Alcest Motocultor 2015

Morbihan, Motocultor 2015. Alcest vient de finir son très bon concert sous la Mainstage en ce milieu d'après-midi nuageux, typique d'un temps breton donc. On a rendez-vous derrière la scène avec Winterhalter, le très affable batteur d'Alcest pour discuter de leur dernier album, Shelter, de musique plus généralement et des tournées du groupe.

Bonjour Winterhalter, vous avez joué il y a une heure sur la Mainstage. C'était un défi de jouer en plein après-midi sous le soleil? Ça doit être plus difficile pour vous pour emporter les gens dans la musique d'Alcest ?


Winterhalter (batterie) : Ça dépend car l'ambiance est différente. Déjà c'est la première fois qu'on est invité au Motocultor et ça fait très plaisir d'être là. On a été surpris car il y avait pas mal de monde... une bonne réponse du public aussi. On ne joue pas souvent en France, donc quelque part on doit être pas mal attendus. Mais on était agréablement surpris, par l'ambiance plutôt cool et les gens qui ont bien réagi.

Vous auriez peut-être préféré jouer la nuit ?

La nuit c'est mieux effectivement, car tu peux avoir les lumières et ça participe aussi à l'immersion. Mais c'est intéressant aussi l'après-midi, parce que les gens sont dans un état d'esprit différent, dans une autre configuration. L'important c'est que ça ait bien marché. Pour nous, au niveau du son, du public...



J'étais étonné de vous voir aussi tôt sur l'affiche, notamment placés en dessous de groupes moins connus.

Après ça, ce sont des questions d'organisation. Tant qu'on a joué, on est content, en plus sur la Mainstage... Ça nous laisse le temps d'en profiter ensuite, de voir des collègues, quelques groupes. 

Vous restez pour Opeth ?

On les a déjà vu pas mal de fois (rire). On va leur dire bonjour au moins. On a tourné avec eux pendant deux mois (septembre, octobre) de l'année dernière sur leur tournée européenne. On se connaît bien maintenant.

On va enchaîner sur Shelter qui est sorti début 2014. J'ai trouvé que les éléments métalliques avaient quasiment disparu par rapports aux autres disques, ce qui n'est pas pour me déplaire... C'était une volonté de laisser ces choses là au passé, d'évoluer vers de nouveaux horizons ?

Pour Neige, cet album c'est un peu l'album hommage à certaines de ses influences musicales... Il avait prévenu dans plusieurs interviews que ça serait différent. C'était totalement volontaire en fait. Par exemple, on est en train de préparer le nouvel album qu'on prévoit pour l'année prochaine. Et cette fois-ci il y aura plus d'éléments métalliques... enfin pas tout à fait non plus. Une sorte de mélange entre Shelter et les disques d'avant comme Souvenirs D'un Autre Monde. Tout en restant moderne, original. On essaye de toujours faire des choses qui nous plaisent en essayant de ne pas se répéter. Ça reste du Alcest, mais réalisé de manière différente. 

J'avais vu il y a quelques temps de cela un message de Fursy Tessier (Les Discrets) à propos du prochain album du groupe qu'il envisageait dans un style Trip-Hop à la Massive Attack. Est-ce une idée que vous pourriez explorer avec Alcest pour un prochain disque ?

Avec Alcest je ne pense pas. On n'a pas vraiment parlé de la direction à prendre... On sait que ça va garder une base Rock. On essaye d'éviter trop d'éléments électroniques pour plutôt rester sur une configuration guitare / basse / batterie / chant. Il y aura bien sûr des arrangements, mais en limitant l'empilement de pistes. On va essayer d'avoir un son plus organique, on a enregistré sur bande, on enregistre en direct aussi, donc tout ça fait qu'on aura un côté un peu plus live ou « vivant ».

Vous savez où vous allez enregistrer ?

Pour l'instant c'est prévu au Drudenhaus Studio (Anorexia Nervosa, Trepalium, Necroblaspheme), là où on avait enregistré avec Les Discrets à l'époque, on y avait aussi fait le mixage de Les Voyages De l'Âme et donc on fera appel de nouveau à Neb Xort, l'ancien claviériste d'Anorexia Nervosa, qui est un très bon ami. On a essayé avec plusieurs personnes de discuter du concept de l'album, de la direction qu'on voulait prendre, de la manière d'aborder tout cela et c'est lui qui nous comprend le mieux, qui a la plus grand capacité pour le réaliser. On est sur la même longueur d'onde.

Pour Shelter vous aviez enregistré au Sundlaugin studio en Islande ? J'imagine que ça avait quelque chose de magique ?

