Brett Caldas-Lima, ingé-son de Cynic, Devin Townsend...
par Neredude (01/04/2017)
Cette interview a été réalisée dans le cadre d'un dossier sur la sonorisation en concert, intitulé "Ouais, mais le son était horrible...".
Déjà commence par te présenter. Depuis combien de temps fais-tu de la sonorisation de concerts, as-tu travaillé pour des salles/orgas ou groupes en particulier ?
Brett : Salut. Et bien je bosse dans le son principalement en studio, mais aussi parfois en live. Ça doit faire une petite quinzaine d’années que je fais ça maintenant, en très très grande majorité dans le metal. J’y suis venu parce que je suis musicien et que c’est une part intégrale de la vie de musicien de s’enregistrer en démo, ou de régler un peu le son en répète… Pour ce qui est des groupes pour lesquels j’ai fait du son live (puisqu’on va se concentrer sur cet aspect là), je citerais Cynic, Devin Townsend, Sacred Reich, To-Mera ou encore Hegemon. Je suis pas lié avec des salles ni des orgas, je me mets là où on me dit de me mettre et je me débrouille tant bien que mal. J’ai eu la chance de voyager et de faire pas mal de pays grace à ça (quasiment toute l’Europe, l’Amérique du Nord, l’Australie…) et de bosser dans ce qu’on considère comme les plus grands festivals de metal (Hellfest, Wacken…).
Quels devraient être les réflexes à avoir pour un spectateur qui veut avoir le plus de chances d'avoir un bon son en concert/festival ?
Mettre des bouchons dans ses oreilles pour protéger son audition et ainsi ne pas devenir sourd pour les prochains concerts / festivals qu’il fera.
On m’a un jour dit que se placer à la table de mixage était à peu près toujours la meilleure solution pour avoir le meilleur son à un concert. Es-tu d’accord ?
La logique derrière ce raisonnement est tout à fait valable, c’est que le mec qui fait le son le fait pour qu’il soit bon à l’endroit où lui même se trouve puisque c’est là qu’il entend, car même avec toute la meilleure volonté du monde, il ne peut pas être partout ni savoir comment le groupe sonne au milieu de la fosse, ni au fond de la salle, ou sur les côtés, ou en haut des gradins, etc… Bien sûr il peut aller entendre vite fait de temps en temps mais d’une, ce n’est pas toujours possible (c’est même extrêmement rare que ce soit physiquement possible), et de deux, même s’il y va, c’est pour faire du “damage control”, vérifier que ce n’est pas trop trop pourri, mais il pourra pas régler le son pour qu’il soit parfait partout dans la salle. Donc ouais, en général le son est plutôt le meilleur à côté de la table de mixage. En plus en général, sauf cas particuliers, celle ci est plutôt centrée par rapport à la scène et au système de diffusion.
La règle serait-elle donc de ne rien prendre pour acquis sur le son en concert, et de ne pas hésiter à bouger dans la salle pour essayer différents spots ?
Quand c’est possible oui, si tu es à un endroit et que tu trouves que le son est vraiment insupportable (c’est souvent à cause des basses), il suffit parfois de se déplacer de quelques mètres / dizaines de mètres pour que ça change du tout au tout. Ça ne changera pas l’équilibre des instruments les uns par rapport aux autres, mais ça changera la couleur globale.
Pourquoi le volume est-il systématiquement (sauf exception) très fort alors qu'on sent qu'il pourrait souvent être baissé, sans pour autant nuire à l'immersion dans le concert ?
Alors là, c’est compliqué. Dans une petite salle, à moins de ne vouloir entendre que la batterie et notamment les cymbales (qui émettent naturellement beaucoup de volume), ben l’ingé son est obligé au minimum de passer dessus pour qu’on entende les guitares, le chant, etc, et donc de monter assez fort (oui car vraiment c’est fort des cymbales)… Après en festival, je ne comprends pas moi même le fait que certains groupes soient si forts au point d’en être insupportables. Ok, il faut un peu de volume pour bouger l’air, pour qu’on sente la puissance physique du truc, mais il y a des limites quand même… Je fais toujours très attention à ça, et aussi je veille toujours à ce que la musique entre les groupes ne soient pas forte, ce qui parfois est le cas et est insupportable : on ne peut pas se reposer les oreilles ni discuter avec les gens sans hurler, je trouve ça absolument crétin.
