Herzel
par Calicem (01/08/2022)
Un peu de contexte : nous sommes en décembre 2020. A ce moment-là, Le Dernier Rempart, premier album des bretons, allait sortir sous peu. Herzel allait nous dépeindre une belle épopée, épique à souhait, dans un univers marqué par la culture bretonne. Nous étions également en pleine épidémie de covid-19 et pouvions constater directement de ses conséquences sur notre quotidien. C’était alors l’occasion pour moi d’en apprendre plus sur le groupe, leurs influences, passés respectifs. De plus, il m’était pertinent de comprendre quelles visions avaient les membres d’Herzel au sujet de la Bretagne et quel rapport entretiennent-ils avec elle. J’ai eu droit à des réponses variées et très complètes d’Ion (Batterie) et Kevin (Guitare) que je remercie encore pour leur patience !
Pouvez-vous vous présenter et préciser votre rôle au sein du groupe.
Kevin : Moi je suis Kevin Le Vern, un des deux guitaristes d'Herzel. L’autre guitariste, Gurvan (Lardeux), s’occupe surtout des mélodies, des leads etc. Moi je suis plutôt aux rythmiques, mais aussi aux solos. Je m’occupe aussi de la communication sous certains aspects, je gère également avec Ion le Bandcamp et tout ce qui est administration.
Ion : Je m’appelle Ion Philippon, je suis le batteur du groupe. Il faut savoir que Kevin et moi comme tous les autres les membres sont d’origine car le line-up n’a jamais changé. Comme Kevin, je réponds aux mails. En général lorsqu’on contacte Herzel, c’est sur moi qu’on tombe et après je contacte les autres pour savoir si ça les intéresse. Pour ce qui est de la composition, en général c’est Thomas (Guillesser, chanteur d'Herzel) qui compose et ensuite Kevin et Gurvan font les arrangements. C’est globalement comme ça qu’on fonctionne.
Quels ont été vos premiers rapports personnels à la culture Bretonne ?
Ion : J’ai un rapport assez fort à la culture Bretonne puisque mon père a été président du bagad de Penhars (ancienne commune périphérique de Quimper, rattachée en 1960). J’ai commencé à apprendre à jouer en faisant de la caisse claire dans un bagad quand j’étais tout petit, je devais avoir huit ans ou quelque chose comme ça. Après ça, j’ai commencé à faire de la batterie puisque mon père était batteur également. J’ai eu un rapport assez fort à la musique bretonne puisque mon père était un gros fan d’Alan Stivell et de Dan Ar Braz notamment. Il a été également conseillé municipal à la culture bretonne à Quimper et est bretonnant. Moi je ne le suis pas malheureusement. Donc mon premier rapport a été la musique bretonne à travers le bagad avec mon père.
Kevin : C’était un peu semblable pour moi, j’avais un vieux qui était pas mal investi dans la musique bretonne, il jouait dans un autre bagad, le bagad Ar Re Goz. Et le tout premier rapport à la musique bretonne que j’ai eu, c’était lorsque je l’accompagnais dans des défilés.
Ion : Ouais, pareil.
Kevin : Je ne faisais pas forcément de musique mais j’étais porte-drapeau par exemple, ou des choses comme ça quoi. On faisait des voyages ou des sorties avec tout le bagad et il est arrivé un moment où mon père voulait me faire faire d’autres activités, j’étais assez petit. J’ai donc commencé à prendre des cours de practice, qui est en fait un instrument destiné à être une première approche des instruments à vent celtiques. J’ai pris des cours de practice au conservatoire de Quimper et ça m’a saoulé très vite parce que ce n’était pas du tout mon truc. Je suis revenu à la musique quand j’étais ado grâce à la guitare, et c’est là que le côté bretonnant des choses, que ce soit au niveau culturel ou musical est revenu. C’est dû au fait qu’il y avait des collègues dans la musique, la famille également. Le lien entre la culture bretonne et la musique pour le coup s’est fait avec Herzel, mais il y avait aussi ce background où je passais du temps dans le milieu bretonnant. Quand j’étais encore plus petit, j’étais dans une école bilingue, qui sont des classes où toutes les matières étaient enseignées en breton. De mes cinq à huit ans, j’ai parlé breton tous les jours, que ce soit à l’école ou avec mes grands-parents originaires du nord-Finistère. Ce sont des choses que j’ai complètement perdu parce que je faisais ça quand j’étais petit, après j’ai changé de scolarité et ça s’est un peu dilué, mais je n’exclue pas de m’y remettre un jour.