Oui, complètement et le pays aussi est magique. Ça ajoute au cadre bien particulier, comme une sorte de bulle. On a eu la chance de pourvoir y rester un mois pour l'enregistrement, donc une sorte de cocon avec beaucoup d'échanges entre le producteur Birgir Jón Birgisson (Sigur Ros) et nous. Que se soit sur le plan humain, ou la relation avec la nature, c'était incroyable. C'était vraiment une très très grande expérience pour tout le monde.

Vous avez eu le temps de visiter un peu l'Islande ?

Oui, moi j'ai eu le temps, mais Neige pas trop. J'ai loué une voiture avec ma copine, on a fait le tour de l'Islande en six ou sept jours, il y avait encore des congères sur la route, les paysages sont superbes.

Et faire des concerts là-bas ?

Ça nous plairait beaucoup. On y est presque, on continue de travailler dessus en tout cas.

Vous avez enregistré Shelter avec le producteur de Sigur Ros, vous n'en avez pas profité pour demander au groupe de vous rejoindre sur un titre ?

(rires) Non, on n'a pas osé. Par contre on a eu leur ancien quatuor à corde (Amiina). Les cordes qu'on retrouve sur Shelter, c'est pas de la programmation midi, ce sont de vrais instruments et c'était super intéressant d'enregistrer avec elles. En une journée c'était bouclé.

En parlant des collaborations, le morceau Away est un très joli titre, assez différent du reste de l'album je trouve et c'est notamment Neil Halstead de Slowdive, qui a prêté sa voix pour ce titre. Comment s'est passée cette collaboration ? C'est Neige qui lui avait demandé de chanter pour un titre d'Alcest ?

C'est Neige qui l'a contacté effectivement. On lui a envoyé une démo du morceau pour voir si ça l'intéressait. Il a dit oui tout de suite, puis on l'a invité au studio en Islande, il a passé deux / trois jours avec nous et a enregistré son morceau. Il était écrit en fonction de sa tessiture de voix et d'ailleurs, en bossant la compo, il avait fait une version acoustique assez impressionnante, un peu Folk, comme il fait maintenant. C'était très enrichissant de travailler en sa compagnie, c'est un mec très gentil, hyper humble aussi.

J'ai également vu qu'une certaine Billie Lindahl de Promise And The Monster, que je ne connais pas du tout, avait réalisé une partie des voix de l'album ?

Tu devrais jeter une oreille dessus, c'est assez particulier, elle a une voix incroyable. Quelque chose de très sombre...

Un peu à la Chelsea Wolfe ? D'ailleurs vous avez fait votre entrée sur un de ses titres, Feral Love.

Ouais ! (rires) C'est pas nous qui avons choisi, mais on était très contents, on l'avait rencontré aux Etats-Unis... Et oui ça pourrait se rapprocher dans l'ambiance... mais plus acoustique, sur un format guitare / chant.

C'est une nouvelle fois Andy Julia (CelestiaNuit NoireSoror Dolorosa) qui s'est occupé de l'artwork ?

Alors sur la photo de couverture uniquement. Les photos du livret c'est William Lacalmontie de Paris et l'artwork c'est Valnoir de Metastazis. Pour les anciens artworks c'était bien lui et les illustrations venaient de Fursy Tessier.

Vous leur laissez carte blanche en général ?

Non, non (rires). En général il y a beaucoup de discussion en amont, des échanges d'idées avec Neige, mais c'est lui qui garde la direction artistique, c'est son projet au départ. Il a toujours une vision très pointue de ce qu'il souhaite. Par exemple pour les illustrations des anciens albums, ils ont recommencé une paire de fois avec Fursy Tessier parce qu'il avait quelque chose de très précis en tête. Donc ça prend du temps, mais on essaye au plus possible que l'artwork soit en relation avec la musique, que ça ait un sens. On ne prend pas juste des photos pour les coller avec du texte.

Et c'est cohérent parce qu'Ecailles De Lune par exemple est le disque le plus sombre, à l'image de la pochette.

Oui voilà. Pour Shelter, c'est une photo, comme Souvenirs D'un Autre Monde aussi, mais on est sur un graphisme plus épuré alors que les autres pochettes sont plus chargées. Pour revenir à quelque chose de plus simple. C'est aussi une manière de démarquer l'album des autres productions.

Comment ça se passe au niveau de la composition ? Neige compose intégralement les morceaux ?