Pendant un concert, est-ce qu'il est plausible que que le son puisse être "objectivement" bon à un endroit (c’est à dire sans prendre en compte les différences de perception et les goûts de chacun en la matière) et qu’à trois mètres de cet endroit, le son soit complètement différent et/ou mauvais ?
Oui, c’est lié à l’acoustique de la salle et au fait que les ondes sonores se reflètent contre les murs, le sol (surtout si y a personne), le plafond et s’accumulent en certains points, et s’annulent à d’autres (comme le feraient des ondulations / vagues dans un récipient). C’est facile de faire l’expérience chez soi, il suffit de mettre la musique un peu fort et de se déplacer dans la pièce pour entendre les différences. Il est probable que près des coins de la pièce, les graves s’accumulent par exemple. Pour les festivals en plein air, le vent vient également perturber tout ça et les différences de pression (bref la météo quoi).
J'ai constaté que les concerts avec un mauvais son avaient souvent trop de basse (que ce soit la guitare basse ou la batterie) et pas assez de guitare. Comment expliquer cela ?
Peut-être en partie à cause du phénomène dont je t’ai parlé précédemment. Mais il y a aussi je trouve parfois une tendance débile des ingénieurs du son qui me saoulent et qui considèrent que la puissance vient des subs, du très grave, justement ce qui fait vibrer la cage thoracique, et qui du coup privilégient cette puissance-là à la clarté. Résultat, tu entends que le kick et un vrombissement continue. Insupportable. J’ai rien contre les batteurs hein, mais c’est quand même pas super musical une grosse caisse. On aimerait mieux entendre des notes, des harmonies, des paroles…
A quel point la configuration d’une salle, que se soit la sono, la table de mixage (et la connaissance qu'a l'ingé-son de ce matériel en particulier) et l’acoustique peut affecter le son ?
A quel point ? Et bien je dirais à 100%. N’importe qui peut bien comprendre que par exemple, il sera impossible de bien faire sonner du metal chargé dans une cathédrale. En revanche, ça peut bien passer pour des groupes ou artistes à la musique plus “aérée”. Par exemple à Montpellier où je vis, on avait une salle qui s’appelait le Rockstore (elle est bien connue et culte). J’en parle au passé non pas parce qu’on ne l’a plus, mais parce qu’ils l’ont totalement refaite d’un point de vue acoustique. Bref, avant donc, c’était une église. Avec donc une acoustique horrible, absolument pas étudiée pour les musiques amplifiées. Donc la plupart des groupes de metal y avaient un son dégueulasse. En revanche, pour un groupe comme Marillion, ça passait crème, le son y était quasiment parfait. Mais outre l’ingénieur du son, le matériel et la salle, l’élément le plus important c’est complètement le musicien et le groupe en lui même. C’est la source. Tout le reste ne sert qu’à transmettre cette information au public.
As-tu déjà «foiré» le son d’un concert parce que tu n'étais pas familier avec la table de mixage ou une configuration particulière de la salle ?
Non, je n’ai jamais foiré le son d’un concert, ça sonne toujours fabuleusement bien ! Bon, ok, pas crédible… Evidemment que ça m’est arrivé. En général, les tables fonctionnent toutes de la même manière, mais parfois tu ne vas pas avoir assez d’outils à ta disposition pour façonner le son (pas assez de compresseurs, de gate, pas assez de bandes sur l’équaliseur). Ou alors, tu ne vas pas avoir le temps de faire une balance, donc le concert commence et tu dois régler tout en même temps. C’est souvent le cas dans les festivals d’ailleurs, donc les premiers morceaux sont bien souvent une sacrée bouillie… Et dans des petites salles, selon la configuration de la salle et son acoustique, tu ne peux parfois juste rien faire avec le peu de temps dont tu disposes. Des fois aussi, le son sur le plateau (la scène) interfère aussi tellement avec celui dans la fosse que c’est peine perdue (j’en parlais pour les cymbales par exemple).
Un point peu souvent abordé : est-ce que le mauvais son n'est pas aussi parfois de la responsabilité des groupes, notamment dans leur manière d'utiliser leur matos quand ils jouent ?
Pas toujours. Mais souvent oui. Et pas juste par rapport à leur manière d’utiliser leur matos, mais leur talent de musiciens surtout. Si les mecs jouent super bien, avec feeling (oui même dans le death metal y a du feeling), ont une cohésion de groupe, de bons arrangements et jouent sur du bon matériel bien réglé, alors il sera infiniment plus facile de les sonoriser qu’un groupe moyen qui, au mieux, sonnera moyen.