Vous connaissez un peu l’histoire des autres membres ?
Ion : Pour Thomas, je dirais que le lien était direct musical avec Dan Ar Braz et Alan Stivell. Il n’a pas eu la même approche que nous avec les bagadoù et la musique celtique traditionnelle. L’approche a été directement sur le Rock celtique. Il a toujours dévoré la musique avec énormément de curiosité donc il est forcément tombé là-dessus.
Kevin : Après pour Mordiern (Le Dissez, bassiste d'Herzel) c’était un peu différent. Il est issu d’une famille de musiciens. Il a un frère qui a fait beaucoup de musique pour des groupes assez importants du mouvement renouveau breton si je puis dire. Il jouait dans Ar Re Yaouank, qui est quand même un gros groupe du paysage musical breton. Et pour Gurvan, c’est quelqu’un qui a commencé la musique il y a très longtemps et a fait beaucoup de reprises de chants ou musiques moyenâgeux et issu du folklore français et breton. Il adaptait tout de façon plus Rock. Je me souviens, il postait ses covers sur YouTube il y a quelques années, il le fait probablement toujours. Il est aussi issu d’une famille de musiciens il me semble, en tout cas il a toujours beigné dans la musique.
Quels sont les ouvrages et sources d’information que vous utilisez pour les paroles d'Herzel ?
Kevin : C’est Thomas qui écrit les paroles, mais je peux te donner quelques inspirations qui me viennent comme ça comme les écrits d’Anatole Le Braz. Les légendes de la mort entre autres, il a énormément feuilleté ça. Cela étant, il met aussi beaucoup le nez dans tout ce qui touche à l’histoire. Il y a des compositions plus récentes pour lesquelles il a écrit des paroles en utilisant des relevés historiques. Il s’inspire aussi de revues historiques. Il a des sources plus anciennes comme des sources plus contemporaines. Ça peut parler d’un moment historique, d’une histoire, d’une bataille.
Ion : Effectivement il part de l’idée, mais je ne pense pas qu’il creuse pendant des heures pour connaitre tous les détails de l’histoire. Lui, c’est l’aura de l’histoire qui l’intéresse. Il ne va pas chercher combien de personnes étaient présentes, ou combien il y a eu de morts à telle ou telle bataille. C’est pour ça que les paroles ne recherchent pas la précision historique. Il part d’un fait historique qu’il nuance avec une certaine légende qu’il ajoute à cela.
Kevin : C’est important à mentionner pour l’élaboration des paroles parce que beaucoup de gens de la scène prennent ça comme une démarche historique alors qu’on n’est vraiment pas là-dedans. Peut-être un peu plus sur les morceaux Nominoë ou Les Maitres de l’Océan, mais sinon non.
Pouvez-vous m’en dire plus sur le héros Herzel ?
Ion : C’est une invention complète du groupe. C’est vraiment ce nom que voulait Thomas lors de la formation du groupe.
Kevin : La traduction exacte du mot, qui est donc breton, est « arrêter un malfaiteur ». Il a une autre définition, qui se rapproche de « faire bloc face à une force adverse ». C’est plutôt ce sens-là qu’on a retenu, le sens premier du terme n’a pas grand-chose à voir avec notre propos. On en retient le fait de défendre, d’être unis face à quelque chose qui vient à l’encontre de nous.
Les influences bretonnes ne se sentent pas seulement dans les paroles, mais aussi dans la musique. Comment est venue cette idée de coupler le Heavy Metal épique avec la musique bretonne ?
Kevin : Je pense que ça vient surtout de Thomas. C'est que je réponds quand on nous demande comment on a créé le groupe car à la base ou jouait juste Ion et moi dans un groupe de Doom qui s’appelait Periton. On était pas du tout là-dedans et Thomas nous a montré des compos en nous expliquant là où il souhait aller avec sa musique. Il a expliqué qu’il y avait un aspect bretonnisant dans ce qu’il voulait faire en définitive, que ce soit dans les mélodies et dans les paroles.
Ion : Quand on a créé le groupe, on était des énormes fans de Heavy Metal et de thématiques épiques, de groupes comme Manilla Road, de Cirith Ungol, de Queensrÿche, Omen etc. Quand Thomas nous a présenté le projet, sachant qu’on aime tous la culture bretonne, ça nous est tous venu comme une évidence. Il fallait que ça se fasse, ça se combine super bien !
