Birds In Row
par Euka (17/09/2018)
Rencontre avec Birds In Row, alors que le groupe a sorti il y a peu We Already Lost The World, leur nouvel album, chez Deathwish. On vous en a parlé il y a peu, mais derrière le résultat final, essayons d'en savoir un peu plus sur le processus de création.
Hello Birds In Row. Vous êtes revenus d’une tournée Américaine il y a peu, avec Neurosis, Converge ou encore Portrayal Of Guilt. Comment cela s’est-il passé ?
Tourner avec Converge et Neurosis c’était juste improbable. On avait déjà eu la chance de partir avec Converge en 2012 mais cette fois ci on partageait un tourbus donc c’était différent. Déjà le fait d’être dans un tourbus … c’était complètement nouveau. Et puis bien sûr voir Neurosis tous les soirs … C’est un groupe incroyable. Donc on était très chanceux et honorés de faire ça pour les premières dates avec le nouvel album. Surtout que tout le monde était vraiment cool et que c’est important pour nous d’avoir des contacts humains avec les gens avec qui on tourne. Ensuite, la plus grosse partie de la tournée était avec Portrayal Of Guilt, qu’on avait jamais pu croiser sur la route mais qu’on connaissait. C’était plus une tournée US comme on a l’habitude d’en faire, donc très rude sur les distances à conduire, des hauts et des bas très prononcés en terme de public (des concerts sold out suivis de concerts très peu fréquentés). Donc ça peut être très fatiguant et quiconque a déjà tourné aux Etats Unis le dira. C’est beaucoup de boulot, peu de confort. Partager un van et la route avec Portrayal a été une grosse partie du fun qu’on en a tiré. Avoir des compagnons de route avec qui on s’entende vraiment bien dans ce genre de conditions c’est primordial.
Vous avez fait une session Audiotree, comment s’est présentée l’opportunité ? Etait-ce une nouvelle expérience ?
On avait envie depuis un moment d’en faire une et avions essayé il y a deux ans lors de notre dernière venue aux US. Et cette fois ça a pu se faire donc c’était cool. C’était une nouvelle expérience oui et non. On avait jamais fait ce genre de trucs mais ça ressemblait beaucoup à la façon dont on enregistre nos disques, tout en live, à cela près qu’en studio on enregistre les voix à part et que ce n’est pas du one shot que c’était pour Audiotree. Y avait de l’excitation et du stress mais on est content du résultat et tout le monde était vraiment cool là bas. Ils avaient l’air vraiment heureux de nous avoir et de la façon dont ça s’est passé, et de l’audience que ça pu toucher (5000 personnes ont suivi la diffusion en direct). Et derrière on a reçu tellement de messages d’amis et connaissances de partout (Europe, USA, …) qui avaient suivi le live. C’était vraiment un moment où on s’est senti particulièrement soutenu par nos proches je pense, et ça a fait que l’expérience était encore plus intense.
Les retours sont très positifs sur ce disque, alors que les premiers échos de « 15-38 » étaient plus mitigés. Pourquoi avoir sorti ce titre en premier ?
On a pas senti des échos si mitigés que ça, on s’attendait à vraiment plus de mécontentement, connaissant comment les choses marchent. Mais on a décidé avec Deathwish de sortir ce titre là justement parce que c’était celui qui tranchait le plus avec ce qu’on avait déjà fait. Pour nous c’est important de ne pas faire 15 fois le même disque. Il n’y a pas d’intérêt pour nous à rejouer les mêmes morceaux encore et encore. On compose souvent quand on en a marre de jouer les mêmes chansons en tournée. Et puis 15-38 porte le nom de l’album dans ses paroles, et était un bon étendard pour porter l’ambiance et le message globalement on a trouvé. Ca a déçu des gens, intéressés d’autres, et tant mieux. On attend pas des gens qu’ils suivent aveuglément ce qu’on fait, mais plus qu’ils le fassent s’ils se reconnaissent dans ce qu’on produit.
We Already Lost The World est sorti chez Deathwish, mais reste enregistré à Laval. Comment s’est passé l’enregistrement ? Est-ce que les titres ont évolué entre l’entrée et la sortie du studio ?
