Elise Aranguren, tour manager de Watain et Mayhem
par Pentacle (06/03/2023)
Elise Aranguren est tour manager des groupes de Black Metal Mayhem et Watain. On revient sur son parcours, sur la manière dont elle a réussi à travailler avec ces deux groupes cultes, sur ce qui fait les spécificités de son métier, mais aussi les difficultés auxquelles faire face, tout comme elle évoque son rapport très personnel avec Watain.
Tu viens de rentrer de la tournée européenne de Mayhem. Ca s'est bien passé ?
Elise : Je viens de rentrer oui et c'était une longue tournée de six semaines. C'est assez peu commun, on ne fait pas ça souvent. C'était en Europe, mais juste avant on était aux Etats-Unis pendant un mois et on a eu seulement deux jours de repos entre les deux tournées, donc ça s'est bien enchainé. Mais c'est cool, tout s'est super bien passé. Ca avait été reporté à cause du Covid, les tournées auraient du être plus éparpillées, mais du coup le calendrier est bien chargé. Tous ceux qui peuvent tourner sont sur les routes en ce moment. En Septembre il y a la tournée Abbath, Watain, Bölzer et Tribulation qui dure un mois et après je pars sur Perturbator pendant un autre mois.
Photo Sara Gewalt
Pour commencer je voulais savoir si tu avais fait des études ou une formation pour devenir tour manager ? Comment en es tu arrivée à faire ce métier ?
Alors à la base je suis technicienne son, je le suis toujours d'ailleurs. La formation que j'ai fait, c'est un BTS audiovisuel, des métiers du son. Il faut savoir qu'il n'y a aucune formation pour travailler dans la musique live, à part quelques petites formations privées qui te font payer beaucoup d'argent pour très peu de connaissances et je ne crois pas du tout en ces formations là. J’ai toujours su que je voulais faire du son, ça a toujours été la seule voie possible, et j'ai tout fait pour être bonne à l'école afin d'accomplir cet objectif. J'ai commencé à l'âge de quinze ans à être stagiaire dans des entreprises de sonorisation et je passais tous mes weekends ou mes vacances à bosser et à apprendre le métier pendant les copains faisaient la fête. Mon adolescence c'était la musique live. Ca a toujours été une évidence.
Après mon diplôme, donc deux ans après le lycée, j'avais la possibilité de continuer pour approfondir tout cela mais à ce stade là, j'étais trop impatiente de bosser car j'ai toujours préféré le terrain à la théorie, c'est là où l'on apprend le plus. Même si je travaillais déjà avant, j'ai réellement commencé à faire mes premières intermittences et à travailler au niveau local à Toulouse, d’où je suis originaire. Je ne travaillais pas pour des groupes, mais je montais des scènes, je travaillais pour des organismes et des prestataires. J'ai eu très vite envie de voir autre chose, j'avais envie de plus, de tourner, des faire des choses davantage artistiques, d'être de l'autre côté de la balance car avant je faisais surtout de l'accueil. Je voyais les groupes arriver avec leurs techniciens, leurs scènes, et j'avais des étoiles dans les yeux, je voulais faire partie de ça, tout simplement.
J’y suis allé au culot : j'ai contacté le groupe que j'adorais. Je leur ai dit "je suis ingé-son, je veux faire des tournées, je vous propose mes services". Tout simplement. C'était Mayhem et j'ai eu un retour auquel je ne m'attendais pas du tout. Ils m'ont dit qu'ils jouaient en France pour trois dates en 2016 avec Watain. Ils jouaient en intégralité leurs albums De Mysteriis Dom Sathanas et Casus Luciferi. Ils avaient leur techniciens et n'avaient besoin de personne sur scène, mais comme j'avais l'air hyper motivée, ils m'ont proposé de passer voir comment ça se passait. On peut croire que beaucoup de monde envoie des messages et tente leur chance ainsi, mais non, en fin de compte. Je me suis dit, il faut viser là-haut et s'il y a de fortes chances pour qu'on me dise non et je redescendrai de l'échelle. Et au final c'était oui !
