Alban Coutoux et François Floret, programmateurs de la Route du Rock, Part. 2
par Chorizo (16/07/2014)

(La première partie est à lire par ici)
Metalorgie : Comment se situe La Route du Rock en termes d’état d’esprit par rapport à des fests qui peuvent avoir des programmations similaires. Je pense notamment, taille et budget mis à part, à Rock en Seine ? Quand on regarde la prog’, la moitié du lineup s’y retrouve, et vous drainez le même public.
Alban : La prog’ de Rock en Seine est plus large, les têtes d’affiche sont plus grand public…
François : … mais c’est vrai qu’il y a des similitudes.
A : Oui, il y a des groupes communs, c’est aussi la période qui veut ça puisqu’on est à 1 semaine près.
F : Il faut être honnête, quand ils sont arrivés en 2003, ils nous ont fait mal car on était quasiment les seuls en août et qu’on a un public parisien. On s’était parlé avec Christophe (Davy, un des producteurs de Rock en Seine), qu’on adore, mais j’ai été désagréablement surpris car on nous avait dit que ce serait autre chose que ce que c’est maintenant. A savoir que ce ne serait pas une Route du Rock bis, que ça allait être beaucoup plus grand public et, comme tu viens de le dire, c’est vrai qu’il y a une partie de la prog’ de chez nous ; forcément ça nous enlève du public, c’est un peu chiant. Et puis, ils sont beaucoup plus puissants que nous. On s’entend très bien avec eux, mais il y a forcément un impact. Mais positivons : il y a aussi des ponts. Il y a des artistes qu’on a fait parce qu’ils passaient là-bas sinon on n’aurait jamais pu les avoir, comme Massive Attack par exemple.
M : En 2009, avec la venue de Dominique A, je m’étais fait la réflexion qu’il n’y avait qu’un seul français à l’affiche. 5 ans plus tard, là encore, Cheveu est le seul représentant des scènes nationales dans le Fort. Vous ne trouvez pas votre bonheur ou c’est moins vendeur d’être français ?
A : Non pas du tout. On parlait de style tout à l’heure, de la même manière, il n’y a pas de parti pris sur la nationalité. Notre raisonnement, quand tu organises un évènement, c’est d’éviter que l’artiste ait déjà fait 50 dates en France dans l’année pour garder justement ce côté évènement, excitant…
F : Et il faut avouer que la scène française dans notre créneau n’est pas si riche que ça finalement. Ce n’est pas insultant de le dire. Il y a sans doute beaucoup de groupes, mais nous on est vachement exigeants, sans être péteux. Il y a des Anglo-saxons qui font mieux. Et puis, ce n’est pas facile pour un français, quand tu comprends ce qu’il raconte, il faut être vachement bon parolier. C’est pour ça que Dominique A a tout de suite trouvé sa place. Cheveu, eux, chantent en anglais donc ça va. Eux sur scène ils sont fabuleux, c’est du Punk à l’état pur.
A : Et paradoxalement, c’est un groupe qui tourne plus à l’étranger qu’en France, ils font des grosses tournées aux US. Et puis, François&The Atlas Mountains, c’est la première et la seule signature française de Domino.
M : Combien de spectateurs attendez-vous cette année ?
F : Plus que l’an dernier, j’espère. En tout cas, la tendance est bonne. Sans s’enflammer car on est encore à 40 jours… L’an dernier c’était 21 600 spectateurs ; cette année, j’espère faire plus. Franchir la barre des 25 000 ce serait formidable.
Le Fort peut accueillir 12 000 personnes (soit 36 000 sur les trois jours), avec une autorisation pour aller jusqu’à 14 000, sans dissocier les scènes. La petite scène c’est 3 000 spectateurs max, 3 500 avec du talc. L’an dernier on a été victime de notre succès, donc on a revu les choses cette année : la scène sera face au fort, là où il y avait les huîtres l’an dernier. La régie sera hors public donc on sera moins emmerdé. Le problème, c’est qu’on a un public qui veut tout voir donc ça gueule quand ils peuvent pas accéder à la petite scène alors que dans d’autres festivals, ça gueule pas. Quand c’est blindé, c’est blindé…
M : Vous avez noté au travers des années, une différence du public, de ses attentes vis-à-vis des artistes ? Qui est le public qui vient vous voir ?