On a voulu prendre notre temps pour la composition et l’enregistrement de l’album. On a fait trois sessions démos avec Amaury Sauvé avant d’enregistrer la version définitive. Pendant ce genre de sessions on travaille toujours avec lui pour étroitement pour mettre un coup de vernis sur les morceaux. La structure de base ne change pas en général mais la façon de la jouer est souvent un peu plus clarifiée en studio. Ensuite, une sessions studio c’est toujours un moment qui peut être pénible parce qu’on est fasse à ce qu’on a envie de faire, ce qu’on peut réellement faire et une sorte de découverte des morceaux dans des conditions d’écoute autres qu’un local de répétition. Donc ça a pu être dur parfois mais on est vraiment content du résultat, comme d’habitude.
On sent énormément de variations dans We Already Lost The World, bien plus que sur You, Me&the Violence. Est-ce quelque chose qui s’est fait naturellement ou simplement un constat que la vision que vous aviez de votre musique en 2012 n’était plus celle que vous aviez actuellement ?
On voulait amener plus de dynamique dans la globalité de l’album. Aussi parce qu’en concert on sentait que ça manquait. Donc c’était une des orientations qu’on avait choisies pour l’album avant même de composer quoi que ce soit. You, me and the Violence avait cette urgence qui correspondait plus à notre façon de le composer à l’époque (dans l’urgence ahah). Là on a voulu prendre le temps, et tester de nouvelles choses.
C’est fou comme chaque titre est totalement différent mais pourtant le tout reste une structure terriblement logique et cohérente dans son enchainement. Comment s’est passée la composition des titres ?
On a composé sur un an en faisant un break de tournée. Ce qui n’arrive pas souvent. Donc on a passé du temps à bosser sur les chansons, les enregistrer pendant les sessions démos pour les finaliser. On a toujours aimé le fait que chaque chanson dans un album ait sa propre identité mais fasse partie d’un tout. Et ce tout en général vient juste du fait que les morceaux soient tous composés de la même façon, dans un effort collectif et dans plus ou moins la même ambiance. Ca fait que pour nous un morceau comme 15-38, qui est loin de ce qu’on a fait jusqu’à maintenant, porte toujours notre empreinte. Aussi parce que l’idée n’a jamais été de faire un morceau pop, un morceau hardcore, puis un morceau métal, … ou je ne sais quoi; Juste on va avec le flux d’inspiration et on compose honnêtement des morceaux qui nous parlent, sans y voir un intérêt autre que le plaisir de les jouer ou de les écouter.
Il y a bien plus de chant clair sur ce nouvel album que les sorties précédentes. Est-ce qu’un travail ou exercice particulier a été réalisé pour arriver à obtenir ce chant ?
Non pas vraiment. C’est une façon de chanter qu’on a déjà amplement expérimentée dans d’autres projets musicaux; et même si le fait de ne pas avoir une voix criée sur tout l’album faisait un peu partie de notre démarche d’ajout de contrastes, le choix des parties chantées s’est fait à chaque fois sur le moment et en accord avec ce qu’on ressentait des morceaux. C’est important pour nous que le fait de chanter d’une façon ou d’une manière ne fasse que servir le morceaux et l’album, et pas un autre intérêt quelconque.
Au travers de certains titres (« Triste Sire » par exemple), il y a une amertume qui se dégage de l’ensemble. Est-ce une tonalité globale du disque ?
La tonalité globale du disque va de paire avec le message qu’on a voulu y laisser. « We already lost the world » pour nous c’est le constat qu’on a difficilement le contrôle sur nos vies, qu’on fait beaucoup de choix par défaut. Mais que si on a perdu ce contrôle, ça ne tient qu’à nous de le récupérer, et de le faire ensemble. Et quand on regarde ce genre de message ou sujet dans son ensemble, ça englobe beaucoup de sentiments variés. « Triste Sire » parle plutôt indirectement de la façon dont on peut se focaliser sur nos peines et comment ça peut obscurcir notre vision de celle des autres (« You were running as well and I told you to shut up »). Je pense qu’on a toujours exposé nos idées de cette façon, en mettant en perspective les sentiments qu’on a avec ce qu’on peut en faire. Faire le constat que le monde tourne pas aussi bien qu’il le devrait c’est pas nécessairement tomber dans le pessimisme, ça peut être aussi juste un « voilà la situation, maintenant qu’est ce qu’on fait ? ».
