Angie Kareno, ingé-son pour Stoned Gatherings, Dopethrone...

par Neredude (01/04/2017)

Cette interview a été réalisée dans le cadre d'un dossier sur la sonorisation en concert, intitulé "Ouais, mais le son était horrible...".



Déjà commence par te présenter. Depuis combien de temps fais-tu de la sonorisation de concerts, as-tu travaillé pour des salles/orgas ou groupes en particulier ?

 Salut ! Ca fait à peu près sept ans que je suis dans le milieu, j’ai étudié trois ans à l’Institut Supérieur des Techniques du Son à Paris (l’ISTS, filière de l’ESRA), où je me suis spécialisée en sonorisation la dernière année. Ca m’a clairement appris sur les fondamentaux, mais la meilleure école restera toujours le terrain. J’ai commencé par faire des stages comme tout le monde, ma vraie première expérience en terme de live a été la Scène Bastille (salle parisienne qui n’existe plus depuis) où j’ai appris à gérer un plateau (c’est toute l’installation sur scène, matos, câbles, micros...) et les réflexes de rapidité que tu es régulièrement amené à adopter. Puis j’ai sonorisé les groupes d’amis, dont Eibon (groupe de doom parisien avec des anciens membres de Drowning) avec qui tout a vraiment commencé quand ils m’ont emmené sur une date avec eux (le Sludgfest à Eindhoven). D’ailleurs, petit clin d’oeil et grand merci au chanteur, Georges, qui m’a fait confiance à l’époque où je débutais à peine !
Une autre date avec eux m’a fait atterrir aux Stoned Gatherings, cette super orga où la crème de la scène stoner / sludge / doom est passée, d’abord aux Combustibles puis à Glaz’Art,  avec laquelle j’ai fait par la suite la majorité des concerts. J’y suis rentrée en 2011, je n’en suis jamais ressortie ! Ca a été un vrai coup de coeur, une grande famille, et avec mon goût prononcé pour le style musical, c’était juste parfait. J’ai depuis eu le plaisir de travailler avec des groupes comme Acid King, Eyehategod, Conan, Monolord, Black Tusk, Church Of Misery… Aujourd’hui, j’ai plutôt l’habitude de suivre des groupes en tournée, Dopethrone étant le principal. Là je viens de finir quelques dates avec Sinner Sinners fin février/début Mars.

Quels devraient être les réflexes à avoir pour un spectateur qui veut avoir le plus de chances d'avoir un bon son en concert/festival ?

Trouver la meilleure place ! En concert, il est très rare, quasi impossible, de se déplacer d’un bout à l’autre de la salle / fosse en gardant le même son dans les oreilles. A un endroit, tu auras beaucoup de graves, à un autre une perte considérable. C’est toujours très étonnant et amusant lorsqu’à la fin d’un concert, deux personnes viennent me voir, la première me disant que la basse était un peu trop forte, la seconde qu’elle ne l’était pas assez. L’acoustique, c’est très compliqué, le moindre coin de mur peut faire changer le son. Il peut varier pour pleins de raisons : les matériaux, le nombre de personnes, la température, le vent pour les concerts en plein air.  Si vous êtes curieux faites le test, placez-vous devant la scène, vous n’entendrez certainement pas la même chose cinq mètres plus loin. C’est normal, quand on fait un mix, on fait en sorte qu’il ait la meilleure balance possible un peu partout. Je pense que la meilleur place restera quand même celle “du milieu”, ni trop à gauche, ni trop à droite, pas trop près et pas trop loin. Maintenant battez-vous !

On m’a un jour dit que se placer à la table de mixage était à peu près toujours la meilleure solution pour avoir le meilleur son à un concert. Es-tu d’accord ?

Oui et non ! En fait, tout dépend de l’endroit où est placée ta console évidemment ! Il arrive souvent qu’un ingé son doivent régulièrement quitter la régie pour intégrer la foule et entendre vraiment ce qui se passe dans ce fameux « milieu ». En festival, la console peut être placée vraiment loin de la scène. En salle de concert, tu retrouves toutes les fantaisies possibles : de la console parfaitement bien placée (ça c’est le top) à celle en mezzanine ou pire, sur le côté de scène au même endroit qu’une console retour ! Une hérésie que certaines salles sont obligées d’accepter, faute de place. Il faut savoir s’adapter, mais tu imagines bien que le côté de scène n’est pas vraiment l’endroit idéal pour apprécier le son d’un concert !