A : La Route du Rock n’est absolument pas un festival familial. Mais il y a plusieurs générations qui se rencontrent. Il y a ceux qui nous suivent depuis le début et ceux qui se renouvellent constamment. Le public de Dominique A n’est pas celui de Parquet Courts ou de Disclosure. Il peut néanmoins y avoir un public commun entre les deux.
F : A ce propos, en 2012, j’ai eu très peur. On avait une prog’ qui ne pouvait plaire qu’à nos vieux fidèles. Et je me suis dit : « S’ils ne sont que 13 000 les vieux fidèles, eh ben… »…
A : Y avait The XX quand même, qui est un groupe avec un public hyper jeune.
F : Ouais mais ce n’était pas forcément LE groupe de scène. Les gens savent que c’est plus facile à vivre dans une plus petite salle. Donc, en 2002, je me suis demandé si on n’était pas à la fin d’un cycle, s’il ne fallait pas qu’on fasse autre chose car on n’avait pas réussi à accrocher un wagon pour intéresser des gens plus jeunes. C’est pour ça qu’on a mis plus d’électro en 2013 et on a eu la chance de booker Disclosure avant que ça buzze. Cette année, on essaie de faire encore plus fort en termes de groupes qui vont plaire à un public plus jeune.
M : Quelles sont les animations prévues cette année en-dehors du Fort ?
F : Une grande roue, des auto-tampons, du catch féminin dans la boue, un combat d’attachés de presse (rires)….
A : On est sur la Plage Bon secours de Saint-Malo depuis 2002. Chaque après-midi est consacré à un label avec un DJ set dudit label. Vendredi après-midi (le 14 août donc), il y aura également la conférence de Christophe Brault, au théâtre Chateaubriand, consacrée à l‘histoire du Rock psychédélique. Le dernier jour, c’est Sport Is Not Dead et tous les tournois de foot, dodgeball, rugby et volley sur la plage.
M : Les concerts au Palais du Grand Large, c’est définitivement fini ?
F : Oui, c’était un échec sans qu’on comprenne pourquoi… Nous n’avions pas d’équilibre financier. On a tenu tant qu’on avait un partenaire (Sony Ericsson) mais quand il nous a quittés, on ne pouvait plus. On a d’abord réduit mais on perdait environ 10 000€, ce n’était pas viable.
Mais c’est un mal pour un bien. On sait qu’il y avait un problème dans le timing à cause du Palais. Si tu allais au Palais, tu étais sûr d’être à la bourre dans le Fort. Maintenant les gens sont plus libres et ça permet d’ouvrir plus vite dans le Fort avec la deuxième scène. L’offre artistique reste strictement la même tout en étant plus rentable. Ceci dit on n’exclut pas de refaire quelque chose avec le Palais car le lieu est super. On est de manière générale toujours à l’affût d’une nouvelle opportunité. On va se promener dans la région…
A terme, dans les prochaines années, si tout se passe bien, l’ambition de la Route du Rock c’est quoi ? Déborder les remparts ?
A : Non surtout pas. C’est d’exister et continuer à faire ce qu’on sait faire.
F : Franchement, cette course au chiffre avec le public, c’est hallucinant. En France, comme à l‘étranger, en ce moment, tu détermines le succès de ton évènement par tranches de 100 000 personnes que tu fais ou pas… Cette espèce de concours de bites est débile. Quand tu regardes les budgets, tu t’aperçois aussi que certains de ces festivals, s’ils ne font pas complets, ils perdent de l’argent. Nous, si on fait complet, on est richissimes. Je suis content d’avoir encore cet espoir… Si je fais complet, on délocalise la Route du Rock aux Bahamas (rire). Je n’aimerais pas être à la place de Jérôme (Tréhorel, Directeur Général des Vieilles Charrues). Tous les ans, il doit faire complet sinon c’est échec.
A : Et même si tu fais un bon score et que t’as pas fait complet, les journalistes te tombent dessus, genre « Mais qu’est-ce qui s’est passé ?! ».