J’ai un vrai feeling sur « Morning », qui me touche le plus émotionnellement parlant, mais aussi au travers des paroles (notamment le dernier couplet : « I just don’t know where it goes / I just don’t know where it ends / I just don’t hope I’m alone / Silence is a safe place. »). Que pouvez-vous nous dire sur ce titre ?
« Morning » est sans doute un des titres les plus abstraits de l’album dans le sens où les paroles ne vont que dans le sens du sentiment confus qu’on peut avoir quand on ne se sent pas à sa place et qu’on y est confronté quotidiennement, sans donner vraiment de sens ou de porte de sortie à cette situation. C’est mettre en parallèle ce sentiment de confusion avec celui qu’on peut avoir fraichement sorti de notre sommeil, mais déjà bombardé de questions sans réponse et de doutes. C’est probablement quelque chose dans lequel tout le monde peut se reconnaitre.
Mr Fifi a posté plusieurs teasers pour annoncer We Already Lost the World, il a notamment réalisé aussi le clip de « Can’t Lie » et quelques vidéos de vos concerts. Est-ce qu’il y a d’autres artistes qui sont présents depuis le début de Birds in Row sans être dans le trio ? Je pense à Amaury Sauvé par exemple.
Fifi a toujours été là puisque c’est un ami de longue date. Il s’est récemment lancé à 100% dans son projet vidéo, et on ne peut qu’encourager tout le monde à le contacter. Il fait partie des gens avec qui on a bossé parce qu’on essaie de travailler avec des gens de notre entourage autant que possible. Amaury a toujours tout enregistré pour nous de la même façon. On fait confiance aux gens qu’on connait. On a essayé pour notre dernier clip de travailler avec quelqu’un d’extérieur et c’était vraiment un sentiment différent, mais on avait pas vraiment le choix. On a tendance à essayer de garder un maximum de contrôle sur tout ce qui concerne l’artistique autour du groupe. Donc on a toujours fait nos visuels nous mêmes ou demandé à des amis de confiance de le faire. La photo de « Personal War » et le clip de « Weary » ont été réalisés par Florian Renault, un ami qui jouait dans Wank for Peace, et dont on adore le travail photo. La photo de « We already lost the world » a été réalisée par Juliette Bates, qui était une amie d’ami à la base, mais avec qui on a tissé des liens depuis. On l’avait contacté parce que son travail photographique nous touchait vraiment et qu’on sentait qu’il pourrait représenter notre musique parfaitement. Et on s’est pas trompé, on a eu que des félicitations sur le visuel de l’album. On travaille également avec Thomas Dilis pour notre son live. Avoir quelqu’un qui nous connaisse aussi bien avec nous aussi régulièrement que possible est important et procure un gros sentiment de confiance dans le rendu qu’on peut avoir en concert.
Pouvez-vous nous parler un peu du clip de « I Don’t Dance » ? Quelle est la représentation derrière les images ?
Pour ce clip, et pour la première fois, on a fait appel à quelqu’un qu’on ne connaissait pas. Craig Murray, qui a déjà travaillé avec Converge et Mogwai entre autres. Il s’est trouvé qu’on avait des amis en communs mais on l’a découvert bien après. Pour nous, le clip devait naturellement représenter le message de « I don’t dance » mais aussi de l’album en général. L’idée d’attraction et de répulsion. De similarités et de différences. La complexité de la vie en société et de la recherche du bien être commun. La chanson parle globalement de comment certaines situations peuvent nous aspirer par défaut, et finir par nous repousser. On l’a écrite juste après les élections présidentielles et je pense qu’elle fait écho aux sentiments d’amertume qui ont suivi chez nos proches. Le fait de participer à un jeu politique dans lequel on ne se reconnaît pas foncièrement, de donner notre aval à une personne par défaut, qui pourra l’utiliser pendant un long moment, affectant nos vies au quotidien alors qu’à la base on était pas en accord avec ses idées, mais juste plus contre les idées d’un(e) autre. On ne dira jamais aux gens quoi faire - voter, pas voter. L’idée c’est de dire que ce sentiment il existe, massivement, et qu’il traduit un problème majeur dans notre façon de fonctionner, dans la façon dont on parle ou fait de la politique, mais aussi beaucoup d’autres cas où on prend des décisions par défaut, sans réfléchir réellement au pourquoi du comment, et qu’on finit par se rendre compte qu’on est pas là où on devrait être. Donc le thème de la chanson étant assez global (pas nécessairement centré sur la politique), il fallait une représentation un peu poétique du propos, et Craig nous a proposé ces danseurs. Et il se trouvait que c’était déjà une idée qui avait fleurit dans nos esprits donc c’était parfait.