Pourquoi vous avez décidé de mettre vraiment le français en avant et non pas l’anglais comme c’est le plus fréquent, ou encore le breton ?
Kevin : Ça vient déjà du fait qu’on a écouté beaucoup de Heavy Metal français, des groupes comme H-Bomb, Sortilège, Vulcain, Blasphème (on peut en citer autant qu’il y en a), ou même des groupes plus petits comme HNH. Ça nous a quand même pas mal tapé dans l’oreille mine de rien. Je pense qu’on aurait du mal à créer un projet comme ça en partant de l’idée qu’on allait chanter en anglais. Il y avait quelque chose qui d’office était un peu contradictoire du fait qu’on aller parler de la Bretagne et qu’on voulait aussi quelque chose qui nous ressemble. C’était donc un poil incompatible avec le fait de chanter en anglais.
Ion : Il y a aussi le fait que Thomas a une très bonne plume, une très bonne plume en français. Il sait très bien écrire en français mais ça ne l’intéresse pas du tout d’écrire en anglais. Par contre on a déjà envisagé de mettre des titres de chansons en breton, ou de chanter en breton, mais ça a du mal à nous correspondre parce qu’aucun de nous cinq n’est bretonnant. Pour un groupe comme le notre ça sonne classe mais de là à y mettre des couplets, c’est un peu bizarre.
Kevin : Après ce n’est pas exclu que dans l’avenir ça se fasse, au contraire même, mais on passera forcément par une petite case "apprentissage".
Ion : Thomas a fait du breton pendant quelques mois avant le confinement. Il avait pris des cours à Penhars il me semble. Il a arrêté avec le changement de son taff.
Kevin : Mais pour le moment c’est dans les cartons. Après de là à dire qu’on chantera exclusivement en breton, je ne pense pas. On nous pose souvent la question de la langue bretonne dans nos chansons. Ce n’est pas seulement due au fait qu’on a été influencé par des groupes de Heavy Metal français. Il y a aussi le fait que dans des groupes comme Tri Yann, il y a un peu cette idée de représenter la Bretagne au niveau national en parlant de sujets ou ayant des thèmes bretons, mais chanté en français. Ce pour ne pas paraitre "sectaires". Il y a une sorte d’entre-soi dans le monde bretonnant, on ne peut pas le nier. On voulait éviter qu’il y ait une coupure dès le début avec les gens, de barrière de langue (même si elle existe pour les étrangers du coup). Tri Yann fait pareil : parler de la Bretagne en français.
C’est vrai. Je remarque également lorsqu’il y a des échanges entre des personnes bretonnantes qui parlent entre elles au sujet de la Bretagne, que dès qu’une personne ne parlant pas breton intervient, elle se sent plus facilement en position d’infériorité. Comme si ses idées, lorsqu’elle parle de Bretagne, n’étaient pas légitimes parce que celle-ci ne parlait pas breton.
Kevin : Ouais je comprends bien.
Ion : J’ai toujours vécu avec un autre exemple. Je suis breton, mais une grosse partie de ma famille est basque donc je vais très souvent au pays Basque. Et là-bas, ils apprennent tous le basque. De la maternelle jusqu’aux études supérieures, le basque est obligatoire. Donc tous les jeunes parlent le basque. Ceux qui sont nés avant-guerre ne parlent pas basque parce qu’il était totalement interdit. C’est marrant parce qu’ils ont une façon totalement différente de fonctionner au niveau des langues. Mais du coup là-bas ça tombe sous le sens de faire un groupe en chantant basque parce qu’il y a déjà un public et ils maitrisent totalement la langue.
On voit sur la cover de l’album le chevalier Herzel présenté comme le "dernier rempart", qui est aussi le nom de l’album. J’aimerais savoir ce que vous entendez par "dernier rempart".