La règle serait-elle donc de ne rien prendre pour acquis sur le son en concert, et de ne pas hésiter à bouger dans la salle pour essayer différents spots ?

 Exactement ! Si tu n’es pas à l’aise à un endroit, essaies-en un autre, tu discerneras probablement de nettes différences quelques mètres plus loin. Le son est en perpétuel mouvement,  je pense que le plus grand ingé son ne prétendra jamais tout prendre pour acquis. Après je ne dis pas, si le son global est vraiment mauvais, tu auras beau te déplacer, ça ne changera pas grand chose (rires).

Pourquoi le volume est-il systématiquement (sauf exception) très fort alors qu'on sent qu'il pourrait souvent être baissé, sans pour autant nuire à l'immersion dans le concert ?

 Ah la fameuse question du volume sonore ! Il y a pas mal de choses à dire sur le sujet. Déjà, il est vrai qu’il est inutile pour qu’un concert soit bon qu’il soit systématiquement ultra fort. Si tu as un bon son de base, tu n’auras pas besoin de pousser les faders à leur maximum pour donner un effet de « gros son » et de bon mix. Tout dépend aussi du style musical. Pour celui que j’ai l’habitude de travailler, il est vrai qu’on a plutôt tendance à pousser les décibels vers la limite sonore (autorisée) ! C’est vraiment bon quand c’est l’avalanche sonore, le son massif quoi ! Mais je ne dirais pas qu’un bon concert se doit d’être très fort. Rien de plus désagréable que de devoir quitter la salle parce que tu n’arrives même plus à profiter de la prestation et que ça devient juste de la bouillie pour les oreilles.

Il existe des règles à respecter en terme de volume sonore dans pas mal de pays, en France c’est 105 db, mais aux Etats-Unis par exemple, il n'y en a pas vraiment. C’est souvent pour ça d’ailleurs que les artistes d’outre-Atlantique ont le “potard facile” sur leurs amplis et qu’ils ne comprennent pas toujours qu’on leur demande de se baisser sur scène. Mais attention, l’oreille humaine est traître; parfois tu as l’impression que c’est super fort alors que ce sont certaines fréquences très agressives qui provoquent cet effet désagréable. Les aigus agressent plus que les graves. A l’inverse, un son très fort mais dont les fréquences basses sont dominantes fera moins mal aux oreilles ! En tout cas, inutile de réfléchir à deux fois avant de mettre des protections auditives, on ne le répètera jamais assez.

Pendant un concert, est-ce qu'il est plausible que que le son puisse être "objectivement" bon à un endroit (c’est à dire sans prendre en compte les différences de perception et les goûts de chacun en la matière) et qu’à trois mètres de cet endroit, le son soit complètement différent et/ou mauvais ?

 Et oui ! Le son n’est le même nul part. Les plus grosses salles / festivals remédient au maximum à ce problème avec différentes solutions acoustiques perfectionnées, la salle “underground” de ta ville n’aura pas forcément les mêmes moyens. Il faut accepter que ce ne soit pas parfait partout tout le temps, c’est quand même l’essence même d’un live ! Sinon tu te poses dans ton canapé avec ton vinyle, comme ça tu es sûr que le son ne bougera pas (rires) !

J'ai constaté que les concerts avec un mauvais son avaient souvent trop de basse (que ce soit la guitare basse ou la batterie) et pas assez de guitare. Comment expliquer cela ?

Les basses prennent beaucoup de place dans l’espace sonore, aiment s’étaler et manger tout ce qui se trouve sur leur passage ! S’il y en a trop, ça signifie que les basses fréquences de chaque instruments s’empilent les unes sur les autres, ça crée un bloc de son et on ne distingue plus rien correctement. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, un gros son ne signifie pas un son rempli de basses.  Quand on mixe, on coupe d’ailleurs systématiquement les fréquences “inutiles” de certains instruments, dans les graves comme dans les aigus, pour libérer un maximum d’espace aux fréquences “utiles” et clarifier le son. Chaque instrument peut ainsi prendre sa place sonore sans empiéter sur son voisin; à partir de là, on peut commencer à travailler sur de bonnes bases.