Vous restez dans une logique DIY depuis toutes ces années, avec pourtant une reconnaissance internationale depuis l’album précédent. Que représente pour vous cette logique ?
Premièrement, on choisit de faire les choses de la façon dont on a envie de les expérimenter. On prend des décisions qui ne sont certainement pas dans le cadre du DIY vu par les puristes, donc il faut être clair sur le fait qu’on se considère pas comme des porteurs de flambeaux. On évolue dans une scène où le DIY était une nécessité puis est devenu un choix pour nous. Et aujourd’hui on expérimente des choses en dehors de ce cadre. Juste le DIY nous a appris et continue de nous apprendre beaucoup et correspond à une manière de faire les choses dans laquelle on se reconnait plus facilement. Les contacts humains dans ce qu’on fait sont vraiment importants pour nous et en ça, on a toujours voulu faire en sorte de les faciliter avec les gens qui partagent leur temps avec nous en concert. Il y a aussi la dimension de contrôle sur ton projet qui est assez primordiale. Mais plus on avance en tant que groupe, plus des portes s’ouvrent et surtout plus la charge de travail est importante. On peut toujours faire le choix de ralentir, stagner ou simplement rester dans un cadre dans lequel on est confortable, mais nous on a toujours aimé expérimenter des choses et pas juste partir du principe qu’elles étaient à l’opposé de ce qu’on voulait faire. Donc des choses ne changent pas, on continue de parler avec le public après nos concerts, on vend notre merch à prix libre pour le laisser à sa place, et on manage notre groupe nous même. Par contre, avec le temps il a fallu apprendre à déléguer des choses, notamment le booking de certaines dates. On continue de booker des dates nous mêmes mais on a commencé à travailler avec des gens en qui on place notre confiance. Et si ça ne marche pas, qu’on ne se reconnait dans la tournure que prenne les choses on pourra juste reconsidérer les choses.
Sur ce nouvel album, et sur les morceaux dévoilés, une illustration semble liée à chaque titre. Qui les a réalisées ?
C’est nous. On voulait avoir un contraste esthétique entre la photo extérieur et l’intérieur. Donc on a été chercher dans le noir et blanc, minimaliste.
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Je vous ai vu plusieurs fois, d’abord en 2011 au Mans avec Wank For Peace, puis régulièrement jusqu’à la date avec City Of Caterpillar l’été dernier. Il y a toujours une forte énergie en live et un public qui adhère aux titres. Qu’est ce que représente pour vous le concert, au delà du studio ?
Le concert c’est l’expression organique de notre propos. C’est l’exutoire. Birds in row a toujours été un groupe de tournée sans mettre de côté la partie studio. Mais le live a toujours été central dans notre démarche. C’est là où on rencontre les gens pour la première fois ou où on retrouve des amis. C’est là où on apporte l’énergie visuelle qui correspond à notre musique aussi. Et on peut dire qu’elle est essentielle.
Des nouvelles sur une éventuelle tournée avec les Foo Fighters ?
Ils nous ont pas encore contacté, mais ça doit être parce que c’est les vacances.
Est-ce qu’on aura un jour un retour de Hourvari ? J’imagine que la question vous est posée régulièrement, mais je croise les doigts.
Hourvari existe toujours, juste le groupe est narcoleptique.
Je vous laisse le mot de la fin.
Merci pour le soutien. A très bientôt !