Il compose les parties guitare. On n'habite pas dans le même endroit, donc il compose de son coté et arrive en général avec un morceau quasiment fini, au niveau de la structure, les leads de guitare, une ligne de basse approximative, histoire qu'on puisse travailler dessus. Ensuite il m'envoie le morceau pour que je puisse essayer des plans à la batterie par dessus. Je lui renvoie des versions avec uniquement ma partie. On se voit, on joue ensemble et on se rend très vite compte si ça fonctionne ou non. Souvent on change des structures, des morceaux qu'on ne garde pas en définitive, d'autres qu'on retravaille parce qu'on l'aime bien quand on le joue ensemble alors que séparément, c'était pas terrible.

Au final tu peux apporter ta touche sur les compos ?

Il y a un gros échange d'idée. Il est pas fermé à ce que je peux apporter, il écoute, on discute beaucoup. Des fois j'ai des bonnes idées, des fois pas tellement (rires). On travaille plus ensemble et surtout on prend plus notre temps, notamment pour le prochain album.

En écoutant Shelter les premières fois, certaines images des films de Terrence Malick (A La Merveille surtout) me sont revenus en tête pour cet aspect contemplatif, comme hors du temps. Tu les as vu ?

Non, mais je suis sûr que Neige les a vus. Il est comme ça, il aime bien arriver à un bel endroit, se poser, comme devant l'océan par exemple et peut rester plusieurs heures à contempler le paysage, se recueillir. Moi j'ai peut-être plus un côté terre à terre, je préfère la randonnée, partir camper, marcher pendant des jours et voir des paysages auxquels tu n'as pas accès en temps normal. Mais être loin de tout et des gens aussi. On a une relation à la nature à la fois un peu similaire, mais pas mal différente.

Qu'en est-il de vos autres projets musicaux ?

Pour l'instant j'ai Glaciation et on vient de sortir un nouvel album. Neige était sur le premier album, 1994, en tant que guest chant et basse. Pour le dernier album il a juste aidé à écrire le dernier titre, Sur Les Falaises De Marbre. Le reste du groupe se compose d'Indria, notre bassiste avec Alcest, de RMS Hreidmarr (The CNK, Anorexia Nervosa) au chant, Hugo Moerman (Necroblaspheme) à la guitare et François Duguest (Diapsiquir) aux claviers.

Pour Glaciation vous aviez envie de revenir aux racines Black Metal, jouer des choses plus dures, plus froides ?

Il était question de se faire plaisir. J'écoute toujours du Black Metal et plein d'autres choses aussi, mais je reste attaché à ce style musical. Faire des concerts dans des bars, garder un pied dans l'underground, soutenir cette scène... je prends toujours du plaisir à changer de registre par rapport à Alcest. C'est un autre style de rythmique également, donc j'aime retrouver ces sensations.

Justement, quels bons groupes de Black Metal as-tu à conseiller ?

C'est pas tellement récent, mais un de mes groupes préférés dans le genre est Inquisition. Sur album c'est déjà très bon, mais en live c'est la grosse grosse claque. Si tu peux les voir vas-y, c'est un des groupes les plus impressionnant que j'aie vu sur scène. Ils ne sont que deux, ça paraît pas évident et pourtant ils assurent complètement leur set. Il y a un côté hypnotisant, chamanique, rituel même. Tu ressens toute cette dimension là en live. C'est le groupe dans le genre que j'écoute le plus.

Est-ce que tu as jeté une oreille à la scène Black Metal islandaise, comme Svartidauði ou Misþyrming par exemple ?

Oui, Svartidauði j'ai écouté leur album, mais je ne connais pas trop la scène islandaise. Je suis pas trop à jour par rapport au nombre de sorties conséquentes, je suis tellement occupé sur d'autres choses et constamment sur les routes, j'ai pas trop eu le temps de voir des copains qui me disent « ah faut que tu écoutes ça ». Je préfère que des amis me disent qu'ils aiment bien ce groupe et qu'ils me fassent découvrir. J'ai pas envie d'aller sur internet pour voir ce qui fait le buzz en ce moment. Je fonctionne plutôt à l'ancienne, comme j'ai grandi, qu'un copain me file un CD en pensant que ça va me plaire. Et prendre le temps d'écouter aussi.

Sinon fin septembre il y a le Prophecy fest en Allemagne qui a une affiche assez folle avec TenhiAmber Asylum, Lifelover... Alcest n'y est pas, mais vous jouez avec Empyrium quand même ?

On n'a pas eu de proposition pour Alcest, mais Neige et Fursy Tessier doivent jouer avec Empyrium. Par contre je ne sais pas trop comment ça va se passer parce qu'on n'est pas là en septembre mais en tournée aux Etats-Unis.