A quel point la configuration d’une salle, que ce soit la sono, la table de mixage (et la connaissance qu'a l'ingé-son de ce matériel en particulier) et l’acoustique peut affecter le son ?


 Au point maximum ! Tous les éléments que tu as cité sont des facteurs de variation de qualité du son. En live, rien ne peut être négligé, car tu n’as pas de temps. Si la sono et la table de mixage sont de qualité médiocre, le son sera forcément différent qu’avec du matériel haut de gamme. Le plus petit câble de mauvaise qualité peut te détruire un concert !  Le matériel de sonorisation coûte très cher, mais fermer les yeux sur la qualité est une très mauvaise idée pour une salle. Il faut quand même pouvoir encaisser une puissance conséquente que ta chaîne hifi ne supporterait pas une seconde. L’acoustique, l’architecture de la salle, tu as bien compris, tout affecte le son. Les salles de concert qui ont été construites et pensées pour accueillir des performances live on toutes été minutieusement étudiées par des professionnels pour obtenir une qualité de son et une acoustique optimale.

As-tu déjà «foiré» le son d’un concert parce que tu n'étais pas familière avec la table de mixage ou une configuration particulière de la salle ?

 Je ne dirais pas vraiment par rapport à la table de mixage; au final, qu’elles soient plus ou moins grandes, de marques et de modèles différents, les consoles ont toutes les mêmes réglages de base, plus ou moins perfectionnés avec des options supplémentaires différentes, mais seule la logique d’accès aux réglages change réellement. Je dirais plutôt par rapport à la configuration de la salle oui.
Sans aller jusqu’au totalement « foiré », il arrive parfois que l’on ait de grosses surprises, notamment entre le temps du soundcheck et celui du live. Encore une fois, le son vit et de multiples facteurs font qu’il peut évoluer en seulement quelques heures. L’exemple que j’observe le plus fréquemment est celui de la voix qui se met à être beaucoup plus forte ou inversement, quasi inexistante, au démarrage du concert.  En fait, le simple fait que la salle se soit remplie joue sur certaines fréquences. Bien sûr, on ne parle pas du chanteur qui va chanter plus fort ou du batteur qui va frapper bien plus brutalement que pendant les balances, entraînés alors par l’euphorie du moment. Pour anticiper ce genre d’imprévu, on a l’habitude de ne pas pousser les réglages à leur maximum pendant les balances, ça permet ainsi de garder une marge de manoeuvre au moment du concert.

Un point peu souvent abordé : est-ce que le mauvais son n'est pas aussi parfois de la responsabilité des groupes, notamment dans leur manière d'utiliser leur matos quand ils jouent ?

 OH QUE SI (rires) ! Un ingé son, le meilleur qu’il soit, n’est hélas pas un magicien (on vous aurait menti ?). Le but de la sonorisation dans son sens premier est d’amplifier ce qui se passe sur scène, dans sa neutralité la plus totale. Tel un artiste, l’ingé son va ensuite pouvoir intégrer sa patte sonore dans le mix, en fonction de ses goûts esthétiques, de ses habitudes, de choix décidés en amont avec le groupe et de ses compétences techniques bien sûr, il va pouvoir l’embellir pour atteindre son objectif.
Certes, j’ai déjà entendu des mix assez incroyables qui pourraient  être affiliés à un tour de magie ! - je pense notamment au son du concert de Yob à Athènes, en Septembre 2016. Mais construire une maison sur des fondations moisies… tu vois ce que je veux dire ! Si le son sur scène est mauvais, il n’y aura pas de miracle possible. Une caisse claire qui fait “ploc” continuera à faire “ploc”, le buzz d’un câble passera dans les enceintes, il faut régler le problème à la source. Au moment des balances et avant de procéder au moindre réglage, je demande d’abord aux musiciens de se régler sur scène , de jouer, de se régler à nouveau, jusqu’à ce qu’ils se sentent à l’aise, sans retour ni effet ou quoi que ce soit de technicité. Avec cette méthode, j’ai déjà fait 50% du travail (rires) ! Quant au matos c’est sûr, si la membrane d’un haut-parleur est déchirée ou qu’une guitare est désaccordée, ça aura forcément des répercussions sur le son du concert !

