Lee Dorrian (With The Dead) Hôtel Alba Opéra, Paris, le 18/09/2015

Ne jamais dire jamais, c'est ce que doit maintenant penser Lee Dorrian qui avait cessé ses activités avec Cathedral pour se consacrer à son label Rise Above. Le voila maintenant embarqué dans une nouvelle aventure musicale, With The Dead, qui en mettra plus d'un à genou. Retour sur la genèse de ce groupe avec une des légendes du Doom Metal.

Est-ce que tu avais en tête de créer un nouveau groupe après la dissolution de Cathedral  ?

Non  ! Après Cathedral, je n’avais aucune intention de fonder un autre groupe, loin de là même, c'était la dernière chose que je pensais faire. With The Dead est né sans que je sois impliqué dans un premier temps et il n'y avait aucune volonté que je le sois à un moment donné. Les deux membres fondateurs, Tim Bagshaw et Mark Greening, faisaient partie d’Electric Wizard et jouent ensemble dans Ramesses. Ils se connaissent donc depuis longtemps. Tim a déménagé aux États-Unis il y a plusieurs années et Mark a eu tous ces ennuis avec Electric Wizard quand il s'est fait éjecter du groupe, il était perdu et voulait fonder un groupe rapidement après ça. Un jour, Tim est revenu des États-Unis pour rendre visite à ses parents et avec Mark ils ont évoqué l'idée de fonder un nouveau groupe, pour le plaisir, pour voir ce que ça pourrait donner, mais je n'étais pas impliqué dans cela, de près ou de loin. Tim m'a simplement appelé et m'a demandé si mon label Rise Above pouvait être intéressé pour sortir un éventuel disque. Je leur ai dit "bien sûr ! Tenez-moi au courant et envoyez moi les pistes dès que vous les avez". Donc Tim m'a envoyé quelques morceaux enregistrés dans son home-studio, sur un 4 pistes avec une boîte à rythme et j'ai immédiatement senti que ce qu'il avait là était bon. On pouvait discerner qu'il avait composé ça de manière spontanée, avec une approche fraîche et simple, très directe et pour moi, c'était parfait. Je leur ai suggéré, puisqu'il revenait en Angleterre, de se mettre à répéter avec Mark puis d'aller en studio et d’enregistrer ces compositions de manière satisfaisante. À ce moment là, il y avait largement de quoi enregistrer un album, mais ils ne voulaient enregistrer qu’un EP au départ. Je leur ai dit que c'était une mauvaise idée, compte tenu de l'état actuel de l'économie musicale. Je trouve que c'est un format redondant et inutile : si vous enregistrez quelque chose, ce doit être un album. Quand ils étaient en studio dans le Dorset, je suis allé leur rendre visite et quand j'ai écouté ce qu'ils avaient enregistré, et ça ne rendait pas du tout justice à leur musique parce que le son était un peu merdique, le studio n'étant pas très bon. Je leur ai suggéré d'utiliser ça comme des démos et de mettre de côté leurs compositions pendant quelques mois afin de les laisser résonner à l'intérieur d'eux mêmes et de revenir dessus avec une approche plus spontanée et fraîche. C'est à ce moment qu'ils m'ont demandé si je voulais chanter sur l'album mais je n'étais pas très motivé au départ, même si j'adorais ce qu'ils avaient écrit. Je dirige un label et c'est un boulot à plein temps, parfois même plus, et j'avais arrêté Cathedral notamment parce que je manquais de temps. J'étais donc hésitant à l'idée de les rejoindre mais, plus j'y pensais, plus je me disais que c'était une occasion servie sur un plateau d'argent ! Je trouvais que ce groupe avait un gros potentiel et, surtout, j'adorais les compositions, donc je leur ai dit oui. Mais je ne voulais pas m'engager d'une manière sérieuse dans un groupe avec quatre mois de tournées par an et ce genre de choses que rencontrent les groupes qui débutent. J'ai donc accepté de faire les parties vocales de l'album mais que l'on verrait à partir de là pour le reste. 