Oui, vous faites une tournée avec Emma Ruth Rundle de Marriages aux Etats-Unis et au Canada. Ça s'est décidé comment ?

On voulait tourner avec Marriages au départ, mais comme ils étaient déjà en tournée avant, ils ne voulaient pas enchaîner avec une seconde, ce qui est un peu dommage parce que ça aurait été une super affiche. Mais on est quand même super content car on aime beaucoup le projet solo d'Emma Ruth Rundle.

Vous avez joué combien de fois aux Etats-Unis ?

Ça sera bien la quatrième ou la cinquième fois qu'on y va. On a déjà tourné avec Enslaved et on a aussi eu Deafheaven qui ouvraient pour nous quand ils n'étaient absolument pas connus...

Pas avec Agalloch ?

Non, mais on a joué avec eux en Roumanie (rires). On aimerait bien faire une tournée commune aux Etats-Unis effectivement. La première tournée qu'on avait fait, c'était tout petit, exclusivement dans le Nord-Est. Et pour Deafheaven c'était encore avec le premier line-up, ils étaient pas connus du tout, ils venaient à peine de sortir Roads To Judah. On les avait rencontré avant, Neige les connaissait de nom, mais ils étaient venus à notre concert, on avait discuté avec eux, puis on leur avait proposé de nous rejoindre sur la tournée suivante et c'était super.



Vous avez tourné au Japon et même en Chine, il me semble. Ça devait être assez incroyable ?

Oui, il y aurait beaucoup de chose à raconter... en plus typique : un concert acoustique dans un temple millénaire. Ça c'était une grosse expérience, un grand moment. Une petite centaine de personne dans un endroit incroyable toujours très très bien conservé, avec des jardins japonais à tomber et un son magnifique. Sinon les deux fois qu'on a tourné au Japon on était avec Vampillia, un groupe assez barré qui mélange un peu de tout. C'est hyper bien foutu, les musiciens sont excellents et sont devenus de bons amis maintenant. Du côté des salles on a joué à Tokyo dans le quartier de Shibuya et à chaque fois on a eu un accueil mémorable. Le booker nous a fait goûter le bœuf de Kobé, des sushis incroyables... enfin la totale quoi (rires), c'était royal. 

Et la Chine aussi, on était un des premiers groupes à faire une tournée aussi longue avec 10 ou 12 dates dans des villes dont les gens en Europe ne connaissent pas le nom, mais c'est plus grand que Paris. Tu arrives en Chine dans une ville que tu ne connais même pas de nom, mais les gens connaissent ton groupe, il y a des grands fans qui ont toute la discographie qui connaissent même les paroles en français. Ça fait un gros pincement au cœur, tu es presque à l'autre bout de la planète, les gens connaissent ta musique, ils sont adorables et l'accueil des promoteurs était toujours sérieux. Ça s'ouvre aussi de plus en plus musicalement : des groupes occidentaux qui vont y jouer, l'audience commence à monter avec des festivals, des festivals itinérant qui sillonnent la Chine et des groupes chinois qui commence à venir en Europe également. C'est bien que ça ne soit pas qu'à sens unique.

C'est étonnant de voir que les Japonais apprécient beaucoup les groupes français.

C'est vrai, mais il y a de tout. Il faut aller au Japon pour vraiment comprendre leur culture et encore, nous on est resté que deux semaines. On avait quand même le temps de s’imprégner de ça, avec des jours off pour visiter et pas que la ville : des parcs magnifiques, des forêts de bambous immenses, le mont Fuji qu'on voit d'un peu partout...

Ça devait être vraiment chouette. Pour conclure j'ai deux questions, l'une sur vos prochains projets et la seconde, est-ce que vous arrivez à vivre de votre musique avec Alcest ?

Comme je te disais, le nouvel album est en préparation, donc ça va être la suite logique : enregistrement, sortie, promotion, tournée et interviews. Et sinon on commence tout juste à vivre de la musique. Cette année on va pouvoir obtenir le statut d’intermittent. Parce que c'est super compliqué à obtenir car on fait essentiellement des dates à l'étranger, plus que quand tu ne fais que des dates en France. Faut trouver une boite qui est ton employeur en France, mais qui gère avec les promoteurs étrangers et c'est long à mettre en place. Peut-être qu'en fin d'année on va enfin avoir la chance de travailler pour avoir le statut de chômeur (rires).

Pentacle (Octobre 2015)

Merci à Sarah de Dooweet pour avoir organisé cette rencontre.

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