Glitterer
par Arnono (15/10/2024)
En 7 ans d'existence, le projet de Ned Russin (Ex Title Fight) nommé Glitterer est passé par plusieurs étapes. D'albums produits et joués seuls, en passant par des collaborations plus importantes, c'est désormais en full band que "Rationale" a vu le jour.
Nous avons discuté avec Ned, par échanges de mails, de sa façon de vivre ces changements, et donc de sa manière de concevoir l'art et la musique.
Si l'envie d'être invisible est balancée avec une phrase forte et très explicite dans l'intro de l'album, les choses sont en réalité bien plus complexes que ça. Surtout pour quelqu'un prenant part à des projets musicaux depuis de nombreuses années. L'art reste rassembleur, autant pour les artistes que pour les personnes profitant d'elle sous toutes ses formes : "Je suppose que dans une certaine mesure, j'aime avoir un processus différent, travailler avec différentes personnes dans différents endroits, mais ce n'est pas quelque chose dans lequel j'essaie de trop me laisser emporter. Je suppose que c'est plus une chose naturelle qu'autre chose."
Depuis le début se son histoire, Glitterer bénéficie d'une identité visuelle assez forte et tape à l'oeil. "Rationale" ne déroge pas à la règle, avec son artwork très coloré et beaucoup d'espace vide. Ayant eu cette fois-ci du mal à trouver un concept artistique, c'est finalement Andrew Peden qui s'est à nouveau chargé de cette pochette d'album, comme pour tous les projets précédents. Ned détaille le choix final qui a fini par être une évidence, et revient également sur sa réalisation : "... J'avais donc contacté un dessinateur de bandes dessinées pour éventuellement travailler sur l'artwork, mais le calendrier n'a pas fonctionné, et en parcourant son travail à la recherche d'une référence, je suis tombé sur ce panel d'un groupe de personnes montant les escaliers d'un bâtiment ressemblant à un bâtiment gouvernemental. Le titre du disque était encore en cours de détermination, mais il semblait connecté avec beaucoup de thèmes que j'essayais de relayer. Nous avons finalement été refusés par l'artiste, et j'ai simplement repris et poursuivis cette idée. Dans mon esprit, l’idée était d'essayer de montrer d’où venaient les types de pressions et d’angoisses sur lesquelles j'ai écrit, tout en soulignant à quel point c’est arbitraire. Comme si ce bâtiment avait été construit par des gens comme monument à une idée qu’ils ont inventée. Heureusement, DC est rempli de ce genre de bâtiments, alors je suis sorti un matin avant le travail et j'ai juste pris quelques photos à différents endroits et je les ai envoyées à Andrew."
Le thème de "Rationale", mais aussi ceux se retrouvant dans les morceaux qui le compose ne semblent pas avoir été murement réfléchis en amont, mais sont plutôt venus naturellement, en accord avec une certaine philosophie de vie : "Je ne pars pas avec une idée en tête. En général, je tombe sur une idée inconsciemment après que quelques chansons soient terminées, puis j'essaie de m'y concentrer pendant que nous continuons à écrire. Cette fois-ci, j'ai écrit sur le but et la passion. C'est comme une sorte de grande chanson sur l'amour inconditionnel à la musique, confuse et peu convaincue." .
Derrière ce processus plus personnel, l'importance du collectif revient très vite au galop, notamment dans les sonorités. Interrogé sur l'agressivité qui me parait transpirer de manière plus importante dans cet opus, et ayant le même ressenti sur les vidéos lives, je questionne Ned sur l'éventuelle intentionnalité de ces sonorités : "Jouer de la musique en live est toujours une chose plus agressive pour moi. Même si j’écris et enregistre une chanson en me sentant un peu plus contenu, l’énergie de la jouer en live m’excite toujours. Je pense que le simple fait d'avoir tout le monde autour de moi maintenant et d'augmenter le volume rend l'excitation un peu plus facile maintenant."
Après avoir soutenu plusieurs projets de Glitterer seul sur scène, avec un micro et son ordinateur pour seuls compagnons, Ned appuie sur l'importance qu'il apporte au fait de jouer leur musique en live, mais aussi sur son excès d'énergie et d'implication dans ces moments : "L’explication la plus simple est que ça m’émeut. Je crois vraiment en la musique que nous écrivons et jouons, et la jouer en live devant des gens me donne toujours un sentiment que je n'ai pu trouver nulle part ailleurs."
Tout processus créatif est, et restera un travail sur soi. C'est une manière de penser le monde et de se penser soi même à l'intérieur de celui ci. La composition en groupe de "Rationale" a donc été l'occasion pour plusieurs membres, de bénéficier de leurs premières expériences en studio, et donc pour Ned, de replonger dans son passé à travers les autres : "Ouais, je pense que leur expérience variait entre le fait d'avoir fait de courts enregistrements et le fait de ne jamais avoir été en studio du tout. Cela rend les choses à nouveau passionnantes, ce qui est bien car le studio peut devenir un environnement obsolète. J'essaie de considérer cela comme méditatif, mais jouer la même chose encore et encore peut être difficile, surtout lorsque vous faites la même erreur à cause de la pression, de la situation ou quelque chose du genre. Je pense que le simple fait de créer un nouveau groupe m'a suffi pour me sentir semblable à mon jeune moi, être excité de m'installer chez des gens et de jouer dans de nouveaux endroits, et avoir cette expérience avec des gens qui l'ont pour la première fois est sympa aussi."
