Martin Lopez, batteur de Soen (ex-Opeth)
par Neredude (12/01/2017)
"Je veux revenir vers quelque chose de vrai, de brut, d'imparfait, le sale que la musique Rock devrait avoir."
Martin Lopez fait partie de ces musiciens à la carrière impressionnante. Non seulement il a contribué à un grand nombre d'albums référentiels d'Opeth, mais il continue sur une vraie réussite avec Soen, qui sort son troisième album en février. Ce Lykaia semble répondre à un vrai besoin d'authenticité pour le musicien, qui s'est expliqué à ce sujet avec nous.
On peut dire que Tellurian était une étape importante pour Soen. C'était votre deuxième album, et il vous a permis de trouver votre propre son, tout en complexifiant votre musique . Quels étaient vos objectifs pour Lykaia ?
L'objectif est toujours le même. Il s'agit de faire de la musique chargée d'émotions qui puisse attirer l'attention de l'auditeur. Il faut aussi que la musique soit authentique, qu'elle vienne du coeur pour partager cela avec tous ceux qui sont intéressés d'écouter. Je crois que nous sommes arrivés à remplir ces objectifs avec Lykaia.
Après écoute, Lykaia semble moins dense que Tellurian en terme de composition. Comment le groupe s'est-il retrouvé dans cette direction, alors que Tellurian était vraiment boursouflé et complexe ?
Je crois que plus tu gagnes en confiance dans ton instrument et ton écriture, moins tu ressens le besoin de prouver ta capacité à être technique en tant que musicien. Du coup, tu te concentres sur le noyau dur des chansons, dans le fait de faire passer une émotion et... Juste d'écrire de la bonne musique en fait. Je pense qu'avec Lykaia, c'était une nouvelle étape naturelle de procéder ainsi. En tout cas, c'est comme ça que nous l'avons senti, et nous l'avons fait. Ce n'est pas planifié, nous ne faisons pas des brainstormings pour décider comment l'album va sonner. Je prends ma guitare et je commence à écrire : tout ce qui en ressors de bon sera sur l'album. Lykaia représente ce que je voulais faire, dont acte. Peut être que sur le prochain, je voudrais retourner vers quelque chose de plus complexe, qui sait ? Mais cette fois, ça ne me semblait pas être le bon choix. Je trouve ça superficiel d'avoir la complexité en tant que fin en soi. Chaque partie doit avoir une raison d'être, elle en a besoin pour exister. C'est ce qu'on a fait.
Ce nouvel album a été composé avec un nouveau line-up. Je voulais savoir si cela avait eu des conséquences sur l'écriture.
Joel et moi écrivons la majorité de la musique. De ce côté là, ça n'a pas vraiment changé. Je pense que le noyau dur des chansons aurait été le même peu importe le reste du line up. Ceci dit, nous avons intégré Marcus et Lars et ils ont donné de nouveaux outils que nous pouvions utiliser pour construire cet album. Chacun d'eux ont pu contribuer et ont ajouté beaucoup de choses, notamment des parties atmosphériques qui ont donné à Lykaia une tonalité particulière... Je n'ai pas envie de dire "vintage" parce que le retro ne nous intéresse pas, mais je dirais qu'ils ont posé une espèce de brume fantômatique sur ce qu'on a fait, et nous n'avions pas cela avant.
Doit-on attribuer ça au fait que Lars ait un lourd passif dans le rock old school et le blues ?
Oui, Lars et notre bassiste viennent tous les deux d'une école de jazz et ils ont cette tonalité particulière dans leur manière de jouer, que l'on entend assez peu dans le metal. Le résultat est plutôt différent de ce qui sort en ce moment.
En parlant de metal : la dernière fois que nous avions discuté, tu disais avoir besoin d'exprimer de la violence dans ta musique, que ce soit dans la batterie ou les riffs de guitare. Pourtant Lykaia semble moins agressif que ses prédécesseurs.
Je ne suis pas vraiment d'accord. Tu peux percevoir cet album comme moins agressif d'une certaine manière, mais il est surtout plus sombre. La colère est toujours là, je suis toujours en colère, mec ! Plus que jamais en fait. [Rires]
Donc tu as exprimé cette colère différemment ?
