Neige, tête pensante d'Alcest
par Neredude (30/12/2016)
« Nous n’avons pas du tout laissé tomber ce qui avait été développé sur Shelter »
Après avoir fait beaucoup de remous en sortant un album purement axé shoegaze / dreampop, Alcest sont revenus vers un son plus proche de ce qui a fait leur renommée. Nous nous sommes entretenus avec Neige, chanteur et guitariste de la formation, pour parler du développement de l'album et des choix artistiques que cela impliquait.
Il paraît que quand tu sors un album, le suivant est déjà composé. Est-ce que c’était le cas pour Kodama quand Shelter est sorti ?
En fait, les albums ne sont pas composés, mais disons que j'ai déjà une idée assez précise de l'univers que je vais développer, du son et de la direction qu'on va prendre. Il y a souvent aussi quelques morceaux qui sont déjà écrits, sans que l'album soit terminé. De fait, je n'ai jamais fait de pause entre la composition de deux albums jusqu'à présent. Par exemple, le premier morceau composé pour Kodama était "Untouched", et il a été fait très peu de temps après l'enregistrement de Shelter. Je pense que ça va changer avec Kodama, vu qu'on a une année hyper chargée en terme de tournée. Mais je savais déjà qu'on allait s'orienter vers quelque chose de plus sombre, de plus pêchu, et de plus personnel aussi. Sur Shelter, je m'étais vraiment fait plaisir, pour faire une sorte d'hommage à mes influences dream pop, et du coup, c'est peu être mon album le moins personnel, même si j'en reste très fier. Sur Kodama, je voulais revenir vers quelque chose de plus contrasté, mélanger des éléments qui s'opposent, ce qui avait fait le son d'Alcest par le passé.
Il y a moins d'invités et d'éléments extérieurs à Alcest sur cet album.
Oui, il n’y a qu’une seule invitée [NDLR : la chanteuse de Sylvaine sur "Kodama"] sur cet album, qui a été enregistré "à la maison" dans notre local de répétition, par le producteur qui avait mixé Ecailles de Lune et Les Voyages de l'Âme. On voulait revenir vraiment revenir aux sources, ou en tout cas, vers quelque chose de plus clos.
Est-ce que le fait d'impliquer moins d'invités suivait cette volonté de retour aux sources ?
Peut être, oui. Mais ce n'était pas un choix conscient : je ne me suis pas dit "tu vas diminuer le nombre d'invités pour faire quelque chose de plus personnel." Mais ça s'est sans doute fait inconsciemment, pour revenir vers quelque chose de plus simple.
Beaucoup de gens comparent Kodama à Ecailles de Lune. Mais pour moi, il ressemble plus à une synthèse de tout ce que vous avez fait jusqu'à présent, et notamment Shelter : on y retrouve beaucoup d'éléments de cet album, que ce soit dans le son ou la composition. C'est d'ailleurs ce que nous avait dit Winterhalter dans une précédente interview : il y a beaucoup de Shelter dans Kodama.
Absolument. En fait, il y a le côté rock indé de Shelter qu'on n'a pas mis de côté pour Kodama. C'est assez marrant parce que les gens recommencent à appeler ça du black metal. Ca me saoûle : dès que tu mets des parties un peu rapides avec du chant hurlé, ça y est, pour eux, c'est du black metal ! Cet album n'a pas du tout un son black metal, ça se rapprocherait plus de Dinosaur Jr ou Sonic Youth. C'est un son hyper organique qui se rapproche plus, en un sens, de Shelter, avec les guitares qui ont parfois un son proche de la new wave. On n'a pas du tout laissé tomber ce qui avait été développé sur cet album, et c'est assez cool que tu l’aies remarqué. Kodama n'est pas juste un retour en arrière pour faire la même chose, je pense qu'il y a une vraie évolution. J'espère que les gens le verront, pas du genre "OK, Alcest ressortent un album identique aux autres." Je pense que Kodama a vraiment un son et une atmosphère qui lui sont propres.
Ce projet existe depuis longtemps. Est-ce que ta manière de composer a changé depuis le temps ?