Ion : Il faut savoir qu’on n’a pas réussi à trouver le nom de l’album dès le premier coup. Le graphisme qui a travaillé sur l’album et également sur la demo, Flog Diver, est un très bon ami. On lui fait confiance à 100% pour la pochette. On lui a balancé des idées de noms d’albums, y compris en breton, pour avoir son avis. Il y a eu un déclic quand est sorti le "dernier rempart" et on était tous direct d’accord parce qu’il y avait, comme on en parlait tout à l’heure, un raccord avec le nom du groupe. Et quand il nous a présenté ses idées pour la pochette, on était totalement en adéquation avec ce qu’il nous disait. Cette idée que lorsque tout manque de peu de s’effondrer, il faut le protéger du mal. Il y aura toujours Herzel qui sera là pour être la dernière lame. On peut faire un lien avec Cúchulainn de la mythologie celtique. Il aurait défendu l’Irlande contre des attaques de sorciers. Après plusieurs jours de bataille, il était à bout. Pour ne pas mourir à genoux mais bien debout, il se serait attaché à une pierre à l’aide d’une corde, son épée à la main. On retrouve sa statue à la poste centrale de Dublin, qui a été prise le lundi de Pâques 1916 par l’IRA (Irish Republican Army), résistante contre la répression Britannique, avant d’être écrasée par celle-ci. Je ne dirais cependant pas qu’on est aussi extrême que l’IRA (rires). Mais l’image nous a vraiment plu. Elle convient totalement à l’idée des musiques, on a souvent fait écouter les musiques de l’album à Flog.
C’est un rempart contre quoi ?
Kevin : Ça peut être contre plein de choses. C’est une question un peu piège parce qu’on pourrait répondre tout et n’importe quoi, mais je dirais qu’au vu du contexte actuel, ça peut être un rempart contre tout ce qu’il se passe actuellement. Je ne vais pas aller trop loin dans mon explication non plus, mais c’est notre petit acte de résistance à nous.
Ion : On fait en sorte que les paroles ne soient pas figées dans une idée, que ce soit quelque chose d’assez aéré qui donne un imaginaire à chacun. Après faut savoir que dans la trilogie Herzel, les trois morceaux qui parlent de la naissance du héros et du fait qu’il reçoive l’épée des dieux jusqu’à l’ultime combat sur le dernier morceau de l’album, il y a des textes qui expliquent un peu ce qu’il se passe entre les morceaux. Ces passages rappellent un peu la légende Arthurienne donc on ne peut pas dire que c’est le héros qui se soulève contre les francs, mais l’idée vient effectivement facilement en tête.
Kevin : L’idée est plaisante quand même. (rires)
Ion : L’idée est plaisante, mais la Bretagne est aussi une énorme ouverture sur le monde, c’était un gros bordel entre les anglais et les vikings entre autres.
Les dernières paroles de l’album sont aussi très fortes : "défendant l’héritage, en brisant le mirage, d’une Bretagne en éclat".
Kevin : C’est assez explicite en effet. On peut entendre assez souvent ces choses là quand on parle de Bretagne, que ça divise les gens, que c’est un sujet clivant. On pense aussi à d’autres exemples qui n’ont rien à voir mais que certaines personnes pensent similaires comme la Corse par exemple. Du coup, il y a une idée un peu faussée de ce qu’est ou devrait être la Bretagne. Aujourd’hui, beaucoup de gens pensent à une Bretagne en éclat. Et pour nous, c’est dans un sens un mirage, l’idée qu’on est une France une et indivisible. Ce n’est pas du tout le cas. Il y a des spécificités dans toutes les régions, des langages régionaux si effacés et si réduits au silence par la langue française soient-ils. Il y a des spécificités dans presque toutes les régions de France sur le langage, sur la culture, sur la gastronomie entre autres. Et certains aimeraient dire que peut-être chacune de ces choses seraient des parties de la France. Nous ce n’est pas forcément notre avis. Toutes les spécificités régionales ne sont pas des produits de la France. Au contraire, la France impérialiste qui a notamment rendu obligatoire l’usage et la pratique du français pour unifier son peuple n’a pour nous pas diminuer l’identité culturelle de la Bretagne. Pour nous la Bretagne n’est pas du tout en éclat ni divisée. Pour nous la Bretagne est une région dont la culture est ouverte.
Ion : Ce qu’il faut dire aussi c’est que lorsque l'on répète et compose avec Herzel, ce sont des sujets que l’on n’évoque jamais, mais qui vont de paire avec ce que l'on joue et ce qu’on chante est un soutient à l’idée d’une Bretagne autonome entre autres. Cela étant, nous on n’est pas militants. On défend la culture qu’on aime, on voudrait la voir réunie encore longtemps, mais on adore également le Metal quoi.
Kevin : Effectivement, on n’est pas des militants à ce niveau-là.
