Stuart Braithwaite (Mogwai)
par Chris (12/11/2017)
A quelques heures du concert de Mogwai au Grand Rex, c’est un Stuart Braithwaite très avenant qui nous accorde cet entretien dans les coulisses de la salle parisienne. Si l’exercice de la promo ne semble, en général, pas remplir de joie les Ecossais, le guitariste s’y prête tout de même de bonne grâce. L’occasion de revenir avec lui sur l’emploi du temps chargé du quatuor et d’évoquer son dernier album, Every Country’s Sun.
J’ai l’impression qu’entre les albums, les bandes originales et les tournées, Mogwai ne s’est jamais vraiment arrêté depuis les débuts du groupe. Est-ce délibéré ? Avez-vous constamment des projets en tête ?
Déjà, nous avons la chance que des gens nous demandent de faire des choses. Et quand ces choses sont intéressantes, il faut les faire. Cela nous arrive de prendre du repos, mais jamais sur de longues périodes. On se réserve quand même quelques vacances, mais pas tant que ça (rires). Mais j’aime jouer, enregistrer. Si tu ne fais pas de musique alors que tu es musicien, tu es sans emploi (rires).
Comment avez-vous travaillé pour l’écriture de cet album, qui est, si l’on met de côté les bandes originales, le premier de Mogwai depuis le départ de John (NDLR : John Cummings, guitariste ayant quitté le groupe en 2015) ?
Alors ce n’est pas forcément lié au départ de John, mais nous avons en effet procédé de façon un peu différente cette fois-ci, puisque nous avons enregistré l’album aux Etats-Unis. Mais sinon, nous avons travaillé de la façon habituelle, en se passant des démos, puis en se retrouvant pour travailler sur les morceaux.
Pour rester sur Every Country’s Sun, ce qui me frappe sur cet album, c’est son côté plus « joyeux », même si ce n’est peut-être pas le qualificatif le plus approprié. En particulier si on le compare avec les deux bandes originales sur lesquelles vous avez travaillé l’an passé, Atomic et Before The Flood, qui traitent de sujets très sombres. Etait-ce une volonté de votre part de retrouver un peu plus de légèreté après ces expériences particulières ?
Nous n’y avons pas spécialement réfléchi en fait, cela s’est fait naturellement, même si c’est vrai que l’ambiance est clairement plus optimiste sur cet album. Au final, c’est tout de même un vrai contraste, et c’est très bien comme ça.
La tournée Atomic, lors de laquelle vous jouiez sur les images du film, a dû être spéciale ?
Oui c’était une expérience intense et différente. C’est bien, quand tu enchaînes les projets de façon rapprochée, d’évoluer dans des ambiances très différentes. Et puis le changement ne peut être que bénéfique. Atomic est un projet dans lequel nous nous sommes impliqués très fortement, et la tournée était aussi un moyen de montrer le film à un maximum de gens. On ne peut pas faire ça avec n’importe quel film ou documentaire. Nous l’avions déjà fait avec celui sur Zidane. S’il s’agissait d’un film avec une « histoire », ce serait plus difficile pour nous de jouer de façon aussi puissante sans empêcher les gens d’entendre les dialogues. Mais je serai tout de même surpris si l’on faisait à nouveau ce que nous avons fait avec Atomic. C’était peut-être la dernière fois que nous nous investissions dans ce type de projet, mais c’était vraiment passionnant.
"Nous essayons de garder notre musique excitante"
Sur Every Country’s Sun, on a tout de suite l’impression d’avoir affaire à un album de Mogwai, sans aucun doute. C’est en l’écoutant attentivement que l’on se rend compte de l’évolution de votre musique, qui s’incarne davantage dans les détails. Quelle est ton opinion à ce sujet ?
Quoi qu’il arrive, nous sonnerons toujours comme Mogwai, on ne peut pas faire autrement (rires). Si l’on devait reprendre Satisfaction, cela serait aussi le cas ! Mais oui, nous essayons de garder notre musique excitante et de tenter des trucs. C’est le genre de choses vers lesquelles tu veux aller, même si cela se passe, pour nous, de façon inconsciente.
Les chansons les plus lourdes et agressives de l’album se situent à la fin. Etait-ce une volonté au moment de définir la tracklist ?
Pour être honnête, c’est l’un de nos amis, sur notre label américain (NDLR : Temporary Residence), qui a choisi l’ordre des morceaux. D’habitude, nous nous en chargeons, mais là il était tellement excité en nous faisant ses propositions… et ça nous a plu ! En tout cas je trouve que cela fonctionne très bien.
