Killing Joke

par Jeanvaljean (07/05/2012)


Jaz Coleman, frontman historique de Killing Joke, artiste prolifique et débridé nous a reçu lors de son passage au Transbordeur à Lyon. L'occasion d'en apprendre plus sur un groupe fondé il y a plus de trois décennies et considéré comme source d'inspiration par les plus grand. Ici, Jaz Coleman revient sur une  carrière
aussi riche que mouvementée et nous donne une vision du monde, observée par le prisme d'un homme au parcours décidément singulier.




Metalorgie :  Killing Joke est né il y a plus de trente ans et il n’y a aucun signe d’affaiblissement apparent dans votre carrière, votre musique et vos concerts. Comment expliques-tu cela ?


Jaz Coleman (voix, claviers) : Killing Joke a commencé avec un rituel. Au début c’était seulement deux d’entre nous : Big Paul et moi-même. On devait se débrouiller pour trouver deux autres types qui pourraient jouer d’un style de musique révolutionnaire et qui auraient la capacité cérébrale de comprendre le côté mystique. C’était quasiment impossible. Nous avons poursuivi ce rituel et nous les avons trouvés en dix jours. Dix semaines plus tard, tout le Royaume-Uni avait entendu parler de Killing Joke. 33 ans plus tard, c’est les mêmes personnes. Pour moi, cela tient de la magie.

Est-ce que jouer en live est la dernière partie du processus quand tu écris de nouveaux titres ? Ou alors considères-tu ça comme deux choses bien différentes ?

Ce sont deux choses différentes. L’écriture, c’est quelque chose de très spontané. On n’y réfléchis pas. On ne prépare rien, il n’y a aucune préparation dans Killing Joke. Après pour les concerts… Je n’ai jamais vu Killing Joke en live, donc je vais avoir du mal à t’en parler (rires).

Tu es un grand voyageur. Quand tu es en tournée, est-ce que tu as le temps de visiter et des découvrir de nouveaux lieux qui pourraient t’inspirer ?

Non, tu n’as vraiment pas le temps en tournée. Pense-y seulement : Tu arrives dans la ville, tu prends une douche, et tu vas faire des interviews. Après les interviews tu vas faire les balances, et là, tu vas faire d’autres interviews, après tu fais le concert puis tu retournes dans le bus. Tu ne vois rien du lieu où tu te trouves. J’aime voyager mais tourner est une chose en rapport avec les gens, pas vraiment avec des lieux. Tu ne vois rien. Peut-être la route ou une chambre d’hôtel…

Avec une discographie composée de quatorze albums, comment sélectionnez-vous celles que vous allez emporter en tournée ?

C’est simple : celles que les gens veulent entendre et celles que nous jouons le mieux.

Comment c’est d’enregistrer et de tourner avec le tout premier line-up de Killing Joke après toutes ces années ?

Le line-up original a une alchimie très spéciale. Très différente du line-up avec Paul Raven. Cette formation a besoin de plus de répétitions mais possède d’avantage cette alchimie magique je pense.

Comme sur Absolute Dissent, il n’y a pas d’influences orientales ou d’instruments traditionnels sur MMXII. Est-ce qu’on retrouvera à nouveau ce type d’influences dans les prochains albums de Killing Joke ?

Je pense que oui. On ne planifie pas vraiment ce genre de choses, c’est donc difficile à dire. Pour Pendemomium par exemple, nous savions seulement que nous allions aller en Egypte. Du coup, c'est naturel que des influences orientales ressortent d'avantage de cet album.

Est-ce lié au line-up justement ? Le dernier album sonne parfois « années 80 », avec des claviers bien présents.

Tu sais, je joue moi-même tous les claviers. Avant j’en jouais même pendant que je chantais en live, mais ça représente trop de boulot. Non, je ne pourrais pas te dire pourquoi il y a tous ces claviers.

L’énergie qui ressort d’un album de Killing Joke est intense, un peu comme si vous enregistreriez tous en même temps. Comment peux-tu expliquer ça ?

Lorsque nous nous retrouvons, nous choppons cet espèce de groove hypnotique et quelque chose produit. Quelque chose… Je me rappelle du tout premier jam que nous ayons eu. Au début on a tenté de jouer avec Youth… Et on s’est dit : «putain ce mec ne sait pas jouer », il était vraiment à chier (rires). Alors on est parti dans un pub avec Big Paul. Quand on est revenu, Geordie et Youth ne jouaient qu’une seule note. J’ai alors fait un truc aux claviers et Big Paul un roulement à la batterie. C’est là que quelque s’est produit.  Voilà comment je me souviens de la première fois où il y a eu cette alchimie. C’était un putain d’univers qui s’ouvrait. Et cette alchimie est toujours présente avec ce line-up. Je n’ai aucune idée de comment ça fonctionne… Des fois quand j’écoute Youth jouer, je trouve ça immonde. Mais… ça fonctionne. Il y a un truc avec Geordie et Big Paul qui fait que ça prend. Je ne comprends pas comment ça peut fonctionner mais ça fonctionne putain de bien. Parfois quand on joue, Youth glisse sur tout son manche de basse des graves aux aigus, il essaye de chopper la bonne note. C’est quasi atonal, mais ça marche. Par contre, je n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi ni comment ! (éclate de rire)

On a interviewé Page Hamilton de Helmet, plus tôt cette année. Il nous a dit que beaucoup de groupes aujourd’hui éditaient trop leur musique. Partages-tu ce point de vue ? Cela semble effectivement aller en contradiction de cette alchimie dont tu viens de parler.


