Daughters
par nonohate (10/02/2020)
Hellfest 2019, un groupe atypique est sur l'affiche et forcément nous, ça nous intéresse. Daughters, groupe américain de Grindcore / Hardcore / Noise est présent sur l'affiche. En 2018 ils sont revenus après huit ans d’absence et un disque éponyme incroyable. Avec You Won't Get What You Want sorti l'an dernier, tout s'est bousculé musicalement, mais Daughters signe là un album complètement fou, là où on ne les attendait pas du tout. Du coup, rendez-vous pris avec son leader / chanteur / mangeur de micro, Alex Marshall, pour parler de la nouvelle mue du groupe.
Vous avez sorti votre nouvel album You Won’t Get What You Want il y a huit mois, pouvez-vous nous parler de ses origines et des cinq ans qui ont séparé la reformation du groupe de cette sortie ?
Alexis Marshall (Chant) : Ça fait déjà huit mois ? (rires) Je n’y avais pas pensé, ça donne du recul ! En 2015, ça faisait déjà un moment qu’on travaillait sur une démo et quand on a fini l’enregistrement on s’est rendu compte que ça ne sonnait pas bien, que quelque chose n’allait pas. Il y avait beaucoup d’idées inachevées alors on a mis ça de côté et on a continué à bosser. Au final, pas mal de ces idées se sont retrouvées sur l’album et ça a été un bon point de départ. Ça nous a rappelé qu’on avait encore plein de choses à dire, qu’on pouvait encore continuer. L’échec de cet enregistrement ne nous a pas décontenancé. Au contraire, ça nous a donné l’énergie et la motivation pour pousser le projet jusqu’au bout Ça fait du bien d’avoir cet album, je crois que c’est notre plus belle réussite.. Ce qui est cool parce que si l’album n’était pas réussi et qu’on devenait moins bon, qu’est-ce qu’on ferait ? On s’en est sorti au final et ça c’est bien.
Vous avez sorti l’album avec le label Ipecac Recordings, est-ce que vous avez signé sur ce label durant l’écriture de l’album ou après l’avoir fini ?
On avait fini, on cherchait à enregistrer et on avait commencé à envoyer nos démos. Beaucoup de gens nous ont dit : « on n’a pas le temps », « on a déjà plusieurs enregistrements à faire », on a beaucoup entendu ce genre de conneries. L’album se vend vraiment bien et beaucoup de gens regrettent de ne pas nous avoir signé. Ça fait du bien de pouvoir brandir ça au visage des gens qui l’ont refusé, c’est comme un « va te faire foutre ». Ça s’est fait assez naturellement, quand Ipecac Recordings nous a contacté, notre batteur Jon et notre gérant de tournée Dick Ross écoutaient beaucoup Mondo Cane et d’autres albums de Mike Patton. Mike s’est intéressé à nous et Jon a eu le boulot alors qu’on se disait : « peut-être qu’il ne va pas l’engager ? » et on était vraiment contents quand on a appris que le contrat était signé. Ça s’est vraiment fait naturellement.
Vous avez adopté une nouvelle approche qui contraste avec vos précédents albums. Comment avez-vous adapté votre façon de chanter et d’écrire ?
L’écriture et le chant ont évolué avec le temps. En sortant de Canada Songs beaucoup de choses ont changé mais je n’ai jamais changé ça sciemment, j’essaie juste de devenir un meilleur chanteur et d’être capable de chanter pendant des périodes plus longues sans perdre tragiquement ma voix ! J’essaie d’être meilleur avec mon instrument tout comme un guitariste ou un batteur espère devenir meilleur avec la pratique. En termes de paroles, ça fait deux ans qu’on m’a lâché la bride pour raconter des histoires, au lieu de me dire : « Voilà trois minutes et demie, vois ce que tu peux mettre là », j’ai vraiment eu plus de liberté et ça m’a permis de m’améliorer en tant que parolier. En théorie tout le monde en profite.
Pendant l’écriture, est-ce que vous avez réfléchi à la façon dont vous joueriez vos morceaux en concert, surtout que vous avez un claviériste sur scène ?
Nick y a pensé, il pense beaucoup à la façon dont on va pouvoir jouer en concert. Mais ce genre de question ne m’intéresse pas du tout, je veux juste aller sur scène et jouer.
C’est une chance que j’ai, je ne suis pas dépendant d’un instrument ou d’un ampli.
Ce n’est pas à moi qu’il faut poser cette question parce que quand il y a un problème, je ne le remarque pas, si je casse un micro ou que j’oublie les paroles, les gens s’y attendent !