J'y suis allée et une fois sur place j'ai tout donné, j'y étais vraiment à 300%. Ils ont vu que je me donnais et m'ont demandé si je savais mixer. Ils n'avaient personne qui leur faisait les retours, donc ils m'ont proposé de les faire. J'ai accepté et c'est comme ça que ça a démarré alors que ce n'était pas prévu. Ils étaient très satisfaits de moi, donc j'ai continué à travailler sur les trois dates Françaises avec le package Mayhem / Watain vu qu'ils étaient sur la même tournée. Ca a été une porte d'entrée pour les deux groupes pour moi parce que c'était le line-up de la tournée. A la fin des trois dates, on m'a dit qu'ils étaient très contents du son que je faisais, ça se passait super bien, un truc se passait, donc ils m'ont proposé de continuer la tournée avec eux et c'était assez incroyable pour moi de laisser ma voiture à Paris, de les suivre et continuer la tournée vers les Pays-Bas, la Pologne et remonter vers le nord. C'était la première fois de ma vie que je tournais et c’était directement en tour-bus, sur de grosses productions, de gros festivals, avec beaucoup de matos, donc c'était très impressionnant pour moi au début.
Je suis rentrée chez moi à la suite de cette tournée les étoiles dans les yeux en pensant que c'était sûrement un one-shot, qu'ils n'avaient pas besoin de quelqu'un de plus, que c'était une super expérience, mais que ça s'arrêtait là. Sauf qu'ils m'ont rappelée deux / trois mois plus tard, je recevais des coups de fils pour leur future tournée. J’ai continué au même poste pendant un ou deux ans avant qu'ils ne me donnent de plus en plus de responsabilités. Vu que j'ai un tempérament à organiser les choses autour de moi, je prends le contrôle, c'est dans ma personnalité, ils se sont dit que c'était une bonne chose de me mettre en chef d'équipe. Je suis passée stage manager, régisseuse plateau en fait, et je m'occupais des six / sept techniciens qu'on avait avec nous (éclairagistes, son, roadies...) et je faisais tampon entre nous et l'équipe technique locale pour vraiment répondre au mieux aux besoins techniques. Comme ça marchait bien, ils m'ont donné la possibilité de devenir tour manager et j'ai appris le métier sur le tas en répondant aux questions qui arrivaient les unes après les autres.
Est-ce que tu peux expliquer à la fois pour moi, mais aussi les personnes qui liront cette interview, en quoi consiste ton travail de tour manager, quelles sont les différentes tâches auxquelles tu es confrontée ?
C’est être la représentation physique du groupe sur une tournée, celle qui doit prendre des décisions. C'est la personne numéro un à laquelle tu t'adresses lorsque tu es organisateur de concert, tout passe par toi. Que se soit concernant des questions de logistique (le bus, l'hôtel, le parking, les horaires) tout ce qui est technique et ce dont on a besoin pour organiser le concert, tout ce qui est médias ou presse, toutes les demandes passent par toi et doivent être confirmées et approuvées. Il faut aussi pouvoir répondre aux besoins personnels du groupe. On vit ensemble, notre bus c'est un peu notre salon et chacun a ses besoins, a des demandes donc il faut satisfaire si possible tout monde, que tout le monde se sente chez soi et parfois on fait face a des requêtes un peu bizarres (rires). Il y a aussi la traversée des pays, avec la prise en charge de toutes les frontières, de papiers administratifs des questions d’immigration, visa, passeports etc. Ca fait un paquet de choses à gérer, du début jusqu'à la fin de la tournée.
Ca serait quoi un peu ta journée type, s'il y en a une, ou est-ce que ça change du tout au tout ?
Ca ne change pas tant que ça au final car en tournée, peu importe l'endroit où l'on se trouve, on a les mêmes horaires, avec une routine qui s'installe et chacun a une spécialité et des heures précises auxquelles on fait les choses. Une journée type pour moi ça serait : en fin de matinée j'arrive à la salle et je rencontre l'organisateur du concert. C'est un métier où c'est 90% d'humain, il faut rencontrer les gens, s'apprécier, bien communiquer. L’organisateur qui nous montre les lieux, les coulisses, la scène, nous présente tous les techniciens. Après ça, je fais rentrer les artistes dans la salle, je leur montre tout cela et on prend un petit déjeuner très tardif sur les coups de midi et quand c'est fait, on décharge le camion et le bus, nos techniciens commencent à monter la scène avec les professionnels locaux, présents sur place. Le groupe se repose, vers 16h/17h on réalise les balances, les groupes qui nous accompagnent font les leurs également.