Qui ça ?

Page Hamilton de Helmet.

Ah oui, ils ont repris une de nos chansons. Oui il est dans le vrai, mais… Moi je dis qu’il n’y pas de règle particulière à suivre. Parfois éditer, c’est nécessaire. Une composante importante de notre son est le son de Geordie. Il n’enregistre qu’une seule piste de guitare, mais en stéréo. C’est tout.



Beaucoup des thèmes de MMXII sont politiques, pense-tu que les musiciens se doivent d’essayer de faire bouger les choses à travers leurs œuvres ?

Non, je ne crois pas. Je pense que la musique peut informer les gens. Tout au plus les influencer un petit peu. Mais regarde les années 60 : la musique prédisait une révolution. Est-ce que ça a marché ? Après y’a eu le punk, c’était grossi, plus puissant. Mais ça n’a pas duré. En revanche Killing Joke dure.

C’est ce que j’allais te dire.

Oui. Nous sommes encore énervés. Vraiment putain d’énervés. Tu sais, mon père a vu les camps de concentration et toutes ces merdes. Et je n’arrive pas à croire qu’en Amérique, ils construisent des centaines de camps similaires. Je n’arrive pas à croire que l’ordre de torturer des gens vienne de la maison blanche. Je n’arrive pas à croire que nous soyons allés en Irak pour des armes de destructions massives que personne n’a jamais trouvé, et qu’il y a eu des milliers de morts pour ça. Je n’arrive pas à croire en l’existence des « extraordinary renditions », que cette idée de violer la convention de Genève vienne de l’occident et que nous ayons ainsi perdu toute autorité morale. Je n’arrive pas à croire que le World Trade Center ait été frappé par des avions qui auraient étés réduits en poudre. C’est scientifiquement impossible !  Je n’arrive pas à croire que le FBI ait déclaré récemment qu’ils considéraient comme terroriste quiconque prétendant que le gouvernement ait été impliqué dans 11 septembre. Cela veut dire que des architectes qui pourraient connaitre la vérité, des pilotes qui pourraient connaitre la vérité, des scientifiques qui pourraient connaitre la vérité peuvent être arrêtés et placé dans des camps. Je n’arrive pas à croire à tout ça, MAIS C’EST PUTAIN DE RÉEL! (NDLR : Je venais alors d’assister à un cri caverneux bien caractéristique de Jaz Coleman à moins de 30cm de mon visage, une expérience relativement impressionnante) Tu sais je n’arrive pas non plus à comprendre que les gens soient si passifs à propos de tout ça. Et on laisse une bande de cinquantenaires discuter de ça entre eux et décider.

Tu utilises donc Killing Joke pour évacuer cette colère ?

Oui, c’est comme une thérapie. En général je suis bien plus apaisé après un concert de Killing Joke. Je me sens purgé.  Et je crois que c’est une des raisons pour lesquelles je continue à faire ça. Tu sais, il y a eu un moment où je me suis demandé : « Est-ce que Killing Joke agit pour le Bien ou pour le Mal ? ». Je me suis vraiment posé cette question longtemps. Et j’ai conclu que c’était pour le bien. Parce qu’il n’y a que de bonnes choses qui viennent de moi. Tu sais dans le nouveau testament ça dit : « Tout bon arbre porte de bons fruits, mais le mauvais arbre porte de mauvais fruits. Un bon arbre ne peut porter de mauvais fruits, ni un mauvais arbre porter de bons fruit ». Je crois ça. Je crois donc qu’il n’y a que des bonnes choses qui peuvent ressortir de Killing Joke, et je crois que c’est pour une raison morale que fais ce que je fais. Quand je repense à comment j’étais quand j’étais ado… Avant mes seize ans, j’avais du déjà avoir fait trois fois de la garde à vue… Je pense que nous étions tous un peu violents quand nous étions jeunes. Mais sans la musique… On aurait peut-être pu être des meurtriers, des criminels… Je crois que la musique agressive, la musique comportant une énergie importante peut être utilisée à des fins thérapeutiques. J’en suis absolument convaincu. Et puis pense bien à ça : Je n’ai aucun diplôme, aucun de nous n’a aucun diplôme et nous n’avons jamais terminé nos études. Killing Joke a été notre université, c’est un peu comme si nous nous étions auto-éduqués. Aujourd’hui je peux me voir comme un architecte parce que je conçois et je construis des maisons. Je compose aussi pour un orchestre, je donne parfois des cours à l’université. Mais je n’ai aucun diplôme scolaire. Killing Joke m’a apporté tout cela, toute cette auto-éducation.