Sans vouloir te demander de tirer sur tes collègues, est-ce que tu t'es déjà trouvé dans une situation du genre "Ce concert a un son qui pourrait sans doute être amélioré en faisant ça ou ça" ?
Bien sûr, quasiment à chaque fois. Mais c’est tellement subjectif tout ça. Il y a deux semaines je suis allé voir Devin Townsend à Marseille. J’ai passé tout le concert à maudire intérieurement l’ingénieur du son : “putain mais mec, baisse les samples bordel, et monte les guitares et la voix, on les entend à peine”.
On constate que le son est souvent moins bon en festival, que ce soit des groupes de mainstage ou plus extrêmes. Est-il possible d'avoir un bon son en festival quand on n'a une demi-heure de changement de plateau, situation typique du Hellfest par exemple.
Oui c’est possible (mais pas dans les toutes premières minutes) avec les conditions dont j'ai déjà parlées. Un bon groupe, du bon matos, des bonnes compos (car mine de rien, si la musique est bonne, le son parait meilleur), une bonne équipe… On le voit régulièrement, et c’est d’ailleurs souvent pour ça que c’est en live qu’on peut juger de la qualité d’un groupe. Après les gros groupes ont souvent leur propre table de mixage numérique, donc au lieu de démarrer avec une page blanche, le son est déjà presque pré-réglé et il faut juste l’ajuster aux différences inhérentes au spectacle vivant : placement des micros, réglage des instruments, humeur du jour, acoustique du lieu, etc… Je précise que parfois (mais c’est exceptionnel), je trouve le son bien meilleur au début d’un concert qu’à la fin (je pense à In Flames au Hellfest il y a quelques années notamment où ça a commencé super bien et plus ça allait plus le mec touchait des trucs et montait le son et au final le son est devenu agressif, trop fort et saturait, alors que les premiers morceaux sonnaient d’enfer).
Pour finir, quel sont tes meilleurs et pires souvenirs de son en concert et festival, et pourquoi ?
J’ai pas de pire souvenir en tant que public parce qu’il arrive bien trop souvent que les sons soient pourris en live (même si j’ai constaté une très nette amélioration ces dernières années avec les avancées technologiques). Mais l’été dernier j’étais à un festival à Barcelone, et de toute la première journée, seul le dernier groupe (King Diamond) a eu un bon son, où on entendait ENFIN les guitares. Tous les autres étaient massacrés, les guitares étaient inexistantes. Et franchement, Coroner sans guitare, c’est chiant et frustrant ! Sinon j’ai souvent pris d’énormes claques auditives lors de concerts mais ce sont souvent sur des groupes ultra pros, je pense à des trucs comme Muse, Pink Floyd, Nine Inch Nails… Des grosses machines donc.
Après en tant qu’ingé son, j’ai bien souvent été déprimé après un concert qui ne sonnait pas un cachou et pendant lequel je n’ai pas réussi à faire quoi que ce soit de bon. Mais le pire moment je pense que c’était avec Devin Townsend à Houston, où il n’avait pas de retour dans ses oreilles, ou alors pas les bons. Certes je n’étais pas en charge de ça (et c’est d’autant plus chiant que les gens se retournent vers toi d’un air réprobateur alors que tu y es pour rien et n’y peux rien toi même), mais c’était très particulier car ils étaient déjà sur scène et il parlait au public et si il en a fait quelque chose de fun pour le public avec son humour et sa verve habituelle, je savais qu’intérieurement il était au plus bas. Vous pouvez trouver ça sur Youtube d’ailleurs en cherchant Devin Townsend Houston Shenanigans (et croyez moi ça a duré bien plus longtemps que sur la vidéo). Et sinon, pour ce qui est des meilleurs souvenirs, globalement c’est quand après un concert quelqu’un vient me remercier ou me féliciter pour le son (je me souviens d’un mec à Montréal qui est venu me voir à la fin de Cynic en me disant avec son accent québécois “putain mec c’est le meilleur son de drum que j’ai entendu de toute ma vie !”). C’est le genre de truc qui fait extrêmement plaisir.
Vous aimez ce genre de contenu ? Soutenez-nous !
Vous pourriez aimer
Interview des 2 fondateurs / fondatrices du label Specific Recordings
Paris, le 11/10/2014
Par mail
Hellfest 2024