La manière n'a pas changé, non. C'est toujours aussi archaïque, j'ai juste une guitare, un ampli et une ou deux pédales. Pas d'ordinateur. Avant, c'était tout de mémoire, donc je composais des morceaux dont j'essayais de me rappeler. Maintenant, j'ai un téléphone donc j'enregistre mes riffs dessus. J'ai un logiciel hyper rudimentaire, Logic, mais juste pour enregistrer. [Rires] En fait, je déteste avoir le choix en terme de matériel, de son, c'est super stressant pour moi. Tu vois les mecs qui ont des claviers MIDI avec 3000 sons et qui passent leurs journées à bidouiller et écouter des sons ? Bah moi je suis l'inverse de ça ! C'est quelque chose qui bloque la créativité plus que de la stimuler. Du coup j'ai besoin d'être dans un contexte très simple avec le moins de matériel possible pour vraiment me concentrer sur les mélodies.
Cette histoire de téléphone m'en rappelle une autre. Kirk Hammett de Metallica enregistre ses riffs sur son téléphone comme toi. Sauf qu'il l'a perdu et apparemment, il y avait des centaines de riffs dessus. Donc fais attention !
J'ai entendu parler de cette histoire. Je fais des sauvegardes de temps en temps en ce qui me concerne. Pour Metallica, c'est un groupe tellement important que ça m'étonne qu'ils n'aient pas quelqu'un qui s'occupe de ce genre de choses si lui n'y pense pas.
Tu as mis énormément de temps à composer Souvenirs d’un Autre Monde, alors que l’écriture des autres albums a été beaucoup plus rapide. Tu n’as pas peur de perdre du recul sur ta musique ?
En fait, la démarche que j'ai eu sur Souvenirs d'un Autre Monde était très particulière et c'est aussi pour ça que ça a pris du temps. Je voulais représenter en musique une expérience de hors-corps que j'ai eu étant enfant. C'était quelque chose de précis, et ça m'a pris énormément de temps à composer, parce que je ne pouvais pas m'y plonger facilement ou exprimer des sentiments personnels. Et c'est le seul album qui a été composé comme ça, les autres sont beaucoup plus ouverts, peut-être plus rapport à ce que je vis, les périodes que je traverse, etc... Souvenir d'un Autre Monde reste mon album le plus personnel, je pense. Pour ce qui est du recul sur ma musique, ça ne me fait pas peur, non. Il y a quand même pas mal de temps qui passe entre les albums. Je ne prends pas de pause, je suis toujours en train de composer. J'ai commencé à écrire Kodama il y a trois ans. C'est quand même pas mal pour six morceaux. Mais je comprends que certains puissent ressentir ça, si tu sors un disque tous les dix mois, tu n'as aucun recul.
Un des thèmes de l’album est la confrontation entre l’homme et la nature. Est-ce qu’il y a un message écologique dans Kodama ?
Oui et non. Disons que c’est plutôt une invitation aux gens à prendre plus soin de la nature et de ce qui est en dehors des villes, d’être un peu moins centrés sur eux-mêmes. Je pense que l’Homme est trop égocentrique, on oublie qu’il y a tout un univers autour de nous, qui est indépendant et qui souffre de nos erreurs, de notre bêtise. On a tendance à complètement oublier tout ça. Mais je ne suis pas un donneur de leçon. Je vis en ville aussi, je ne suis pas parfait, j’ai pas un comportement irréprochable. C’est sûr que la nature m’a toujours beaucoup inspiré, et cette fois, ça parle de la confrontation entre notre mode de vie urbain et le rapport qu’on peut vouloir garder avec la nature. Je vis à Paris, mais je suis toujours en manque de nature. C’est une espèce d’opposition, qui est bien montrée dans le film Princesse Mononoké, où tu as cette incompréhension entre les deux univers. C’est une idée hyper intéressante, je trouve.
Sur Kodama, tu as beaucoup plus collaboré avec Winterhalter. Pourrais-tu développer ?
Je pense que cet album est peut être celui où il s’est le plus exprimé, parce que les parties de batterie sont très en avant, elles sont très réfléchies. On a passé beaucoup de temps sur la batterie, plus que d’habitude encore ! Je pense que Winterhalter est assez sensible au côté épique et aussi justement, toute cette thématique autour de la place de l’Homme dans le monde par rapport à la Nature. Que ce soit au niveau des thèmes de l’album comme de la musique, il s’est encore plus investi. Pour Shelter, la batterie passe vraiment au second plan. C’est voulu, c’est un album très aérien, très axé sur les ambiances et les guitares. Sur Kodama, on a voulu mettre la section rythmique au premier plan, donc naturellement, c’est un album qui lui a plus parlé, oui.