Ion : Ce qui est marrant, c’est que lorsqu’on a joué à Paris ou à Lyon, il y a des gens qui sont venus vers nous en nous disant qu’on était chauvin à défendre notre région. Nous on se marrait, on ne disait trop rien, même s'ils ont un peu raison. On a une culture forte, on l’aime et on en est fiers.
Kevin : (rires) Sans qu’il y ait d’arrières pensées forcément. Les gens ont toujours tendance à penser qu’il y a des arrières pensés avec ça alors que non.
Ion : Surtout que lorsqu’on débutait avec Herzel, on commençait nos concerts avec le drapeau de la Bretagne. Aux premiers concerts, Thomas arrivait avec un énorme drapeau qu’il mettait devant le public et les membres du groupe.
Et est-ce que ça pouvait créer un malaise avec le public ?
Ion : Non, les gens gueulaient, ils étaient réceptifs à l’idée. On l’avait même fait à Paris il me semble.
Kevin : C’est même presque plus important de le faire à Paris qu’en Bretagne.
Ion : Après on a arrêté parce que ça n’apportait pas plus aux concerts.
En parlant de drapeau et de Bretagne non divisée, il y a deux jours a été hissé le drapeau Breton à Nantes. Est-ce que vous souhaitez en dire quelques mots ?
Kevin : Tout de suite ce que ça m’évoque, c’est un fait qu’il faut bien comprendre. J’en entends d’ailleurs beaucoup de conneries à ce sujet lorsque j’en parle avec d’autres personnes. La forme administrative de la Bretagne actuelle date de Pétain. Donc il faut bien garder à l’esprit que la Bretagne sans Nantes, ça date globalement du troisième Reich, tout simplement.
Ion : Il y a beaucoup de choses qui ont été revisités après la guerre, mais ça ils l’ont laissé. Mais pour nous, c’est évident que Nantes fait partie de la Bretagne. C’est là où est situé le château des ducs de Bretagne. C’est même la capitale de la Bretagne. Quand on me parle de Nantes, ça me parait tellement évident. Quand un mec qui me dit que Nantes n’est pas en Bretagne, je m’en bats les couilles tellement c’est évident. Faut juste ne rien connaitre ou rien vouloir connaitre.
Kevin : Je pense que si on parle à un niveau plus historique, il y a peut-être un certain type d’impérialisme français à un moment donné, voire sur plusieurs siècles, qui s’est activé à vouloir unifier le royaume de France et le fait de vouloir unifier c'est aussi couper l’herbe sous le pied à certaines choses qui étaient présentes ici. Je pense que changer la forme administrative de la Bretagne était aussi une manière de couper la dynamique économique de la région en lui ostracisant une partie économiquement dynamique (Nantes et ses alentours). Sans cette partie dans la Bretagne, il y a tout un tas de choses comme l’aéroport notamment qui n’en fait administrativement pas partie. Je pense que ça a été une manière de vassaliser la Bretagne à la France. Après, ce n’est qu’une lecture des choses.
Ion : C’est tellement franco-français cette gestion des régions. En Allemagne, la gestion est différente. Ils fonctionnent en "lands" qui ont leurs règles propres et leurs propres spécificités. En Espagne, ils fonctionnent carrément par gouvernements. Il y a un gouvernement Catalan, un gouvernement Basque, un gouvernement Galicien, un gouvernement pour chaque région. Ces gouvernements ont des libertés dans leurs décisions. Mais en France, tout est centralisé à mort.
Kevin : C’est très Jacobin quoi.
Ion : Ça a toujours été ultra centralisé et c’est une horreur.
Finalement, on en revient à ce même débat : qu’est-ce que vous pensez des idées d’indépendance, ou du moins d’une certaine autonomie concernant la Bretagne voire d’autres régions françaises ?
Ion : On en parlera en notre nom propre et non au nom du groupe parce que chacun a son avis sur la question. Moi je suis un autonomiste convaincu. Mon père l’est et me l’a totalement transmis. Je vis dans une famille d’autonomistes convaincus, bretons comme basques. Je ne suis pas pour l’indépendance. En ce moment, vu ce qu’on vit et ce qu’on voit, ça parait absurde de créer de nouveaux pays alors qu’il y a déjà assez de fractions dans le monde. Mais une autonomie qui permet de gérer les problèmes du coin avec des idées du coin, ça me parait quand même beaucoup plus logique.