Malgré l'importance de la simplicité dans la composition des morceaux de Glitterer, la conception de cet album a été mise au travail de manière plus importante. Est ce que cela ne serait pas également en lien avec le fait d'avancer désormais avec d'autres membres, d'exposer ses idées aux jugements de manière directe ?
Ned a bien conscience des choses, et commente : "Oui, certaines parties, paroles, ou parfois même des chansons complètes ont cette fois ci nécessité plus de modifications et de travail que d'habitude. J'aime l'immédiateté de la musique et j'essaie donc de capturer cela dans le processus d'écriture, mais j'avais l'impression que ces chansons avaient des petites choses obsédantes sur lesquelles il fallait travaiiler et se concentrer. Il n'y a pas de règles vraiment strictes pour écrire ou terminer une chanson, et je n'ai aucun souvenir d'un élément spécifique sur lequel on a beaucoup travaillé, mais c'est certainement le plus grand "bricolage "que j'ai fait sur un disque de Glitterer jusqu'à présent.Ce n'est pas le jugement qui rend le processus plus difficile, je ne pense pas, ce n'est pas un processus si effrayant et difficile. Je pense que pour moi, le problème était d'essayer de contrôler la direction que prenaient les chansons ou quelque chose du genre. J'ai passé beaucoup plus de temps à collaborer avec les gens qu'à écrire seul et c'est toujours ma façon préférée de le faire,je voulais juste m'assurer que les chansons étaient bonnes."
Le côté personnel est très visible et omniprésent dans cet album. Ces introspections font apparaitre un côté assez sombre. Ned semble chercher sa place dans notre monde à travers cet album et la tâche semble complexe. Est ce que paradoxalement, la présence des autres membres n'auraient pas poussé Ned à se confier davantage ?
La question se pose, et la réponse fait un lien avec la crise sanitaire traversée : "Je comprends. Je pense que l’expansion du groupe est également en corrélation avec le retour à la normalité sociale d'après Covid, et ces chansons sont également en réponse à cela. Il s'agit d'essayer de se comprendre soi-même dans cet étrange système social et de reconnaître le caractère arbitraire de tout cela, tout en n'étant pas immunisé des sentiments compliqués, dont je pensais que la reconnaissance me protégerait peut-être."
Les confessions en plus grand nombre amènent donc une vulnérabilité marquante dans "Rationale" . A en croire les propos de Ned, ce dernier est plutôt à l'aise avec l'idée de dévoiler autant de sa personne, lors de chaque concert : " C’est peut-être une réponse simple ou clichée, mais c’est exactement comme ça que j’ai toujours écrit. C'est ce qui semble presque normal. Mon expérience émotionnelle en interprétant celle des autres est similaire à toute situation similaire dans la mesure où je peux avoir n'importe quelle réaction : parfois je suis ennuyé, en colère, confus et humilié par les réponses des gens. L’interprétation de l’auditeur est la chose la plus importante, et je ne veux pas y nuire, mais avoir l’impression que quelqu’un ne comprend pas l’essentiel peut être frustrant. Cela étant dit, les gens qui s'y connectent sont plus que suffisants pour que je me sente satisfait."
Avant de pouvoir consulter sa réponse à ce sujet, j'avais demandé si cela pouvait aider de partager autant avec des personnes qu'on n'allait plus, pour la plupart, rencontrer le lendemain : "Concernant les tournées ? Pas tellement. Chaque spectacle a la possibilité de combler ou de décevoir. Il n’y a aucune logique dans l’ordre des choses et il n’y a pas de modèle linéaire à suivre pour les spectacles en tournée. Vous ne pouvez vraiment faire que d'essayer à chaque concert, et donc je suppose qu'à cet égard, il est utile de voir des personnes différentes chaque jour."
Après tant de réponses qui me font beaucoup réfléchir sur l'impact des relations humaines dans la conception de la musique et l'art de manière générale, nous poursuivons la discussion sur les projets futurs : "Nous essayons toujours de faire les deux (périodes d'écriture et concerts). Nous nous préparons pour une tournée de fin d’été tout en écrivant de nouvelles chansons. Si vous nous voyez en live, il y a de bonnes chances que nous jouions l'une d'entre elles."
Pour terminer, Je questionne Ned sur ses influences. Même si il qualifie, en réponse à ma quesiton, Glitterer comme un groupe "Hardcore punk rock", voici les groupes cités : "Les Beatles, Embrace, Laraaji. Pas beaucoup de choses conscientes quand j’écris mais tout ce que j’écoute est une influence, à une certaine mesure."
J'ai toujours adoré la couleur qu'arrivait à amener le synthé dans la musique de Glitterer, je n'ai pas pu quitter Ned avant de lui demander si il pouvait me recommander d'autres groupes énervés qui utilisent cet instrument : "Je ne nous considère pas vraiment come un groupe énervé. Je suppose qu'il y a des groupes dans notre monde comme The Rentals ou même comme Tigers Jaw qui m'ont exposé à l'utilisation de claviers sur une guitare avec distortion dès mon plus jeune âge, mais dans mon esprit, l'idée du groupe était tirée de trucs comme YMO ou Akiko Yano et ELO, et nous les filtrons simplement à travers notre lentille contemporaine et underground."
De manière plus large, Ned semble bloquer cette année sur "Hell Bent" de Firewalker et "hechizado" de Victor Arce.