Tu as d’ailleurs été fait chevalier des arts et de lettres ici en France pour ton travail sur la musique classique. Est-ce que c’est Killing Joke qui t’as donné les capacités pour composer cette musique ?

C’est une très bonne question. Oui je pense. L’idée de devenir compositeur m’est venue quand je suis allé en Islande. Ensuite j’ai étudié l’orchestration. Tout ça grâce à l’argent gagné avec Killing Joke. Je crois qu’il est important de rappeler que si j’étais allé au conservatoire au Royaume-Uni, j’aurais échoué. Au conservatoire, ils ont des gammes dans douze tonalités, ils ne s’intéressent pas à l’idée de mélodie perpétuelle, qui moi, me passionne. Je suis donc allé en Russie, en Hongrie puis en RDA, des pays communistes. J’ai fait mes études là-bas parce que c’était moins cher et parce qu’ils m’ont laissé être un romantique avec la musique classique. Tout ça grâce à l’argent que j’avais alors gagné grâce à Killing Joke. Sans, il n’en aurait rien été.

2012 est aussi une année d'élections avec entre autres celles de la Russie, de la France et des USA. Penses-tu que cela participera aux bouleversements de notre société que tu prédis ?

Tu sais, je suis communiste. Et je crois que la France pourrait être très bon un pays communiste.

C’est marrant que tu me dises ça maintenant car un des candidats d’extrême gauche déclarait ce matin même que son parti serait au pouvoir d’ici dix ans.

(le point levé) Excellant. Tu sais je crois en ces principes : « Liberté, Egalité, Fraternité » et je crois aussi beaucoup en les principes révolutionnaires de Saint Just et de Babeuf et leurs visions sur les élections au suffrage universel et le collectivisme. Aujourd’hui nous avons des élections qui n’ont plus vraiment de sens et une fraternité de banquiers internationaux qui décident du sort de pays entiers. Si nous écoutions les principes de Babeuf et de Saint Just et si nous laissions leurs idées se concrétiser, nous vivrions assurément dans un monde meilleur. Cela étant dit je ne crois en aucune révolution sanglante. Pour moi Mahatma Gandhi reste le plus grand être humain, le meilleur humaniste et le meilleur révolutionnaire ayant vécu sur cette planète. 

Plutôt Gandhi que Lénine alors.

Hmm. Lénine est un cas intéressant. Sur son lit de mort il s’est rendu compte qu’il allait être responsable de millions de morts et était plein de remords. 

Un mot sur la pochette : elle est plutôt surréaliste, te sens tu proche de ce mouvement artistique ?




Je ne m’en suis pas occupé. C’est l’œuvre de Mike Coles qui s’occupe de la partie « artwork » de Killing Joke depuis trente-trois ans. J’aime beaucoup le surréalisme mais je suis un romantique. Et j’aime cette pochette. Tu vois cette machine ? C’était une machine à mouvement perpétuel basée sur les travaux de Tesla. Mais ce genre de machine est systématiquement entravé par des groupes de personnes ayant des intérêts incompatibles avec l’énergie libre et gratuite. En 1995 j’ai eu l’occasion de voir une de ces machines en Nouvelle Zélande. La Nouvelle Zélande, c’est un pays marrant. Quand une machine à mouvement perpétuelle est inventée, elle arrive là-bas et personne n’est au courant. C’était une machine de Bruce DePalma. J’imagine que si tout le monde avait accès à cette technologie, nous aurions tous accès à l’énergie. Le problème est qu’il y a ces gens qui tirent profit de l’extraction de pétrole, des grandes entreprises qui n’en ont rien à faire et il n'y aura pas de changement.

J’en ai terminé, si tu veux ajouter quelque chose, c’est le moment.

Je voulais dire que depuis que j’ai été décoré en France, beaucoup de gens en Nouvelle Zélande me critiquent. A cause du passé entre nos deux pays (NDLR : Jaz fait référence à l’affaire du Rainbow Warrior). J’essaye de d’expliquer que c’était l’administration Mittérand qui est responsable et non les français. J’espère que les choses vont évoluer. J’aime bien me voir comme un pont, un pont culturel entre nos deux pays. Aussi, quand j’ai été fait chevalier des arts et des lettres, la chose la plus extraordinaire pour moi a été de voir ma fille de 28 ans, qui a le français comme langue maternelle, et ma mère réunies pour la première fois. Je n’écoutais même pas la cérémonie, je regardais ça. C’était incroyable (rires).



Merci à Quentin / Cooperative Music

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