Quelle a été ton implication et ton travail au sein de With The Dead une fois que tu les as rejoint ?

En gros, j'ai passé plusieurs mois à écouter les parties instrumentales en boucle en faisant des pauses à intervalles réguliers, afin de me les approprier. J'ai passé beaucoup de temps à imaginer comment j'allais approcher ces compositions, les idées de paroles que je pouvais avoir. Je n'ai rien écrit sur le papier jusqu'au dernier moment puisque je ne voulais pas passer plus de trente minutes à écrire les paroles de chaque chanson, ce que j'ai fait. J'ai ensuite demandé à Tim de revenir en Angleterre au mois de mars afin qu’on réenregistre tout, mais cette fois-ci dans un meilleur studio. On avait bien réfléchi à ce qu’on souhaitait faire avec chaque composition, au niveau des ambiances, des arrangements, des structures. Nous sommes donc entrés en studio au mois de mars avec une toute nouvelle approche. On a enregistré très rapidement et surtout, j'avais posé une condition : faire l'album le plus lourd possible. Il n'y avait qu'une seule règle et c'était tout, personne ne s'est demandé quelle direction prendre, il n'y en avait qu'une seule route, celle de l'annihilation totale. Une fois que nous avions pris cette décision, c'était très facile de rester concentrés sur ce que nous voulions faire.

Ça me semble réussi !

Oh vraiment (rires). Merci !

Comme tu l’as dit, vous avez essayé de faire l’album le plus lourd et massif possible, mais malgré tout, on entend quelques lignes de mélodie, ainsi que des samples. Comment avez-vous réussi à combiner tout cela ?

Je ne pense pas que l’album soit si mélodique que ça. Les compositions sont assez entêtantes c'est vrai, mais chaque morceau part vraiment dans tous les sens. Certains des riffs sont très longs, il n'y a pas de structure couplet/refrain/couplet/refrain mais plutôt des enchaînements un peu aléatoires de plans du genre couplet/pont/couplet/pont/refrain/pont/refrain. Mais pour une raison que j'ignore, cela semble s’emboîter parfaitement. Tim est très attentif à la manière dont il veut que les riffs sonnent et qu'ils s’intègrent les uns aux autres et nous étions tous d'accord sur ce que nous voulions. Toutes ces idées, comme les samples, sont venues à la dernière minute, quand on était ensemble en studio.

Screams From My Own Grave est la chanson la plus lente de l’album, avez-vous fait exprès de la mettre en dernière place sur la tracklist ?

En fait, cette chanson ne devait même pas apparaître sur l'album ! Quand ils ont commencé à enregistrer et que je leur ai dit qu’ils devaient faire un album et non pas un EP, ils ont composé rapidement quelques morceaux supplémentaires, dont celui-ci. Quand ils l'ont enregistré à nouveau, la structure était différente et il faut l'écouter au moins quinze fois pour comprendre dans quelle direction il va, le riff étant plus ou moins le même tout le long, ça demande beaucoup d’attention. C’était d’ailleurs la seule chanson pour laquelle je n’avais écrit aucune parole car c'était un autre morceau qui devait conclure le disque. Screams From My Own Grave aurait dû figurer sur un split par exemple, ou quelque chose dans le genre. J’avais enregistré tout le chant pour l’album en moins de deux heures, en une seule prise pour garder la spontanéité, sauf pour Screams From My Own Grave, qui ne m’inspirait pas. Tim et Mark ont été très énervés quand ils s’en sont rendus compte. Donc quand on a commencé le mixage, ils m’ont appelé pour me dire qu’il fallait que je chante dessus. J’avais une demi-heure devant moi avant de devoir partir pour le studio, je me suis assis, j’ai écrit les paroles en cinq minutes et j’ai pris la route ! Mais ce fut quand même bien stressant de devoir écrire ces paroles aussi vite. D’ailleurs l’enregistrement aussi fut tendu, car à part pour Crown Of Burning Stars et I Am The Virus, les quatre autres chansons ont été enregistrées sans que je ne répète le chant avant (rires).