Je crois oui. Peut être qu'il y a quelques années, j'avais besoin d'intégrer beaucoup de grosse caisse et autres pour le faire. Maintenant, j'arrive à purger ça simplement en jouant sur ma caisse claire, ma grosse caisse ou ma china. Quand tu vieillis, les choses changent. Mais la musique est toujours lourde et elle est plus sombre qu'avant. En tout cas, c'est comme ça que je le ressens quand je l'écoute.
Vous avez beaucoup tourné pour Tellurian. Comment cela a-t-il affecté votre composition, surtout que vous avez beaucoup écrit sur la route, il me semble ?
Oui, nous avions un studio pour écrire dans le bus. Mais nous n'avons pas beaucoup tourné, en tout cas si on compare à d'autres groupes. Nous contrôlons vraiment notre emploi du temps, et tournons quand nous en avons envie uniquement. Nous voulions pouvoir continuer à travailler nos compositions en tournée pour battre le fer tant qu'il était chaud, pour conserver cet esprit d'équipe que tu as en tournée et explorer cet aspect là. Ceci dit, il y a une différence : quand on regarde ce que nous avons écrit en tournée, ces chansons sont beaucoup plus axée vers le live. C'est logique : tu joues chaque nuit, et tu as ces parties qui fonctionnent bien en concert, et tu veux retrouver ça dans ce que tu écrits. Alors que quand tu écrits chez toi, tu es plutôt enclin à écrire quelque chose de plus réfléchi.
Comment penses-tu que ta participation à Opeth a influé sur Soen ?
Eh bien, j'ai joué dans Opeth pendant dix ans. Et j'ai commencé en étant vraiment jeune. La moitié de ma carrière s'est faite dans Opeth jusqu'à présent. Une grande part de mon identité musicale est... liée à Opeth et à cette musique. J'ai énormément appris dans ce groupe et je suis très fier de ce que nous avons accompli, tout comme je suis très fier de que je fais dans Soen. Je ne vois que du positif émanant de ces deux groupes.
Que veut dire "Soen" ? Est-ce lié à ce poète japonais qui porte le même nom ?
Non. Je crois que "soen" veut dire "silence total" en japonais, mais en ce qui nous concerne, Soen répond juste à notre besoin d'avoir un nom. Nous avions quelques chansons, nous avions signé avec un label, et nous avions besoin d'un nom. Je ne sais pas comment c'est venu, mais à un moment j'ai dit " Hey Joel, Soen, ça te va ? " Il a répondu " Ouais, ok. Prenons ça !" Tous les bons noms étaient déjà pris et tu n'as pas besoin de suranalyser en permanence parfois. Tu mets juste quelques lettres ensemble et elles sonnent bien. [Rires]
Lykaia semble avoir une thématique assez profonde. Est-ce un album concept ?
Non pas vraiment, toutes les chansons sont séparées dans les thématiques abordées par les paroles. Nous essayons toujours d'avoir un fil rouge entre les chansons ceci dit. Mais je trouve ça difficile d'écrire dix chansons dans le même état d'esprit. Aujourd'hui je suis en colère, demain je vais être heureux, ça va donner deux chansons différentes. Et quand je suis triste, ça va faire encore une autre chanson. Ce n'est pas mon truc.
Mais tu pourrais le faire malgré tout. Si tu prends un album comme The Wall, il y a de tout : des chansons sur la colère, d'autres sur la tristesse, etc...
Oui, mais c'est un concept énorme. Pour moi, The Wall est un des meilleurs albums de l'histoire donc... Je voulais faire quelque chose de personnel, et trouver un concept qui s'accorde avec ma propre vie ne marchait pas vraiment. La musique est ma seule thérapie, ça fait vingt ans que je suis dedans. J'ai pu réfléchir à certaines choses de mon passé et les purger. La musique est la seule chose qui me permet d'atteindre cette solitude et cette confiance, cette aise pour toucher ces thèmes.
Est-ce que le thème des paroles a été développé avant l'écriture de la musique ou au même moment ?
Je crois que les paroles s'écrivent toujours un peu d'elles mêmes. Quand tu trouves une mélodie, tu la connectes immédiatement à quelque chose. Tu sais à peu près ce qui doit être dit là, et tu laisses ça couler librement. Et la musique t'aide à accoucher des paroles et vice versa. Donc la musique vient d'abord, mais dès qu'elle arrive, tu sais de quoi va parler la chanson.
J'ai vu que vous avez tout fait pour avoir un enregistrement aussi analogique que possible. Pourquoi ?