Au début de Coolverine, on entend clairement l’influence d’un groupe comme Ride. Est-ce une façon de célébrer le fait que le groupe s’est reformé ?
(Rires) Peut-être, même s’ils pourraient mal le prendre si le morceau était trop proche de l’un des leurs. Mais c’est bon, ce sont des amis (rires).
Que pense-tu de ces groupes qui se reforment après vingt ans d’inactivité ? On parlait tout à l’heure de Mogwai, qui ne s’est jamais arrêté de travailler plus de quelques semaines…
Je pense que c’est bien. Ces groupes comme Ride ou Slowdive se sont arrêtés en raison d’un manque d’intérêt du public. A cette époque, la musique était une histoire de modes. Dès qu’il y avait un nouveau « son », le reste se trouvait rapidement démodé, et de nombreux groupe ont été ignorés de façon très injuste. C’est toujours bien de voir des musiciens obtenir le respect qu’ils méritent. Il n’est jamais trop tard (rires).
"Tu n'as pas besoin de passer une semaine sur un morceau"
Travailler sur autant de bandes originales (Zidane, Les Revenants, Atomic…) a-t-il eu une influence sur votre façon d’écrire vos propres albums ?
Nous avons réalisé que nous pouvions faire une musique relativement abstraite et que les gens continuaient à aimer ça. Avant de commencer à écrire autant de bandes originales, nous tenions à ce que tout reste très « organisé », mais le fait que ces musiques soient assez abstraites et peut-être plus « spontanées », tout en continuant à plaire, a contribué à nous donner plus de confiance et à nous montrer également que nous étions capables de travailler très rapidement. Pour Atomic et Before The Flood, nous avions des deadlines très courtes, ce qui nous a forcé à y aller à fond, sans perdre de temps. En fait tu n’as pas besoin de passer une semaine sur un morceau, si tu te concentres vraiment, tu peux le terminer en une journée (rires).
Travaillez-vous actuellement sur une autre bande originale ?
Nous venons d’en terminer une, pour un film américain. Mais je ne sais pas si j’ai le droit d’en parler (rires). Mais c’était bien, j’ai hâte que tout le monde puisse l’écouter, car nous allons bientôt retourner en studio pour enregistrer un disque basé sur les morceaux que nous avons composés pour ce film.
Les réalisateurs ou producteurs de ces films et documentaires viennent-ils en général vers vous ou faites-vous vous-même la démarche parfois ?
Ce sont les réalisateurs ou les producteurs qui nous sollicitent. Après, plus les projets sont importants, plus il y a de gens avec lesquels il faut traiter, mais c’est vraiment gratifiant de voir que notre musique plait suffisamment pour que l’on nous propose ces collaborations.
Et si tu pouvais choisir un réalisateur avec lequel travailler, qui serait-ce ?
Il y en a quelques-uns. Je dirais David Fincher, David Lynch, David Cronenberg… Tous ceux qui s’appellent David en fait (rires). Plus sérieusement, j’apprécie aussi beaucoup le travail de Sofia Coppola.
La musique de Mogwai est principalement instrumentale et peut, par conséquent, être interprétée de multiples façons. Vous ne pouvez pas ne pas être concerné par tout ce qui passe en ce moment, je pense notamment au débat sur l’indépendance de l’Ecosse, le Brexit ou l’élection de Trump aux Etats-Unis. Peut-on considérer votre musique comme politique ? Est-ce votre souhait ?
Oui on peut éventuellement la considérer comme telle, car elle vient de nous, et nous sommes en effet très concernés par tous ces sujets. Mais cela reste « vague » dans un sens. C’est une question à laquelle il est difficile de répondre. Par moments je souhaiterais qu’elle le soit, du coup je me sens presque coupable, car si c’est le cas cela devrait s’exprimer de façon plus explicite, alors que nous restons dans le domaine d’une certaine abstraction. Cet album a été une sorte de refuge pour nous. Ce qui s’est passé autour du référendum d’indépendance écossais a été particulièrement difficile à vivre, puis il y a eu le Brexit… Donc cela a été deux coups durs successifs, pour moi en tout cas, et puis quand Trump est arrivé, putain… Pour un tas de gens, le monde est devenu un endroit où la peur règne avant tout. Donc oui, cet album a été une façon pour nous d’échapper un peu à tout ça, et c’est sûrement aussi pour cette raison, comme on en parlait tout à l’heure, que nous avons insufflé un peu plus d’optimisme dans ce disque.