En général dans l'après-midi il y a quelques interviews, conférences de presse ou des sessions signature avec le groupe et dans ce cas là, je dois recevoir la presse et faire que tout cela se déroule dans les temps, que tout le monde soit content. A ce stade là, la plupart des artistes et de l'équipe technique sont éveillés même si certains se lèvent très tard en général je commence à avoir des requêtes : "où est ceci / cela, je veux ceci / cela, est-ce qu'on a un runner pour aller acheter ça etc". Là je cours à droite à gauche. Puis on mange notre repas du soir et on enchaine avec le concert. Pendant le concert je suis sur le côté de la scène pour répondre aux besoins des artistes et régler d’éventuels problèmes techniques.
Après le concert, commence le démontage de la scène puis le rechargement. Je fais en sorte que tout le monde soit dans le bus à l'heure convenue du départ, ce qui n'est pas toujours facile car les gens sont éparpillés dans les bars ou à droite à gauche, donc il peut arriver de devoir faire des rappels à l'ordre. Il y a un côté police aussi (rires). Pendant qu'on roule, je travaille encore pour passer les frontières pendant que tout le monde dort, avec les passeports à montrer, des papiers à faire signer, il faut qu'on déclare le merch, le matériel de musique, les entrées et sorties d'Europe en fonction des pays, tout cela conjointement avec les chauffeurs de bus. Donc c'est très peu de sommeil pour un tour manager, les journées sont bien complètes. Il y a peu de repos, c’est très intense.
Tu as déjà un peu répondu, mais je voulais savoir si tu contactais les groupes ou si c'était eux qui venaient vers toi ?
Dans le cas de Mayhem / Watain c'est moi qui les ai contacté il y a six ans de cela, mais après cela ça a forgé mon CV donc maintenant on me contacte. Sur la route on rencontre d'autres managers de groupes, des boites de production etc. C'est comme ça que j'ai rencontré Perturbator, puisque The Link Productions avait déjà travaillé conjointement avec moi sur une autre tournée où ils avaient quelques-uns de leurs artistes en première partie. Au fur et à mesure on se fait un réseau et désormais c’est plus le cas qu’on vienne me voir.
Est-ce que tu travailles avec des artistes en dehors de la scène Metal ?
Je dirai que l'artiste avec lequel je travaille et qui est le plus loin de la scène Metal, c'est Perturbator justement (rires). Je suis vraiment spécialisée dans le Black Metal mais finalement, dans l'esprit, je vois Perturbator un peu là dedans. Je pourrais travailler avec des groupes de Pop Rock par exemple si l'occasion se présentait, mais j'ai tellement cette éthique et ces valeurs liées au Black Metal, que je suis contactée par des gens qui sont dans cette bulle là. Avec Perturbator, même si c'est lié à la scène Metal, on voit des salles différentes, des festivals différents où l'on sera mélangés avec de la Pop, de l'Electro donc ça me fait travailler dans des environnements nouveaux et ça s'est super important pour évoluer. Pour ne pas stagner, il est important de voir et explorer d'autres choses et dans d'autres genres.
Est-ce que tu as des anecdotes de tournée à raconter ? Pas forcément des choses dures, mais peut-être des évènements un peu marrants ou loufoques ?
Avec Watain, tout ce que tu vois sur scène a été construit, forgé à la main en Suède pendant des heures. Cela donne une dimension particulière à cette performance et nous permet de développer une connexion rare avec tous les objets sur scène, et ils sont nombreux. On fait en sorte que toute l'équipe soit dans la bulle, aucune personne de l'extérieur n'intervient et on reste entre nous. Récemment j'ai passé mon permis de pyrotechnie afin que nous soyions encore plus indépendants. Tout notre set up est custom, ce qui rend tout beaucoup plus intéressant et excitant. Il n’y a aucun obstacle à cette performance et création.