F : C’est ce qui s’est arrivé l’année dernière. Ils ont perdu des sous car ils devaient faire complets. Comme c’était sa première année en tant que directeur… Cette pression est malsaine. Donc, oui, on doit conserver le schéma du fest et si demain on a plus de moyens, ça sera pas pour nous agrandir mais pour l’accueil et le budget en artistique (actuellement, il représente 30% du budget total environ). Ce budget est insuffisant, surtout quand tu regardes les autres, genre les Vieilles Charrues qui ont tout dix fois plus que nous. Rock en Seine, c’est pareil. Ils font rêver, car ils ont une aide massive de la région. Ce sont des choix politiques, on ne peut pas lutter. Huchon a décidé de mettre une plaque, donc eux ont 1 million d’euros de subventions, nous 70 000…. Donc la route est longue. On a de la chance que ce soit constant en terme d’argent public mais on sait qu’il n’y aura rien de plus. On recherche donc très clairement des financements privés, du mécénat. On a du retard en la matière qu’on doit rattraper. Et il y a de la demande, des gens prêts à aider, on le sait. Le bassin malouin est très riche en entreprises. Les Eurockéennes, eux, ont fait très fort dans ce domaine déjà.
M : Avant de terminer, un petit mot sur les intermittents ? Vous avez signé un appel, il y a quelques semaines, pour montrer votre solidarité avec leur cause.
F : C’est compliqué de rentrer dans les détails techniques mais cette nouvelle loi va rendre précaire certains intermittents alors qu’on pénalise tout le monde. Il n’y a pas eu de dialogue. Ce qui m’a fait halluciner, c’est que le MEDEF a décidé ça dans un couloir, en mettant la pression au gouvernement, sans réfléchir à une graduation… On sait qu’il y a des abus mais ce n’est pas nos techniciens, ce ne sont pas les précaires qui en sont responsables, c’est l’audiovisuel à Paris, les plus nantis qui profitent du système. On le reconnaît. Mais, avant tout, je ne supporte pas l’idée de suivre de manière aussi aveugle les idées du MEDEF. Et puis ça va fragiliser certains précaires.
Il y a le côté producteur aussi. Nos techniciens, c’est comme une famille, mais embaucher des intermittents maintenant, les mêmes que l’an dernier, ça va nous coûter plus de 15 000 € supplémentaires. Personne n’en parle chez les producteurs… Je sais pas pourquoi. Les intermittents, eux, le savent que ça revient plus cher. Alors peut-être que c’est une manière détournée de nous faire embaucher moins d’intermittents… Mais alors on embauche qui ? Des intérimaires ? Ça n’a pas de sens, les spécialistes du spectacle ce sont les intermittents…
Et à la Route du Rock, c’est une vraie famille, ce qui n’est pas le cas partout. En 2003, lors des précédentes manifestations, on a été les seuls dans l’Ouest à ne pas avoir eu d’annulations. Les mecs, on leur laisse de la liberté pour proposer des idées conceptuelles ou techniques pour faire évoluer le festival. C’est un peu Wikipedia, la Route du Rock, chacun amène quelque chose. Alban et moi, on est les catalyseurs, on décide si ça va dans le bon sens ou pas.
C’est pour ça qu’on les soutient fermement. Ici, il y a 130 fiches de paies directement associées aux intermittents, sans compter les sociétés partenaires qui en embauchent.
A : Le débat doit de toute manière être élargi aux travailleurs précaires de manière générale. On est dans une société qui marche à l’anglo-saxonne, on nous demande d’être flexibles. Et là, les intermittents, c’est une opportunité ! Mais on nous tire dessus en limitant les possibilités de cette souplesse. C’est incompréhensible.
M : Dernière question, plus légère pour conclure : Est-ce que vous aimez le surimi ?
F : Il y a du bon et du mauvais surimi je crois.
M : C’est quoi la différence ?
F : Là où tu l’achètes, la marque. Avec de la mayo, à la limite, ça passe mais tout seul c’est chaud.
A : Moi j’préfère le homard. Le surimi c’est quoi, de la chair de poisson ? C’est pas mauvais mais bon… Il y a des esthétes du surimi chez vous (rires)?
F : Par contre, en apéritif, oui, mais pas en salade. A la limite, à l’apéro, une barre de surimi trempée dans une bonne mayo maison ou une sauce fantaisie, pourquoi pas. Ça fait des années que j’en ai pas mangé.
A : En Bretagne, manger du surimi c’est triste avec tous les bons poissons qu’on a…
M : Merci !
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