"Si tu écris une chanson pour dire "Donald Trump est un abruti", c'est la chose la plus évidente qui soit"
Pense-tu qu’un jour, la situation sera telle que vous vous direz « c’est trop », et que vous commencerez à écrire des chansons explicitement politiques ?
J’entends souvent des gens dire qu’il n’y a pas assez de chansons politiques. Mais je pense que les temps ont changé. Les gens savent ce qui se passe. Avant, certains n’étaient pas au courant de telle ou telle chose qui s’était déroulée avant de l’entendre dans une chanson. La musique était une façon de transmettre l’information. Mais aujourd’hui, n’importe qui peut tout savoir s’il le veut, il te suffit d’attraper ton téléphone et tu peux te renseigner sur l’actualité dans le monde entier. Ce n’est n’était pas le cas il y a 30 ou 40 ans, ou même il y a une vingtaine d’années. Après, on peut parler de tout, comme n’importe qui, mais bon si tu écris une chanson pour dire « Donald Trump est un abruti », c’est la chose la plus évidente qui soit, c’est comme de faire une chanson pour dire que la pluie mouille (rires). Il y a peut-être des supporters de Trump qui aiment notre musique, mais je ne pense pas que nous puissions les faire changer d’avis, ils peuvent voir et entendre ce mec tous les jours, s’ils apprécient ce qu’ils voient et ce qu’ils entendent, on ne peut pas faire grand chose pour eux (rires).
Vous êtes un des pionniers de ce genre un peu fourre-tout que l’on nomme le Post-Rock. Pense-tu que cette étiquette soit toujours pertinente ? L’a-t-elle d’ailleurs déjà été ?
Je ne sais pas vraiment. Ce n’est pas quelque chose qui nous a vraiment emballés dès le départ. Je vois en quoi cela peut-être pratique pour évoquer certains groupes. Cela a été très à la mode à une période, j’ai l’impression que ça l’est moins actuellement, ce qui est plutôt une bonne nouvelle. Je préfère voir des groupes qui ont leurs propres idées et leur propre conception de la musique. Après, je suis un grand fan de certains groupes catalogués Post-Rock. J’adore Godspeed You! Black Emperor, Tortoise évidemment, Explosions In The Sky… Quand cette étiquette a commencé à être utilisée, les groupes faisaient preuve d’originalité, chacun de leur façon. Je pense par exemple à Labradford ou à Stars of the Lid, qui étaient des groupes tellement intelligents et intéressants. En gros, le terme Post-Rock était au départ un compliment, puis c’est devenu un style de musique, et sans vouloir être méchant, pas mal de groupes pas très originaux ont rejoint le mouvement. C’était juste le style à la mode. Des gens nous demandaient parfois pourquoi on avait décidé de se lancer dans le Post-Rock, mais on avait déjà fait deux albums avant d’entendre ce terme pour la première fois. Dans nos têtes, nous étions juste un groupe Punk (rires).
Qu’écoute-tu actuellement ? As-tu d'ailleurs le temps d’écouter de la musique en tournée ?
Oui un peu, même si j’écoute aussi pas mal de podcasts. J’aime beaucoup le dernier Godspeed, le nouveau morceau de Fever Ray est très bon, le dernier Circuit des Yeux est excellent. J’aime aussi beaucoup le nouvel album de Blanck Mass, ce mec est très bon.
Peux-tu nous parler un peu de Minor Victories ? (NDLR : « supergroupe » auquel participe Stuart, avec notamment Rachel Goswell de Slowdive, que nous avions chroniqué ici) Y aura-t-il un second album ?
Oui certainement. Je ne sais pas encore, j’ai vu Rachel la semaine dernière, elle est très occupée. Je suis très occupé aussi (rires) et Justin (NDLR : Justin Lockey d’Editors) est aussi très occupé. Il est possible que nous puissions nous retrouver pour travailler sur quelque chose l’année prochaine, mais ce projet est vraiment fun. Ce sont des gens très sympas et oui, j’aimerais beaucoup que nous sortions un autre disque ensemble. L’approche est différente de celle de Mogwai, Minor Victories est beaucoup plus pop.
Quels sont les projets de Mogwai pour l’année qui vient ? Toujours pas repos ?
(Rires) Non nous allons encore tourner pendant quelque temps, puis nous retournerons en studio enregistrer un disque basé sur la bande originale dont je te parlais tout à l’heure. Puis on recommencera à tourner après, donc on a encore du boulot pour un petit moment. Et puis on arrivera bien à faire ce nouveau Minor Victories, et j’irai ensuite m’allonger par terre, dans un coin (rires).
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