Kevin : Je suis assez proche de cette idée-là aussi exactement. J’ajouterai même qu’aujourd’hui, si on veut parler juste d’autonomie et non d’indépendance (car ce sont des notions assez distinctes), je pense qu’il y a à l’échelle européenne, quelque chose devenu assez impossible au niveau de l’indépendance des régions dans chaque nation. A mon avis, parler d’indépendance politique, c’est un peu de la fiction quand même. Ce serait assez dur de voir les conditions de réalisation de quelque chose comme ça. Cependant oui l’autonomie, c’est un vrai sujet parce que comme disait Ion, défendre la façon dont les choses se passent ici avec des idées du coin pour dire les choses simplement, c’est pour moi ça l’autonomie. On a des ressources ici en Bretagne qu’il n’y a pas forcément ailleurs. On a des idées ici en Bretagne qu’il n’y a pas forcément ailleurs. Par exemple, il y a une société à côté de Fouesnant dans le coin de Quimper qui développe l’hydro-électricité, les hydro-éoliennes. Ils ont gagné en face d’EDF en Normandie des contrats et des parts de marché. C’est la preuve qu’on a des savoir-faire en Bretagne qu’il n’y a pas forcément ailleurs. On a une vraie légitimité, qu’elle soit économique, qu’elle soit culturelle. On peut citer plein d’exemple comme ça. Et pour moi, il y a un réel sujet à propos de l’autonomie. Après à voir si dans le futur, on a quelqu’un qui représente ça bien. Je ne sais pas ce que ça pourrait donner mais sans parler trop de politique, il y a pour moi un vrai sujet sur l’autonomie qu’elle soit énergétique, économique, culturelle (cette dernière est quand même déjà bien présente). Sur les autres points, il y a clairement quelque chose à faire. Après dans le groupe, ce n’est pas forcément notre propos. Ça ne veut pas dire qu’on n’y pense pas. Ce sont de gros sujets, de gros gros sujets.
Ion : Déjà défendre la culture, c’est important. Cela étant, ce que j’essaye toujours d’éviter quand on parle du sujet, c’est le nationalisme. Je ne suis pas un nationaliste breton, je ne suis pas un fier représentant des descendants bretons. Moi, je suis plutôt un mélange qu’autre chose. Mais oui, le fait de défendre et montrer l’idée que la culture bretonne est une culture de partage, une culture qui a toujours été ouverte sur le monde, c’est plutôt ça qui m’intéresse. Et le fait de gérer les soucis locaux avec des solutions locales. On a toutes les conneries du covid qui sont tellement un exemple parfait de la France centrée sur elle-même. Quand tu vois la gestion réalisée par tous les autres Etats qui sont complètement différentes... En France, une solution est faite pour toute la France alors qu’ailleurs, il y a une solution par région.
Kevin : C’est tellement plus logique.
C’est vrai que le problème du covid n’est pas du tout le même ici qu’à Paris. Nous le covid à Telgruc-sur-Mer n’existe pas ou quasiment pas.
Ion : Interdire les plages de toute la France, ça n’a absolument aucun intérêt, aucun sens. Tu ne peux pas comparer la plage de Nice et la plage de Plozévet. A Plozévet, même en juillet on est quinze pelés dessus.
Kevin : L’interdire, c’est un souci de centralisme en fait.
Ion : J’en reviens à l’exemple que je connais parce que j’y vais tout le temps mais au pays Basque, ils ont pris des décisions vachement plus brutales qu’en Espagne. Là-bas, tu n’as pas le droit ni de rentrer, ni de sortir du pays Basque. Et si ta ville est considérée comme zone rouge, tu n’as plus le droit de sortir de ta ville. Il y a des flics qui contrôlent les entrées et sorties de la ville. Il y a d’autres régions où tout est ouvert. Mais au moins chacun adopte les décisions qui lui conviennent le mieux.
Je pense aussi que les solutions sont plus adaptées au problème en fait. C’est pour ça que quand je disais qu’on n’avait pas de covid ici, c’est surtout qu’il est vraiment très faible ici. Et les solutions doivent être proportionnelles aux problèmes. Si tout est centralisé, ça fonctionne encore moins.
Ion : Bah oui, tu as une solution pour tout. Tu imagines si les solutions étaient centralisées à l’Europe ?
Effectivement, ça serait bien la merde.