En concert, ton chant est assez en retrait.
Oui, oui, et heureusement ! [rires]
C'est donc voulu ?
On vient de l’école shoegaze à fond. Si t’as déjà vu un groupe comme My Bloody Valentine en concert, le chant est inaudible, il n’y en a pas en fait. Les guitares sont tellement fortes et eux chantent tellement doucement que ça ne passe pas. Nous, ça va encore, on peut quand même entendre le chant, même s’il est en retrait. Mais il ne doit vraiment pas être au premier plan, il doit s’incruster dans la guitare. Et on ne doit surtout pas comprendre les textes. Oh mon dieu, surtout pas ! [rires] Les gens me disent " Ah mais, on ne comprend pas les textes". Ca m'étonne qu'ils n'aient toujours pas compris que c'est ce qu'on a voulu dès le départ. Ca me paraît évident.
Mais de l'autre côté, vous mettez les paroles sur les albums.
Toujours, oui. Quand j'enregistre, je ne veux pas forcément articuler ou qu'on comprenne les textes à la première écoute. Si les gens ont envie de savoir de quoi les chansons parlent, ils ont les textes à disposition. J'ai pas envie que ça devienne de la musique que tu écoutes dans la voiture en chantant les paroles en fait. Le langage connecte trop la musique à la réalité, ça la rend trop terre à terre, donc j'essaye de noyer le poisson. Il y a même des morceaux avec du chant, mais sans texte, comme "Les Iris" ou "Délivrance", "Kodama". Je trouve ça vraiment intéressant, parce qu'il y a des gens qui me demandent encore les textes pour ces morceaux alors qu'il n'y en a pas ! C'est juste une espèce de langage spontané, une improvisation.
Un peu à la Dead Can Dance ?
Exactement, c'est comme Lisa Gerrard qui fait des vocalises sur sa musique, et qui ne les remplace pas par des textes. On laisse ça sur le disque, et c'est un choix.
J'ai lu que l'album avait été enregistré au studio Drudenhaus, mais tu viens de me dire le contraire.
En fait, la batterie a été enregistrée dans notre local de répétition en Lorraine. Benoit, le producteur de Kodama, s'est déplacé là-bas avec son matériel d'enregistrement. Et ensuite on est allé au Drudenhaus pour enregistrer tout le reste.
Sur cet album, vous avez travaillé avec le duo Førtifem sur l'artwork. Peux-tu décrire la collaboration, et les as-tu laissés libres dans leurs choix ou avaient-ils des directives ?
Alors, ce sont des amis avec qui on avait déjà travaillé pour des t-shirts. J'aimais tellement leur style que j'ai voulu qu'ils fassent un artwork complet. Ca a vraiment pris des dimension inespérées, en donnant un vrai caractère à l'ensemble de l'album. Ce qui est chouette, c'est qu'il a été beaucoup remarqué, on me pose des questions dessus. En plus il y a un dessin par morceau. Le visuel a toujours été hyper important dans Alcest, autant que la musique. Je pense que je suis un dessinateur frustré. J'avais la possibilité de faire du dessin quand j'étais plus jeune, et finalement j'ai fait de la musique. Quelque part, je pense que j'ai suis un peu frustré par rapport à ça et du coup, l'aspect visuel a beaucoup d'importance. Je donne toujours des directives au départ, que ce soit pour Ecailles de Lune, Voyages de l'âme ou Kodama. Je voulais un style qui s'inspire de certains illustrateurs japonais, tout en reprenant des thèmes typiques d'Alcest, avec un rendu assez moderne. Førtifem ont un style très moderne, ils mélangent par exemple des techniques de gravure avec une imagerie complètement pop, tirée de films, des univers décalés, des jeux vidéos etc... Je trouve ça génial, et je voulais vraiment bosser avec eux pour cet album. On a un visuel qui se démarque assez de ce qui peut se faire ailleurs, avec en plus quelques références à des illustrateurs japonais pour ceux qui connaissent.
Sur les photos promo comme au concert à la Maroquinerie, tu portais un t-shirt Akira.
L’univers qui y est développé est pourtant assez différent de celui
d’Alcest. Qu’est-ce qui te plaît dans le travail de Katsuhiro Otomo ?