Tout simplement parce que les techniques que tu utilises sur l'ordinateur vont tellement loin qu'au final, tu ne fais que te mentir. Toutes ces ruses, ces copier/coller, ces éditions, ce n'est pas toi. Ce n'est pas la passion que tu mets dans un album, c'est l'ordinateur qui te dit comment tu dois sonner. C'est l'oreille de ce gamin de quinze ans qui est époustouflé d'entendre quelque chose de parfait, mais qui est joué par un ordinateur au final. Je ne veux plus participer à ça. Je ne veux plus entendre parler de click ou de je ne sais quelle connerie. Je veux juste jouer ma musique et être honnête. Tout n'a pas à être parfait. La perfection est quelque chose de vraiment ennuyeux, creux et prévisible. Je veux quelque chose d'authentique. Et le seul moyen pour cela est d'avoir quelqu'un qui sue dans son studio à jouer cette putain de partie et d'être soi-même, faire de son mieux. J'en ai marre des bidouillages sur ordinateur, et je crois qu'on perd une part de l'âme de la musique avec ça. Mais si les gens préfèrent qu'on leur mente et qu'on leur serve ce son d'usine et veulent acheter la musique qui est faite ainsi, ça ne me pose pas de problème. Je ne veux juste plus être là-dedans.
C'est intéressant, parce qu'un certain nombre de groupes ont fait le même constat et donc le même choix de retourner en arrière là-dessus, comme Meshuggah qui ont enregistré à nouveau avec de vrais amplis et en live.
Oui. Le fait est que nous sommes allés trop loin. Je veux dire, quand nous avons tous commencé à jouer du metal, il y avait une bonne raison à cela. C'était une rébellion contre la musique grand public, les productions parfaites, les jolies voix et toute cette merde. Et aujourd'hui, on fait la même chose ! On utilise les mêmes ordinateurs pour mentir au public et leur dire que c'est nous derrière ces enregistrements. Nous sommes vraiment allés trop loin, je veux revenir vers quelque chose de vrai, de brut, d'imparfait, le sale que la musique Rock devrait avoir.
C'est amusant parce que pendant les années 90, le Black Metal est né justement en partie parce que les musiciens voulaient revenir vers un son brut et authentique.
Ouais. J'adore le Black Metal, ou en tout cas en 93 et j'en écoute toujours aujourd'hui. Mais ce que nous faisons reste très diffèrent, je ne veux pas non plus pousser le curseur comme l'a fait le Black Metal. Je veux que mon groupe ait un bon son, mais je ne veux juste plus mentir. Je ne veux plus qu'une machine me représente, ou qu'une piste de click m'ordonne comment je dois sentir ma musique. Si je veux jouer plus rapidement je le fais, même chose si je veux jouer lentement, parce que c'est ma putain de musique ! [Rires] Je sais pas, plus je vieillis et moins les conséquences de mes choix m'importent : tant pis, je veux faire ce qui me semble juste et dont je peux être fier. Je veux pouvoir montrer ça à mes enfants en disant : vous voyez, c'est moi qui joue là, pas un ordinateur.
J'ai cru comprendre que tu écrivais beaucoup. As-tu déjà des idées pour le prochain album ?
Non. Après chaque album, je prends une pause. Il y a un temps où je ne veux plus voir un instrument dans mon champ de vision ! [Rires]
Il y a une tournée prévue ?
Ouais, on fait quelque chose en avril. Je n'en sais pas plus. Heureux ?
Oui. Quels sont tes albums favoris du moment ?
Le dernier album que j'ai écouté est le dernier Gojira. C'est tout. [Rires] Je veux dire, j'écoute surtout des vieux trucs, de la musique ethnique. J'ai besoin de cette tranquillité aussi pour exploser.
On peut d'ailleurs noter que cet intérêt pour la musique ethnique a fait surface dans Opeth, et aussi dans Soen, mais pas sur le dernier album !
Non. Mais il y a une différence entre ce que j'écoute et ce que je veux jouer. Je veux jouer des choses avec lesquelles je suis à l'aise sur mon instrument. Bien sûr, je veux aussi être mis au défi... C'est difficile à expliquer. Mais je sais le type de musique que je veux écrire, ce dans quoi je suis bon. La musique que j'écoute est majoritairement ce que je ne pourrais jamais jouer.
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