À propos des paroles et des thèmes abordés dans l’album, tu sembles être toujours très inspiré par les films d’horreur, le satanisme et l’occulte. D’où ça te vient et comment fais-tu pour n’avoir pas encore épuisé ces sources d’inspiration après plus de vingt ans de carrière ?

Et bien, ces quelques dernières années ont été un peu merdiques et depuis que j'ai quitté Cathedral, je n'avais plus le moyen d’extérioriser toutes ces pensées négatives. Quand tu as la chance de jouer dans un groupe qui sort des disques, ça te permet d'évacuer, de te libérer, mais quand c'est fini, tu te rends compte que ça te manque. Et j’ai traversé des moments difficiles avec le label, avec des gens qui me poignardaient dans le dos. Ma vie personnelle n'était pas au mieux non plus et je ne pouvais pas canaliser cette frustration qui me rongeait de l’intérieur. Après comme je le disais, l'idée principale était de faire l'album le plus lourd et sans compromis possible et donc je suppose que cela passe par des paroles du même acabit ! Pour se mettre dans cet état d'esprit, tu dois simplement faire remonter toutes ces pensées négatives du fond de ton esprit et les mettre dans ta musique. Je vis à Londres et c'est l’endroit parfait pour entretenir des idées aussi sombres (rires). Ce que je veux dire, c'est que j’y vis depuis douze ou treize ans et depuis quelques temps, je ne me sociabilise plus, je vis dans mon coin sans trop quitter mon appartement. Évidemment, je bosse sur Rise Above donc je rencontre des gens mais je ne vais plus vers les gens autant qu'avant. Et je vois d'un œil extérieur tout ce monde, ce tourbillon chaotique qui nous étouffe et ces gens, si égoïstes, qui se croient importants et n'ont aucune empathie pour les autres. Tout n’est plus qu’une question de calcul et personne ne fait plus rien sans attendre quelque chose en retour. C’est cette horrible manière de faire qui fait tourner le monde. Et c'est de ça que parle la première chanson, de notre monde qui est sur le point de se détruire. La seconde chanson, The Cross, est plus en rapport avec la difficulté que ça représente d'exister en tant qu'individu. Si tu es un tant soit peu original, c’est un fardeau de rester fidèle à soi-même car la plupart du temps quelqu’un finira par se moquer de toi. Bien sûr, si on était tous des gens conventionnels qui se conforment à la société, de vrais demeurés sans conscience, la vie serait bien plus simple. Mais parfois, essayer d'être celui qu'on est n'est pas la chose la plus facile à faire. The Cross, comme son nom l'indique, parle donc du fait de porter cette croix (une pointe de tristesse se lit dans son regard). Mais ce ne sont pas des choses auxquelles je pense toute la journée, je suis assez heureux maintenant (rires). Mais si tu veux faire un album lourd, alors il faut que tu sois dans l’état d'esprit adéquat.

Concernant l’artwork de l’album, le procédé de la photo de groupe a un côté oldschool, pourquoi ce choix ?

Je ne voyais pas l'intérêt de faire quelque chose de compliqué. Pendant des années avec Cathedral, on avait des artworks très détaillés et travaillés et essayer de faire quelque chose de ce niveau aurait été stupide, de mon point de vue. La musique de With The Dead est si directe que je ne voulais pas arriver avec quelque chose de trop compliqué et je n'avais pas vraiment d'idée « innovante ». La photo me semblait puissante donc on a choisi de s'en tenir à ça et on ne voyait pas l'intérêt de dépenser de l'énergie pour un artwork alors qu'on avait déjà ça sous la main.

Ça ne vous fait pas peur de vous retrouver cataloguer all-star band par les gens ?