Vous avez posté votre tout premier clip pour le morceau Less Sex en janvier, pouvez-vous nous parler des origines du projet et nous dire pourquoi avez-vous choisi ce morceau ?
On n’a pas choisi le morceau. Le réalisateur est un ancien membre du groupe, Jeremy, qui est parti à Los Angeles. pour travailler sur des films. Jon l’a croisé pendant qu’il gérait une tournée avec Dick Ross et quelqu'un d’autre. Je ne sais plus trop comment ça s’est passé mais Jon a fait écouter l’album à Jeremy. Il a directement accroché à Less Sex, il a créé un pitch de présentation qu’il nous a proposé et on a trouvé ça super. On a vraiment aimé ses idées et ce qu’il voulait faire. Je suis allé à Los Angeles et j’ai fait cette vidéo, je n’avais jamais joué la comédie avant, c’était un peu dérangeant et bizarre mais Jeremy à vraiment réussi à me mettre à l’aise. On était en plein désert, il faisait 45 degrés et je transpirais à mort dans le costume mais Jeremy s’est débrouillé, il a persévéré et on s’est bien amusés au final. Je me suis éclaté. Le clip final est fantastique, c’est une belle œuvre visuelle, ça va vraiment bien avec le morceau, ça correspond à l’album et à l’esthétique qu’on a, il a fait un super boulot. Je ne sais pas si on a eu de la chance, je ne sais pas vraiment ce qu’il s’est passé mais je suis content du résultat.
Le succès de l’album est complètement mérité et il a fini dans le top de fin d’année de beaucoup de magazines ou autres formats de presse. Ça a été une surprise, comment l’expliquez-vous et qu’est-ce que vous en pensez ?
Je suis content, ça me permet d’en faire un travail à temps plein et ça c’est agréable. Mais ça me laisse un peu indifférent, on a jamais été dans les tops dix ou dans les listes de fin d’année ou même à la une d’un magazine. J’essaie de pas y penser parce que je ne veux pas avoir d’attentes, ces choses arrivent en vague et les gens étant ce qu’ils sont, ils se retrouvent vite déçus. Moi ce que je veux c’est juste jouer de la musique et que le groupe se porte bien. Si les gens nous écoutent, tant mieux. Je suis content qu’on arrive sur ces listes mais c’est superficiel parce qu’au final, on veut juste aller sur scène et jouer pour le plus de gens possible, on veut donner l'occasion de nous voir à tous ceux qui le veulent.
Pensez-vous que le succès de cet album vous permettra de rééditer les anciens albums, notamment l’album éponyme ?
On est en train d’y penser, de voir à qui appartient quoi, à qui on doit de l’argent après des années d’échecs et de galères, dans ce trou qu’on a creusé pendant des années. Mais le public est intéressé, donc on va essayer de rendre les albums disponibles, même les choses qu’on ne joue plus.
En avril vous avez joué au Roadburn, votre set était censé se passer dans la petite salle mais vous avez fini sur la scène principale, vous avez été un des premiers groupes annoncés sur cette scène et c’est grâce au succès de votre album. C'est la plus grande jauge que vous ayez faite, pouvez-vous nous en parler ?
C’est facile de douter au point de se rendre anxieux. Moi j’essaie de ne pas douter de moi-même, ça fait longtemps que je joue et je me sens à l’aise, qu’importe le nombre de personnes devant moi. Je me suis senti comme lors du dernier concert de notre tournée américaine, on a joué à New York et la salle, Warsaw, affichait complet. Je n’avais jamais joué devant autant de monde. À ce moment-là c’est exactement la même chose que quand tu joues devant mille personnes ou plus, de toute façon tu ne peux créer un lien qu’avec les quelques centaines de personnes qui sont devant donc il vaut mieux ne pas s’en inquiéter. Tu peux chanter en face d’une seule personne et te monter la tête, te convaincre que c’est une question de vie ou de mort. Ce n’est pas le cas. On joue de la musique. Si un million de personnes viennent nous voir, je ne m’en inquiète pas, il n’y rien de bizarre ou de dérangeant à ça. C’est un peu étrange de voir tant de gens s’intéresser à nous vu d’où je viens mais à part ça, rien du tout.
Pour revenir au Roadburn, dans le livret vous aviez un petit paragraphe où vous disiez : « Allez voir Lingua Ignota », avez-vous pu voir un de ses concerts ?
