C'est dans un superbe écrin que nous accueille prejudice gva pour cette deuxième cuvée en dix ans. Sous la forme d'un trés beau digipack à l'artwork concocté par Shahin et Pride VII Graphix, L'Enfer c'est les Autres nous surprend d'emblée par son assemblage de clichés divers, de portraits jaunis évoquant l'inexorabilité du temps qui passe, auxquels se mêlent des esquisses au trait volontairement inachevées.
Les ambitions sont donc clairement affichées. Avec cet album, prejudice gva passe désormais à la vitesse supérieure sous la houlette de Serge Morattel qui s'essaie à un genre quelque peu différent des productions auxquelles il nous a habituées (Impure Wilhelmina, Overmars, Knut). En effet, même si le combo genevois compte dans ses rangs Jérémy Taverne, bassiste de Knut et de Mumakil, ce n'est pas pour nous entraîner dans un sludgecore cataclysmique, bien au contraire. A l'instar de The Hope Conspiracy ou Omission, prejudice gva joue des coudes au coeur d'un rockin hardcore sans faille et réellement inspiré. Porté par une assise rythmique solide sur ses bases et un sens du groove hors du commun, la formation hélvète parvient à associer son énergie rock n' roll à un style rentre-dedans pour un résultat des plus électrisant ("Inner Struggle Part IV", "No Cure") et ce dans toutes les situations. De fait, même lorsque le style se raffermit ("Pake") et se complexifie, L'enfer c'est les Autres ne perd jamais de sa fureur et de son intêret. Incontestablement chez prejudice gva rien n'est figé et un morceau qui démarre dans un style peut évoluer de façon soudaine, contretemps et sonorités épileptiques maintenant une tension et une attention toujours vive.
A cette énergie brute vient se greffer une approche plus écorchée, aux salves psychotiques et tourmentées projetant prejudice gva dans une démonstration plus obscure sans perdre sa puissance de départ, un peu comme Give Up The Ghost ou Modern Life Is War ("Someday"). Toutefois, à l'inverse de ces derniers, les genevois parviennent à insuffler à leur musique la part d'ombre et de mélancolie qui prend aux tripes, l'avalanche de slides infernaux nous propulsant même parfois dans un registre beaucoup plus chaotique façon Botch, parfois même un peu émo dans le style de Snapcase ou de Drive Like Jehu ("Life-Cycle).
Que ce soit en français ou en anglais, prejudice gva apporte la preuve que les deux idiomes peuvent cohabiter de manière intelligente et, surtout, que la langue de Sartre appliquée aux musiques extrêmes peut résonner aussi bien que celle de More. Même si le titre peut apparaître quelque part un peu présomptueux, il n'en demeure pas moins représentatif de la teneur générale d'un album où abondent réflexions sur la relation à l'autre, la perception des choses, le doute, ainsi que les artifices qui nous empêchent volontairement ou involontairement de nous poser (ou de répondre à) toutes ces questions. Bref, la vie dans tout ce qu'elle a de plus humain.
Une fois de plus, la Suisse nous réjouit avec un album frais, ambitieux et prétentieux dans le bon sens du terme. Prejudice gva a, cette fois-ci, mis tous les atouts de son côté pour un résultat largement supérieur à de nombreuses productions européennes et même américaines. Du très grand art.
"No Cure", "Fake" et "Someday" en écoute sur MS.
A écouter : Someday, Pake, No Cure