Je suis pas vraiment inquiet, qu’ils le fassent s’ils le veulent. Je veux dire, qu'est ce qu'un all-star band ? C'est un ex-membre de Cathedral et deux ex-membres d'Electric Wizard, est-ce que c'est ça un all-star band ? (rires) On a seulement fait un disque ensemble et pour nous ce n'est pas quelque chose qui nous met la pression. Je peux comprendre pourquoi les gens nous définissent comme ça et pour nous, ça nous permet plus facilement d'être reconnus. J'ai réalisé que c’était bien plus simple pour nous que si nous débutions totalement en étant de parfaits inconnus. Pour être honnête, aujourd’hui, je n'aurai pas l'énergie de partir de zéro avec un tout nouveau groupe, créer quelque chose de nouveau, réfléchir à comment cela doit sonner pour proposer quelque chose d’original... J'ai eu de la chance avec With The Dead, car tout s’est fait facilement et c'est ce qui m'a plu.

Vous n’avez pas prévu de partir en tournée ?

Non, il n'y aura pas de tournée. Je n’ai plus le temps de passer trois mois dans un bus à nouveau. Par contre, nous aimerions évidemment faire des concerts, mais ce sera quelque chose de plus ponctuel, dans des festivals par exemple. Cependant il n'y a rien de concret pour le moment, mais on va y réfléchir.

Avez-vous déjà réfléchi à l’avenir de With The Dead ?

Il n'y a rien de prévu sur le long terme. C’est avant tout un projet studio, je le vois comme une formation oneshot. J'aimerai que l'aventure dure plus longtemps mais je ne suis pas quelqu'un qui s'organise très en avance, je prends les choses comme elles viennent et c'est ce qu'on fait tous les trois pour With The Dead. On a fait un disque, on est content de ce qu’on a fait, et tout ce qui pourra arriver derrière, c'est du bonus.

Quelles seront les prochaines sorties de Rise Above, hormis With The Dead ?

Il y a un nouveau Blood Ceremony qui arrive bientôt, ils entrent en studio dans quelques semaines, ils viennent à Londres exprès pour ça d'ailleurs. Un nouveau Church Of Misery aussi, c’est un de nos groupes les plus connus. On sort le prochain disque de Dream Death, un groupe des années 80 qui joue du Doom traditionnel. Il y a ce nouveau groupe aussi qu'on vient de signer, Beastmaker, qui sont assez terribles, ils viennent de Californie. Donc il y a pas mal de choses qui arrivent.

Retour vers le passé, j’avais vraiment adoré le projet de Dave Grohl Probot auquel tu as participé, et, sans vouloir te faire de la lèche, Ice Cold Man est ma chanson préférée !

Oh, vraiment ? On ne m’a pas dit ça depuis dix ans (rires). En fait je connaissais Dave depuis les années 80, avant qu'il ne devienne célèbre avec Nirvana et les Foo Fighters. Il jouait alors dans un groupe qui s’appelait Scream et j'étais promoteur de concerts Punk dans ma ville d'origine donc il avait dormi quelques fois chez moi. Je suppose qu'il s'est rappelé de moi et de cette époque là. Il m'a simplement demandé si je voulais participer, je suis le premier qu’il ait contacté d’ailleurs je crois. C'est assez cool ouais (rires).

Vas-tu regarder le match de rugby ce soir ? (NDLR : c’était le soir du match d’ouverture de la Coupe du Monde)

Un match de Rugby ? Je ne sais même pas ce qui se passe. France contre Angleterre ?

Non, l'Angleterre joue son premier match de coupe du monde !

Ok. Je ne m’intéresse pas au sport, j'aime le speedway, c'est à peu près tout.

Raikage (Octobre 2015)


Interview préparée, menée et retranscrite par Raikage et Grum.

Merci à Lee pour son flegme britannique,
Merci à HIM Media pour nous avoir organisée cette rencontre,
Merci à l'Hôtel Alba Opéra pour leur accueil.

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