en foutent que ce soit BMG, Sony ou Warner qui leur écrive, ce qu'ils veulent, c'est que ça envoie.

Donc on l'a dit tout à l'heure, vous avez fait 800 dates dans 44 pays, quel est votre secret ? C'est cette authenticité ? Cette sympathie ?

Il y a de ça … Il y a aussi le fait qu'on est des musiciens qui tricotons quand même, on a un niveau qui fait que les gens se disent "ah ouais quand même", parce qu'en plus quand on monte sur scène, on n'a pas de setlist. On construit notre show en fonction du feeling avec le public et on part dans des jams à la James Brown. Ça, c'est très important, et ça crée des interactions. C'est un des points forts du groupe, parce que où que l'on soit, on peut emmener le public là où on veut et on n'est que deux en plus. Même pas de roadie ! Ce soir ça va être un challenge pour nous, mais c'est aussi ce qui nous intéresse. Parce que le public ça va être principalement des metalleux et il va y avoir des passages soul où je pars dans les aigus donc on va voir les réactions.



Y a-t-il la même ayudère (NDLR : entraide) dans le rock que par chez vous à Mont-de-Marsan ?

Pas du tout ! C'est d'ailleurs pour ça que c'est un milieu duquel on se tient éloigné. C'est pour ça qu'on a refusé des représentations, on préfère se représenter nous-même. Notre univers, c'est nos amis, le monde agricole, faire le marché, allez au Stade Montois. D'ailleurs le club de rugby est professionnel mais il marche comme nous, à l'artisanal et ils ont des résultats exceptionnels avec un petit budget. Le rock c'est un milieu qu'on garde du coup à une certaine distance. On a quelques amis très fidèles comme Mike Muir qui vient chez nous, quelques autres musiciens dans d'autres groupes mais au final tout ça est très rare. On n'est pas très "hug". 

Cette année vous sortez Rock Farmers et vous défendez des valeurs de patrimoine, de terroir et d'artisanat. En quoi cette défense est essentielle pour le groupe ?

Déjà parce que ce sont nos racines, mais en plus, au-delà de faire vivre le folklore on a trouvé un moyen de vivre mieux et de construire une nouvelle société locale, mélangée, je déteste ce mot mais "bio", naturelle en quelques sortes, qui vit en proximité, en circuit clos et très diversifiée. Après avoir fait des dates en Chine, en Inde, il n'y a pas d'autres alternatives à celle-là, même si ça nécessite une alternance du travail. Quelque soit le travail que tu fais, il faut savoir te faire à manger. Il n'y a aucun coté donneur de leçon, nous on fait comme ça, on le dit, si ça intéresse les gens c'est bien, on ouvre la porte, et si ça n'intéresse pas c'est pas grave, les gens ne sont pas tous prêts à vivre comme nous. Ça se comprend, c'est assez dur. Le travail de la terre c'est pas simple, tu vois mes mains, c'est pas des mains de zicos.

Qu'est-ce que vous pensez du redécoupage des régions qui a été fait récemment ?

(rires) Ben c'est stupide ! Déjà nous, la Gascogne a été découpée historiquement. C'est le coté jacobin de la France. Les Gascons ont été anglais pendant 150 ans, ça les arrangeait bien, et nous aussi vu que c'était un peuple combattant. C'est pour ça qu'on a fait les mousquetaires. On a prit chaque troisième fils de lignée bourgeoise pour en faire les Cadets de Gascogne pour aller se battre en Flandres, aller se faire zigouiller. C'est l'histoire de d'Artagnan. On est un pays qui a été explosé géographiquement mais qui existe toujours par sa culture, par ses gens. Les Landais et les Gersois, on est le cœur de la Gascogne et on est dans deux régions différentes. Ça a été fait exprès, pour nous diviser. Napoléon ne voulait pas que les Gersois aient accès à la mer par les Landes. A la base la Gascogne c'est un immense triangle entre tout le sud de la Garonne, Toulouse, tout ça et qui va jusqu'à chez nos cousins germains du pays basque. La seule différence entre eux et nous, c'est qu'on a été envahis par les Romains et pas eux, sinon on est le même peuple à la base. Donc ce nouveau découpage on n'en pense rien, parce que c'était déjà stupide à la base, là c'est encore plus stupide ! On est dans la continuité du jacobinisme de base.

A quand dans le merch The Inspector Cluzo, le pâté, le confit de foie ou l'armagnac "Inspector Cluzo" ?

L'armagnac non, parce que c'est une amie à nous qui le fait, mais oui sur la tournée Rock Farmers on a vendu les confits à la fin des dates avec Lou Casse, mais là on est sold-out, on n'a pas non plus une énorme ferme.

Les prochaines échéances pour le groupe c'est quoi ? 2017 ?

On a un énorme été, on a la tournée, l'album marche hyper bien, on a beaucoup de médias qui nous sollicitent, un public important et on a surtout les Eurockéennes de Belfort où on joue pour les 30 ans des Inrocks. C'est un peu un tournant pour le groupe d'être plus connu en France même si ça va pas changer nos vies.

Pour la dernière question Laurent, on change les rôles c'est toi qui pose une question aux lecteurs de Metalorgie qui vont te répondre.

Pourquoi n'imposez vous pas à vos groupes préférés de jouer sur des instruments enregistrés acoustiquement, et d'interdire le trigg ?

Maxwell (Juillet 2016)


Un grand merci au service de presse du Download Festival.

Partager :
Kindle
A voir sur Metalorgie

Laisser un commentaire

Pour déposer un commentaire vous devez être connecté. Vous pouvez vous connecter ou créer un compte.

Commentaires

raikageLe Mercredi 13 juillet 2016 à 21H29

Parce que mes groupes préférés le font déjà pour la plupart.

povtipLe Mardi 12 juillet 2016 à 23H47

Euh... vous pouvez répéter la question?