Je n’ai pas pu voir Kristin, on jouait à des jours différents de tous les gens qu’on connaît à l’exception de Sumac et Old Man Gloom qui jouaient le même jour, j’ai juste pu voir Nate Newton et Aaron Turner. Mais il y avait tous les gens qu’on connaissait, on avait de bons amis comme Kristin de Lingua Ignota ou Streets Sects et d’autres groupes.
On se tournait tous autour à jouer en Europe durant la même période à quelques jours d’intervalle et on jouait tous au Roadburn mais quasiment personne ne jouait le même jour et je n’ai pas vu grand monde. Kristin a joué à plusieurs de nos concerts aux États-Unis, elle est fantastique. Je voulais voir A.A. Williams au Roadburn mais je n’ai pas pu parce qu’elle jouait un autre jour. Mais on n’y peut rien, c’est comme ça, les festivals sur plusieurs jours.
Est-ce que vous avez écouté le nouvel album de Lingua Ignota ?
Je n’ai pas pu l’écouter.
Vous n’avez jamais autant tourné que depuis octobre, est-ce que vous appréciez chacun des concerts lorsque vous êtes autant en tournée ou est-ce que vous passez parfois en pilote automatique ?
J’adore, je veux toujours jouer live, à aucun moment je ne voudrais être en train de faire autre chose. Je n’ai jamais ressenti de lassitude. Ça peut être dur, mais tu peux choisir de rendre ça plus ou moins dur. Je peux pas être plus heureux que quand je voyage et que je joue. Je ne serais jamais venu en France autrement. J’ai grandi dans la pauvreté et la médiocrité, et je n’ai pas eu d’occasion de quitter la Nouvelle Angleterre avant mes 20 ans, quand j’ai commencé à faire des tournées. Je suis allé au Japon et en Russie et je ne l’aurais jamais fait si ce n’avait été pour jouer de la musique. J’irais n’importe où pour jouer pour n’importe qui parce que, pourquoi pas ? Qu’est-ce que je suis censé faire autrement ? Je n’ai pas d’autres compétences et ça me suffit. C’est ce que j’aime le plus au monde. Qu’importe que je sois fatigué ou endolori, c’est mieux que de rester au lit à essayer d’aller mieux. C’est tout ce que je veux faire, quitte à m’écrouler sur le sol à la fin.
Votre bassiste Samuel n’a pas pu vous suivre en Europe, cela a-t-il changé l’alchimie du groupe sur scène ?
Non, on doit travailler avec ce qu’on a. Quand on a commencé à vouloir sortir cet album et qu’on tournait une semaine ici, deux semaines là, on pensait que ça se limiterait à ça, qu’on jouerait juste quelques fois dans l’année. Avec l’attention que l’album a reçu une semaine avant la sortie, on savait qu’on devrait en profiter et les offres qu’on recevait valaient le coup, mais Sam a un boulot auquel il tient. Il travaille, il est marié, il vient d’acheter une maison et lui et sa femme attendent leur premier enfant. Il a ses priorités et il est content de rester. Personne ne lui en veut, personne ne se dit « oh mon dieu comment on va faire ! », on doit aller de l’avant. Sam est un membre important du groupe, on le respecte lui et ce qu’il veut, lui respecte notre choix de continuer à tourner. On a fait quatre concerts en Nouvelle Angleterre et Sam a joué avec nous. Quand on est arrivé ici on a commencé à travailler avec Chris, notre bassiste pour la tournée, il fait aussi partie de Metz. Metz a quelques concerts en Europe bientôt donc ça fonctionne bien. On fait ce qu’on a à faire.
Pouvez-vous nous parler de votre set au Hellfest ?
Pour moi c’est bizarre de jouer ici, mes performances sont très interactives. J’ai besoin de descendre dans la foule et ça peut être difficile dans un festival, mais notre manager de tournée sait que je vais descendre dans le public et tout le monde est prêt pour ça.
C’était marrant, à part pour la tête d’ampli qui a explosé et qu’on a dû changer très vite, mais ça fait du bien d’être ici et de jouer. Même si ça se passe mal ce n’est jamais grave. Personne ne meurt, on n’est pas en train de guérir des maladies, on ne répare pas des os, on n’est pas en train d’apprendre à des gens à lire, on est juste là pour jouer de la musique.
C’est votre seul concert ici et vous venez spécialement des États-Unis pour ça ?
Oui, on a eu cette offre et on voulait le faire, on reviendra en Europe en août et en octobre je crois. On est contents d’être là et on reviendra tant que des gens voudront nous écouter.