Le ressenti que j’ai en étant avec ce groupe est unique, il y a quelque chose de plus, de personnel, de très fort, de fraternel, de l'ordre de la spiritualité et de beaucoup de valeurs qui ont beaucoup plus de sens. Watain est le groupe charnière qui fait partie de mon identité et de mon essence en tant que personne.
Pour revenir à ton métier, tu dirais que c'est quoi les éléments les plus pénibles ou difficiles à gérer ?
C’est différent pour tous les groupes mais il faut être psychologue lorsqu'on est tour manager. Il faut apaiser les âmes et veiller à la santé mentale de chacun. On est le réceptacle, sans arrêts, de toutes les émotions de tout le monde, mais ça fait partie de mon rôle et de mon métier d'écouter et d'encaisser, de ne jamais montrer que je suis affectée et d'essayer, toujours, de trouver des solutions.
Photo Sara Gewalt
A l'inverse, quels sont les bons moments, les choses chouettes que tu retires de ce métier, le fait d'être sur les routes ou de rencontrer des gens ?
Le meilleur moment, c’est celui où toutes ces heures de non-sommeil, de travail acharné paient enfin. C’est au moment où les artistes montent sur scène et peuvent faire ce pourquoi ils sont nés. C’est quand tu vois la flame briller dans les yeux des gens et toute l'ardeur et la force que le public amène aux artistes.
Il y a aussi la satisfaction à la fin du concert, une fois qu'on s'assoit tous, de se dire que c'était une superbe journée, que l'équipe technique est contente, que les artistes sont ravis, ça c'est une belle chose ! On a très peu le temps de s'assoir, se poser et d'être contents de ce que l'on a fait car on est toujours à chercher la prochaine aventure, mais ces moments là, où l'on prend vraiment le temps d'être satisfaits de ce que l'on fait, ce sont les meilleurs !
Peut-être que tu peux te dire que c'est grâce à toi qu'il y a ces tournées, ce spectacle...
Je me le dis rarement mais en tous cas ça donne envie de continuer et de faire encore mieux, encore plus gros la prochaine fois. Tous ces moments de complicité où on partage des choses pendant des mois, on tisse des liens très forts avec chacun, pendant un déchargement de camion, un montage de scène... On se connait par cœur à la fin de la tournée, on a nos blagues, nos petits rituels comme n'importe quelle équipe de travail, sauf que c'est poussé à un point extrême où l'on dort, on vit, on mange ensemble. Le seul moment où l'on est pas ensemble c'est pendant la douche (rires). Donc forcément on développe des liens très forts.
Est-ce que le fait de travailler dans ce milieu, ça a changé ton rapport à la musique ou aux concerts ?
Ca a changé ma manière d'aller à un concert, ça c’est certain. Avant le covid, je n'allais plus voir de concerts, car le truc que j'avais envie de faire pendant mon temps libre, c'était d'être chez moi dans le silence ou bien d'être avec mes potes ou ma famille que j’ai très peu le temps de voir. C’est triste mais j'avais plus ou moins arrêté d'écouter de la musique alors que toute cette passion venait de là à la base ! Ce métier est tellement chronophage que je n'avais plus d'espace ni d'énergie pour les nouveautés musicales.
Mais, pendant le covid j'ai réécouté pas mal de musique et j'avais oublié à quel point c'était absolument génial et que ça me provoquait des émotions fortes. Ca m’a reconnecté avec toutes les raisons pour lesquelles j’avais choisi cette voie.
Aujourd’hui j’écoute à nouveau beaucoup de musique et je me sens inspirée plus que jamais. Quand j’écoute toute seule les morceaux des artistes avec qui je travaille ce n’est plus comme avant. J'ai des souvenirs très forts des personnes qui ont créé cette musique là, et tout s'entremêle. Lorsque je les écoute, ils ont une autre signification, ils prennent une dimension plus réelle. C’est très beau.