C'est vrai que ce n'est pas forcément évident de faire le lien entre les deux. Akira est juste une référence parmi tant d'autres. Je suis fans de mangas/animés dont Akira, Ghost in The Shell, Miyazaki, Saint Seya... Ca n'a pas forcément de lien avec Alcest,
j'avais juste envie de mettre un t-shirt cool ce soir là ! [Rires] Ce
qui me plaît dans cet univers là, c'est le côté post-apocalyptique,
d'anticipation qui a inspiré beaucoup de films après ça. C'est comme
Ghost in The Shell, ça va au delà du simple format manga, c'est une
oeuvre d'art indémodable.
Du coup, est-ce que tu as déjà commencé à travailler sur le prochain album ?
Pas du tout. Là, on est en tournée, on a aucun jour off jusqu'en décembre. Ensuite on a six mois de vacances, et je pense que pour une fois, je ne vais pas faire trop de musique. Parce qu'après on va encore partir pendant longtemps, avec une longue tournée aux USA, on va aller en Asie, en Australie, en Nouvelle Zélande, on va refaire l'Europe et des festivals. Du coup, gros planning et il faut vraiment que je me force à prendre du repos. Donc je pense pas que le prochain album sera fini avant un petit bout de temps. [Rires]
Qu'est-ce que tu écoutes en ce moment ?
J'ai des phases, mais c'est vrai que là ça fait un petit moment que j'écoute un peu toujours les mêmes choses. Je suis un gros fan de Grimes. C'est une chanteuse canadienne qui fait de l'electro, complètement en dehors du circuit metal. Je suis vraiment fan, aussi parce qu'elle a un univers bien décalé. C'est un gros mélange d'influence, que ce soit indus, electro, trip hop... Son album Visions surtout. Sinon j'écoute beaucoup Type O Negative : October Rust mais aussi les autre albums. J'écoute toujours beaucoup Cocteau Twins, Dead Can Dance aussi mais ça fait un moment que je n'ai pas écouté. Beaucoup de new wave aussi typée The Cure, New Order...
Il y a pas mal de gens qui se font des tatouages Alcest. Qu'est-ce que ça te fait de voir une personne qui aime ta musique au point de l'avoir gravée sur la peau ?
C'est... Incroyable. Se dire que ces gens-là auront le nom d'Alcest ou une pochette pour le reste de leur vie, c'est dingue. Surtout que souvent, ce sont des pièces complètes : le dos complet, des bras complets, des trucs de fou. Ca fait trop bizarre. Mais c'est un peu le cas pour tout : que ce soit un mot d'un fan, un tatouage, ou un cadeau qu'on va recevoir, tout sorte de dessin ou autre : ça nous fait hyper plaisir parce qu'on pense pas du tout à ce genre de choses quand on commence un groupe. C'est inespéré et très touchant. Tu as aussi des gens qui nous disent que leur musique les a influencé, des musiciens par exemple... Tout ça nous touche beaucoup, évidemment.
J'ai cru comprendre que depuis un petit moment, vous viviez de votre musique. En ce moment, il y a beaucoup de débat sur les groupes qui se lancent dans le parrainage, où un fan peut choisir de leur donner un peu d'argent par mois contre des contreparties pour leur permettre ne de se consacrer qu'à la musique. Qu'en penses-tu ?
Je pense que c'est un choix individuel à faire dans le groupe. Je pense que ça nous gênerait de demander ce genre de choses, personnellement. Je connais des musiciens qui font ça, Ne Obliviscaris. Ecoute, tant mieux pour eux. La musique, c'est pas quelque chose qui doit être gratuit. C'est un véritable travail, un véritable investissement, un processus. Pour moi, les gens qui ne soutiennent pas les artistes, c'est comme si tu allais voler une baguette dans une boulangerie. C'est du vol. Après, de là à aller demander aux gens de financer le groupe tous les mois... Je sais pas. Je pense que c'est pas quelque chose que j'aurais envie de faire. Si les gens veulent soutenir le groupe, ils peuvent acheter du merch, la musique. Ce sont des choses qui viennent directement du groupe, c'est le fruit de notre travail. Donner de l'argent comme ça tous les mois, c'est un peu étrange. J'ai pas vraiment d'avis en fait.