Sans vouloir te demander de tirer sur tes collègues, est-ce que tu t'es déjà trouvée dans une situation du genre "Ce concert a un son qui pourrait sans doute être amélioré en faisant ça ou ça" ?

 Oui bien sûr, ça s’appelle la déformation professionnelle ! C’est super difficile de faire des concerts en tant que “public” sans écouter d’une oreille plus attentive, même s’il est tellement agréable de se laisser simplement porter par ce qu’on entend et juste apprécier parfois ! Mais oui, ça m’arrive régulièrement, comme il m’arrive aussi de me dire “ Wouah, ce son est dingue !”. A l’inverse, je pense que ça rend aussi les personnes du métier plus compréhensives, parce qu’on sait que si on n’entend pas la voix, c’est probablement parce que les mecs sur scène n’ont pas voulu baisser leurs amplis quand on leur a demandé et que ce n’est pas QUE la faute de l’ingé son (rires) ! Quand tu as déjà eu affaire aux problèmes techniques, tu sais. Il y a aussi un côté de parti pris. Je peux, par exemple, préférer placer un kick très en avant dans le mix alors que mon collègue le préfèrera plus discret. Tant que ça ne gâche pas le son global, j’accepte et reste curieuse de la méthode de chacun. Il n’y a pas deux ingé son qui mixent exactement de la même façon.

On constate que le son est souvent moins bon en festival, que ce soit des groupes de mainstage ou plus extrêmes. Est-il possible d'avoir un bon son en festival quand on n'a une demi-heure de changement de plateau ? (Typique du Hellfest par exemple)

 Oui c’est possible. Tu peux avoir deux heures de temps pour faire un soundcheck que ton son sera médiocre et trente minutes où il sera tout à fait satisfaisant. C’est vrai qu’en général, avoir du temps permet de peaufiner les détails et c’est toujours plus agréable que d’être dans le rush. Mais parfois, il suffit d’aller à l’essentiel, on arrange les détails au moment du live. Dans ce genre de gros festival, la plupart des ingé son suivent le groupe depuis pas mal de dates, ils ont déjà une bonne base du son qu’il recherchent, connaissent les exigences du groupe. Quand tu bosses avec un groupe, c’est une vraie relation de confiance qui s’instaure, tu finis par connaître leurs préférences et habitudes par coeur. Dans ces conditions, trente minutes peuvent suffire. Seuls des soucis techniques de dernière minute peuvent alors interférer, du type « ma tête basse ne veut plus s’allumer ». Mais ça, ce sont les aléas du live !
Pour moi,  le vrai nuisible du bon son en festival, ce sont les conditions météo ! Ca peut paraitre étrange, mais le vent, la pluie, les changements de température sont autant de facteurs qui baladent les fréquences et créent des pertes considérables à certains endroits; le son devient alors plus difficile à maîtriser.

Pour finir, quel sont tes meilleurs et pires souvenirs de son en concert et festival, et pourquoi ?

 Je crois que ma pire expérience a été l’an dernier avec Dopethrone quand ils ont joué au El Diablo de Lille. Mise à part la qualité rudimentaire du matos sur place, la console était placée dans un petit renfoncement, je suis restée dans cet endroit rempli de basses pendant une heure, c’était juste l’enfer pour mixer et intenable pour les oreilles. Ca m’a donné mal à la tête pour le reste de la soirée. Le meilleur … C’est dur à dire, j’ai quand même plus - et heureusement - de très bons que de mauvais souvenirs. Je pourrais quand même placer le concert à Edimbourg, toujours avec Dopethrone et Gurt dans mon top trois, non seulement le lieu sonnait d’enfer, mais la configuration était juste folle. Le groupe à joué devant la scène, à même le sol, entouré du public, c’était juste dingue ! Le Motocultor 2015 a été une belle claque sonore aussi.

As-tu quelque chose à rajouter ?

Déjà un grand merci pour ton interview, belle initiative que celle de penser aux “acteurs de l’ombre” de la scène. Continuez à bouger aux concerts, à soutenir les artistes, à vous éclatez en partageant votre passion ailleurs que sur votre écran d’ordinateur et surtout, ne cherchez pas le son “parfait” tout lisse et sans brèche à tout prix; un live, c’est quand même bien mieux quand ça reste vivant ! Cheers.

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